LE MAGASIN
UNIVERSEL
TOME DEUXIÈME.
( 1854-1855. )
PARIS.
AU BUREAU CENTRAL, RUE DE SEINE SAINT-GERMAIN, 9,
ET CHEZ TOUS LES LIBRAIRES DE FRANCE ET DE L'ÉTRANGER.
Broché. ... 5 f. 50 c.
^^^^'' ^ Cartonné. . . T «
Il
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LE MAGASIN
UNIVERSEL
TOME DEUXIEME.
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTIOX AU MAGASIN UNIVERSEL.
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mois ( 4 et S livraisons par cahier. )
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Franco par la poste, 7 fr. 70 c. séparément.
Cartonne à 1 anglaise , . . 7 fr ;
Prix des deux premières années.
N. B. L'administratioa des postes ne se charge pas des volumes carlonnés
A NOS LECTEURS.
Au moment d'entrer dans notre troisième année , nous éprouvons le
besoin de remercier le Public du favorable accueil qu'il a constamment
fait à notre publication. Si nous ne consultions que le cbiftre toujours
croissant de notre abonnement, nous pourrions peut-être nous flatter
d'avoir répondu à l'attente de nos lecteurs, mais nous sommes loin de
nous faire illusion sur le mérite de notre œuvre.
Sajis doute, parmi les articles que nous avons donnés sur les chroniques
de notre pays, sur les sciences physiques, l'histoire naturelle, l'hygiène,
les voyages, les moeurs des divers peuples, etc., nos abonnés auront trouvé
plus d'un fait curieux et dont l'exposition n'était dénuée ni de clarté, ni
d'élégance; sans doute aussi, parmi la foule des gravures qui accompagnent
la plupart de nos articles, et qui peuvent soutenir la comparaison avec
celles des autres publications à deux sols, il en est beaucoup qui offrent
de l'intérêt, soit par la nature même du sujet, soit par la manière dont le
burin de l'artiste les a rendues; mais plusieurs d'entre elles sont de beau-
coup au-dessous de celles que nous donnerons désormais. Tnous avouerons
même que nous n'ignorions pas cette infériorité avant de les confier à la
presse, et cependant nous n'avons pu les rejeter.
Nous craindrons d'autant moins de nous expliquer franchement sur
ce sujet avec nos lecteurs que nous les considérons comme associés avec
nous pour le succès de notre oeuvre.
Ces gravures, nous les tenions des premiers Directeurs du Magasin uni-
versel qui avaient été les chercher en Angleterre; et les sacrifier, c'eût été
imposer à notre entreprise une dépense trop lourde, dépense qui eût, non
F as compromis son existence, mais nui à son développement; car, rnalgré
état de prospérité auquel il est parvenu, le Magasin universel ne vir
que par ses abonnes et n'est pas , comme la plupart des entreprises de la
librairie , soutenu par des spéculateurs.
Le Magasin universel est, en effet, un livre de conscience. Rédigé dans
un esprit de foi et d'amour de l'humanité, il est destiné à répandre, avec
le goût du vraietdu beau, les notions utiles de sciences, d'hygiène, d'his-
toire , de technologie , que le progrès des siècles a rendus nécessaires à
toutes les personnes qui s'élèvent au-dessus des derniers rangs de la
société.
Telle a été l'honorable mission qu'ont voulu remplir les fondateurs
du Magasin universel. L'Intérêt des familles a été leur suprême loi; ils
ont voulu leur offrir un livre composé avec assez de discernement pour
qu'on pût le mettre de confiance dans les mains des enfans eux-mêmes,
et fait avec assez de goût et de science pour qu'il offrît à tous ses lecteurs ,
et jeunes et vieux, plaisir et utilité tout à la fois. Tel est aussi le but des
Éditeurs qui tiendront désormais la place des premiers Directeurs du Ma-
gasin universel. L'atteindront-ils? c'est là ce qui leur est permis d'espe'rcr
quand ils contemplent , d'un côté , les ressources matérielles qui sont à
leur disposition, de l'autre les artistes habiles, les savans et les^ens de
lettres dont ils se sont assuré le concours.
MAGASIN UNIVERSEL.
N° i.
2 Octobre 4854
Prix:
DEUX SOUS.
PUBLIÉ SOUS LA DIKEGTION D'UNE SOCïÉTl^: DE SA VANS ET D'ARTISTES.
DUGUESCLIN. — BATAILLE DE COCHEREL.
( Daguesclin chargeant les Anglais à la bataille de Cochcrel. )
Nous empnmlons aux Mémoires snr l'Histoire de France
les détails que l'on va lire sur la bataille de Coclierel :
Les valets et les enfans perdus des deux camps eu vinrent
les premiers aux mains, et s'acharnèrent les uns sur les
autres avec tant de rage et de furie que le sang en coulait
de toute part. Cependant les goujats français eurent de l'a-
vantage sur ceus des anglais , ce (jui fut un heureux augure
pour Bertrand , qui se flatta de la victoire, voyant de si
beaux préliminaires. Après que les enfans perdus se furent
séparés, il y eut un chevalier anglais qui se détacha de son
escadron pour demander à faire le coup de lance contre
celui des Français qui serait assez brave pour vouloir entrer
en lice avec luij Roulant Dubois se présenta pour lui i): êter
collet sous le bon plaisir de Bertrand : le Français eut en-
core l'avantage sur l'Anglais, car non-seulement il perça
les armes et la cuirasse de celui-ci , mais le coup ayant porté
bien avant dans la chair , le ciievalier anglais fut renvei^sé
de son cheval à la vue des deux camps, ce qui fut une
grande confusion pour ceux de son parti , qui , de tous ces
sinistres évènemens, ne devaient rien présumer que de
fatal pour eux.
Cependant le captai de Bue voulant toujours faire bonne
mine , s'avisa , pour braver les Français , de faire apporter
sa table , au milieu du pré , toute chargée de viande et de
vin , comme voulant se moquer de Bertrand qui jeûnait
depuis long-temps avec ses troupes. Les archers et les ar-
balétriers commencèrent la journée par une grêle de flèches,
qu'ils se tirèrent les uns les autres , mais qui ne firent pas
grand effet des deux côtés. Il en fallut venir aux approches :
TOMB II.
les gendarmes se mêlèrent et combattirent à grands coups
de haches et d'épées ; l'action fut fort meurtrière de part et
d'autre; Gnesclin s'y fesait distinguer par les Anglais qui
tombaient à ses pieds et qu'il couchait par terre, partout où
il paraissait. Ce foudre de guerre éclaircissait les rangs des
ennemis par le fracas qu'il y fesait ; il fut fort bien secondé
du vicomte de Jeaumont, de messire Jaudoin, d'Eunequin
et de Thibaut du Pont, qui se signalèrent beaucoup dans
celte i)ataille.
Les exploits de Thibaut Dupont méritent surtout une
meulion particulière: ce chevalier tenait à deux mains une
cpée, et frappait sur les ennemis comme un forcené. Son
épée se rompit ; mais un breton , son serviteur , qui était
auprès de lui, lui ayant donné une hache grande , pesante
et dure, il eu donna un si furieux coup à un chevalier an-
glais , qu'il lui coupa et abattit la tête jtis. Duguesclin
animait les siens par son exemple et par ses discours , en
criant: GuescUn: puis il leur disait: « Or, avant mes
« amis , la journée est à nous ; pour dieu , souvenez^ous
« que nous avons un nouveau roi de France ; qu'au-
a jourd'hui sa couronne soit honorée par nous. »
Les Anglais , aussi de leur côté , disputèrent long-temps
le champ de bataille , et tuèrent beaucoup de chevaliers
français d'une illustre naissance. L'on dit que le baron de
Mareuil , qui tenait pour les Anglais, tout lier de ce petit
succès , criait à tue tête : Ou êtes-vous , Duguesclin? comme
pour l'affronter , et lui faire sentir que les choses prenaient
un autre train qu'il ne s'était imaginé; mais Bertrand, pour
lui faire rentrer ces paroles en la bouche , et le punir de sa
MAGASIN UNIVERSEL.
témérité , revint siir lui tout en colère , et lui déchargea sur
la têle un coup si violent qu'il l'abattit à ses pieds, et
Guesclin l'allait achever s'il n'eût été promptement relevé
par les siens, qui coururent à lui pour le secourir. La mêlée
recommença pour lors avec plus de chaleur, mais les An-
glais succombèrent à la fln , quelques efforLs que lissent !e
caplal de Bue et le baron de Mareuil pour leur inspirer du
courage et leur faire reprendre leurs rangs; et, connue l'a-
vait dit Guesclin, on pût donner au nouveau Roi, Charles V,
pour son joyeux avènement , la nouvelle d'une victoire com-
plète. Le fameux captai de Bue y fut fait prisonnier,
REPAS TURC.
H y a ordinairement dans chaque maison turque un peu
aisée, trois tables séparées, savoir : celle du chef de la famille,
qui prend habituellement son repas seulj la table des en-
tans qui, par respect ponr leur père -, ne mangent point avec
lui; et celle de la femme, qui vit isolée dans son apparte-
ment. Quand il y a plusieurs femmes , chacune a son couvert
particulier , et tontes ces tables ne peuvent recevoir plus de
quatre ou cinq personnes.
Le turc divise sa nourriture en deux repas , et l'homme
puissant, qui vil dans Fa noblesse, y ajoute, dès le matin,
un léger goûter. Comme tous sont dans l'habitude de se lever
dès l'aurore , celui-ci , nonchalamment étendu dans l'angle
d'un sopha , après son court namaz, ou prière , frappe dans
ses mains pour appeler l'esclave qui lui apporte sa pipe. Il
savoure à longs traits la fumée du tabac, qu'il brûle
avec des parcelles d'aloès , et reste sans parler , absorbé
dans une profonde nullité; on l'arrache à cet état pour lui
présenter \ine légère infusion de café moka bouillant, dans
lequel le marc poiphyrisé reste suspendu , et il le boit en
aspirant doucement sur le bord de la tasse ; ses jambes
croisées, sur lesquelles il est assis, lui refusent presque leur
secours; il invoque les bras de deux" domestiques pour se
soulever Il dit comme l'asiatique son voisin:
ne rien faire est bien doux; mais, mourir pour se reposer,
c'est le bonheur suprême.
La matinée de l'homme opulent s'écoule de cette ma-
nière, ou en roulant machinalement son tchespi {\).\ers le
milieu du jour, on apporte le dîné. La plus grande simpli-
cité règne dans le senice ; on ne voit sur la table ni nappe ,
ni fourchettes, ni assiettes, ni couteaux; une salière, des
cuillères de bols, d'écaillé ou de cuivre, et une grande ser-
viette d'une seule pièce , qui fait le tour de la salle forment
l'appareil.
On distribue le pain coupé par bouchées, et on garnit le
plateau de cinq ou six plats de salades d'olives , de corni-
chons, de céleri, de végétaux confits au vinaigre, et de
confitures liquides. On apporte ensuite les sauces et les
divers ragoûts, et- le repas se termine par le pi!aw.
En aucune circonstance on ne fait usage de dessert ;
les différentes saisons tiennent lieu de hors-d'œuvres , et
diacun mange à son gré pendant le dîner. Quinze uiinutes
suQiseat pour se rassassier, et le repas est un travail pour
l'indolent , qui semble l'avoir fait en cédant à la nécessité
plutôt que par plaisir.
Les boissons, dont on ne fait usage qu'après avoir
mangé) sout l'eau et le scherbet, qu'on présente à la ronde
dans un verre de cristal , qui est commun à tous les con-
Tiveg ; le vin proscrit en apparence , ne se boit que dans les
Uvernes. Ce n'est pas qu'on ne fasse mention, dans l'histoire
turque , de plusieurs sultans qui ont doimé l'exemple public
de cette violattonéu Koran ; mais, depuis les édits sévères
de Mourad IV, ses successeurs ont au moins sauvé les ap-
parences. Il n'y a que les derviches ou moines , les soldats ,
1«8 marins , une partie de la bourgeoisie et du bas peuple
qui donnent le scandale de l'ivrognerie.
L'aprèB-midi , le turc riche passe son temps dant un
(i) Sorte dt chapelet.
kiosk bien acre. Celui qui habite les rives du Bospiiore aiaie
que sa vue plane sur les sites agréables de l'Asie , où repo-
sent ses pères. U contemple cette terre , comme celle qui
doit un jour servir d'asile aux musulmans, lorsqu'une na-
tion d'hommes blancs les auront chassés d'Europe. Il
s'enivre d'odeurs, des vapeurs de la pipe, et se rafraîchit
avec le scherbet parfumé de musc , que ses esclaves lui ver-
sent. Eloigné ensuite de toute société, il appelle ses femmes;
et , sans déposer rien de sa gravité , il leur commande de
danser en sa présence !
Le souper qui est servi sur les tables , au coucher du so-
leil , est composé avec plus de soin que le dîner, mais il se
passe avec autant de célérité. La pipe termine la journée ,
dont le cercle monotone n'admet presque jamais de variété,
ni de ces accessoires qui font le plaisir de la vie, par la
nouveauté.
POMPÉI (4) ET HERCULANUM.
Il y a plus de dix huit cents ans, deux villes d'Italie
furent à demi renversées par un tremblement de terre ,
Pompeï et Herculanum, et enfouies dans les cendres du
Vésuve.En i 74 5, un liasard ayant fait trouver, à trente pieds
sous terre , des colonnes et des statues , on commença des
fouilles dont le résultat fut la découverte des deux villes sou-
terraines. Depuis cette époque , les travaux ont été abandon-
nés et repris à différentes époques. Murât , pendant la courte
durée de son règne, y employa une légion de soldats, et
fît plus , en peu de temps , que tous les prmces qui avaient,
avant lui , occupé le trône de Naples.
La ville de Pompeï est maintenant révélée à la vue ; non
plus cachée sous une voûte de cendres et de vignes , et im-
parfaitement découverte , mais éclairée par ce même soleil
qui brillait sur elle, un moment avant le mouvement con-
vulsif qui porta la destruction dans ses murs. Parmi tous les
grands monumens de l'antiquité , on ne voit rien de com-
parable à cet exemple d'architecture domestique , du bien
être intérieur , de l'existence civile des anciens. La ville de
Pompeï, après environ dix huit cents ans d'inhumation,
est ouverte et déblayée, et on y entre comme dans toute
autre ville de l'Italie.
On entre à Pompeï par une longue avenue pavée, bordée,
des deux côtés , de tombes très-serrées; ses rues sont des
passages étroits; si étroits, qu'aucune voiture moderne ne
pourrait y passer, quoi qu'elles portent les marques de
roues ; elles sont bordées par des façades de petits bàtimens
très-simples , exactement semblables aux maisons italiennes
du moyen-âge. Quand on a passé la porte qui donne sur la
rue , ou voit une petite cour (le moderne cortile de Florence
et de Rome ) ; elle est entourée par une rangée d'édifices
divisés en petites chambres séparées, généralement moins
grandes que les cellules d'un couvent. Les murs de ces petits
cabinets sont très-souvent peints à fresques , et les oiseaux,
les quadrupèdes, les fleurs, y sont par fois très-bien
exécutés. Le pavé des plus grandes et des plus belles maisons
est en mosaïque de plusieurs couleurs ; mais , à l'excejjtion
du bâtiment remarquable , appelé maison de Salluste , jious
n'avons vu, dans aucune, des chambres assez grandes pour
contenir un lit anglais. Oji voit presque toujours , au mi-
lieu de la cour , une fontaine de marbre ou une citerne.
Plusieurs des maisons ont des boutiques sur la rue , dont
l'enseigne est taillée dans la pierre au-dessus de la porte;
dans une boutique de laitage, le comptoir et les places des
terrines étaient restées ; une boutique d'apothicaire était
autrefois désignée par ses conteims , qui ont été transportés
au nmsée, et un lieu de rafraichissement public nous fut
montré et désigné par l'un des gardes, sous le nom de
café. La conséquence qu'on doit tirer de la petitesse et
de l'incommodité des maisons particulières , c'est que les
(i) Le prochain naméro contiendra an article spécial sur le
VésaTe et Bur Téraption actuelle.
Magasin universel.
anciens , ainsi que les habitans de Rome et de Naples , vi- |
vaient beancoup hors de chez eux, et que le Forum, le
Temple et le Cirque , les dispensaient d'avoir un- logis
agréable. L'existence des Italiens de nos jours se compose
également du cours, de l'église et de l'opéra.
Les lieux publics de Pompe ï forment un contraste frap-
pant avec la pelilesse et la simplicité des éditices privés ;
phisieurs nionuniens de la première classe, quoique dila-
pidés et privés de leur toit, donnent une idée parfaite de
leur état et de leur arrangement priuîit if. Dans le temple
d'Isis, le sacrilice semble venir de s'achever à l'instant
même.
Si l'autel n'est pas taché du sang des victimes , si les
instrumens du sacrifice ne sont pas encore épars sur ses
marches, si les dieux ne remplissent plus leurs niches, si
le candélabre et la lampe ne brillent plus sur les superbes
colonnes doriques , ce changement n'est point l'ouvrage du
temps ; le temps les avait laissés comme ils ont été trouvés,
scellés hermétiquement et parfait ement conservés ; même
les prêtres étaient à côté de l'autel en habits pontificaux;
mais les meubles de la maison m agistrale , les ustensiles
sacrés des temples, même les pavés du Forum, ont été
enlevés de cette grande et parfaite relique , que le temps
et la nature avaient léguée à la postérité. Si l'on eût laissé
une seule maison meublée , un seul temple fourni de ses
accessoires , une illusion qui aurait valu mille réalités eût
été conservée; l'imagination aurait pu se transporter à des
siècles qui ont passé comme ceux qui précédaient le dé-
luge, et l'on aurait pu effectivement occuper le siège sur
lequel Pline s'était reposé , ou se regarder dans ce miroir
qui avait réfléchi les visages des dames de Pompeï.
Les enthousiastes des arts et de l'antiquité, ont peu
d'occasions d'éprouver des sensations plus agréables (pie
celles que produit après une visite à Pompeï, l'entrée du
Musée Borbonico , de cette suite de pièces spécialement
consacrées aux reliques des cités, englouties par le
Vésuve.
Cette collection présente des séries d'objets dans lesquels
l'histoire est enseignée par des formes matérielles , et le
degré précis de civilisation auquel les anciens étaient
parvenus, indiqué avec bien plus de précision par les dé-
tails de leur cuisine, de leur salle de festin et de leur toi-
lette , que par les lettres familières de Cicéron et de Pline,
et par toutes les ruines et tous les gravois de Rome ; là ,
rien ne manque à [la suite des renseignemens laissés à la
postérité , excepté la génération qui jouissait de ces objets
élégans et utiles; une convulsion de la nature, telle que
celle dont les malheureux habitans de Pompeï et d'Hercu-
lanum ont été victimes , pouvait seule préserver des souve-
nirs, aussi complets , de leurs mœurs et de leurs habitudes,
à travers les dix huit cents ans qui les séparent de nous.
La première pièce de la galerie contient des ustensiles
qui paraissent avoir appartenu a des maisons bien montées ;
la batterie de cuisine française ne semble pas avoir ajouté
une casserole à ce magasin gastronomique de l'antiquité.
Depuis l'élégante saucière de l'amphitryon parisien , jusqu'à
la vaste turbotière de l'alderman anglais , tous les articles
culinaires se retrouvent dans ces débris des cuisines de
Pompeï. La destination spéciale de ces vaisseauxest évidente,
et leur travail laisse bien loin en arrière les efforts du luxe
moderne; les passoires , les tamis, les marmites, les chau-
drons , les poêles , sont presque tous en bronze et en métal
fin; plusieurs paraissent avoir été argentés en dedans , et
les anses avaient des formes si parfaites , que chacune d'elles
pouvait fournir, à des hommes de goût, la matière d'une
dissertation; à la cuisine, succèdent les ustensiles du buffet,
les couteaux, les fourchettes, les cuillères, etc.; l'urne
qui contenait l'eau , et dans laquelle une place était ménagée
pour la chauffer , était d'une beauté inexprimable , et aurait
pu embellir la table à thé la pins recherchée; un poêle,
véritable anticipation des découvertes de Rumfort, com-
bine la grâce de la forme a\ ec rc'conomia , et sa construcUon
est infiniment supérieure au brasier italien moderne; il
était probablement placé comme ce dernier , au milieu de
la pièce ; la sonnette de la maison est non-seulement d'un
travail exquis, mais le son en est clair et argentin; les
balances sont précieusement travaillées, et les poids sont
des bustes très -beaux; plusieurs plats de bronze, argen-
tés, parfaitement modelés, avec des anses qui s'adap-
taient à des ustensiles avec lesquels on pouvait les tirer à
soi ou les éloigner , prouvaient l'heureuse organisation d'un
peuple qui , jusque dans les détails les plus minutieux de la
vie , cherciiait à satisfaire sa vive et brillante imagination.
La chambre adjacente offrait des objets encore plus
somptueux et plus ingénieux , tirés des plus beaux appar-
temens privé? ou des temp/es. Ceux qui se distinguent ,
entre les autres , sont des lampes , dont les formes et les
ornemens varient à l'infini, quelques-unes, ainsi que
d'autres jouets , devaient appartenir à la chambre de poupée
d'une jeune Pompéienne; la plupart étaient suspendues
par des chaînes délicatement travaillées; d'autres étaient
posées sur leurs bases ou accompagnées de branches ; plu-
sieurs étaient placées sur de beaux trépieds , comme
quand elles éclairaient un vestibule ou une chambre à cou-
cher , et l'un et l'autre étaient si délicats et si petits , qu'une
belle dame française aurait pu , après avoir cacheté un billet
doux à la flamme de la lampe , mettre la lampe et le trépied
dans son ridicule; le plus p ^ud nombre des trépieds est
fait pour tenir très-peu de ace , la plupart sont portatifs ;
les vases de bronze et d'albâtre sont dans une quantité pro-
digieuse, et rien, dans les inventions modernes, ne peut les
égaler , soit pour la forme , soit pour les ornemens ; des
sièges du plus beau bronze se démontent comme des chaises
de jardins ; les tables à écrire pouvaient également convenir
à un Pline ou à une Aspasie.
Viennent ensuite les preuves de la dissipation et de la
vanité des anciens : les des, les billets pour les théâtres ,
dont quelques-uns sans doute avaient appartenu à la beauté
à la mode , des boites de toilette dignes du trousseau d'une
fiancée royale de notre temps, de petits miroita portatifs en
métal poli, des poinçons, des bracelets, des peignes de
toutes les dimensions et de toutes les formes , les uns d'une
matière précieuse travaillés pour les tresses des beautés
patriciennes, d'autres, en corne et plus grands , destinés à
relever les boucles négligées des plébéiennes.
Le nombre des vases appelés, indistinctement et vulgaire-
ment étrusques , est immense ; plusieurs en terre très-fine,
qui présentent de beaux groupes sur leur surface polie,
paraissent avoir été la porcelaine de l'antiquité , et d'après
les coupes faites de la même matière, on serait tenté d'a-
dopter l'opinion des Cicérone de Pompeï , et de supposer
que les dames romaines prenaient le café dans leurs villas ,
sur les côtes de Portici et de Pausilippe. Une élégante petite
couche de bronze donne une idée parfaite du lit domestiqut
des anciens, et l'on conçoit qu'il appartenait à leurs petites
chambres; il diffère peu de ce qu'on appelle canapé grec
dans l'ameublement moderne.
Une collection de vases et de figures égyptiennes qui
étaient les antiquités des anciens , donne l'idée du cabinet
de leurs antiquaires , et termine convenablement la collec-
tion la plus intéressante et la plus curieuse de l'univers.
J
LE PUTOIS.
Le putois , de la famille des martes , est ainsi que la
fouine , , le fléau de toutes les basses - cours. C'est un
animal mince, cylindrique, alongé, bas sur jambes, dont
le cou est presque aussi gros que la tête. Il est doué d'une
incroyable souplesse, et d'une rapidité plus incroyable
encore. Son pelage dont on fait des fourrures , peu estimée*
à cause de leur mauvaise odeur , est blanc ou roussâtre su»
la tête , le dos , les flancs , et noir sur les autres parties.
Il s'introduit iwr les ouvertures les plus étroites, mon-
tant aux arbres à l'aide de ses ongles acérés, marchant lur
MAGASIN UNIVERSEL.
rextréniilé de ses doiglsj c'est plutôt le sang que la cliair
qu'il recherche. Quand par inlile ruses il a pénétré dans la
demeure de ses victimes. , il est rare qu'il en échappe une
lin
(Le Putois.)
seule; il les égorge toutes impitoyaWement, suce iear re-r-
velle et leur sang, dévore les œais. Jl liesl pas moins rer
doutable pour les lapins, les lièvres et les oiseaux (jai , tels
que la grive el la l)écasse, font leurs nids dans les broussail-
les. Un seul suffit pour détruire une garenne, el soii exis-
tence est prescpie un bienf,.,ê,rlans les endroits on les la[»ins
sont trop nombreux. Dès qi. ». .-jpen'oit un lièvre , il fond sur
hu avec la vitesse qui lui e.si i-,-.>pre, s'attache à soii cou,
lui perce la panse de ses dents algues, et malgré sa fuite, ne
l'abandonne qu'après s'être repu de son sang. On le dii
aussi très friand de miel ; il chasse les abeilles de leurs ruches
et s'empare du fruit de leurs travaux.
Son existence est solitaire , et pour ses expéditions il pré-
fère la nuit au jourj il est commun dans toute l'Europe,
dans l'Asie et l'A mérique septentrionale. Il établit tantôt son
habitation dans les greniers, et la partie la plus reculée des
granges , taytôt sur le bord de l'eau , et la lisière des forêts ;
la voix du putois est sourde , il ne la fait entendre que dans
le combat, et c'est alors qu'il répand une odeur infecte qui
lui a valu son nom de putois. Les pièges sont assez inutiles
contre ces animaux. Mais en revanche, nous avons eu oc-
casion de voir plusieurs fois que le cadavre d'un des leurs
suspendu en holocauste , à l'entrée des basses-cours , les
en éloignait aussitôt (I).
LE BOULEAU.
On compte environ vingt espèces de Bouleaux , dont près
de la moitié sont originaires de l'Amérique septentrionale ;
(i) Noas empruntons à un voyageur le récit suivant:
— Dans un voyage que je fis de Louisville à Hunderson dans
leKentucky, j'eus le plaisir d'avoir pour compagnon de route
M. Tliownlcy, ministre anglais. Un jour nous rencontrâmes un
putois connu par les naturalistes , sous le nom de méphicés ainé-
ricana. — Ah! le superbe écureuil s'écria M. Thownley , et il se
hâta de descendre de cheval , pour s'en emparer ; mais à peine
fut-il près de lui , que le prétendu écureuil lui lacba ce liquide
odorant , que la nature lui a donné pour sa défense. Puis il
s'échappa en renouvelant ses émissions de distance en distance.
L'odeur dont le putois, car c'en était un, avait imprégné
M.Thownley, était tellement infecte , que moi et mon cheval nous
BC pûmes soutenir son approche , et que lui même eut grand
peine à dompter sa monture.
Lorsque nous arrivâmes à l'auberge , ce ne fut qu'un cri d'hor-
fcur et nous ne trouvâmes qn'un pauvre nègre qui voulut bien nous
servir. Plus tard je rencontrai mon compagnon à Milan ; il m'.issnra
que le méphitisme de ses vêieraens n'avait jamais pu disparaître,
que le chaud ou le froid le faisait ressortir d'une manière éponva^i-
table,el qne ne pouvant plus s'en servir, il en avait fait cadeau à
pu moine Il.ilien.
les antres croissent en Europe ou en Asie. Le plus remar-
quable de tous est le Bouleau blanc que l'on trouve dans
toute l'Europe ; son tronc est couvert d'une écorce qui
s'enlève par feuillets blancs et nacrés , ses rameaux sont
grêles et pendans à la manière du saule pleureur , et ses
feuilles, un peu visqueuses, .sont dentées à leur pourtour.
Cet arbre est d'une grande utilité; il croît dans les
terrains les plus maigres , les plus sablonneux , et là oii peu
d'autres arbres pourraient végéter ; son bois blanc , tendre,
léger , sert pour le chauffage des fours , et de ses jeunes ra-
meaux on fait des balais; il est surtout précieux aux lin-
bitans du nord de l'Europe et de l'Asie; il est le seul en
effet qu'on rencontre dans les montagnes et les plaines
glacées de la Laponie, du Groenland et du Kamtschalka;
son écorce, inaltérable par la pluie, .se transforme en toi-
tures, en sandales et en brodequins ; on l'emploie aussi ,
dans les bains russes, en manière d'épongé, pour frottei
et savonner le corps des baigneurs; l'écorce intérieine qui,
pendant le mouvement de la sève, est à la fois lenthe
et sticrée, .sert de nourriture aux Kamstchadales, et cette
sève , que l'on rel ire par des trous pratiqués dans la lige
de l'arbre, donne tme liqueur fermentée que les Rus.ses,
les Suédois et les autres peuples du nord , consomment en
alx>ndance. Le Bouleau noir de l'Amérique septentrionale
a une écorce mince , légère el résistante , dont les sauvages
font des pirogues qu'ils peuvent transporter sur leurs
éiiaules.
( Le Bouleau. ]
LES PRECIEUSES RIDICULES.
Lorsque Molière fit jouer sa comédie des Précieuses Jii-
(licules (en 46o9) , l'épidémie du bel esprit avait infesté la
France; toutes les femmes du monde voulaient juger la prose
et les vers, donner le ton aux auteurs, et faire les répu-
tations; on cojifondait et la langue parlée, etla 'angue écrite,
et le langage des poètes , et le discours familier. La con-
versation perdit bientôt son ton natm-el , et c'est à grand
peine si les gens simples et vrais pouvaient comprendre les
esprits à la mode ; de là ce déluge de romans sans fin , de
portraits de fantaisie , et d'autres frivolités dont la France
fut inondée à celte époque ; les précieuses s'envoyaient visiter
par un rondeau ou une énigme , et c'est par là que commen-
çaient toutes les conversations.
MAGASIN UNIVERSEL.
L'amour, dans tout ce qu'il a d'exagéré , de maniéré , fut
le Uiême favori de tous ces faiseurs d'œuvres nuisquées ;
et des ouvrages, tels que le Hunuume de Jeudi e, qui se-
raient aujourd'hui universellement conspués
alors le plus grand succès.
obtiiu'ciit
(Les Précieuses Ridicules.)
On appelait alors le l)onnet de nuit, le Complice inno-
cent du mensonge; le chapelet, une Chaîne sphilueUe:
l'eau, le miroir céleste; les iiloux, les Braves incommodes ;
un sourire dédaigneux était un Bouillon d'orqueil; et
l'action de tuer plusieurs personnes , un Me^irtre épais.
On aurait tort de croire cependant que toutes les pré-
cieuses fussent aussi ridicules que celles que Molière a mises
en scène. Le beau parler , les grâces de l'esprit, la politesse
des manières , furent toujours admirées dans les femmes
qui méritaient de donner le ton. Mesdames de Lafayette,
de Sévigné, Deshoulières , de Longiieville , de L'Enclos ,
'•-^ étaient des précieuses de bon ton , et comme disaient alors
les gens de goût , de vraies précieuses. La crili(iue de Mo-
lière ne tombait que sur les femmes que leur affectation ou-
trée et leur pédantisme rendaient insupportables, sur ces
petites protectrices d'ouvrages nouveaux , qui croyaient du
i)on ton de parler un langage énigmatique , langage inconnu
au vulgaire , et pensaient pouvoir donner des lois à ce que
notre littérature comptait de plus habiles écrivains.
Le succès des Précieuses ridicules fut immense ; il y eût,
dès le début , une telle aflluence de monde , que les co-
médiens augmentèrent de moitié le prix des places , on ne
payait alors que dix sols au parterre. Un vieillard s'écria au
milieu d'une scène : Bravo Molière , voila la bonne comédie '.
L'ouvrage eût autant de succès au théâtre de la cour qu'à
celui de Paris , et Molière qui, jusqu'alors avait travaillé
sur les modèles de Plante et de Téreuce , chercha les sujets
de ses drames dans l'observation du monde. La comédie
des Précieuses Ridicules est la première pièce en un acte
et en prose qu'ait donnée cet auteur.
i
PAUVRES EN ANGLETERRE.
En Angleterre, la misère apparaît sous an autre acpect,
mais avec des accessoires qui la rendent plus accablante
pour ceux qui la souffrent , plus affligeante pour ceux qui
l'observent , que dans toute autre partie de l'Europe. Soumis
recevoir. Dans beaucoup de paroisses , ils sont l'objet d'une
étrange spéculation. Au moyen d'une somme beaucoup
plus forte que celle qui suflirait à une charité intelligente,
un entrepreneur se charge, sinon de pourvoir aux besoins,
au moins d'arrêter les plaintes des Indigens. Peu importe
qu'ils soient soulagés, pourvu qu'ils se taisent! C'est le
parti qu'ils sont obligés de prendre , sous peine de trouver
dans le spéculateur, entre les mains du(iuel l'amélioration
de leur sort est tombée au rabais ; un redoublement de ~
rigueur et de dureté , que ne compenserait pas l'interven-
tion du magistrat auquel leurs réclamations s'adresseraient.
Dans les lieux où les secours s'administrent sans l'intermé-
diaire d'un entrepreneur, ils sont réduits en qualité et en
efficacité par les prélévemens que les distributeurs n'ont
pas honte de se réserver en forme d'émolumens; et par le
vice de leur répartition; la paresse y trouve sa part comme
l'activité, le simple malaise comme la pauvreté. On compte
les individus dont se compose la famille , et on jelte de l'ar-
gent, sans s'inquiéter si parmi eux il n'en est pas qui peu-
vent pourvoir à leur subsistance et à celle de leurs parens.
Ce n'est pas une honte pour un artisan de faire inscrire !<•
nom de son père infirme sur la liste des habilans secourus
par la paroisse , lorsqu'il pourrait le nourrir. Aussi ces listes
sont-elles dans une proportion presque double de celles (pii
existent ailleurs.
En France , une cotisation de \ franc 50 centmies par
individu, non paiticipanlaux secours, suffirait au soulage-
ment des indigens. En Angleterre, cette cotisation devrait
s'élever à plus de douze franchi. Et cependant le sort des
pauvres dans le pays où l'on donne le moins , n'est pas aussi
mafiieureux que celui de la même classe dans le pays où l'on
donne le plus. La misère même s'y révèle d'une manière
moins pénible , parce qu'elle a une livrée qui lui est propre ,
et qu'en général cette livrée soignée , entretenue avec intel-
ligence par les personnes qui la distribuent, ne présente
rien de rebutant. En Angleterre, au contraire, la misère
court les rues et les chenùi s en haillons de soie. Les déchi-
rures d'un schall des Indes laissent appercevoir la dégoû-
tante nudité qu'il était destiné à couvrir j et l'hermine qui
ornait une pelisse élégante, est traînée dans la boue des
trottoirs par une malheureuse créature sans bas, sans sou-
liers, soutenant d'un bras décharné un enfant suspendu à
un sein flétri , et de l'autre présentant un paciuet d'allumet-
tes qu'elle est censée offrir en échange d'une aumône :
moyen employé pour éluder la lettre des lois qui interdisent
la mendicité, en se plaçant sous la protection de celles qui
favorisent le commerce. Ce contraste entre les habits qui ont
appartenu à l'opulence , et la jjrofcssion qui indi([ue le der-
nier degré de l'abaisseinent et du malheur , fait naître d'af-
fiigeantes pensées.
J.a misère est rendue plus accablante encore par les pri-
vations qu'entraîne le prix excessif de certains objets qui ,
dans d'autres pays se rapprochent davantage des facultés
les plus restreintes. Le pauvre est dans l'impossibilité de se
procurer de la viande , de la bierre , du charbon ; heureux
si le salaire qu'il obtient par son travail , si les secours des-
tinés à suppléer à l'insuflisancede ce salaire, lui donnent les
moyens d'acheter du pain pour lui, et des pommes de
terre pour sa famille! Pour les commodités de logemens ,
pour ce que l'on pourrait appeler le confortable de la misère^
on ne le trouve nulle part, pas plus dans la cabane de l'ou-
vrier de campagne , que dans les caves et les greniers des
villes, où des familles qui n'ont aucun rapport entre elles,
viennent, pour une nuit, jnettre en commun leur dénue-
ment, leurs larmes , et plus probablement leur haine, leurs
imprécations , et leurs menaces contre les classes plus heu-
reuses.
Quelquefois l'excès de la misère porte une famille à aller
chercher dans une autre paroisse , des moyens d'industrie
ou d'existence que lui refuse celle où elle souffre. Elle en
à un ordre méthodique , les secours sont plus lents à passer, 1 est repoussée ; il lui est défendu de s'y établir , ne fut-ce que
de la main qui les distribue, dans celle qui s'ouvre pour les 1 pour un jour. On ne lui accorde pas même le temps néces-
!StAÔÀSI^ Tf^tVERSfeL
saires pour un indispensable repos. Il faut qu'elle aille |
reprendre ses privations auxquelles elle a voulu se sous-
traire. Il faut qu'elle revienne là où elle a enduré tant de
maux, subir le reste de celte condamnation, qu'en créant ses
membres, et les réunissant, la Providence semble avoir
choisi contre elle. Ainsi l'Angleterre libre et riche du
XIX' siècle , a , comme, l'Angleterre féodale et pauvre du
moyen-âge, son esclavage, sa glèbe et ses serfs. Elle les
fixe sur le sol , lein" laissant à peine la perspective incer-
taine d'un tardif affranchissement.
I.a taxe payée en Angleterre pour les pauvres excède
la somme énorme de deux cents millions de France. Connue
elle ne frappe que sur les propriétaires fonciers, elle de-
vient ponr cette classe d'hommes une charge accablante ; et
cependant on ne cherche pas à l'alléger, en donnant à son
produit une meilleure direction et un emploi plus écono-
mi(jue et plus rationel.
Les secours distribués aux pauvres , ne compriment cepen-
dant pas la meiidicité d'une manière absolue. Elle se fait
moins remarquer que dans les autres pays de l'Europe;
mais elle existe partout et pour tous les âges. Sur les gran-
des routes , dans les campagnes , comme dans les rues de
Londres , on rencontre des gens souvent très vaiides qui
cherchent à exciter la pitié par le spectacle do leur misère
ou de leurs infirmités , ou par leur chant monotone et
criard , ou par le soin de balayer les intervalles qui séparent
les trottoirs ; et qui tous exploitent i'importunité comme
le genre d'industrie le plus facile et celui qui leur rapporte
le plus.
Les pauvres des campagnes trouvent , dans les travaux
des routes, l'emploi le plus ordinaire de leurs bras. Leur
position serait rendue moins pénible , si l'on consentait à
leur délivrer , pour être cultivées , quelques unes de ces
nombreuses portions de terre incultes que possèdent les
paroisses , et qui dans leur état actuel sont sans valeur et
sans utilité.
Ce qtii ne saurait être contesté , c'est qu'en Angleterre
une somme très considérable affectée au soulagement des
pauvres, et à l'extinction de la mendicité , ne produit pas
l'effi't que l'on .s'en était promis ; tandis qu'en France avec
nue moindre dépense , et im mode de secours moins métho-
di(iue, on fait plus et mieux.
ru THEATRE CHINOIS.
Le drame chinois ne se borne pas à une seule action ,
il embrasse la vie entière du hér.>s depuis le berceau jus-
qu'.i sa mort C'est une sorte de biographie dialoguée, divi-
.sée en plus ou moins de parties. Chaque partie est précédée
d'un prologue, et tout acteur a soin , la première fois (pi'il
se présente au public, de décliner le nom qu'il porte dans
la pièce, et le caractère qu'il doit représenter. Un acteur
remplit souvent plusieurs rôles dans la même pièce, chose
peu faite pour entretenir l'ilhision. Dans les mouvemens
passionnés, l'acteur cesse de déclamer, et exprime ses senli-
mens par le chant. Un orchestre fort bruyant accompagne
ces morceaux lyriques qui sont écrits en vers , et la tragé-
die chinoise acquiert par là quelque ressemblance avec
notre opéra.
Il n'y a de théâtres réguliers que dans la capitale et dans
quelques villes considérables de l'empire. Les comédiens
voyagent de contrée en contrée et gagnent leur vie à jouer
aux fêtes et aux banquets. Quand la société est prête à
se mettre à table , tiois ou quatre comédiens richement
vêtus entrent dans la salle. Après quatre saints des plus
humbles", l'imd'entr'eux remet au plus distingué des cou-
-vives, Un livre où sont écrits en lettres d'or, les titres de
cinquante ou soixante pièces (jui forment le répertoire de
la troupe. Ce livre fait le tour de la société , et le chef du
banquet dtisigne enfin Ui pièce (|(ti a été choisie.
{ La représentation a lieu dans la salle même du repas. Les
acteurs occupent l'espace compris entre les tables ordinaire-
ment disposées sur deux rangs.
Aux grandes fêtes et aux processions publiques on élève
des théâtres dans les rues , et l'on donne alors des repré-
sentations scéniques du matin au soir.
Un auteur chinois qui jouit d'une certaine réputation
n'écrit point pour le théâtre. L'empereur Jnuschden défen-
dit sévèrement aux mandarins de fréquenter le spectacle.
Celte défense a été renouvelée récemment, et l'ofiicier
manschou qui veut aller au théâtre doit auparavant ôter de
son bonnet les petits grelots en couleur qui sont la marque
distinctive de son rang :
Les journaux chinois recueillent avec empressement ,
tous les traits qui peuvent honorer les mœurs, le caractère
de la nation, mais un journaliste s'exposerait à des peines
sévères s'il osait donner la description d'une représentation
dramatique, ou faire la moindre allusion à l'accueil d'une
pièce nouvelle.
CAGLIOSTRO.
Le comte Alexandre Cagliostro , célèbre thaumaturge ,
dont le véritable nom était Joseph Balsamo , naquit à Paler-
me, le8juin<743, de parens qui vivaient dans l'indigence.
Voué de très bonne heure à l'élat ecclésiastique , il fut placé
au séminaire de Saint- Roch , à Palerme, d'où il s'évada.
Cagliostro se sentait appelé à une autre carrière et à une
autre destinée. Il avait alors treize ans. Ses tuteui-s , car il
n'avait plus de père , le confièrent aux soins du directeur
des frères de la Miséricorde , qui l'emmenèrent , non sans
difficulté , à leur monastère de Gartagirone. Là , il fut mis
sous la conduite d'nn apothicaire qui lui enseigna le peu
qu'il savait lui-même de physique et de chimie , et c'est
probablement à celle circonstance de sa vie que Cagliostro
fut redevable de son goîit pour l'élude des sciences natu-
relles , et de la connaissance d'une partie des moyens oc-
cultes avec lesquels il fascina les yeux de ses contemporains.
La première jeunesse de cet homme singulier fut extrême-
ment orageuse. L'ardeur de son caractère le portail aisémen
à tous les écarts et à tous les excès ; et, avant de devenir un
aventurier illustre, il ne fut qu'un vagabond vulgaire.
Chassé pour se? déporlemens du monastère de Cartagirone,
1 retourna à Palerme où, pendant quelque temps, il cul-
tiva le dessin. Sa turbulence et ses démêlés avec les ma-
gistrats du pays auxquels il ne craignait pas de s'attaquer ,
enfin des vols dont il se rendit coupable, le signalèrent
conuiie un mauvais sujet achevé. Mais en même temps
d'autres aventures révélaient en lui un extraordinaire talent
pour l'intrigue, et l'art précoce de faire servir les passioiis
et les faiblesses des hommes à ses desseins. Escroc, faus-
saire et débauché, plein d'esprit , telle est la renommée qu'il
s'était faite avant d'avoir atleintses vingt-cinq ans. Contraint
de chercher un nouveau théâtre, après avoir trompé, par ses
fripponneries, son pays natal, ce fut encore par une frip-
ponnerie qu'il se procura le moyen de voyager. Il persuada
à un orfèvre nommé Morano, que ses relations avec les
puissances invisibles lui avaient fait connaître l'existence
d'un trésor considérable , dont il abandonnerait la moitié à
Morano si celui-ci voulait faire les avances nécessaires pour
l'accomplissement de certaines cérémonies : l'orfèvre livra
son argent , et Cagliostro disparut. C'est à cette époque de
sa vie que commencèrent les mystérieux pèlerinages de
Cagliostro. Accon^pagné d'un savant, autre personnage
d'origine inconnue , nonuné Alhotas , il visita la Grèce , les
pyramides d'Egypte et une partie de l'Asie connue , pom*
attacher à son nom le prestige des choses orientales et loin-
taines. Mais ce nom était lui-même un problême , et Joseph
Balsamo en avait changé dix fois dans le cours de ses
voyages, lorsqu'à son retour de la Turquie, on il avait
pendant assez long-temps joué le rôle de médecin , il se
présenta au grand maître de l'ordre de Malle sous le nom
et le titre de comte de Cagliostro. De Malte , le iuAdi jon-
MAGASIN UlNIVEllSKL.
glour se rendit en Italie, iiuini des leconimamhilioiis du
graiul-niaîlie. Il rencontra à Venise une femme que le
calcul, plus encore que l'amour, lui fit attacher ù son sort.
C'était la belle Lorenza Féliciana, qui avait sur le visage
tous les charmes , et dans le sang tout le feu des personnes
de son pays. La vivacité d'esprit , l'adresse et la grâce des
manières de Lorenza devaient puissamment seconder les
plans de son mari, qui n'avait spéculé en Orient que sur
la grossière ignorance des hommes , mais qui , en venant
exercer ses talens en Europe , devait spéculer tout à la fois
sur leur crédulité et sur leur corruption. Après avoir par-
couru la Russie, la Pologne et l'Allemagne, après avoir
visité , dans le Holstein , ce comte de Saint-Germain si fa-
meux par les merveilleuses histoires débitées sur son
compte , Cagliostro et sa fenune se trouvaient à Strasbourg
en nSO. Il avait eu l'art de se faire précéder dans cette ville
par le bruit de ses aventures , de sa grande opulence pré-
tendue et d« ses miracles. Deux ou trois cures qu'il en-
treprit, et dont il se tira avec bonheur, portèrent à son
comble l'enthousiasme du public en sa faveur. Il est incon-
cevable jusqu'à quel point ce moderne Apollonius trouva
de partisans. On croyait voir se réaliser sous sa main les
prodiges que l'amour du merveilleux attribua dans tous les
temps à des êtres privilégiés de Dieu ou en communication
avec les esprits. Quand Lorenza , secondant les artifices de
son époux, pariait de son fils, le capitaine, depuis long-
temps au service de Hollande , la fraîcheur et la beauté de
la première jeunesse qui démentaient en elle cette vieille
maternité , servaient seulement à confirmer l'idée où l'on
était que ce couple extraordinaire possédait d'étonnans
secrets. Les femmes n'hésitaient déjà plus à croire que
l'heureuse compagne de Cagliostro portait la fontaine de
Jouvence dans sa poche. Mais la justice veut que l'on re-
marque qu'à travers cette suite incroyable d'intrigues de
déceptions réprouvées par la morale et de fantasmagorie,',
ridicules , Cagliostro et sa femme se signalerez.! par des
actes de bienfaisance et de générosité qui auraient honoré
les i»lus nobles caractères. On le vit parcourir les hôpitaux,
I)anser lui-même les pauvres et leur fournir des médicamens.
Cette conduite lui valut de puissans prolecteurs, et à la suite
d'une affan-e tacheuse qui lui fut suscitée dans la ville de
Strasbourg , le ministère français crut devoir employer sa
haute entremise en faveur du noble étranger. Cagliostro
se rendit ensuite à Paris , où il s'était fait annoncer comme
le fondateur de la franc-maçonnerie égyptienne; mais ce
qui le mit surtout à la mode, ce fut la fantasmagorie dont
les procédés et les effets étaient encore inconnus. Il y eut ,
et en grand nombre, des gens assex crédules pour se per-
suader qu'il avait en effet le pouvoir d'évoquer les esprits et
de faire parier les ombres. Cependant telle était la com-
position de ces m>cturnes assemblées consacrées aux évoca-
tions, que l'on était fondé à croire que les vivans y jouaient
un rôle bien plus actif que les morts. En 1783 , époque de
son second voyage à Paris, Cagliostro s'y trouvait en re-
lation avec les personnages les plus considérables de l'époque.
Lié avec le cardinal de llohan , il se vit impliqué dans la
fameuse affaire du collier , et bien (pie gravement com-
promis par les aveux de la comtesse de La Motte , ayant re-
fiisé de prendre la fuite , il fut embastillé en 1785. Il se jus-
tifia par un mémoire d'avoir participé au vol du collier ,
nomma les ban({uiers de diverses places de l'Europe des
mains desqucs il avait, à différentes époques, retiré des
sommes considérables, toutefois sans s'expliquer sur la
source première de ces ricliesses. Cagliostro sortit de la
Bastille , mais il fut exilé ; alors il passa en Angleterre ,
d'où sa mauvaise étoile le ramena à Home au bout de deux
ans. Parles ordres du pape, rîiilbrtiné prestidigitateur fut
arrêté et enfermé dans le château Saiut-Ange , condamné à
mort connue franc-maçon; puis, en vertu d'une commu-
tation de peine , transféré dans le château Saint-Léon pour
y subir une prison perpétuelle, il ne revit plus la lumière du
soleil. Coupable d'une plus excusable et plus naturelle magie,
s:i femme ne fut pas épargiice , elle finit ses joiu-s dans un
couvent. On peut sans doute , en toute sûreté de conscience,
aflirmer que Cagliostro fut un imposteur; mais recueillit-on
dix fois plus de détails sur son compte que nous n'avons pu
en présenter , il resterait toujours sur son caractère l'em-
preinte de la plus extraordinaire singularité, et sur plu-
sieurs circonstances de sa vie le voile du plus profond
mystère.
Quelques traits sur le sort des habitansdes grandes villes.
On se ferait difficilement de loin une idée exacte de '
l'ignorance et de l'indifférence où les habitans des grandes
villes sont pour leurs monumeiis. La vie entière se passe
pour le plus grand nombre d'entr'enx sans les connaître.
Ils se disent qu'ils auront toujours le temps de les voir , el
ils se contentent ainsi de l'espérance. Une cause toujours
existante explique celte ignorance volontaire , c'est la dis-
tance qui les sépare de leurs monumens. Cet espace à fran-
chir est une trop grande épreuve pour pouvoir la tenter.
Cette cause a une influence funeste sur les relations de
société et d'amitié. Le degré de leur intimité est presque
toujours en raison inverse de la distance. Ces distances dans
Paris sont devenues hors de proportion avec les facultés de
l'homme et avec la mesure journalière de temps que dé-
part le soleil. Aussi tout est là une affaire, parce que, pour
les choses les plus simples , il faut aller sur tous les points de
l'horizon pendant des heures entières, et souvent en vain.
Aussi résulte-t-il de cette disposition des lieux que pour les
relations la dislance c'est l'oubli.
Les Parisiens ne connaissent pas môme les tableaux de la
nature. Enfermés sans cesse dans ces longs rangs de murs
(lui forment les rues, ils ignorent le spectacle majestueux
du lever et du coucher du soleil , les mouvemens variés
d'une atmosphère nuageuse. Les aimables sentimens , les
hautes pensées qui naissent dans les belles campagnes, sur
le [)eiichant des coteaux ombragés de chênes séculaires ,
ou sur les sommets éthérés des montagnes, manquent à ces
hommes prisonniers dans un dédale de rues boueuses et
enfumées.
Ces traits peuvent s'appliquer à la peinture de la popula-
tion de presque toutes les capitales. Partout dans ces im-
menses agglomérations, les hommes, comme effrayés de la
multitude qui les environne ou irrités des obstacles multi-
pliés qu'ils éprouvent dans leur carrière, se replient sur eux-
mêmes comme le limaçon dans sa coquille et vivent d'é-
goïsme. Alors, ils placent leur bonheur dans les plaisirs
factices , vIa ent isolés de la nature, ignorent les jouissances
paisibles de l'àme et la volupté profonde de la méditation.
Un vaste tourbillon les entraîne dès l'enfance et leur vie
tout entière se dissiite et s'achève, sans qu'ils aient eu un
instant le senthnent intime de leur existence
CALAIS.
Le joli port de Calais, aujourd'hui si fréquenté parles
étrangers et peuplé d'environ neuf mille âmes , n'était qu'un
village au xiii'= siècle. Philippe de France, comte de Bou-
logim , frappé de l'état de dénuement et d'impuissance de
celle place , importante d'ailleurs par sa position, et voulant
la mettre à l'abri d'un coup de main de la part des Anglais
avec lesquels on était alors continuellement en guerre , la
fit entourer de fortifications considérables. Ces moyens de
défense , ne l'empêchèrent pourtant pas d'être prise en 1547;
mais ce fut par la famine plulôt que par la force des armes ,
que le roi d'Angleterre, Edouard III parvint à s'en rendre
maître. Il eut à lutter, pendant un siège de treize mois,
contre l'habileté et le courage héroïque de Jean de Vienne,
annial de France, qui se couvrit de gloire darjs cette
guerre contre les Anglais.
MAGASIN UNIVERSEL.
Le célèbre chroniqueur Froissard, rapporte que Calais
n'échappa au co(utoux du vainqueur , irrité par une résis-
tance aussi opiniâtre , que par le dévouement patriotique de
six de ses habitans les plus notables. Voici conuiient, sur
son témoignage , ce fait est rapporté par la plupart des his-
toriens. Le roi d'Angleterre voulait que les Caiaisiens , qui
demandaient à capituler , se rendissent à discrétion ; mais
vaincu par les sollicitations de ses chevaliers , il promit
d'épargner la ville , pourvu que six bourgeois vinssent , la
corde au cou , et les pieds nus , lui apporter les clefs de la
place, et payer de leur sang le salut de leur patrie. Eusta-
chede Saint-Pierre se dévoua le premier; cinq autres géné-
reux citoyens imitèrent son exemple , et ils se rendirent
tous ensemble au camp d'Edouard. Déjà leur supplice s'ap-
|jrèta't, lorsque la reine d'Angleterre se jeta aux pieds de
son époux et parvint à force de larmes et de prières à fléchir
sa colère et à obtenir leur grâce.
Plusieurs écrivains modernes, entr'autres Voltaire et
Hume ont élevé ([uelques doutes sur le dévouement d'Eus-
tache de saint Pierre ; et dans ces derniers temps, les
recherches laborieuses de Bréquigny , paraissent donner un
démenti formel au récit de Froissard. Eustache ua nous est
plus représenté aujourd'hui que comme unhonune au moins
pusillanime, qui s'opposa de toute son influence à une dernière
tentative pour défendre la ville. Il se présenta en effet devant
Edouard ; mais on ne peut se refuser de croire à ses intel-
ligences avec ce prince , qui le délégua , comme surveillant
de ses intérêts , auprès des Caiaisiens restés fidèles à la
France. « Eustache , dit l'auteur que nous venons de citer,
mourut en 4371. Des lettres du 29 juillet de la même
année nous apprennent que les biens , qu'il avait à Calais ,
furent confisqués par le loi d'Angleterre, parce que ses
héritiers étaient demeurés attachés à leur maître légitime.
Edouard, en les dépouillant, rendit à leur nom tout
l'éclat , que ces mêmes biens , reçus par Eustache pour prix
de sa trahison , avaient pu lui enlever. » Toutefois l'au-
(Vue de la Place d
cienne tradition est encore généralement accréditée , puis-
qu'en 4819, le buste d'Eustachede saint Pierre , par Cortot .
a été donné à la ville de Calais, eu méifioire de son
prétendu dévouement. (4)
Les Anglais gardèrent Calais pendant plus de deux cents
ans ; et ce ne fut qu'en 4558 , que le duc de Guise leur reprit
cette ville. A la fin du xvi= siècle , assiégée par l'archiduc
All)ert d'Autriche , cette ville retomba de nouveau au pou-
voir de l'étranger ; n)ais à la paix suivante , elle fut défini-
tivement rendue à la France.
Calais est actuellement , une place de guerre de première
classe. Sa situation sur la Manche, et à la jonction de plu-
sieurs canaux , en fait le centre d'un commerce actif. Les
rues sont en général larges , bien alignées , et bordées d'élé-
gantes habitations , bâties en briques. Les remparts , plan-
tés d'arbres , offrent de jolies promenades. Le fiort est
commode , quoique petit et peu profond; mais il a l'incon-
(i) Le récit de Froissard a fonmi à du Belloy le sujet de sa
trag;édi« intitulée ; le siège de Calais.
armes de Calais. )
vénient de s'encombrer de sables. Deux môles , de chiq
cents toises environ de longueur , en forment et en protè-
gent l'entrée. D'une des jetées , fréq«ientée par les prome-
neurs qui viennent y contempler le spectacle imposant
de l'Océan , on dislingue, quand le temps est clair, les
côtes de l'Angleterre et Jec'iàteau de Douvres, qu'une dis-
tance de sept lieues sépare de Calais.
Parmi les monumens les plus curieux de la ville, on admire
sur la place d'armes et près de l'hotel-de-ville, la tour de
l'horloge ou beffroi , construction remarquable et élégante
d'architecture gothique.
Calais doit à sa proximité de l'Angleterre , sa grande
activité. A chaque instant, ce sont des paquebots qui par-
tent ou qui arrivent , et l'on dirait que la moitié de la popu-
lation se renouvelle du jour au lendemain. Aussi est-il peu
de villes qui présentent un tableau plus varié et plus atta-
chant.
Les Bureaux d'ABOM(£MKHT et de Yeitte sont : Quai des Aa-
guslin» , II" 4i.
2)
5 octobre t!3.i )
MAGASIN UNIVl^nSEL
L'ALIIAMBRA. — Gl^ENADE. — LES MAURES EN ESPAGNE.
( L'Alliambra. — Tue de la Cour des Lions. J
11 brilla peu de temps sur la snène du monde, ce peuple
guerrier el industrieux , fanatique et tolérant , qui civilisa
l'Europe, en sortant lui-niênie delà barbarie, et qui se
replongea dans les ténèbres, sitôt qu'il eut répandu la
lumière. Le désert de l'Afrique, sa première pairie, devint
son dernier asile: les fds de Boabdil allèrent rejoindre les
descendans d'Ismaël; mais dans ce pas âge rapide, ils
laissèrent au monde des souvenirs et des monumens , qui
captivent encore notre admiration.
L'Alhambra est une des plus brillantes traces du séjour
des Maures en Espagne. Ce somptueux édifice, qui rem-
plissait la double destination de palais et de forteresse , est
situé sur le sommet du cô'.eau esrarpé (jui domine la ville
de Grenade, semblable à l'Acropolis d'Atbènes et au cliâ-
tean de Sagonle. Les murs suivent exactement le contour
du plateau , et leur épaisseur comme leur situation devait
faire de ce lieu un asile inaccessible. Mais si l'aspect ex(c-
rieur de ces tours présente l'image de la guerre, l'intérieur
offre tout ce que le plaisir, l'art, la grâce et l'indiistrie
peuvent réunir de plus agréable et de plus parfait. On se
croit transporté au pays des Fées , ou dans ces belles re-
traites décrites par les poètes orientaux. Que de richesses
et en môme temps que d'élégance dans cette arclnlec-
ture fantastique! Quelle profusion d'ornemens, quelle
finesse de dessins, quelle légèreté, quelle souplesse jusques
dans les moindres détails!
Ce qui ajoute encore à l'effet magique de cet admirable
monument, c'est la solitude qui règne sous ses voûtes,
c'est le silence poétique qui a succédé aux fêtes brillantes,
c'est la mélancolie rêveuse qu'inspirent ces ruines, en un
mot c'est le contraste de tant de gloire et de tant d'abjec-
tion. Et puis, comment ne pas être ému , quand , à chaque
pas, ou voit les ravages du temps et des hommes? Ici
c'est une muraille qui s'écroule , là un portique qui s'af-
faisse, plus loin une colonne, qui ne peut plus soutenir une
arcade chancelante. L'herbe croît au milieu de ces galeries
magnifiques : elle ronge ces pavés de marbre, ers murailles
si délicatement sculptées. El l'Espagne contem^de froide-
ment le spectacle de ces déva«».7t.ions, et elle ne songe pas à
Tome I.
défendre l'Alhambra contre toutes ces attatpies ! Espéions
pourtant que le jour viendra bientôt, on sortant de son
apathie , elle apprendra enfin à connaître les trésors qu'elle
possède, et saura trouver les moyens de les conserver aux
arts et aux sciences.
On monte par une pente irrégulière jusqu'à la porte de
l'Alhambra, construite en fer-à-cheval ou plein-cinlre
outrepassé, comme tous les arceaux moresques. Après
avoir passé cette porte, on arrive à deux cours oblongues,
la cour des Bains et la cour des Lions (Quarto de los
Leones). Cette dernière surtout est remarquable par sa
magnificence. Elle est entourée d'un péiistyle de colonnes
légères, el ornée, sur deux faces, d'un avant-corps, ou
sorte de portique, semblable au portail saillant de quelques
églises gothiques, cX enrichi de superbes sculptures. Au
milieu de la cour, est la fontaine des Lions, en marbre
noir, d'où coulait autrefois une eau limpide et abondante,
qui, reçue dans des canaux, portait la fraîcheur dans
plusieurs appartemens. Cette fontaine a été évidemment
construite à l'imitation de la piscine de Salomon; ce qui
aura sans doute autorisé l'architecte arabe à s'écarter de
la loi de Mahomet, qni défend de représenter des êtres
vivans.
C'est près de la cour des Lions, que sont distribués au
rez de chaussée, tous les appartemens du palais, les uns,
destinés à la représentation et ayant vue sur la campagne,
les autres plus frais, plus retirés, n'ayant que de faibles
ouvertures sur les portiques intérieurs.
Parmi ces appartemens, qui tous sont célèbres dans l'his-
toire des Arabes, il en est un surtout où l'on ne peut s'ar-
rêter, sans être vivement ému an souvenir de l'événement
terrible , dont il fut le théâtre : c'est la salle où le féroce
Boabdil fit massacrer les Abencerrages. Elle a conservé le
nom de cette tribu vaillante, et est contiguë à la cour des
Lions.
L'Alhambra fut bâti par Abu-Abdalla-Ben-Nasser, plus
connu sous le nom d'Elgaleb-Billah ( ou vainqueur par la
faveur de Dieu), prince renniiuué par sa valeur, sa droi-
ture et sa bonté. Il régna à Grenade, depuis l'an 123^ jus-
3.
40
MAGASIN UNIVERSEL.
mu'en 1575, et consacra k cet ouvrage une partie de ses tré-
sors. Ses successeurs embellirent successivement ce snporlje
édifice, qui leur servit de résidence jusqu'à la cUate de leur
empire. iJepuis la conquête de Grenade par les Espagnols ,
rAlhambi a subit plusieurs changemens notables. Séduïi par
la beauté de la situation, et peut-être encore plus par l'idée
de surpasser la magnificence des souverains arabes, Gliailes-
Quinl fil élever un palais sur les ruines de quelques parties
de cette forteresse. Mais un édifice moderne figure mal au
milieu de ces débris séculaires, qui intéressent bien plus que
Ions ces mommiens élevés par l'orgueil des conquérans
heureux.
On ne saurait parler de l'Alhambra sans dire quelques
mots (le Grenade et du séjour qu'y firent les Arabes. ( Dans
un autre numéro nous reviendrons sur l'bistoiie des
Maures d'Espagne, et nous examinerons, sous un point de
vue plus général, l'influence qu'ils ont exercée sur ce pays.)
L'origine de Grenade est environnée d'une obscurité
difficile à éclaiicir. Tout ce qu'on a dit pour prouver que sa
fondation était l'œuvre des Phéniciens ou des Hébreux est
dénué de fondement comme de vraisemblance. Les seids
documens authentiques qui restent aujourd'hui ne permet-
tent pas de faire remonter son oiigine au-delà de la do-
mination des Marnes. Les nombreux et maguinqucs monu-
mens qu'ils y ont laissés, et qui en font encore de nos jours
le plus bel ornement, le caractère essentiellement arabe
des plus anciennes consU-uctions de la ville , donnent à celte
opinion le poids de la vérité, et les conjectures les plus pro-
bables s'accordent à fixei' l'établissement de Grenade au
X* siècle, oti elle fit paitie des états des rois de Goidoue.
Trois siècles après, elle devint la capitale de toute la
partie de l'Andalousie qui resta aux Maures , après la prise
de Cordoue par Ferdinand II, roi de Castille et de Léon,
et la mort d'Aben-Hut. Ce fut un homme tiré de la char-
rue, Mahomet-Aben-Alhamar, qui éleva cette nouvelle ca-
pitale à l'état de force et de prospérité qui en firent d'abord
le centre des grandeurs et des plaisirs, puis le refuge et le
dernier boulevard de la puissance moresque.
Pendant une période de deux cent cinquante-six ans, non
moins glorieuse qu'honorable pour les possesseurs de cet
empire, les arts, les sciences et la civilisation fleurirent
parmi e:ix. La férocité des fils d'Omar avait fait place à la
courtoisie, à la générosité, à tous les sentimens chevaleres-
ques des guer riers de l'Occident , et Grenade devint un sé-
jour non moins renommé par la galanterie de ses souverains
que délicieux par toutes les recherches du luxe le plus raf-
finé. Une multitude de pièces authentiques , de chioniques,
de cartels , de romances , attestent cette teinte générale de
l'esprit et des mœurs du temps.
Cette noble conduite des rois maures , ce système glo-
.rieux d'administration, qui les avaient rendus dignes de
leurs succès et de l'amour des peuples, dura jusqu'à la fin
du xV siècle. Ce fut alors que la dynastie régnante à Gre-
nade, ayant donné des signes de cette faiblesse , qui précède
la chute des souverains, toutes les forces de l'Espagne,
concentrées par l'union de Ferdinand et d'Isabelle, pour-
suivirent jusque danscelle capitale toute la population arabe,
chrissée successivement des autres places qu'elle occupait
en Andalousie. Le moment était d'autant phis favorable
pour fiapper le coup décisif, que des dissentions intestines
divisaient ceux qui auraient dû réunir toutes leurs forces
pour soutenir la cause commune. Sans ces divisions déplo-
rables , nul doute que les Maures n'eussent réussi à repous-
ser l'agression , puisque , malgré cet état de choses si désa-
vantageux, ils surent défendre, pendant un siège de plus
d'un an , le dernitr rem[)art de leur puissance. Ils déployè-
rent, en cette circonstance, lecouiage le plus héroïque, tt
toutes les ressources de l'art milittuue , de l'enthousiasme
national , et môme du fanatisme religieux. Enfin , il fallut
céder Grenade aux armes victorieuses des Espagnols.. Ban-
nis ou dispersés, ceux qui éclu*[»pèicnt à la mort, rempor-
Ureut dans les montagnes des Alpu.\anas et dans les sables
brûlans de l'Africpie, les regrets d'une patrie adoptive,
embellie et fertilisée par leurs mains. Ces regrets furent si
vils qu'ils se sont transmis jusqu'-àee jour de géuéiation en
génération , et que h s Maures n'oublient pas Grenade, les
vendredis, dans leurs prières du soir, demandant au ciel
de s'y voir rétablis.
Il ne faut, en effet, qu'avoir parcouru cette grande ville,
pour comprendre les regrets de ceux qui l'occupaient aux
beaux jours de sa prospérité. Air pur, sites enchanteurs ,
climat délicieux, tout ce qui séduit les sens ou l'imagina-
tion, se réunit pour en rendre le séjour aussi agréable qiie
salutaire. Bâtie sur deux collines, et dans le vallon qui les
sépare, arrosée par lieux rivières, le Dano el le Genil ,
voisme de la Sierra Nevada , qui l'abrite au nord et à l'est ,
dominant une plaine riante et fertile , si célèbre sous le nom
de Véga de Grenade , on chercherait en vain une position
plus belle et plus avantageuse sous tous les rapports. La
proximité des campagnes et l'abondance des eaux y tempè-
rent l'ardeur du ciel, et entretiennent sur le sol une ver-
duie éternelle.
Malgré tant d'avantages, on ne peut se dissimuler !a
décadence de cette belle cité. L'Alhambra n'est pas le seul
monument que la négligence des Espagnols laisse dépérir :
de tous côtés on voit tomber quelques somptueux édifices,
nobles reliques des temps passés. QueUpies constructions
piodernes, assez remarquables, se mêlent, il est vrai , sans
trop de désavantage, à celles que le temps a dégradées;
mais elles ne peuvent dédommager Grenade des pertes
énormes qu'elle a faites.
ESPAGNE.
PHYSIONOMIE DES TROUPES.
Les traits caraclérisques qui distinguent le Français do
l'Espagnol sont plus saillans , plus tranchés peut-être
encore dans les mœurs et les habitudes militaires dos sol-
dats de ces deux nations. Et d'abord parlons du cigaro.
On a dit bien souvent, sans le répéter assez peut-êire,
quel rôle immense jouait le cigare dans l'existence es[)a-
gnole. C'est une partie intégrante du bien-êlre civil et
militaire; pas de conversation qu'il ne précède, pas de
rapports, de liaisons qu'il ne facilite, pas de souffrances
qu'il n'aide à supporter. Aussi à la promenade ( al paseo )
tout comme en sentinelle perdue , à la guerre, vous retrou-
vez le soldat espagnol savourant avec recueillement et
bonheur ses bouffées de tabac, et psalmodiant ses chansons
nationales.
Que lui importent ensuite la faim , la soif et les intem-
péries de l'air? Il fume, et il fredonne; c'est assez.
Après le cigare , l'objet le plus essentiel sans contredit
pour le soldat de ce pays, est cet instrument, qu'on ren-
contre dans les corps de garde et les bivouacs, comme dans
les boutiques de barbiers: la guitare! Ce n'est, le plus
souvent, qu'une mandoline détestable dont l'existence le-
monte au troubadour Geoffroi Rudel, mais n'importe.
S'il est placé sous les ordres d'un officier, rigide observa-
teur des convenances militaires, le soldat trouve encore
le secret d'éluder la défense et de faire voyager l'instru-
ment favori ; sans qu'on sache comment elle y est arrivée ,
la guitare reparaît aux haltes, aux exercices, et autour
des musiciens se forme le cercle des chanteurs. Les chefs
se montrent-ils moins ennemis de cette harmonie natio-
nale, aussitôt la guitare reprend sa place d'honneur: mise
en travers et en évidence, sur le sac d'un soLlat, elle
voyage avec la compagnie. Dans les corps de garde, vous
l'apercevez toujours à côté du râtelier d'armes. C'est
elle qui préside aux concerts de nuit, aux Sequedillas,
Manchegas, Polos y iiranas, etc., sérénades improvisées,
empreintes d'une origine et d'un charme tout moresque,
et qui, dans les belles soirées d'été, attirent \asenora sous
la lente du balcon. De là vient que le voisinage d'un cor| s
de garde q.ii en France ne séduit personne, est quelqtie-
MAGASIN UNIVERSEL.
U
fois recherché en Espagne. Mais le jour a hii; jetez les
yeux sur celle caserne, sur ce même corps de garde , lout
est rentré dans le calme et le silence. Ici des cours désertes ;
là des officiers et des soldats décolletés, dormant étendus
à l'ombre.
Sans doute il vous est arrivé de voir les soldats français à
l'exercise, pendani rititervalle de repos qui sépare les
deux pri.<es d'armes? Chacun rit, s'ébat ou s'escrime. En
Espagne , au contraire , l'instant où l'on fait rompre les
rangs n'ajoute ni au bruit ni au mouvement du tableau.
La foule bourgeoise envahit le terrain de manœuvres; les
ciijHritos s'alliunent silencieusement après un simple
échange de signes, et bientôt tout est confondu, femmes,
enfans , moines , bourgeois et militaires.
Et qu'on ne vienne pas alléguer, en excuse de cette
nonchalance, la chaleur du climat. Nous avons vu nos soldats
exposés à une température aussi brûlante, et certes ils
n'avaient rien perdu de leur caractère ni de leur bruyante
gaîté. Non , il y a dans ces bataillons espagnols , un je ne
sais quoi qui trahit un man(iue d'habitude et comme de
souplesse militaire. Leur aspect national a disparu ; et s'il
nous était donné de rendre ici une impression, intraduisible
peut-être par des mots, nous dirions que ces soldats produi-
sent moins l'effet de conscrits, que de bourgeois jouant gra-
vement au soldat.
Ces observations critiques portent bien plus sur la forme
que sur le fond. Le mérite d'une armée ne consiste pas,
nous le savons , dans l'élégance de ses soldats j et néan-
moins il est encore plusieurs singularités ([ue nous croyons
devoir signaler. Nous mettons en première ligne l'in-
supportable monolo'.iie de la marche des tambours. Re-
marquez qtie marclie est ici éciil au singulier, atten-
du qu'il n'en existe en effet (in'ime seule pour toutes les
ciiconstances et dans toute l'étendue de la monarchie espa-
gnole. C'est une batterie qui ne ressemble pas mal à celle
qiù s'exéoute à nos convois f(uièbres; seulement la me-
sure en est plus ou moins précipitée, selon que le pas est
ordinaire ou accéléré. Celte marche, m'a-ton dit, est si
ancienne, si nationale, que l'on n'a point osé y tou-
cher. Félicitons les Espagnols de faire du patriotisme à pro-
pos d'un roulement de tambour; mais toujours est-il que
les oreilles profanes des étrangeis en sont long-temps
poursuivies.
A propos de tambours , ajoutons un mot sur les tam-
bours majors: ils sont placés, ainsi que les nôtres, à la
tête des régimens ; mais que sont les grâces et les balan-
cemens atfeclés de ceux-ci, à côté des tambours majors
espagnols dont les contorsions, disons le mot, les gam-
bades dépassent tout ce que l'imagination peut se figurer?
Les hommes choisis pour ce rôle mimique ne sont pas
d'ailleurs d'une taille plus. élevée que les autres.
Il faut remarquer qu'en revanche les musiques des régi-
mens espagnols sont incontestablement meilleures que les
très. Le choix des airs, le plus souvent tristes et langou-
reux, manque bien un peu de vivacité militaire; mais l'har-
monie en est pure et l'exécution bien sentie. Avec quels
délices on retrouve là, dans une mélodie accentuée, les
beaux cantabile de Rossini et les symphonies d'Haydn!
Paris revient bientôt à la mémoire, ou s'oublie ; lorsque
tout à coup ces malheureux tambours reprenant , le charme
est détruit !
On sait qu'à partir du grade de clief de bataillon les
épaulettes disparaissent. Les galons sur la manche et la
canne deviennent les seules marques disliuclives du grade
des officiers supérieurs et des généraux. La canne que por-
tent en bandoulière les officiers supérieurs n'indique chez
eux que le grade honoraire dont ils ont les insignes.
L'une des choses qui surprennent le plus les Français qui
assistent aux exercices et aux manœuvres en Espagne, c'est
le laisser-aller des officiers et des soldats.
Figurez -vous un chef de bataillon , par exemple , fumant
son cigarilo en même temps qu'il commande l'exercice;
l'Andalouse sémillante , le moine franciscain avec son grand
chapeau à la Basile , se promenant tonl auprès de la troupe,
adressant, Tune un gracieux sourire sous son éventail,
l'autre un salut clérical à tel ou tel offi ier sous les armes.
En outre , presque jamais de baïonnette au bout du fusil ,
même lorsqu'on commande le pas de charge la baïonnette
croisée; des jalonneurs se portant avec une extrême non-
chalance pour tracer les lignes Nous craindrions de fatiguer
nos lecteurs s'il nous fallait rapporter ici tout ce qu'il y a de
mol abandon, de camaraderie dans ces manœuvres. Nous
pouvons à ce sujet raconter nn fait dont un voyageur a été
témoin dans une petite guerre exécutée aux environs de
Madrid, à l'occasion des fêtes du couronnement de l'infante.
Un bataillon se repliant, se formait en colonne d'attaque; un
capitaine vint s'arrêter avec sa compagnie précisément à la
place de bataille d'une autre, de sorte ([ue cette dernière
survenant, notre officier s'aperçoit de sa bévue : seguid me
mnchachos (suivez-moi, enfans), s'écrie-t-ii , en s'adres-
sant à son peloton; et les voilà courant à travers les divi-
sions qui se forment successivement, renversant, bouscu-
lant les autres soldats. C'était une véritable mêlée. Quant
au chef de bataillon , au lieu de chercher à faire cesser la
coîîfusion par un commandement calme et îévère , il s'était
pris d'un fou-rire à la vue de ce désordre Il était h;;rs
d'état de commander. Hâtons-nous de dire que ce sont là
des excet;tions, et que de pareilles scènes ne sauraient se
renouvelent souvent.
Les linifonnes des officiers de la garde sont d'une coupe
élégante et légère; on y remarque en général une tendance
plus ou moins heureuse à imiter les lournures françaises;
mais dans toutes les importations de ce genre, il est rare quele
goût national ne vienne se glisser. Ain^i l'usage, on pourrait
piesiiuedire le bon ton, parmi les officiers espagnols, n'est
pas de porter les épaulettes carrément sur les épaules,
comme on le voit en France. Ils les rejettent en arrière, à
la façon des voltigeurs de Louis XIV. Autre chose en-
core ; nous voulons parler d'une manière fatale de porter les
collets d'habits, dont la hauteur par derrière est tellement
exagérée, que l'on dirait une lutte établie à qui sera le plus
ridicule; assurément il n'est pas un homme, fût-il môme
un Antinous, qui ne parut gêné et voûté en étant habillé de
la sorte. Cette disposition a déplus l'inconvénient inévitable
de la malpropreté, ainsi que le dénotent d'ailleurs, sans y
remédier, ces iloubles collets dont tous les hal.its sont re-
vêtus.
Quant au caractère de l'armée espagnole, on peut dire
qu'individuellement le soldat de cette nation est brave. Si
chez lui on ne retrouve ni l'impétuosité des Fiançais, ni
cette fermeté de réaction des Anglais, il est bien plus sobre
et plus patient que les soldats de ces deux nations. Possé-
dant toutes les qualités qui constituent le guerrier, il est dur
aux fatigues et susceptible d'un grand élan, lorsqii'il est
conduit par des officiers qui ont mérité sa confiance; mais
orgueilleux, fanfaron, même dans les revers les plus humi-
lians, et rarement généreux dans la victoire.
LE VESUVE.
Une foule de curieux, accourus de tons les points du
globe, s'étaient donné rendez-vous à Naples, pour assister
au magnifique spectacle d'une éruption du Vésuve, que
des signes certains avaient annoncée. Ce phénomène a eu
lieu à deux reprises différentes ; d'abord dans le mois de
juillet , et enfin dans les derniers jours d'août. La première
éruption a été peu remarquable, mais la seconde est une
des plus violentes et des plus belles qu'on ait jamais vues.
D'abord le nouveau cône disparut derrière un nuage
épais de fumée noire; puis, trois heures après, une secousse
eut lieu , et pendant la nuit se succédèrent des éjections de
sables enflammés, de pierres et de scories. Alors la lave
s'écoula par deux ouvertures, mais elle ne parcournt que
six à sept [tieds par minute.
42
MAGASIN UNIVERSEL.
Peu après, deux nouvelles bouches s'ouvrirent, annon-
cées par de violentes délonations j une immense colonne
de fumée noire et épaisse s'élança dans les airs, un effroya-
ble torrent délave, divisé en plusieurs courans , envahit
un espace immense de terrain , engloutit plusieurs villa-
ges, et couvrit de cendres tout le pays environnant. Le
courant principal avait un tiers de lieue de largeur et une
profondeur de quinze pieds ; il parcourut plus d'une Jieue en
longueur.
Même avant d'êlre attaqués par la lave, les arbres se
desséchaient, les feuilles se raccoruissaient avec un frémis-
sement sonore , les branches s'incendiaient avec une blanche
et vive lumière , tandis que les troncs étaient à j)eine réduits
en cen Ires vers le milieu.
La mer élaitdans une épouvantable agitation, et cepen-
dant la sécurité de l'air n'était pas troublée. Pendant plu-
sieurs nuits on voyait s'élever du mont Vésuve comme un
pin gigantesque, dont les racines resseinl)laient à du corail
et dont le tronc était couleur de bronze; le reste de l'arbre,
éclairé par la lune qui se trouvait au-dessus, avait tout
l'éclat de l'argent. Des ruisseaux de feu serpentaient au
pied de cet arbre colossal et augmentaient l'effet pittoresque
de cette scène vraiment admirable.
Après les détails que nous venons de donner sur la der-
nière éruption, on ne lira pas sans intérêt une description
succincte du mont Vésuve.
On monte au cratère par une pente assez douce, au mi-
lieu de chrtmps cultives et de beaux vignobles traversés, de
loin en loin, par des courans de laves plus ou moins anciens,
noirs, raboteux et stériles. A une certaine hauteur, ou
trouve une maison habitée par trois ermites qui fournissent
aux voyageurs un frugal repas. Trois ormeaux à i'épais feuil-
lage se trouvent dans ce lieu ; ce sont les derniers arbres
que l'on rencontre sur le mont. Plus haut, la pente devient
très-rapide, et des courans de lave refroidie la sillonnent
en tous sens. Les ânes qui servent de montures mettent
beancoup d'adresse pour éviter les mauvais pas; dans les
endroits les plus rapides , il leur faut tout à la fois porter
les voyageurs et traîner les conducteurs qui s'attachent à
leur queue.
Le cône , dont le pied est composé de cendres ou pluîôL
d'ime sorte de sable volcanique, forme un angle tellcmenL
prononcé, qu'on ne peut guère y grimper qu'en S3 servant
de ses pieds et de ses mains. Après une heure de marche ,
on arrive à un endroit où la chaleur du sol se fait sentir;
des vapeurs brûlantes sortent d'un grand nombre de petites
crevasses, dont les parois sont couvertes d'efflorescences de
soufre. En approchant l'oreille, on enlciid un bruit sem-
blable à celui d'un liquide en ébidlilion, et si on y plouj^c
du bois ou du papier, ils s'enllamment proniptement : quel-
ques pas plus haut, on trouve le bord du cratère même.
Ce cratère est un vaste entonnoir de quatre ou cinq cciits
pieds de profondeur, dont la pente est couverte de cendres
graveleuses , et dont le fond présente tantôt une surface
solide, semblable à celle du resie du Cône, tantôt une
fournaise d'où s'ichappent de temps à aiiire des flammes et
des éclairs à travers des nuages, alors môme qtie le vole m
n'est pas en éruption.
Le tour du cratère a une demi-lieue de circonférence et
son l)ord a peu dç largeur. De là, l'œil domine la mer et
une grande partie du royaume de Naples. Le ^yageur aper-
çoit sous ses pieds les villes et le» villages bâtis stu* les ruines
des cités antiques que le volcan a ens:ivelies , et il ne peut
se défendre d'un sentiment de frayeur en songeant au sort
qui menace ces modernes demeures. Des signes précurseurs
annoncent, il est vrai, aux habilans les éruptions du Vé-
.suve; des conwnotions intérieures font trembler la terre et
sont accompagnées de bruits sourds; les puits tarissent et les
animaux sont frappés d'épouvante. Aussi le Napolitain se
contente-t-il de placer des sentinelles pendant la nuit, et
dort-il, sans crainte d'être sui^pris [«r l'éruption. Les mai-
sons les plus exposées sont estimées au même prix, à peu
près, que toutes les autres.
Ce qui attire les Napolitains dans ces lieux, tant de fois
dé.solés, c'est l'extrême fertilité du sol qui donne trois
recolles dans une seule année. Les fruits y sont délicieux.
La vigne y produit ce vin célèbre connu sous le nom de
Lacryma-Chrisli. Une population nombreuse se presse sur
la base du Vésuve. Partagée en petites propriétés de trois à
(|uatre arpens, cette terre pourrait nourrir trois fois autant
d'habitans. Les produits de la culture ne sont pas au reste
les seules richesses que procure le Vésuve. La lave de ce
volcan se transforme en pavés, en murailles, et même en
élégans joyaux que le commerce trans|)orte au loin. ^
CHASSEURS A CHEVAL.
4795.
La création des régimens de chasseurs à cheval ne re-
monte guère au-delà d'un demi-siècle. Il paraît surprenant
que jusqu'en 4745, la France n'ait point eu de troupes lé-
gères régulièrement constituées. Nous lisons en effet qu'à
celte époque seulement, fut organisée une compagnie de
cent hommes , sous la dénomination de chasseurs de Fis-
cher. Ils étaient à pied , et ce ne fut que quelques années
après, lorsque ce cori>s fut porté au grand complet de six
cents soldats , qu'on lui adjoignit deux cents hommes de
cavalerie légère. Ce mélange de deux armes, jus(|u'alors
distinctes, fit donnera ces régimens les dénominations suc-
cessives de dragons-chasseurs, de volontaires, de légions
et de chasseurs. Tantôt à pied, tantôt à cheval, des ba-^
taillons ou des escadrons de chasseurs furent alternative-'
ment réunis aux hussards de Berchiny, de Chamborant ,'
enfin aux vingt-quatre régimens de dragons alors existans.
Mais toutes ces institutions, qui faisaient sentir le besoin de
corps réguliers de troupes légères, étaient trop défectueuses
pour être maintenues. On y renonça bientôt, et, en 4779,
six régimens de chasseurs reçurent une organisation et des
numéros particuliers à leur arme. Ils euient des couleurs
dislinctives, et déjà on remarquait le cor de chasse sur leurs
boutons. Telle est l'origine toute récente des régiihens de
chasseurs à cheval , qui devaient bientôt rivaliser par leur
bravoure et leur importance avec les anciens corps de ca-
valerie de vieille inslilution.
Ils étaient à peine organisés, que leur brillante conduite
dans la guerre de l'indépendance de l'Amérique leur as-
sura nn rang distingué parmi nos troupes. Ce fut leur bap-
tême de gloire, et le commencement d'une série de beaux
faits d'armes que nos annales militaires ont enregistrés.
MAGASIN UNIVERSEL.
15
Ail commencement de la révolution de i793 on comptait
douze régimens de celte arme ; c'étaient les chasseurs
d^ Alsace, de Franche-Comté , de Languedoc , de Cham-
pagne, etc., des noms des provinces auxquelles ils apparte-
nai'jut. Plus tard on y joignit les deux régimens de chas-
seurs normands et de chasseurs bretons-bourguignons.
Lors de la formation de la garde consulaire, on lit entier
dans sa composition un régiment de celte arme. La compa-
gnie des guides, qui avait suivi Napoléon dans ses campa-
gnes d'Italie et d'Egypte , devint le noyau de ce nouveau
corps. On sait la réputation de cette garde, connue plus
tard sous le nom de garde impériale, et dans laquelle les
chasseurs à cheval tinrent un rang si distingué pendant les
guerres'du consulat et de l'empire. A cette dernière époque,
en 1811 , il y eut jusqu'à vingt-neuf régimens de chasseurs
à che\al , sans y comprendre celui de la garde impériale.
L'uniforme des chasseurs de la garde était extrêmement bril-
lant. Ils portaient le kolbac , le dolman à la manière des
hussards , auxquels ils avaient emprunté également le pan-
talon collant et la botte à la russe.
La restauration, imitatrice des institutions de l'ancien ré-
gime, par une ordonnance de I8IS, créa vingt-quatre ré-
gimens de chasseurs à cheval, auxquels elle donna, aussi
bien qu'aux quatre-vingt-trois légions à pied , les noms des
déparlemens où ces corps avaient été levés. Ainsi, il y eut
les chasseurs des Ardennes, de la Somme, de Y Orne, de la
Charente, etc.
Ils perdirent ces dénominations en -1819, et ils reçurent
celles de ]"', 2", 5", etc. rcgiuicns de chasseurs à cheval.
En 4826,' on remarqua le \" régiment de celte arme qui
avait pris le nom de chasseurs de Nemours.
Depuis la révolution de juillet on réduisit à quatorze le
nombre de ces régimens; cinq d'entre eux ayant été incor-
porés à une arme de nouvelle ibrmation , celle des lanciers.
J.eur uniforme est ainsi composé aujourd'liui : — schako
garance avec un plumet noir et tlotiant; habit vert; panta-
lon garance par-dessus la bolle; bufflelerie blanche el épau-
lettes à frange garance. Les armes dei soldats sont le sabre,
la carabine et un seulpislolet.
L'institution des chasseurs, dont le service est celui de la
c jvalerie légère, ne se retrouve que chez quelques puis ances
(le l'Europe, et il est à remarfjuer (jue ce sont presque toutes
des puissances de second ordre. Ainsi, la Russie, l'Autri-
-ia^tM.
4830.
gne, deux en Belgique, un en Suède, un dans le royaume
des Deux-Siciles, etc.
=»8|2.
che, la Prusse, rAagleterre, la Bavière n'ont point de ré^-l-
mens de cette arme, tandis qu'on en compte huit en Espa-
DESTRUCTION DES JANISSAIRES
PAR LE SULTAN MAHMOUD.
Le sultan actuel ressemble , sous plusieurs rapports , à
Pierre-le-Grand : c'est la même détermination dans les cho-
ses entreprises, la même énergie dans l'exécution , et la
même sévérité dans l'accomplissement de ses arrêts. Comme
Pierre-le-Grand , il n'a pu souffrir l'arrogance de sa garde
prétorienne. Pierre se délivra de ses strélitz, et Mahmoud a
brisé le joug que lui imposiient les janissaires. Depuis long-
temps , le gouvernement formait le projet d'introduire la
discipline européenne dans l'armée turque; Sélim, prédé-
cesseur de Mahmoud, avait tenté de le mettre à exécution;
mais le temps n'était pas venu ; il périt victime de la rage
des janissaires
Le sultan Mahmoud parvint à se concilier une partie des
ofticiers de ce corps privilégié ; il gagna les uns avec de
l'argent et des promesses ; il effraya les autres par des me-
naces. Il obSint qu'ils fourniraient cent cinquante hommes
par rcgim'Mit , et des ofliciers égyptiens, qui étaient déjà au
fait de la tactique européenne, furent envoyés pour dresser
et discipliner ces nouvelles troupes. En peu de temps, elles
firent de si rapides progrès , que le sultan donna l'ordre
de les réunir pour une revue générale sur la grande
place de YEtmeidan, qui était réservée aux janissaires, et
où se faisaient à ce corps les distributions de vivres. Les
manœuvres avaient commencé en présence des ulémas, des
ministres et de tous les premiers dignitaires de l'empire ,
lorsque plusieurs janissaires se plaignirent qu'on leur fit exé-
cuter les manœuvres des Russes. Un officier égyptien eut
l'imprudence de frapper au visage l'un des mécontens; ce
fut le signal de la révolte : les troupes se dispersèrent dans
les rues, volant et insultant tous ceux qu'elles rencon-
traient. Le mécontentement paraissait si général, que la
police ne prit aucun moyen pour mettre un frein à leur fu-
reur. L'aga des janissaires s*était surtout attiré leur cour-
roux par le soin qu'il avait mis à favoriser le nouveau plan
de discipline. Une i)artie des révoltés envahirent sa maison
pour l'assassiner , mais il avait eu le temps de fuir ; ils im-
molèrent à sa place son kiaga ou lieutenant , brisèrent tout
ce qu'ils purent ttouver dans la maison, et , dans leur rage,
ils se portèrent au dernier excès que puissent commettre des
musulmans : ils enfoncèrent les portes de son harem, et in-
sultèrent ses femmes. Le palais de la Porte, qf 'vivait aban-
donné le gouvernement, fut entouré par les révoltés, aux-
/4
MAGASIN tlNlVERSEL.
quels s'était jointe la populace. Celle mnliilude effrénée
offrait l'aspect lepliisdogoûtant; les jnnissairesavaienl foulé
aux pieds leiu- uniforme , et te reste de leurs vèleniens élait
déchiré; Ils commencèrent par démolir le palais, qu'ils pillè-
rent, emportant lout ce qui leur parut avoir quelque valeur.
Ils détruisirent aussi les archives, dont ils supposaient
qu'on avait tiré leur nouvelle organisation.
Les janissaires déployèrent dans cette occasion un esprit
de résolution qu'ils n'avaient jamais manifesté que dans les
circonstances exlrêmes. « Elant venu à la ville, dit un voya-
geur, la première chose qui frappa mes regards , ce fut un
homme exlraordinaireuient gros, ayant une veste de cuir
avec desornemens d'étain, et agitant un fouet fait avec des
lanières de cuir. Il était suivi de deux hommes aussi bizar-
rement accoutrés, et qui portaient, suspendue à un bâton,
une grande chauitière de cuivre. Ils parcouraient les prin-
cipales mes avec un air d'autoiitc, et chacim s'empressait
de se ranger pour leur laisser un libre passage. J'appris que
c'était la marmite d'un corps de janissaires pour iafiuelle
on conservait toujours le plus grand respect. » En effet, la
soupe élait un caractère si distinclif de citte troupe , que
leur colonel s'appelait Tchor-Badgéou distributeur de soupe.
Leur marmite élait leur étendard,, et lorsqu'ils la sortaient
ds leur caserne, c'éîait le signe d'un projet désespéré. Les
marmites des différens corps furent donc portées à l'Etîuei-
dam , renversées au milieu de la place , et , dans un court
espace de temps, vin^^t mille hommes armés furent rassem-
bles dans ce lieu.
Le sultan convoqua un conseil nombreux, auquel il pro-
posa de sortir l'étendard du Prophète. Son avis fut adopté.
On ne se sert de cette relique sacrée, qui, dit-on, est faite arec
un vêtement de Mahomet, que dans les occasions les plus
solennelles; il y avait cinquante ans qu'on ne l'avait vue à
Gonstantinople. On la prit au trésor impérial et on la porta
à la mosquée du sultan Achmet. Les ulémas et les soflas
marchaient devant, et lesiiltan, accompagné de su cour,
suivait par derrière , récitant le corau. Ce fut un grantl
acte de politique de la p:jrL de Mahmoud ; car il mil en jeu
par ce moyen, les prt-jugés et le fanatisuie de toute la
nation. Aussitôt que le peuple fut instruit de cet événe-
ment, des milliers d'hommes accoururent se ranger sous
l'étendard, endonnantdes marques du plus vifenthousiasiuc.
Le muphti planta le sandjack-sheriff sur la chaire de la
magnifique mosquée d'Achmet, et le sultan prononça l'a-
natiième contre ceux qui refuseraient de s'y rallier.
Quatre ofQciers supérieurs, envoyés vers les janissaires
pour les faire rentrer dans le devoir, furent massacrés au
milieu de l'Etméidam, et les révoltés demandèrent qu'on
leur livrât les ministres pour les égorger à leur tour. Le
sultan demanda alors au sheik-islan un fetva qui l'autorisât
à exterminer ses sujets rebelles et lit marcher contre eux
l'aga pacha , à la tète de soixante mille hommes , sur les-
quels il pouvail cjuipter. Cernés de toutes paris dans l'El-
raéidam, où ils étaient rassemblés confusément, ils ne purent
résister; le carnage fut terrible; il en resta la moitié sur la
place ; les autres purent à peine se réfugier dans leurs kis-
las, ou casernes. Après leur refus de se rendre à quelque con-
dition que ce fût , l'aga lit mettre le feu aux kislas. On peut
juger quelle fut alors leur situation : ceux qui échappaient
au feu, fiérissaient par le fer. Cependant leur désespoir fut
fital à l'aga pacha, qui perdit un nombre considérable
d'hommes, eut quatre chevaux tués sous lui , et reçut plu-
sieurs blessures. Enfin, la résistance cessa. La flamme s'a-
paisa , et le soleil du lendemain vint éclairer un tableau
épouvantable : des ruines incendiées, éteintes dans le sang,
tt des monceaux de corps ensevelis sous la cendre fumante.
Pendant les deux jours qui suivirent, les ijortes de Con-
stanlinople restèrent fermées, à l'exception d'une seule, par
où purent entrer les fidèles musulmans de la campagne ,
qui vinrent en foule , guidés par l'esmaum ou prêtre, de la
paroisse , pour voir le sandjack-sheriff. Ceux des Janissai-
res qui avaient pu échapper au carnage de l'Etméidam ,
f.irent immolés sans quartier: de sorte que les rues comme
les casernes étaient jonchées de morts. Pendant tout ce
temps , aucun chrétien ne put entrer dans Constantinoole ,
sous quelque prétexte que ce fùi; e! , quoique Péra ne soit
séparé de la ville que par un canal, il y régna la plus par-
faite tranquillité. Chacun vaqua sans interruption à ses
occupations journalières ; et peut-être n'y aurait-on rien su
de ce qui se passait à Conslantinople , si ce n'eût éié parla
vue des flammes et le bruit du canon.
L'exposition du Sandjack-sheriff attira beaucoup de
monde à Conslantinople : c'était pour les musulmans une
chose aussi rare que sainte , et beaucoup d'entre eux regar-
daient celle visite comme un pèlerinage au tombeau du
prophète.
Le lendemain, le sultan anathéniatisa publiquement tout
le corps des janissaires, et défendit (pie leur nom fût jamais
prononcé. Le soir même , les fellas proclamèrent partout
que 'a tranquillité était rétablie.
On n'est pas d'accord sur le nombre des janissaires qui
ont péri dans celle journée. Outre ceux qui trouvèrent la
mort à l'Etméidam , dans les casernes et dans les rues, tme
grande quantité furent étranglés dans les maisons où ils
s'étaient réfugiés. On croit qu'il n'est pas échappé à|lamort
un seul membre de ce corps immense ; tons les officiers , à
l'exception de quelques-uns d'un haut rang qui prirent parti
pour le sultan , périrent les armes à la main. On pense
généralement qu'il en a été exterminé vingt mille. Des
acrubas et autres voitures furent employées pendant plu-
sieurs jours à transporter les corps morts , qu'on jeta dans
le port et dans le Bosphore. On les voyait flotter sur la mer
de Marmara : souvent même les vents les jetaient sur le
rivage.
La surface des eaux était couverte de ces débris , qui
entravaient la marche des bâlimens , et l'on a pu répéter
avec vérité ce qu'un poète a dit du vaisseau de Xerxès que
les corps de ses soldats empêchaient d'avancer.
COUTUMES DU MOYEN AGE.
LES COMBATS JPDICIAIKES.
Ce fut sous le règne de Louis VII q::c s'établit la c m-
tume des combats judiciaires, jurisprudence barbare, qui
mettait au rang des preuves les plus certaines et les plus
propres à éclairer la conscience des juges , l'agilité du corps
et la force musculaire des plaideurs. Lorsque la solution
d'un procès offrait quelques difficultés , pour savoir de quel
côté était le bon droit, on faisait battre les parties, et le
vainqueur avait raison. Ainsi les jugemens étaient unique-
ment basés sur l'axiome de notre immortel fabuliste
La raison du plus fort est toujours la meilleure
On donnait à cette plaidoirie brutale le nom de ckimp-
clos, de duel ou combat judiciaire , de gage de bataille , et
même ûe jugement de Dieu,
Né dans les forêts de la Germanie , cet usage , aussi ri-
dicule que féroce, fut, à la fin du v siècle, introduit par
les Bourguignons dans la partie orientale de la Gaule. Une
loi de Gondebaud, roi de celte contrée (501) , le mit en
vigueur. Vainement Avitus , évoque de Vienne , et dans la
suite Agobard , évêque de Lyon, dignes ministres d'une
religion de paix et de concorde , s'élevèrent-ils avec force
contre ces prétendus jugemens de Dieu. Vers la fin de la
deuxième race, cet usage pénétra dans le reste de la Gaule
et y fut généralement établi dans le commencement de la
troisième, c'est-à-dire sous Louis le- Jeune, ainsi que nous
l'avons dit plus haut.
Dans le principe , ce n'étaient que les hommes d'armes
qui vidaient ainsi leurs querelles; mais bientôt toutes les
classes de la société furent soumises à celle procédure. Les
vieillards, les femmes, les riches bénéficiers , trop. faibles
ou craignant pour leur personne , prenaient des champions
MAGASIN UNIVERSEL.
m
à gage. Ceux-ci , pour quel([ue argent , consentaient à courir
le risque d'être assomuiés, et môme s'ils étaient vaincus,
de perdre une main, un pied, ou bien d'être pendus; car
c'était là le sort réservé aux avoués ou champions : ce qui
fut introduit, dit-on, pour empêcher qu'ils ne se laissassent
gagnei- et vaincre par l'adversaire , et pour qu'ils eussent le
plus grand intérêt à bien défendre leur partie.
Telle était la barbarie de ces temps d'ignorance, que le
c.mibat était ordonné même dans les procès d'un mince
intérêt. Ain*-i on trouve , à la date de 41(Î8, une ordonnance
qui défend d'autoriser le ihiel pour une contestation au-
dessous de cinq sous : ce qui suppose qu'auparavant on
pouvait se battre pour une plus faible somme.
Saint Louis tenta de déi .iciner cette vieille coutume , et
ordonna que la preuve par témoins serait substituée aux
combats judiciaires; mais son ordonnance, observée seule-
ment dans les domaines royaux, resta sans effet partoui
ailleurs. Les barons refusèrent de s'y soumettre dans leurs
seigneuries, parce qu'elle les privait d'un bénéfice considé-
rable. En effet, lorsqu'il y avait gages de bataille, l'amende
du vaincu roturier était pour eux de 60 sous, et celle du
vaincu gentilhomme de 60 livres.
Philippe-le-Bel essaya aussi de détruire un abus si révol-
tant; mais ne pouvant y parvenir, il tâcha du moins d'en
régler l'usage, et ses ordonnances rendirent les corabals
beaucoup plus rares. Ce n'«st <nie vers la fin du xiV siècle
qu'ils cessèrent tout à fait .
Voici quelques détails que donne Montesquieu, dans
VEsprit desLois, sur les règles établies dans l'exercice de
celte étrange jurisprudence.
On ne pouvait demander le combat que pour soi , ou pou;-
quelqu'un de son lignage, ou pour son seigneur-lige.
Lorsqu'il y avait plusieurs accusateurs, il fallait qu'ils s'ac-
cordassent pour que l'affaire fût poursuivie par un seul ; et
s'ils ne pouvaient en convenir, celui devant lequel se faisait
le plaid, nommait un d'entre eux qui poursuivait la que-
relle. Quand un gentilhomme appelait un vilaiu , il devait
se présenter à pied avec l'écu et le bâton; et s'il venait ^
cheval et avec les armes d'un gentilhomme, on lui ôiail
son cheval et ses armes ; il restait eu chemise et était obligé
de combattre en cet état contre le vilain. Avant le combat,
la justice faisait publier trois bans : par l'un, il était or-
donné aux parens des parties de se ri tirer ; par l'aulre, on
avertissait le peuple de garder le silence ; par le troisième ,
il était défendu de donner du secours à l'ime des parties,
sous de fortes peines, et même sous cel'e de mort, si par
ce secours un des combattans avait été vaincu. Les gens de
justice gardaient le parc , et dans le cas où l'ime des parties
aurait parlé de paix, ils avaient giande alienlion à l'état
où elles se trouvaient toutes les ûeu\ dans ce moment,
pour qu'elles fussent remises dans la même situation, si la
paix ne se faisait pas. Quand les gages étaieut reçus pour 1
crime ou pour faux jugement , la paix ne pouvait se faire
sans lecoiisentement du seigneur.
Lorsque, dans un crime capital, le combat se faisait par
champions, on mettait les parties dans un lieu d'où elles ne
pouvaient voir le champ de bataille, et chacune d'elles était
ceinte de la corde (pii devait servir à son supplice , si son
champion était vaincu.
On ne se battait pas dans toute espèce de cause. Si le
fait était notoire, par exemple, si un homme avait été as-
sassiné en plein marché , on n'accordait ni la preuve par
témoins, ni la preuve par le combat; le juge prononçait
sur la publicité. Quand un accusé de meurtre avait été ab-
sous par un parent du mort, de l'action intentée contre lui ,
un autre parent ne pouvait demander le combat. Si celui
dont les parens voulaient venger la mort, venait à reparaî-
tre, il n'était plus question de combat. Il en était de même
si , par une absence notoire , le fait de l'assassinat se trou-
vait impossible. Si un homme, qui avait été tué, avait,
avant de mourir, disculpé celui qui était accusé, et qu'il
eût nommé un autre meurtrier, on ne procédait pas au
combat; mais s'il n'avait nommé personne, on ne regardait
sa déclaration (jue comme un pardon de sa mort : on con-
tinuait les poursuites, et mêHie, entre geatîLJiuiiimmes, on
pouvait faire la guerre.
Quand un homme , appelé en champ-Clos pour un crime,
montrait visiblement que c'était l'appelant même qui l'avait
commis , il n'y avait plus de gages de bataille : car il n'y
aurait point eu de coupable qui n'eilt préféré un combat
douteux à une punition certaine.
Beauînanoir dit qu'un homme qui voyait qu'an témoin
allait déposer contre lui, pouvait éluder sa déposition en
disant aux juges que son «adversairiC produisait un témoin
faux et calomnieux ; et si le témoin voulait soutenir la que-
relle, il donnait les gages de bataille. Si ce témoin était
vaincu, la partie, qui l'avait produit, perdait son procès.
Le témoin pouvait quelquefois se dispenser de combattre;
mais pour cela il fallait qu'il dît à sa partie, avant de dépo
ser : « Je ne me bée pas à combattre pour votre querelle,
« ne à entrer au plet au mien ; mais se vous me voulez
« défendre, volontiers dirai la vérité. » La partie se trou-
vait alors obligée de combattre pour le témoin.
I^ nature de la décision par le combat, étant de termi-
nci' l'affaire pour toujours , et n'étant pas compatible avec
un nouveau jugement, l'appel, tel qu'il est établi par les
lois canoniques, c'est-à-dire à un tiibunal supérieur, était
iricouiiu en France. Mais on pouvait prendre ses juges à
partie, et fausser la cour, comme on le disait à cette époque :
on combattait alors contre eux, et il fallait les vaincre tous,
pour prouver que le jugement, qu'ils avaient rendu, était
faux et inique. Si la partie était vaincue, elle payait une
amende, lorsqu'il ne s'agissait que d'une affaire ordinaire;
mais lorsque l'affeire était capitale, elle étajt punie de
mort.
Telles étaient les principales règles établies pour les
combats judiciaires : dans un prochain numéro nous don-
nerons à nos lecteurs quelques exemples de ces sortes de
combats.
LA MAISON DE VOLTAIRE
A FERNET.
On ne saurait visiter sans éprouver la phis vive émotion
le séjour de cet homme extraordinaire qui donna son nom
au xviii'' siècle, et qui le remplit tout entier par son âge et
ses immortels écrits. C'est à Ferney que, fatigué des cours,
rassasié d'éloges, il vint passer les vingt dernières années de
sa vie. A la place du misérable hameau qu'il y avait trouvé,
s'éleva bientôt , par ses soins , une jolie petite ville, peuplée
d'ouvriers habiles, de commerçans industrieux. Un théâtre
qu'il y établit, et où il jouait parfois lui-même , des bals bri!-
lans , auxquels ses courtes apparitions donnaient plus d'at-
trait encore, enfin des divertissemens de tous genres, firent
de ce lieu le point de réunion de tout ce que le pays de Ge-
nève comptait de plus distingué. L'affluence des étrangers,
savai.s, beaux-espits, prélats, grands-seigneurs et princes
même, répandit à Ferney l'abondance et la prospérité.
Le diâleau appartient aujourd'hui à la famille de M. de
Budé, qui jadis l'avait vendu à Voltaire. Elle s'est empres-
sée de le racheter après sa mort , et elle permet aux étran-
gers de visiter ces lieux illustrés par l'auteur de Zaïre. Sa
chambre est encore telle qu'au temps où il l'habitait ; rien
n'est changé : son lit, sa table, ses fauteuils, ses tableaux,
chaque chose est à sa place. En face de la cheminée , on voit
le petit monument, de forme pyramidale , que la marquise
de Villette, dont Voltaire parle si souvent sous le nom
de belle et bonne , avait érigé pour renfermer le cœur de
son père adoptif. On y lit celte inscription, qui subsiste en
core, bien que le cœur de Voltaire n'y soit pas :
Son esprit est partout , mais son cœur est ici.
46
MAGASIN UNIVERSEL.
( La Chairiljre de Voltaire à Ferney.)
An-desstis se trouve celte autre inscription :
Mes mânes sont consolés, puisque mon cœur est au milieu de
>us.
On remarque aussi dans la même chambre un grand
grand Frédéric, de Corneille, de Racine, de Milton, d<;
Newton, de Leibnilz, du duc de Choiseul , de d'Alemberl,
de Franklin, de Diderot; mais ce qui attire surtout l'atten-
tion, ce sont les rideaux hachés et déchirés que l'on voit
suspendus an-dessus du lit. C'est le fanatisme des visiteurs
nombre de portraits, entre autres ceux^e Catherine II du I qui les a mis dans cet état : chacun a voulu en emporter un
morceau comme une prcclense relif[ue , et i. est mutile de
dire que la cupidité du cicérone spécule sur ces dépréda-
tions continuelles, et supplée avec adresse à l'étoffe, quand
elle vient à manquer.
Voltaire avait ordonné que son bureau et un placard ne
seraient ouverts que cinquante ans après sa mort. Que con-
tenaient-ils? Quelques personnes pensent qu'on devait y
trouver des manuscrits sur plusieurs familles contemporai-
nes, et d'autres des prédictions sur la marche probable des
événemens politiques. Ces deux meubles avaient été dépo-
sés dans un petit monument, élevé dans le parc à la mé-
moire de Voltaire. Des brigands y pénétrèrent au mois de
novembre 4819; ils y commirent des dégâts, et les papiers
disparurent; on n'a pu découvrir les auteurs du crime , et
l'on en est réduit à des conjectures sur un sujet aussi inté-
ressant.
Le resie de l'appartement ne présente que peu d'intérêt,
si ce n'est le salon, où l'on a conservé quelques vieux meu-
bles, et ce tableau allégorique dans le(|uel le poète, peu mo-
deste, avait fait repr'^spnler «on apnibéose et son triomphe
sur ses ennemis terrassés. Les antres pièces ont été déna-
turées, et l'on cire les souliers dans le cabinet de travail de
Voltaire.
On voit encore chez le jardinier du parc quelques objets
qui ont servi à Voltaire , et parmi lesquels figure un petit
cahier de sept à huit feuillets, renfermant les cachets des
individus qui lui écrivaient. Au-dessous de chaque cachet,
est écrit, de sa main, le nom de la personne, accompagné
d'une épithèle, telle que celles-ci : homme d'esprit , imbé-
cile, fou de la cour, etc. Ce cahier lui servait à reconnaître,
sans les décacheter, les lettres ([u'il ne voulait pas recevoir.
Auprès du château , se trouve la chapelle érigée par le
phiIoso|)he de Ferney, et sur laquelle il fit placer cette or-
gueilleuse inscription : Deo erexit Voltaire. Elle servit long-
temps de paroisse à la ville ; mais , depuis quelques années,
elle a été abandonnée pour une église nouvelle.
Les Bureaux d'Abonnement et de Vente sont : Quai des Au4
gustins, 41,
3)
( i6ocioKr8i83<.)
tt/lGASIN UNIVERSEL.
%1
INAUGURATION DE LA STATUE DE CORNEILLE, A ROUEN.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. DAVID, STATUAUBTI-
( Stafoe de Corneill*. )
Nous ne saurions choisir «n à-propos plus heureux, pour
offt-ir à nos lecteurs un dessin exact de la statue du grand
Corneille, exécutée par le célèbre statuaire David , puisque
c'est dans trois jours qu'elle doit être inaugurée à Rouen .
patrie du père de la tragédie française. Elle est en bronze ,
et a été fondue en quatre parties, par Honoré Conon; la
fonte s'est faite à cire perdue , ce qui rend inutile le tra-
vail du ciseleur, et conserve identiquement la forme du
modèle. La figure a douze pieds d'élévation ; le piédestal ,
qui est de granit et de marbre blanc, en a un peu plus; de
sorte que l'ensemble du monument doit avoir de vingt-six
à vingt-sept pieds. Le poids du bro nze est d'environ cinq
mille kilogrammes.
C'est sur le terre-plain du poiM d'Orléans, que celte
TOMG II.
statue doit êlre placée. Regardée de son point de vue na-
turel , c'est-à-dire du milieu du pont, elle se dessinera en-
tièrement sur le ciel, et produira ainsi l'effet le plus agréable.
Le roi , qui a souscrit a ce beau monument , en a posé la
première pierre , lors de son dernier voyage au mois de
septembre <833. La direction des travaux a été confiée
d'abord à M. Alavoine , et ensuite à M. Grégoire , archi-
tectes , tous deux membres de la société libre d'émulation
de Rouen , au zèle de laquelle on doit l'érection de la statue.
Les descendans de la famille de Corneille, ont été invites
à assister à la cérémonie.
Un exemplaire des œuvres de ce grand poète , et une
médaille exécutée par M. Dépawlis, seront déposés dans \a
corps de la statue.
«
MAGASIN UNIVERSEL.
David est né à Angers, en iT98; il montra de Iwnne 1 et de là en Italie. L'usage du lichen roceUn (orseille)du
heure un goi^t trè.s-vif pour les beaux -arts, et particu- j safran , de l'indigo et de l'alun , substances précieuses pour
Hèrement pour la sculplure. Après avoir étudié le dessin la teinture, s'introduisit ou devint plus commun. Tyr pos-
dtins sa ville natale, il vint à Paris sans y apporter aucun
moyen d'existence; long-temps il vécut dans une position
difficile, mais ayant eu le bonbenr déplaire au célèbre
peintre David, qui l'admit gratuitement dans son atelier,
il fut recommandé aux administrateurs d'Angers, qui lui
firent une pension de ."îOO fr. sur les fonds de la commune.
La demande présentée en sa faveur avait été apostillée par
tous les membres de la quatrièuie classe de l'Institut.
David obtint en I8H le prix de la tète d'expression, et
le premier prix de sculpture. Il se rendit ensuite en Italie,
fré(|uenta assidûment l'atelier de Ganova, et étudia avec
enthousiasme les chefs-d'œuvre de cette terre classique des
arts. En 1810, il alla visiter en Angleterre le célèbre
Flaxman et la collection de lord Elgin, qui a dépouillé la
Grèce d'ini grand nombre de beaux marbres. C'est pen-
dant ce séjour en Angleterre, qu'une société de souscripteurs
lui proposa d'exécuter une colonne avec statue et bas-reliefs,
ejx mémoire de notre défaite de Waterloo ; David refusa avec
une noble fierté , et cependant il était alors dans une sorte
d'embarras pécuniaire. En 1823, il fut nommé membre de
la légion-d'honneur; l'Institut, le Saoul 1826, l'admit dans
son sein, et quatre mois après on lui confia nne place de
professeur à l'Ecole royale des Beaux-Arts. Les travaux
de David sont nombreux et d'un grand mérite ; nous cite-
rons entr'autres : la statue de Fénélon, (jue l'on a élevée
à Cambrai; celle du général vendéen Doncbamps; celles
du général Foy et du maréchal Gouvion Saint-Cyr , que
l'on voit au cimetière du Père-la-Chaise ; la statue de Cu-
vier,qui orne la place de Montbelliard; le buste de Pa-
ganini; la Sainte-Cécile de l'église de Saint-Roch; la Jeune
Fille Grecque qu'on a vue à une récente exposition; un
OEil-de-Bœuf orné de deux belles figures, au Louvre;
enfin les médaillons qui reproduisent avec un lare bonheur
les traits d'un grand nombre d'illustrations modernes , et
parmi lesquels ont doit distinguer celui de Manuel. Nous
ajouterons à cette liste, le Philoppémen qui doit bientôt
©rner les Tuileries.
David s'occupe présentement de l'immense bas-relief ([ui
ornera le fronton du Panthéon ; on ne pouvait mieux choisir
pour l'exécution de cette œuvre , qui demande non-seuk-
ment un génie mâle et vigoureux , mais encore tuie cer-
taine sympathie pour les Idées libérales.
LES CROISADES. Suite, (I)
' Les croisades onl exercé une influence très remarquable
non-seulement sur le moral des nations chrétiennes , sur le
gouvernement ecclésiastique et civil , mais sur le connnerce
et l'industrie. Elles ont, non pas déterminé, mais bâté la
grande révolution qui s'est faite dans l'état de l'Europe.
Les guerres sacrééis donnèrent [tlus d'étendue et d'acti-
vité au commerce que niîTniient avec le levant plusieins ports
de mer de l'Italie et de la France. Mai-seille obtint des rois
de Jérusalem l'exemption de tous impôts , de tous péages , et
dans chaque ville maritime, nn quartier où les Français
eurent leurs libertés , leurs lois et leurs magistrats. Les
Marseillais donnèrent à leur marine, un tel accroissement
que dans l'année M 90, ils purent transportera la Terre-
Sainte, toute l'armée anglaise de Richard Cœur-de-Lion.
Les croisades développèrent les ressources de l'industrie.
Il est hors de doute que l'Asie et l'Europe trouvèrent de
nouveaux déhouchcs ; que l'augmentation de travail accrut
Taisance générale . le bien être de la vie privée , et contri-
bua à radoucissement des mœurij. Mais à cet égard nous
avons peu de renseignemens précis , et à peine pojjvons
nous recueillir dans les historiens, quelques particularités.
La fabrication des étoffes de soie passa de la Grèce en Sicile
(i) Voyez p»ge 4i3, i»"^ volume.
sédait des verreries fumeuses (jui servirent de modèles a
celles de Venise. On apprit des Arabes à mieux travailler
les métaux , à lixer l'émail sur leur surface , à monter les
pierreries avec plus de goût et peut être à polir le diamant.
On voit par ces légers détails que les croisades multiplièrent
surtout les manufactures de luxe. Aux xii" etxiii'' siècles,
la magnificence orientale , brilla sur les vêtemeiîs , dans les
arnnuTs et dans les équipages.
Sous le rapport scientifi(iue et littéraire, les croisades
n'ont produit que de faiblçs avantages. Les rudes guerriers
de l'occident n'étaient point capables d'une noble culture.
Ils allaient en Orient pour conquérir et non pour s'éclairer.
C'est en vain qu'ils firent tm long séjour dans l'empire grec
où le génie de l'antiquité jetait encore quelques étincelles.
Les pri^ngés nationaux, la différence de langue et de reli-
gion mirent des olwtacles insurmontables à la communica-
tion des idées.
La quatrième croisade , (celle qui se termina parla prise
de Constanlinople) , causa aux lettres et aux arts nn irré-
parable dommage. L'incendie de cette ville anéantit un
grand nombre d'ouvrages précieux, de marbres et de bronzes
animés, par la main de Lysippe , de Phidias , de Praxitèle.
Comme l'observation de la nature était tout à fait négli-
gée, les sciences naturelles ne firent aucun progrès ou
s'égarèrent. Les mathématiques ne ftnent pas moins négli-
gées. Les croisés parcoururent , il est vrai, des pays peu fré-
quentés; des voyageurs pénétrèrent dans des régions jus-
qu'alors ignorées de l'Europe moderne ; mais faute de
connaissances en géométrie et en aj-tronomie, ils n'eurent
que des idées confuses et inexactes sur les limites de ces
diverses contrées, sur la vraie situation des lieux, sur le
gisement des côtes , et ils accréditèrent un grand nombre
d'erreurs géographiques.
L'agricidture et le jardinage d'Europe s'enrichirent de
plusieurs végétaux utiles ou d'agrément; la canne à sucre
fut transplantée de Syrie en Sicile , et delà portée à Madère
d'où elle passa plus lard dans le Nouveau-Monde.
La navigation et l'archileclure navale reçurent quelques
perfeclionncmcns. On donna de meilleures proportions aux
diverses parties du navire. Au lieu d'un seul mat, on eu
dressa plusieurs; 'on apprit à mieux disposer les voiles et à
faire route avec un vent pres([ue contraire.
L'architecture civde prit nne face nouvelle. Parmi les
croisés, il y avait des architectes, des charpentiers, des
ouvriers de toute espèce, qui , de retour dans leur patrie ,
imitèrent l'architeclttre syrienne , arabescpie ou sarrasine , à
à laquelle on a donné sans raison le nom de gothique.
Les croisades inspirèrent les historien? elles poètes. Aupa-
ravant , on n'avait que des chroniqueurs; les moines compi-
laient des annales froides et indigestes. Les expéditions
saintes éveillèrent le talent, par la nouveauté, la grandeur
et l'inlérct des sujets; elles furent décrites, tantôt avec
énergie tantôt avec une aimable naïveté. Les sires de Vil-
lè-IIardouin , et de .loinville donnèrent leurs relations en
français vulgaire. C'était pour la première fois que l'his-
toire moderne parlait aux peuples dans leur langue; elle
avait à raconter des faits populaires , dont on s'entretenait
dans les cabanes , aussi bien que dans les doîlres et dans les
palais.
Les troupes ou plutôt les masses indisciplinées que aos
rois conduisirent en Terre-Sainte, ne se composaient que
d'hommes sans instructioji militaire, marchant avec con-
fusion et comballant sans ordre comme sans tactique. Lors-
que la première de ces expéditions, se mit en marche, elle
était divisée en trois corps principaux, et en deux corps de
réserve. i.a formation aéfinitive du premier, eut lien en
Souabe : Il était de cent mille hommes, dont douze mille
de cavalerie; le second, organisé en Provence, se trouvait
sous les ordres de Godefroy de Bouillon ^ et se composait
MAGASIN UNIVERSEL.
t«
de qualie-vingt luille hoinmes , dont dix mille de cavalerie ;
le troisième comptait seulement trente mille hommes. La
force des deux corps de réserve , consistait en deu>; cent
cinquante mille fantassins et cavaliers. Ainsi le total de celle
armée, dont l'Europe attendait des prodiges, comprenait
un effectif de (pi aire cent soixante mille combaltans. I\Iais
celte force mal dirigée , sans vivres et mal administrée, ne
pouvait aller loin. Ces formidables colonnes s'acheminèrent
îenlement vers la Hongrie et la Bulgarie. Une partie de ces
troupes ayant commis de graves désordres dans ces deux
pays , les habilans se réunirent pour atlaquei" l'armée
sainte, la vainquirer.t et en firent un grand carnage. Le
principal corps commandé par Godefroy de Bouillon . ne
connut et ne souffrit auciuîe injure, et parvint sous les
mursdeCcMislantinoplc; il était coniposé à celle époque de
cent soixante-ciiu| mille hommes d'infanterie, el quinze mille
de cavalerie. Celle armée aborda aux rives Africaines
en 1096, mais elle y éprouva une suite de défaites. Une
seconde armée fut envoyée au secours de la première , et
mit à la voile en 1090. Elle était composée de Français,
d'Allemands et d'Italiens, et comptait environ trois cent
mille combaltans. Après quelques succès assez brillaiis,
mais sans aucun avantage réel , elle fut en partie délruite.
Louis-le-Jeunc partit avec deux-cent mille hommes pour
la conquête de la Terre-Sainte , après s'être joint à l'em-
pereur Conrad. Ce fut alors qu'on imagina , pour éviter
toute confusion et prérenir les malheurs précédens , de don-
ner une espèce d'uniformité à l'habillement des troupes.
Il fut décidé qu'elles porteraient une croix d'étoffe sur la
poitrine ou sur l'épaule. Chaque nation eut sa couleur par-
ticulière. Cette croix était rouge pour les Français; noire pour
les AUeuiands ; pour les Anglais blanche ; pour les Italiens
jaune ; pour les Flamands verte. C'est ce signe qui leur
fit donner !e nom de Croisés. Les chevaliers étaient armés
d'un casque et d'un bouclier , d'une masse d'armes ou d'une
lance. Les serfs s'armaient de toute espèce d'instrumens el
et d'armes tranchantes : ils portaient quelquefois la lance;
un cas(jue rond et léger, sans aucune espèce de garniture,
défendait leur tête descoupsde l'ennemi. (Voyez la gravure
qui accompagne le premier article, F'" vol. page 415).
La troisième expédition , s i funeste aux armes de Phi-
lippe-Auguste, fut entreprise et exécutée en H 90. Richard
roi d'anglelerre , et l'en^pereur Frédéric-Barl)erousse se
croisèrent avec le roi de France. L'armée expéditiomiaire
comptait quatre cent cinquante mille condiattans , dont
cent vingt mille Français, (juatre-vingt mille Anglais ,
cent ciucjuante mille Allemands, et soixante mille Italiens.
La (piatrième croisade , dont on ne connaît pas la force, sor-
tit du golfe de Venise en 1202, sous la conduite de Boni-
face , manjuis de Monlfort.
En I2i8, Louis IX s'embarqua à Aiguës- Mortes, pour
aller soumettre les inlidèles de la Palestine. Après quelques
succès , la fortune l'abandonna ; il fut vaincu par les Sarra-
sins à Charmasac, el conduit , captif, à iMassoure. Il acheta
sa liberté et revint escorté des faibles débris de son armée,
décimée par les couibals, les supplices et les prisons.
Nous avons fuit connaître, à l'occasion de la mort de
Saint-Louis ( page 505) le triste résultat de laseconde expé-
dition, entreprise par ce prince en 1270. Cette croisade fut
la dernière. Le nombre des troupes employées par Louis IX ,
dans ces deux voyages d'outre-mer, s'élevait ti soixante ou
quatre-vint mille hommes, dont vingt à vingt-cinq mille de
cavalerie.
LE CLERGÉ GREC.
On sait que les Grecs suivent la foi chrétienne sans ad-
mettre la prééminence du successeur de Saint -Pierre.
Toléré, avoué même par les capitulations des empe-
reurs musulmans, qui révèrent Jésus sous le nomd'Issa,
comme le prophète qui doit un jour procéder au jugement
universel, leur culte fleurirait pent-èlre encore, si ses mi-
nistres (les papas), pour Ja plupart ignorans et grossier;^,
ne se déshonoraient journellement par une c«nd»|ile coi»^
stannnent en opposition avec les principes qu'ils prêchent
publiquement.
Les ministres de la religion greccpie peuvent être divisé^
en réguliers et en séculiers; les patriarches, les évéque^
tirés de la classe des caloyers ou religieux cloîtrés, sonÇ
voués au célibat. C'est dans cet ordre (|ue l'on trouve au-r
jourd'hui les seuls hommes un peu iuti uils dans les ma-
tières thiologiques.
Ces caloyers , destinés à être un jour patriarches et
évoques , font ordinairement leurs premières études dans
les monastères du mont Athos. La plupart d'entr'eux ap-
apparliennent aux familles les plus distinguées de la Grèce.
Ils apprennent dans ces monastères , ^et surtout dans celui
de Pathmos , à comiaître les Pères de l'Eglise ; ils pourraient
même y lire Bossuet et les meilleurs théologiens français ,
dont ils possèdent des traductions; mais avec leur esprit
subtil, les caloyers du mont Athos hérissent de distinctions
et de chiennes les articles les moins contestables de la
croyance des chrétiens. Il semble qu'ils aient reporté les
sophismes de l'école, les (pierelles de la dialectique dans
la pairie d'Arislole.
Si l'on trouve encore quelques monastères d'hommes en
Morée, il n'existe plusdans cette province qu'un petit nombre
de couvens de religieuses. Ils occupaient autrefois les sites
les plus rians de la province; mais les Albanais, dans les
dernières guerres, les incendièrent après avoir égorgé ou
vendu celles qui les haî)itaient. Quehpies-uns de ces cou-
vens se relevèrent depuis ; on y vit accourir des fenuues
malheureuses douées d'riue imagination ardente, (|ue le be-
soin d'aimer portait à se jeter dasis les retraites consolantes
de la religion. Peu déjeunes fenuues, encore uioins de
jeunes filles, peu[)lent ces demeures silencieuses.'^
Les évoques ont la surveilhuice tie tous les couvens de
leur diocèse. Ils rappèlent, par la sinq)!icilé de lem-s mœurs
et par celle de leurs demeures, lesé\êquesde la prinii-
tive église. Le luxe ne les environne que dans les cérén.o-
niesdu culte. On les voit bien souvent, voyager, au milieu
de leur diocèse , à pied , ou quelquefois montés sur
un âne, portant le bâton pa-toral, syudiole de la douceur
de leurs fonctions et de la puissance qui leur est accordée.
Occupés non-seulement de consoler le peuple, mais encore
de le protéger par tous les moyens qui sont en eux, ils in-
terviennent comme médiateurs dans les discussions. Par l'in-
fluence de leur rang, indépendamment des moyens de per-
suasion que leur domie une éducation soignée, ils con-
cilient journellement les intérêts les plus opposés; mais dès
qu'il s'élève, pour la démarcation de leur diocèse, quelque
contestation avec les évêques voisins , l'homme se montre
alors; ils sortent de ce caractère paisible qui leur attirait
les respects, oublient leur dignité, et se livrent ^ux éclats
les plus scandaleux.
Une des fonctions les plus pénibles que les évêques aient
a remplir dans la Grèce, c'est de maintenir l'ordre et la
discipline parmi le clergé inférieur, parmi ces papas ignorans
et fanatiques dont le plus grand nombre déslionore leqr
ministère par des mœurs peu régulières.
Ces ministres , ou espèce de curés, qui communiquent
intimement avec les fidèles, sont ou mariés ou célibataires.
Le papa ([ui a contracté mariage avant l'ordination , peut
continuer de vivre avec sa femme. Il résulte de cette
loi , que la plupart de ceux qui se destinent à rét<it ecclé-
siastique, se marient avant d'entrer dans les ordres; ils
choisissent en conséquence , autant que possible , une
femme robuste, qui promette une longue suite d'années y
car si elle vient à mourir, ils ne peuvent contracter d'autres
liens.
Ces papas, par leur saleté et leur grossièreté, «ont
vraiment un objet dégoiitaut ; ils ne sortent jamais sans
avoir leur étole dans la poche , pour faire quelque acte de leur
ministère, chose dont on les requiert assez fréquemment.
Presque tous ceux tme j'ai connus, dit un voyageur français
K
MACASIN UNIVERSEL
étaient fourbes , avides , méchans , adonnés au vice , à la
rapine , et ils détestaient tous les chrétiens étrangers à
leur communion, dont ils ne .parlaient qu'avec dédain, ou
en faisant des imprécations. Aussi ce rebut de la société,
ces vils papas , ne tiennent-ils pas tellement à leur état ,
qu'ils ne le quittent au gré de leur intérêt ; j'en ai vn d'as-
sez bas poHr se faire domestiques , ou pour danser dans
les lieux publics. D'autres , aussi dégradés, mais plus cou-
pables , ne rougissent pas de se mêler aux bandes de bri-
gands qui infestent la Homélie, ou qui se mettent il la tète
des ex|>éditions maritimes des forbans du cap Ténare et de
l'Èpire. Aussi, rarement prenait-on une barque de pirates,
ou une bande de brigands , sans y trouver un aumônier ,
que les Turcs avaient grand soin de faire empaler en tête
des voleius , auxquels ils ne fesaient jamais grâce.
La spéculation des brigands et des papas est toute natu-
relle , d'après l'idée que ces misérables se font de la religion,
dont ils profanent les cérémonies les plus saintes. Us vendent
l'absolution des crimes aux hommes [larmi lesquels ils se
trouvent, sauf à eux à se pourvoir auprès d'autres papas,
qu'ils trouveront toujours accessibles pour de l'argent.
FlU tNCE. — LILLEHON SE.
LV. CUkTVXll DHARCOl'lir. — LA !<>( Il 1)F. oriLLAtlME.
(Vue de la Tour de Ouill.iiinip. )
La ville de Lillebonne, située dans le département de la
Seine-Inférieure, et qui nest autre que l'antique JuHohona,
capitale du pays des Calètes, dut jouir sous les Romains,
d'une assez grande importance , si l'on en juge par les nom-
breux vestiges de chaussées, d'amphithéâtres, de souterrains,
detoml)eaux, d'urnes sépulcrales, qui sont parvenus jusqu'à
nous. Mais elle s'éclipse durant l'invasion des barbares, et â
l'exception de quelques mots de la chronique de saint Wan-
drille, qui indique qu'on alla chercher à Lillebonne vers le mi-
lieu du viii^ siècle, dans les débris des temples payens, les pier-
res propres à la construction des voûtes et de la façade de
l'église Saint-Michel , on ne trouve plus de traces de l'exis-
tence de cette ville jusqu'à la domination des Normands qui,
attirés par la l)eauté de sa situation, y édifièrent des châteaux
dont celui d'Harcourt fait partie. Le temps et les révolutions
successives ont fait subir des changemens à ce vieux manoir ;
le style de chaque époque s'est emparé de lui tour à tour et
a rendu son origine presque méconnaissable.
Son enceinte vide ne présente plus qu'une cour immense
dans laquelle on pénètre par une ouverture coupée , en
forme de guichet. Une nappe de verdure foncée qui couvre
ces débris , leur prête un aspect solennel et imposant. A
gauche de la porte d'entrée s'élève la tour de Guillaume que
. l'on appelle aussi tour de Lillebonne , et que représente
. notre gravure. Elle est séparée du corps d'habitation par
t,J9a pont Içvi? de trçnte-trois pieds, jeté sur un fossé très
profond. Son diamètre de cinquante-deux pieds , est partage
de la manière la plus égale entre le plein et le vide; les
murs ont treize pieds d'épaisseur. Les fenêtres à pointes
aiguës, les arêtes des voûtes , chargées de culs de laiipes
élégans , révèlent déjà cet âge de perfectionnement , ou si
l'on veut d'ingénieuse imitation , dans lequel l'originalité
des conceptions romantiques de l'architecture intermédiaire
commençait à reconnaître et à subir l'influence d'une archi-
tecture plus classique. On parvient à son sommet avec un
peu de difficulté parmi des décombres que le tenqis accu-
mule tous les jours , et de ce point élevé la vue embrasse
une des vues les plus délicieuses de la Normandie; mais ce
château est surtout célèbre par ses anciens et intéressans
souvenirs. Son histoire se trouve en quelque sorte liée à
celle de Guillaume-le-Conquérant; nous allons donc es-
quisser rapidement les principaux évènemens de la vie de
ce prince.
Guillaume-le-Conquérant était fils naturel de Robert-
le-Diable, duc de Normandie ; il naquit à Falaise en 1027 ,
et fut, à l'âge de 48 ans, investi de l'administration des
étals de son père , lors du départ de celui-ci pour la Terre-
Sainte. Son premier soin fut de rechercher l'alliance de
Henri I", roi de France , et , avec l'aide de ce prince , à
qui le duc Robert avait lui-même rendu d'importans ser-
vices, il pût comprimer la reuellion que les seigneurs de
Normandie avaient fomentée contre lui. Après avoir rem-
MAGASIN UNIVÉRSfîL
1Ê
porté sur eux uiie victoire complète , l'an 1047 , à Val-aux-
Dunes, entre Caen et Argentan , il élouffa dès leur nais-
sance plusieurs autres tentatives, et rétablit le calme dans
ses états. Ayant plus tard terminé à son avantage quelques
différens avec les ducs du Maine et d'Anjou , et même avec
le roi de France, il se crut assez fort pour entreprendre la
conquête de l'Angleterre. C'est principalement à cette
expédition que Guillaume doit sa célébrité. Ses droits au
trône d'Angleterre ne reposaient que sur un prétendu tes-
tament d'Edouard-le-Confesseur ; mais, fort de la sanc-
tion donnée par le Saint-Siège à son entreprise , il attira
sous ses drapeaux une foule d'aventuriers , et se disposa à
faire une descente en Angleterre. Ce fut dans le château de
Lillebonne qu'il fit tous ses préparatifs, et (lu'il assembla ses
barons pour délibérer avec eux sur l'exécution de son au-
dacieux projet. Au mois de septembre 4060, la Hotte de
Guillaume se réunit à Saint- Valéry. L'expédition ne sembla
pas s'annoncer sous de favorables auspices : pendant plu-
sieurs jours les vents furent contraires, et retinrent au port
les troupes normandes. Les soldats étaient découragés, et
on les entendait dire : « Bien fou est l'homme qui prétend
s'emparer de la terre d'autrui ; Dieu s'offense de pareils
desseins, et il le m-ïtilre en nous refusant le bon vent. »
Cependant les vents changèrent , et la flotte mit à la voile;
quat e cents gros navires et plus d'un milier de bateaux de
transport s'éloignèrent de la rive au même signal. Le vaisseau
de Guillaume voguait entête, portant, au haut de son
mât, la bannière , envoyée par le pape, et une croix sur son
pavillon. Ses voiles étaient de diverses couleurs, et l'on y
avait peint en plusieurs endroits les trois lions , enseigne
de Normandie; à la proue était sculptée une ligure d'enfant,
portant un arc tendu , avec la flèche prête à partir.
On débarqua , sans éprouver de résistance , à Pevensey ,
près de llastings. On raconte que le duc de Normandie , en
mettant pied à terre , fil un faux pas et tomba : alors un
murmure confus s'éleva parmi ses hommes d'armes, et des
voix s'écrièrent : « Dieu nous garde ! c'est un mauvais
signe. » Mais Guillaume , se relevant , dit aussitôt : « Qu'a-
vez-vous? Pourquoi vous étonner ! J'ai saisi cette terre avec
mes mains , et par la splendeur de Dieu , elle est à iîous ! »
Cette vive répartie arrêta subitement l'effet du mauvais
présage.
Harold, roi des Saxons, ne tarda pas à venir à la ren-
contre des Normands ; les deux armées prirent position en
face l'une de l'autre , et commencèrent le comliat. L'alta(|ue
fut vive, et les Normands furent d'abord repousses; on
avait fait courir dans leurs rangs le bruit que Guillaum/î
avait été tué , et cette nouvelle leur avait fait prendre la
fuite; mais le duc de Normandie se jeta au devant des
fuyards, les menaçant et les frappant de sa lance, et par-
vint à les ramener au combat. Les Saxons , qui les poui -
suivaient en désordre , commencèrent alors à faiblir et ;>
lâcher pied , et la victoire , après avoir été long-temps in-
certaine et courageusement disputée, resta enfin aux Nor
mands. Guillaume eût son cheval tué sous lui ; le roi Ha
rold (I) et ses deux frères tombèrent morts, au pied de leur
étendard , qui fut arraché et remplacé par la bannière
envoyée de Rome. Bien long- temps après ce fiital combat ,
(Flotte de Guillaume.,
la superstition patriotique des Anglais crut voir encore des
traces de sang frais, sur le terrain où il avait eu lieu ; elles
se montraient , disait-on , sur les hauteurs au nord-ouest de
Hastings, quand un peu de pluie avait humecté le sol.
Guillaume , que cette seule bataille rendii maître de l'An-
gleterre , fit élever au même endroit un couvent sous l'in-
vocation de la Sainte-Trinité et de Saint-lMartin , patron
des guerriers de la Gaide. Ce couvent fut appelé , en langue
normande, VAhha\je de la bataille. Des moines du grand
couvent de Marmoutier , près de Tours , vinrent s'y fixer ,
et prièrent jK)ur les âmes de ceux qui avaient perdu la vie
à Hastings.
Une administration pleine de sagesse gagna d'abord à
Guillaume l'affection de ses nouveaux sujets; mai; la sé-
vérité de ses ministres la lui fit perdre bientôt. Que'ques
troubles éclatèrent, et le conquérant en profita pour ôter
les emplois à tous les Anglais, proscrire les nobles, con-
(i) On «ait que la mort d'HaroId a fourni à l'un de nos plu»
grands peintres, M.Horace Verne t, le sujet d'un magnifique ta-
bleau, que l'on admira, il y a quelques années, à l'expositio . du
Louvre. Il représentait Edith ;la belle au cou de cygne), accom-
pagnée de plusieurs moines, et cJicrcliaBt parmi les morts, le corpa
de son royal amant.
m
îMAGASiN UNIVERSEL.
fisquer leurs biens, et rétablir des impôts odieux. Il dé-
sarma les rebelles par la force et par la ruse, et les épouvanta
par la dévastation du Northumberland. Malgré celte ty-
rannie insupportable , malgré les conspirations nouvelles
que plus tard elle provoqua , Guillaume conserva l'intégra-
lité de sa puissance , sur la Normandie et la Grande-Bre-
tagne, jusqu'à sa mort, arrivée en 1087.
MENAGERIE ANGLAISE
Une industrie fort lucrative dans la Grande-Bretagne,
est celle qui consiste à promener des animaux rares , dans les
foires et les lieux de réunions pubUijues. Plusiems proprié-
taires de ménageries ont déjà fait dans ce pays, une bril-
lante fortune, mais aucun d'eux n'a possédé une aussi belle
collection que celle qu'exploite actuellement M. Wombwell.
Chaque année, celle ménagerie s'ein'ichit de quel((!ies nou-
veaux individus, et la suite des charrioîs destinés au trans-
port de toutes ces bêtes, ressemble assez aux bagages d'un
nombreux corps d'armée.
Comme M. Wombwell , se trouve toujoui's en voyage, un
énorme fourgon est disposé de manière à coiiteuir unt cui-
sine , un salon , des lits , et tout ce qui est nécessaire à son
ménage et à sa nombreuse suite.
La ménagerie de M. Wombwell compte en ce moment dix
lions et cinq élépbans; c'est puisqu'on n'en trouverait dans
toute la France. Elle contient en outre une loilecjuai-litéd'au-
tres animaux curieux qu'il lui serait facile d'approvisiomier
les foires de toute l'Eta-ope. Et cependant toutes les fuis
que des animaux rares arrivent de l'Inde, M. Wombwell en
fait rac(juisition avec un si grand laisser-aller que souvent
il s'est vu bors d'état de payer les péages de la route (•). Il
est arrivé souvent à M. Wondjwell , de payer jusqu'à 400
francs de péages dans un jour.
Sa musique qui est fort belle lui coûte près de 25,000 fv.
par an , et les dépenses journalières de l'établissement
s'élèvent à plus de 90() francs; par conséciuent plus de
500,000 francs par an. M. Wombwel nous dit que s'il ne
devait pas se déplacer si fréiiuemment , il trouverait de
grandes économies à faire lui-même l'état de boucher; il
n'aurait qu'à se défaire des morceaux les plus estimés du
beeuf et du mouton. Une tête de mouton est un très bon
repas pour l'hyène qui est si vorace. M. Wombwell , ne trou-
verait pas moins d'avantages à pétrir son pain et à brasser
sa bière et son aie , qu'à tuer pour son compte.
La ménagerie de M. Wombwell , lors de la station qu'il
fit dernièrement dans les environs de Londres , a été visi-
tée dans l'espace de quatre jours par plus de soixante mille
personnes.
Dans les dernières années, M. Wombwell a oblejiu plu-
sieurs portées d'animaux sauvages ; deux fois les tigres dévo-
rèrent leurs petits ; mais depuis qu'on a éloigné les mâles ,
et qu'on a placé une espèce de berceau dans les cages, les
tigresses sont devenues d'excellentes nourrices, et les petits
sont bien venus. La lionne reste avec ses petits douze semai-
nes ; la tigresse seize , ainsi que la femelle du léopard cl
de la panthère. La valeur des animaux sauvages varie
comme autre chose , suivant l'abondance et les demandes :
les tigres se sont vendus jusqu'à 300 livres (7,300 f. ) mais
quelques fois ils ne content que iOO livres; une belle pan-
thère se vend ordinairement 100 livres sterling; la hyène,
30 à 40 livres sterling. Le prix des zèbres s'élève de 150 à
200 livres sterling. Les espèces rares de singes se vendent
I
(i) En Angleterre on a établi snr les jrontes, i certaines dis-
tances, des barrières appelées Gates on TollBars, où les voitures
paient un péage. Cet impôt fixé par le Parlement, suirant les lo-
calités, est la véritshle cause du luxe des routes en Angleterre.
Le revenu de ces péages est si co«isidérable, (jue dans plusieurs
provinces on en prélôve une partie pour l'affecter à d'autres dé-
penses. Une distance do trois ou quatre lieues sépare ordinaire-
ment CM barrières.
extrêmement cher , ainsi que les lamas et les gnus. Il est,
impossible de fixer le prix des lions et des élépbans.
La portée ordinaire de la lionne est de deux petits ; mais
une vieille lionne de M. Wombwell , a donné deux fois qua-
tre petits; cependant à chaque fois la lionne se contentait
d'allaiter deux d'entr'eux , et négligeait les autres ; ceux-ci
ont été donnes à une superbe cbieime d'arrêt qui les a al-
laités , et on a pu les élever.
La mortalité, les maladies et les accidens font subir des
perles notables aux propriétaires de ménageries. Dernière-
ment une superbe autruche, de la valeur de 200 livres slerl.,
engagea mailicureusement son bec dans le.; barreaux de sa
cage, et dans les efforts qu'elle fit pour se dégager, elle se
rompit le cou , et mourut. Les singes sont en Angleterre
d'une santé extrêmement délicate; ils s'enrhument on ne
peut plus facilement, et quand ils ont commencé à tousser,,
ils présentent tous les symptômes qu'on remarque chez les
persoisnes qui souffrent de la poitrine, et ne tardestt pas
à mourir. La nourriture ordinaire des^inges se compose de
pain et de lait, ou de feuilles de laitue et de petits oignons
dont ils sont très friands. M. Wombwell , estit«e qu'il a
perdu {»rès de 300,000 francs par les maladies qui ont affligé
ses animaux sauvages et ses oiseaux.
Les zèbres, suivant M. Wombwell peuvent devenir
dociles comme le eiieval ; cependant l'individu de celle
espèce qu'il possède est 1res méchant; car nul de ses gar-
diens , qui ont tous coutume d'entrer , et de se promener
sans crainte ilaus les cagesdes lions, des tigres et des pan-
thères , n'oserait pénétrer dans la sienne. Une fois par an, le
zèbre est attaché à de fortes cordes , et tiré hors de sa
cage , afin de couper la corne de ses sabots. Il ne faut pas
moins de vingt hommes pour le tenir immobile.
M. Wombwell pos.sècle les plus grands boas qu'on ait
amenés en Europe; il les nourrit de lapins; plus d'une fois
il les a fait jeûner pendant plusieurs semaines. Une chose
essentielle dans les soins qu'on leur donne , c'est de régler
la température de l'endroit où on les lient renfermés. On
les enveloppe dans des couvertures de lai.'ie, et on les met
dans une boîle de bois bien fermée , qu'on place dans un
vase de cuivre plein d'eau chaude. L'eau doit être renou-
velée matin et soir; si le temps est humide, et surtout
si le froid est intense , on doit avoir soin de la changer plus
souvent.
Le plus bel éléphant de cette ménagerie, Chuney , qui a
maintenant dix pieds de hauteur, exécute mille tours, à
l'aide de sa trompe à la fois si délicate et si puissante qu'elle
peut ramasser une épingle , et déchirer le tronc noueux d'nn
chêne. Ce monstrueux mammifère ne consomme pas moins
d'un quintal et demi de foin par jour, sans j)arler d'ime
énorme quantité d'herbes, de feuilles et de racines; il boit
un seati d'eau à chaque coup , et il lui faut join-nellement
soixante-dix [linles d'eau environ. En hiver on lui donne
vingt-cinq pintes d'ale forte, toutes les vingt-quatre hetn-es ;
mais en été sa boisson est étendue d'eau- L'aie ainsi mélan-
gée est très salutaire pour les éléphants; mais Chuney s'em-
barasse pendes lois de la tempérance, et si son maître Je
lui permettait, il serait capable de vider chaque nuit un
l)aril de bière. On prétend que les éléphants grandissent
jusqu'à l'âge de cinquante ans, et M. Wombwel est de cette
oj)inion. Chuney fut prit lors de la guerre des Birmans , et
coiîta à son propriétaire actuel , plus de 25,000 francs. ,
ASPECT DE LA SUEDE. — MŒURS DES SUEDOIS.
La Suède jouit actuellement d'un degré de prospérité
qu'on ne pouvait guerre attendre de la nature âpre et rude
de son sol qui ne se compose que de vastes blocs de granit ,
couverts d'une légère couche de terre végétale , et en-
trecoupés de mers intérieures ou de grands lacs. Ce pays
triste, à peu près oublié de l'Europe, s'élève, quant au
bien être, au-dessus de nos contrées méridionales. C'est à
l'état moral de sa population plutôt qu'à son commerce et
MAGASIN UNIVERSEL.
23
â son industrie , qu'il faut altiibuer celle somme de bon-
heur que tous les voyageurs iiiodenics ont liouvôe en
Suède. L'industrie nianufaclurièrc y donne peu de pro-
duits, le mouvement connnercial y est faible, mais le res-
sort moral n'y est pas brisé, mais il yaencorclà, croyance,
confiance, liospitalitc. Le peuple s'est perfectionne sans
se corrompre , il ne se laisse pas séduire par ces insatiables
et inunenses désirs , par cette soif de liberté fausse cl men-
songère, parce besoin d'ambition et d'honneurs, par ces
folles et décevantes théories, qui prouietleut , aux autres
nations, un bonheur impossible, et les dégoûtent de leur
situation.
C'est chose charmante pour le voyageur cpic la politesse
des classes inférieures en Suède , politesse (pii n'ôle lien ni à
l'énergie du caractère, ni à la force des décisions , ni à l'in-
dépendance morale. Quand revient le printemps des régions
boréales , lorsque ce gazon d'un \ ert violet , le gazon lin e(
délie du nord, tapisse les coteaux et les prairies de la huède,
le voyageur voit accourir à chaque barrière , dans les roules
couvertes de sable fin qu'il parcourt, mie foule de petits
enfants aux cheveux blonds, au teint rose, qui lui ouvrent
la barrière en riant, et qui, en recevant leur pelile gra-
tification, témoignent leur reconnaissance par les mots les
plus doux et les plus gracieux. Coujparez donc ces pelils
enfans aux enfans difformes , décrépis , iusolens et blasés ,
qui peu[ilent les rues de nos grandes villes ; une emiireinle
de vice et de débauche héréditaire marque les frunts
llétris de ces derniers , ils sont vieux sans avoir été enfans,
on les retrouve devant les tribunaux , dans les troubles [lo-
pulaires, parlout,dès qu'U y a violence, vol ou émeute.
Ces contrées qui sont restées champêtres, tout en se civi-
lisant , sont charmantes et réalisent les fictions idyliques des
poètes. Dans toutes les auberges et toutes les chaumières ,
le plafond est composé de planches de sapin odorant ; on y
mêle des lleurs , et cet usage , consacré par le tems , ne
s'est pas même éteint dans les villes. Des maisons bien bâties,
presque toutes peintes , tenues avec une régularité et une
propreté parfaites, flattent l'œil du voyageur; il est vrai que
de frécpiens incendies font acheter un peu cher cet avantage.
A l'intérieur, il y a communément peu de luxe, mais un
certain air de fraîcheur qui approche de la coipietterie. Par
une singulière habitude dont on ignore l'origine , les lits
suédois sont extrêmement étroits ; ce ne sont guère que des
canapés, ou , si l'on veut , des boîtes, qui n'offrent que l'es-
pace précisément nécessaire au dormeur.
Le contraste règne en Suède ; les routes tracées à travers
tous les accidens du terrain , toujours sablées avec soin ,
toujours entretenues comme des allées de jardins anglais ,
découvrent, dans leurs sinuosités, des tableaux qui changent
sans cesse ; partout des surprises agréables : ici , des mas es
de roc qui sm-plombent et qui donnent au paysage l'aspect
d'une création de Salvator llosa; plus loin , une vallée qui
s'entrouvre , et à travers laquelle l'œil , pénétrant au loin ,
découvre une vaste étendue couverts d'un tapis de gazon
velouté; ici, une arcade de feuilles vertes et de branches
serrées qui vous plongent dans de profondes ténèbres. Vous
avancez en gravissant une montagne dont l'escarpement
sabloneux vous reporte au midi de l'Europe; puis vous re-
tombez dans quelques vallons ombreux et mélancoliques ,
au fond desquels repose la nappe verdoyante d'un. lac en-
touré d'une végétation septentrionale et éclairé de celle lu-
mière argentée que répand le soleil du nord. Ainsi , les ré-
gions mêmes que l'on pourrait croire déshéritées par la na-
ture, ont aussi leur beauté, leur éclat et leur charme.
Souvent de petites maisonnettes fort élégantes sont en-
tassées les unes sur les autres connue les cellules d'une
ruche; une barrière de couleur rouge ou verte environne
ce groupe ou celle île , dont la situation et les édifices , rap-
prochés comme les fruits d'une grappe , offrent au voyageur
Un aspect singulier. Dans quelques contrées de la Suède ,
on peint les maisons en rouge ; dans d'autres on a soin de
les poser au sommet des rochers. Entrez dans ces cabanes,
vous y trouverez toujours ime grande recherche de pro-
[ireté , mais aucun luxe : un vieillard aux longs cheveux
blancs et à la mine vénérable , fiunant une longue pipe qu
exhale des nuages odoriférans , et des pelils enfans, les plus
jolis du monde , qui vous prennent la main et vous la baisent
dès que vous entrez. Un des signes distinctifs de ces peuples
du nord , c'est le calme parfait des habiiudes et des mœurs :
Si c'est un dimanche, vous voyez la route couverte d'hommes
vêtus de grandes redingotes bleues avec du linge très
blanc et accompagnés de leurs fenunes , qui vont à l'église ;
rien de violent , rien d'étourdi dans les gestes et les manières
des uns et des autres ; leur gravité semble leur imprimer
un cachet d'élégance et de distinction ; rien en effet ne se
i'ap[)roche pliis dos bonnes maisons que l'air posé , calme
et naturel. La même tranquililé règne, dans les tavernes;
deux cents paysans s'assendjlent quelquefois, sans qu'il
soit possible que les passans devinent leur présence , et sans
que le moindre tumulte ait lieu. Si par hasard ils s'enivrent,
c'est toujours avec la même solennité ; admirables dans l'art
lie boire , les Suédois s'en acquittent avec la majesté de
sénateurs qui délibèrent sur les destins d'un état. Vous les
voyez debout, la cruche de bière à la main, se livrant à
une ivresse grave , sérieuse , et qui ressemble beaucoup
pins à un travail qu'à un amusement. Conmie ils n'aiment
pas à perdre leur éipiilibre, et surtout cette apparence de
raison sévère hors de laquelle ils n'imaginent pas de dignité
possible, quand ils se sentent tout-à-fait enivrés, ils se
réunissent i)ar groupes, se soutenant les uns les autres ,
l)u\anl toujours , et opposant aux progrès de leur délire ba-
cliique la masse conjurée de leur poids et de leur corps.
L'excellent entrelien des routes rend les voyages faciles
et peu dispendieux; de jolis petits chevaux d'une race parti-
culière, pleinsde feu et d'une ft)rme élégante, vous emportent
avec la rapidité de l'éclair, franchissent les montagnes les
plus escarpées, et souvent descendent sans qu'il faille em-ayer.-
Rarement le fouet les touche; un dialecte particulier aux
conducteurs suédois , et qui consiste dans une espèce de
claquement des lèvres, suivi d'un bruissement semblable à
celui de la lettre r , suffit pour les lancer au galop. Les plus
petits de ces animaux, que l'on nomme hélandais , parce
qu'ils sont originaires de l'île d'Héland , n'ont pas plus de
quatre pieds de liant, ils ressemblent plutôt à des chiens
ayant forme de cheval ([u'à des coursiers ordinaires. On voit
souvent de charmantes calèches d'enfant traînées par ces
petits chevaux tle Lilliput , qui, presque tous ont le poil ale-
zan foncé. ( Traduction de la Hcvue Bnlaninque. )
LA IlYE^E.
Une foule de fables ridicules ont été débitées au sujet des
hyènes; elles ont leur origine dans deux circonstances or-
ganiques ; la première consiste en ce que les membres pos-
térieurs vus sur un animal vivant et comparés aux antérieiu's,
paraissent d'nneexlrême brièveté; non pasqu'ilslesoientréel-
lemeiît , mais parce (jue l'animal en tient toujours les dÎAerses
partiesdansun telélalde flexion telle que l'axe de son corps
est très-oblique siu' le sol. De là résulte pour lui une
allure tout-à-fait bizarre , et qui a fait dire que l'hyène boite,
surtoul quand elle commence à marcher. Il est encore à re-
marquer que le métacarpe, toujours plus court que le mé-
tatarse, chez les carnassiers, ne lui cède chez la hyène (de
même encore que cliez le protèle ) en rien pour la longueur.
L'autre fait, c'est l'existence d'une poche glanduleuse
placée au-dessous de l'anus , qui contient une humeur
onctueuse, et qui existe chez les mâles comme chez les
femelles. L'histoire de la hyène n'était pour les anciens
(pi'un tissu de fables. Le vulgaire pense, nous rapporte
Pline , que les hyènes sont hermaphrodites, qu'elles changent
de sexe tous les ans, qu'elles ne peuvent tourner la tête
sans tourner le corps , qu'elles savent imiter la voix hu-
maine , nicnie appeler les honunes par leur nom , que les
24
MAGASIN UNIVERSEL.
chiens deviennent muets par le seul effet de leur ombre. ]
Quoi qu'il en soit , ce n'est que très-tard que les modernes
ont reconnu la véritable hyène des anciens.
(La Hyène.)
I.c^ hyrnes soiil , en i!:éncral , des animaux nocturnes,
comme l'examen de leurs organes des sens l'expli(jue
parfaitement. Elles préfèrent à tout la viande déjà ra-
mollie par un commencement de ptitréfaclion, sans doute
à cause de la forme de leurs dents assez épaisses et assez
tranchantes pour leur permettre même de se nourrir aussi
de substances végétales , telles que du pain ou des racines.
Elles attaquent cependant quelquefois les animaux, et
l'homme lui-même , mais seulement qiiand les charofçnes
leur manquent. Ordinairement, pour satisfaire à leurs
fçoûts immondes , elles pénètrent la nuit dans les cimetières,
fouillent les tombeaux et déterrent les cadavres. Dans les
contrées chaudes qu'elles habitent, et où la chaleur rend
le travail si pénible , et les miasmes putrides si danj,^ereux ,
l'homme a su mettre à profit leur voracité , et se reposer
sur elles de soins rebutans : les immondices , les charognes,
sont laissées le soir dans les rues des villes ; les hyènes pé-
nètrent la nuit dans leur enceinte, et s'en repaissent
avidement. Ces animaux sont renommés par leur férocité :
cependant Pennant, Buffon, Cuvier, Barrow , rapportent
des exemples de hyènes apprivoisées.
Barrow assure qu'il est des pays où l'on emploie la hyène
pour la chasse, et qu'elle ne le cède au chien, ni pour l'iu-
telligence, ni pour la fidélité. Celle qui a vécu à la ménagerie
du Muséum , s'échappa lors de son arrivée à Lorierrt, courut
quelque temps dans les champs sans faire de mal à personne,
et se laissa bientôt reprendre sans résistance. Elle a vécu
seize ans à Paris , et a toujours été très-douce , excepté dans
les dernières années de sa vie, où, sans doute par l'effet des
infirmités de la vieilles.se, elle devint plus farouche.
Un homme qui s'est rendu fameux par le talent dont il a
fait preuve pour l'éducation des animaux, M. Martin,
montre, dans les représentations publiques, qu'il donne
chaque jour, une hyène parfaitement apprivoisée. Non-
, seulement il l'a habituée à obéira tous ses commandemens,
mais il lui fait rendre les morceaux de chair .saignante que
l'animal a reçus pour son repas, et qu'il tient déjà entre ses
dents.
L'expédition chargée d'aller chercher, dans la Haute-
Egypte , l'obéiiscjue de Luxor , qu'on doit élever sur la place
de la Concorde , à Paris, a trouvé, dans plusieurs villages
de cette contrée, des hyènes apprivoisées qui circulaient
dans les rues .sans causer aux habitans aucune frayeur. Le
chirurgien attaché à celte expédition, rapporte dans la nar-
ration qu'il a publiée au sujet de ce voyage, qu'une hyène
domestique , lui ayant été donnée en pré.sent par le chef
d'un village, il fut impossible de contraindre cette bète à
quitter les lieux où elle avait vécu.
Les habitans ne trouvèrent rien de mieux à faire que de
la mettre à mort pour remplir les ordres de leur chef, qui
les avait chargés de la conduire à lx)rd du navire français.
^ Les hyènes pcinf M ont les habitudes des chiens sauvages ;
Elles vivent en troupes nombreuses , chassent en plein jour
et avec une sorte d'ensemble et d'accord , s'approchant
ainsi quelquefois jusqu'auprès des villes. Un voyageur très-
digne de foi , qui a vu vivant un individu de cette espèce ,
nous a assuré qu'il tenait dans un état habituel de flexion ,
non pas seulement , comme les Hyènes , le membre posté-
rieur , mais aussi , ce qu'on n a encore observé chez aucun
autre animal , le membre antérieur.
Il n'existe point d'hyènes au Nouveau-Monde ; l'animal
auquel on a donné ce nom , le loup rouge du Mexique , est
une espèce du genre chien.
LA DIONÉE.
La Dionée est remarquable par la grande irritabilité de
ses feuilles. A peine un insecte est il venu se poser sur elles,
qu'elles se referment aussitôt, croisent les cils épineux dont
elles sont bordées , et [»ar ce moyen , le retiennent pri-
sonnier , ou môme le font mourir. Tant que l'in.secte se
débat, la feuille reste constamment fermée, et on la dé-
chirerait plutôt que de la forcer à .s'ouvrir ; mais lorsque
l'insecte est mort, ou du moins a cessé de se mouvoir, la
feuille s'ouvre d'elle-même. L'im de nos plus savans natura-
listes, M. Bosc, s'est a.ssuré que la dionée perdait cette
propriété en automne, c'est à-dire à l'époque où la fruc-
tification est entièrement terminée. Du reste cette irritabi-
lité de la dionée se manifeste dès qu'un objet quelconque
a t)U( hi .'es feuille;.
( La Dionée. )
C'est dans les lieux humides de la Caroline , aux environs
de Wilmington , dans un espace qui n'a jias trois lieues
quarrées , qu'on a trouvé la dionée ; elle y est si abondante
qu'on ne saurait faire un pas sans la fouler aux pieds ; il
parait qu'on ne l'a rencontrée nulle part ailleurs. On a sou-
vent importé des pieds de dionée en Europe.
Les Bareaux D'ÀBonirEMFHT et de YxirTE sont transférés rue
de Seine Saint-Ceria.aiQ , n" 9.
*)
(il octobre t834-
MAGASIN UNIVERSEL.
ti
ABBEVILLE.
(Vue de FEglise de Sainl-Tnlfran.')
Abbeville osl, a[)iô; Amiens, la ville la plus commerçante
du dopai Icmeni de la Somme. La fabrication des draf)s lins
que M. Vau-Robais y établit en 1663, est pour cette ville
la source d'un grand revenu : l'industrie de ses babilans
s'exerce aussi avec succès sur le travail des serges , des ta-
pis de pied , des velours d'Utrccbt, des damas , des toiles
de différentes sortes , et d'une foule d'autres articles d'une
consommation journalière. Tout à côté sont les Escarho-
iins, renommés pour la fabrication de leurs serrures, dont
il se fait un grand dcbit en France. On récolte dans les en-
virons d' Abbeville des grains de toutes espèces, des graines
grasses dont on extrait l'buile destinée à l'éclairage, des
lins , des chanvres , des laines. Située à quatre lieues de la
mer, elle peut, grâce au reflux qui remonte jusque dans
son enceinte, transporter facilement ses produclions au loin,
ta Somme se pa:la;,'(' A A!)bcville en deux bras; plusieurs
TO.ME H,
autres petites rivières contribuent au mouvement de son in-
dustrie , en donnant l'impulsion à un grand nombre de fa-
briques ou de moulins. Les vents de mer qui y régnent
ajoutent à la salubrité de l'air. Parmi les hommes illustres
auxquels Abbeville a donné le jour, on doit compter le car-
dinal Jean Alegrin, patriarche de Conslanliuople, h', poêle
Millevoie, Pongerville, auteur d'une traduction de Lucrèce,
quatre géographes célèbres , Pierre Duval, Philippe Biiot
et les deux Samson. C'est aussi dans les environs d'Abbe
ville qu'est né le célèbre compositeur Lesueur.
Abbeville a été fortifiée par Hugues Capet, en 990.
L'église principale d' Abbeville est celle de Sainl-Vulfran.
Le portail de cet édifice est orné (> doux hautes tours
carrées qui sont d'un fort bel eficl. Le roi de France , en
sa qualité de comte de Ponthieui nommait jadis à tous les
canonicals du chapitre de celte église paroissiale.
4,
MAGASIN UNIVpRSEÎA
§. IL — MILAN (I}.
Il est presque impossible à un étranger d'étudier de près,
les mœurs des Milanais , parce qu'ils reçoivent peu et vi-
vent fort retirés. On ne voit , à ftlilan , ni fêtes , ni bals ,
ni réunions de toute espèce comme dans les autres capi-
tales; on y vit en famille et sans représentation d'intérieur.
Aussi, dit-on que les mœurs y sout en général pures et
patriarcales. Le théâtre est à peu près le seul lieu de réimion.
La plupart des familles aisées ont leur loge à l'année , et y
reçoivent leurs amis, leurs coimaissanoes. On^ause, on se
promène d'une loge à l'autre, et, comme ordin:iirement les
mêmes opéras se jouent une quarantaine de fo'.s de suite ,
on s'occupe peu du spectacle, et à rexcejjiion des morceaux
de chant les plus remarquables, on n'écoule guère le reste.
Cette habitude de recevoir an Ihéàtre, si n:iisib!o à l'esprit
de société, est indestructible dans toute l'Italie. Chaque
femme règne dans sa loge, et, comme César, elle préférera
toujours la première place dans ce polit empire, ù la seconde
dans un salon.
Le lecteur s'élonnera peut-être (juc le parterre pidssc
souffrir le bruit incoinmode de tous ces colloques particu-
liers. Mais, à Milan, le parterre n'est pas comme chez nous.
Il ne vocifère pas à chaque instant les cris ; A la porte! et
ne se bat pas à coup.? de poings avec ceux (|ui distraient son
allention. Il est poli, doux et patient. Jamais de siftlcls ni
de cris inconvenans, môme dans les pelils lliéâlres; et d'ail-
leins, il est en partie composé de femmes de la Iwurgeoisie.
Il faut remarquer aussi qu'il y a une grande diriëreiice
entre les dernières classes du peuple d'Italie et celles de
Paris. Je n'en veux pour exemple (jue l'ivrognerie, vice
grossier, passion dégoiitante, dont nous observons journel-
lement, parmi notre populace, les ignobles effets, et qui
est pour ainsi dire inconnue en Italie.
C'est donc à tort qu'on s'est plu à répéter à tout propos,
que l'Italien est un peuple abâtardi et démoralisé. S'il a des
défauts , il les rachète eu partie par de bonnes qualités , et
nul doule qu'en projiageanl les hi.iiières parmi les masses,
ens'occupanl de développer les intelligences par une édu-
cation publi(pie sagement dirigée, on ne puisse un jour ob-
tenir de lui les meilleurs i cs;dtals. C'est ce (|ue semble avoir
parfaitement compris renq)ereur d'Autriche. Il n'est pas
sans s'apeicevoir ( ainsi que nous l'avons fait remarijuer
dans notre précédent arlicle ) que la législation aulrichioiine
est peu en harmonie avec le caractère italien; mais il espère
que l'inslruction, en adoucissant les mœin-s, détruira celle
incompatibilité afiparenle. Nous cilerous de lui à ce sujet
une parole f)rt belle. Invité à établir pour la Lombardie
une jurisprudence exceplioitnelle, il s'y refusa , di-sant que
la civilisation devait nu jour rendre làsoncodeb.iu, comme
en Autriche; qu'il ne s'agissait que de l'y répandre : « Quand
le peuple saura lire, ajoula-t-il, il ne tuera plus. ))El, il faut
le dire à l'éloge de ce monarque, l'instmciion primaire a
excité toute sasollicilude. Le travail des écoles part du cabinet
de l'empereur, qui examine lui-uiôme les divers rapports
d'inspection.
Ces écoles, calquées sur le modèle de celles que î\Iarie-
Thérèse fonda en Aulriclie, «ont établies di-puis une dixaine
d'années dans le royaume lombas do vénitien ; le mot Seuolu
s'y lit au-dessous des arn;es de l'empereur justpie dans les
villages; et chaque commune, même la plus jx-iitc, doit
avoir son école, ou contribuer à l'entretien de celle où ses
enfans vont apprendre à lire, lorsqu'elle n'en a point : cas
du reste infiniment rare.
La destinée de Milan a toujours été, depuis les temps les
plus reculés, de changer souvent de maîtres, et naliuelle-
ment les mœurs de ces différens souveiaiiis ont inllué si:r
celles de ses habitans. Ainsi les Espagnols leur ont laissé
un cerlam ton de (jrandezzn qui se fait pariicidièremcnt
remarquer chez la noblesse; les Français, i)cndaut leiu- sé-
jour dans ce pays, ks ont ri-ndus plus sociables et moins
(i) Voyez ï" vol., poj. 1S5.
■x-J ■
cérémonieux; et enfin, les Autrichiens leur ont transmis
cette bonhomie et cette affabilité qui les caractérisent. Tel
est le mélange de qualités diverses dont se compose le ca-
ractère milanais.
Quant aux usages du pays, ils n'offrent rien de particu-
lier : ce sont ù peu près ceux des autres capitales de l'Eu-
rope. Toutes les grandes villes se ressemblent, et ce n'est
pas lîi (|u'il faut chercher des types originaux.
On suit, à Milan, les mêmes modes qu'en France; seule-
ment les femmes de toutes les classes sont presque toujours
coilTécs en cheveux, même à la promenade ou dans les
rues; quelipiefois aussi elles jettent sur leur tête un voile
de tulle noir (pu leur sied ù ravir. Dans l'été, elles portent
d'ordinaire des robes à manches courtes, et cette mode gra-
cieuse donne aux femmes dont !a mise est la plus simple
im air aussi distingué que celui de nos eli gantes.
Il nous reste à dire quelques mots de l'industrie et du
commerce de Milan.
La situation de cette ville en faisait, même autref jis, l'en-
trepôt général de toute l'Italie, et tous les arts y étaient
cultivés avec succès. Une des branches les plus importantes
de son conunerce était alors la f.:l):icalion des armes. Nous
voyons dans Branlùme que les meilleurs fiisils se liraient de
Milan dans le x V siècle. Strozzi et d'Andela.i , colonels gé-
néraux de l'infanterie, réformèrent l'arquebuseiie de
France avec les armes du .Milanais, que l'on regardait
coujine bien supérieures à celles de Metz et d'Abijeville.
Celle fabrication est tombée aeliicllement. Quant au com-
merce d'entrepôt, après avoir été (pielque temps interrompu
à cauie de la concurrence de Gènes et de Venise, il a re-
pris toute son activité, surtout depuis l'établissement
des magnifiques routes du Saint-Gothard et du Simplon.
ftlais le principal commerce consiste aujourd'liiù dans les
soieries; et comme celles de Lyon, de Londres, etc., sont
prohibées daiis la Lombardie , les fabriques de Milan jouis-
sent d'un monopole qui fait la richesse de cette ville.
CONSERVATION DES TÊTES HUMAINES
CHEZ LES .S.\UVAGli;S DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
Il est parfaitement démontré aujourd'hui que les nulu-
rels des archipels des Uébi ides , des Manpuses , de la Nou-
velle-Zélande , et d'une quantité d'autres lies de la Poly-
nésie, sont cannibales. Cependant on a remarqué (pie les
Nouveaux-Zéiandais avaient seuls la coutume ue conserver
les têtes de leuis ennemis comme des trophées delà victoire
et connue tics objets de leur mépris. On retrouve cette cou-
tinne parmi quelques tribus d'Afiique.
a Les premiers objets qui frafipèrent notre attention
dit à ce sujet le capitaine Tuckey, dans le récit de sa visite
à la rivière Zaïre, furent quatre crânes humains suspen-
<kis à im arbre. On nous dit que ces crânes appartenaient à
des chefs eimejuis, faits prisonniers dans le dernier coud),it.
Ces victimes, ajoute le capitaine Tuckey, nous parurent
avoir reçu le coup de grâce avant que la tète eût élésépan e
du corps. » Le^ natm-els de la Nouvelle-Zéiantle conseï vent
quelquefois aussi les tètes de leurs anus; mais c'est dans
l'intention de payer à la mémoire des morts un ti-ibul de
respect et d'admiration , de montrer ces restes vénérés aux
parens et aux amis absous au moment de la mort et de
pouvoir, à certaines époques de l'année, célébrer, en l'hcn-
ncur du définit, des cérémonies funéraires.
Non-seulement le mode de préparation , usité par les
naturels de la Nouvelle-Zélande, prévient la décomposition
avec le plus grand succès, mais encore les traits du visa-^e
deuieuieut dans un état parfait de conservation. Quand la
tète a été séparée du corps, on brise avec un bâton ou une
pierre ia partie supérieure du crâne; on vide entièrement
la cervelle , et on lave la cavité du crâne à diverses fois
justju'à ce (pi'elle soit bien nettoyée. On plonge alors la tête
dans de l'eau bouillante pendant quelques minutes; ce qui
fait disparaître tout l'épiderme. On a soin , pendant celle
MAGASIN UNIVERSEL.
»,
opcralion , de ne point loucher à la chevelure ; car elle
lomberait aussilôl. Quand cetle chevelure est refroidie, elle
(Icuicurc fixée à la Icle avec plus de force qu'auparavant.
De poliles planclieitcs sont placiies des deux côtés du nez ,
afin de lui conserver si forme naturelle; un autre pelil
morceau de hois est posé sur le nez pour einpi-cher (ju'il nt-
se défoime, et l'on a soin de bourrer les naiines avec des
lunpjus de liu. Ou arrache les yeux, si ce sont ceux i[\n\
chef, et ou les niauge; mais ou les jette dans (o.ît autre
cas. On coud la bouche cl les [laupières pour ({u'elles con-
servent Icnr Foruie.
Ou a d'avance Cicusc dans la lerre une espèce de four
(pi'on remplit de jiierres (pie rougit bicutôl le feu. Ce four,
(pii est fermé de tons côtés, n'a (pi'une otivertiue pialiciiiée
au s'ouunet, et à laipiello la partie supérieure de la lète
s'ail.'îpîe parfaitement. Les pierres sont arrosées d'eau aussi
souvent cpie cela est jugé nécessaire. Il en résulte un nu.ige
de vapetn- et de fumée , (pi'augmentent encore des feuilles
imbll;ées d'eau et (pi'on a introduites dans le foin-. La va-
peur cl la fuuiée pénètrent ainsi dans l'inlérifur de la Icle,
dont la base est placée, comme nous l'avons dit, à l'ouver-
ture du four.
Tour entretenir la cha'eur et la fimiée , on a soin de
renouveler souvent l'eau et les pierres. Le natm-el cpii est
ciiargé de celte préparation, doit veiller à ce qu'il ne se
fonne point de rides sur le visage, et il passe souvent la
main sur la peau , alin de prévenir toute altération dans les
traits. Ce procédé exige de vingt-tpialre à trente heures.
Quand la tôle a été exp )sée au feu et à la fumée le temps
nécessaire , ou la relire du four , on la fixe sur un bàlon et
on l'expose au soleil. Ou a coutume d'oindre fréqueumient
ces tètes avec de l'huile ; cette derutère opération n'est pas
jugée indispensable ; mais on l'emploie pour donner aux
tôles une plus brillante apparence.
L'adoption de celte niéihotle , aussi siuiple (pi'efficace ,
mettrait à même de faire de bien précieuses collections de
loates les races d'honunes qui existent sur la surface du
globe.
Les naturels montrent ces tètes avec orgueil dans leurs
danses guerrières; et quand ils vont au combat , ils les éta-
lent aux yeux de leurs ennemis, et les menacent du môme
sort. Les vainqueurs les apportent à leurs femmes et à leurs
cnfans, et les offrent à leurs idoles , en léuioiguMge de
reconnaissance pour la victoire qu'ils ont rempfulée.
Les têtes des chefs qui sont conservées par la mclhode
que no;is venons de décrire, ne s iUt jamais veu(bu's pnr
leurs familles, pour qui elles sont des objets de icspect el
de vénération ; on ne cède aux étrangers (pie cellcis <]e> en-
nemis. Voici eomin nt s'exprime A ce sujet un voyagcm-
aiîglais qui visita les iles de la Nouvelle-Zélande eu 182!) :
« Je fis emplette, à la rivière Tamise, d'une tète de sau-
vage conserv(;e; et ce qui est très-rare, je pus, en cetle
occasion, avoir connaissance un nom, de la dignité et de
l'âge de l'individu à qui elle avait appartenu. Ces détails
me furent fournis par celui qui l'avait tué. C( t individu
était âgé de dix-huit ans environ; il était tatoué depuis pt!u,
et bien moins (|ue les chefs de tribus ne le sont (udinaiie-
ment. Il passait pour un guerrier fort distingiu'! pour son
Age; il était d'un caractère hardi el entrepienaut; le pre-
mier au combat, c'était toujours lui qui immolait le pre-
mier homme : fait d'armes qui chez les sauvages est beau-
coup admiré. Dans un engagement , ce chef blesse à
l'abdomen par un autrfr^ierrier célèbre , londia , et avant
de pouvoir se relever, il fut ac!iê\-é \m- im coup de toma-
hawk assène sur le crâne. En examinant ce crâne avec
attention, il est aisé, dit notre voyageur, de voir la cica-
Uice, qui est de quehpie étendue. »
Un jour d'été, en ^65, plusieurs étrangers de distinc-
tion étaient réunis dans le salon du chàleau. On devisait,
en attendant ledhier, et tout nalurellementon s'entretenait
de Voltaire, qui, en ce moment, n'était pas présent. Lord
M... soutenait (pi'un esprit aussi suiiérieur ne pouvait être
accessible à cette bonté habituelle, (pi'il désignait sous le
nom de faiblesse humaine. M. de Gouve, procureur du roi
auprès de la cour des monnaies de Paris, et l'uii des plus
riches financiers del'époipie, soutenait, au contraire, que
plus un honnne s'élève j)ar sou génie au-dessus de l'huma-
nilc, plus il tend à s'en rapprocher par une boulé vérila-
ble , dernière preuve d'un esprit supcrictir. Un pari assez
considérable est proposé el accepte, et l'on coiiviei'.l de
Icnter une épreuve tout-à-fait imprévue. Les dernières pa-
roles venaieutd'ôlre prononcées lorsque Voltaire entra dans
le salon : à peine les [)remières politesses avaient été échan-
g('es , (pie M. de Gouve , (jui se trouvait à l'une des fenêtres .
du côté de Genève , s'écrie avec une surprise parfaitement
feinle : « C'est lui... , non , je nie lrcm[)e... ce ne peut ètVe
« lui. » — « Et qui donc? dit lord i\I... » — <( Uousseati
« qui entre dans la cour. » — « Rousseau ! s'écrieVollaire...
«il oserait! Qu'on léchasse! iNon, » reprend-il aussitôt
d'un ton de voix visiblement cinu , « non , (pi'on l'accueille,
« il doit être bien malheureux, puisipi'il vient ici chercher
« un asile. » A ces mots, Voltaire s'av.aiçait vers la porte
dii salon , lorsque des regards échangés lui apprirent ([u'on
venait de le soumettre à une pénible épreuve.
Maintenant donc que le leeleur impartial prononce , qu'il
dise en conscience si l'auteur de vingt chefs-d'œuvres , si
l'écrivain le plus fécond el le plus élégant de son siècle , si le
poète le plus brillant et le plus gracieux de cete époque,
n'était \)as également inspiré par son eccur, lorsipi'il adopta
la petite-nièce du grand Corneille, lors{pi'il défendit la
famille Cnlas et les Sirveu , el lorsqu'il décida ralïranchissc-
ment des serfs du Jura.
LE JAPON.
CROYAXCES KEUGlIiUSiiS.
Le môme système religieux règne dans toules les îles du
Japon; mais il se divise en une multitude de sectes ijui se
tolèrent réciproquement avec beaucoiq) d'indulgence; il
subsiste même entre elles une sorte d'union et d'harmonie.
Chaque secte a ses temples et ses idoles, qui sont en très grand
nombre et hideuses pour la plupart. Il y a des dieux pour
toules les professions, à peu près comme chez les Grecs et
les Romains. Au milieu de ce fatras ci'absurdilés el de su-
perstitions, les Japonais fjut encore couse; vé une idée, bien
confuse à la vérité, de rEtre-Suprème. Ils ont essaye de le
représenter d'une manière imposante ou au moins gigantes-
que dans deux de leurs temples. Dans l'un, ils ont
placée nue siat.jc de bois si colossale, que le creux de sa
main pourrait contenir six hommes as<is à la mode du pays :
ses épaules ont cinq brasses de large. L'autre idole, au dire
d'un voyàgciir, es! environnée de trente-trois mille trois cent
trente-trois dieux inférieurs, pour indiquer, sans doute, la
multitude de ses attributs et de ses pouvoirs.
Les prêlies japonar? ne fout pas d'olliee et ne chantent
aucun hymne. Les porles du temple restent ouvertes toute
la journée; les dévots jHîuvenl y entrer à toute heure pour
y faire leurs prières ou bien déposer leius aumônes. L'accès
n'en est défendu à aucun étranger.
Quoi(pie l'on ne reconnaisse point de sec:e dominante,
il y en a deux infiniment plus répandues que les autres,
cvlle de Sinto et de Boudsdo; le culte du premier est ori-
ginaire du pays, el le plus ancien; mais il a maintenant peu
de partisans. Le second a clé apporté du continent de l'A-
sie; sa nouveaulé lui a donné une grande vogue.
La religion de Sinto était très simple avant que l'on y
Aux détails que nous avons donnés (page 15) sur lésé- introduisît une foule de pratiques et de cérémonies étran-
jour de Voliaircj à Ferney, nous ajouterons une anecdote gères. Cependant elle reconnaît encore aujourd'hui un
peu connue. [ être suprême (pii a fixé sou séjour au plus haut des cieux. Ils
2S
MAGASIN UNIVERSEL.
ne lui rendent aucun culte ; ils le croient trop au-dessus d'eux
pour avoir besoin de leurs hommages et de leurs adorations.
Ils s'adressent à une multitude de dieux inférieurs qu'ils
disent être chargés de présider à la terre, à l'eau, à l'air, etc. ,
et de la volonté desquels dépend le sort des mortels. Ils
n'ont que des idées bien vagues et bien incertaines de V'un-
mortalilé de l'ame, des récompenses et des châlimens ([ui
l'attendent après la destruction de son enveloppe mortelle.
Ils présument cependant que les âmes des gens de bien ont
un séjour particulier dans le ciel; que celles des méclians
errent de tous côtés en punition de leurs crimes.
Les Japonais ne mangent pas de viande; ils ont de la ré-
pugnance à verser le sang, s'abstiennent du lait, qu'ils re-
gardent comme du sang blanc, et évitent l'attouchement
d'un cadavre. En violant un de ces trois points de discipline,
on se rend iu)f)ur pour un temps plus ou moins long. Ils se
figurent que les âmes des renards deviennent des démons.
Celte singulière croyance tient probablement à ce que ces
animaux sont très dangereux et commettent de grands dé-
gâts. Une princesse japonaise, ayant prétendu qu'elle était
possédée du démon, on tua tous les chiens de la ville, pour
effrayer, disait-on, le renard enfermé dans son ventre.
Au milieu du temple est ordinairement placé un grand
miroir de métal fondu et poli, pour indiquer aux hommes
que les dieux découvrent les souillures cachées de leur
cœur, aussi distinctement qu'eux-mêmes aperçoivent dans
ce miroir les taches de leur visage. Les Japonais qui en-
trent dans le temple se placent devant le miroir, baissent
la tète respectueusement jusqu'à terre, se tournent de nou-
veau devant le miroir, font leiu* prière et présentent quel-
que don. Après ces cérémonies ils sonnent une petite cloche
pendue dans le temple el se retirent.
Depuis l'introduction de la secte de Boudsdo au Japon ,
celle de Sinlo a admis différens dogmes et pratiques qui lui
étaient absolument étrangers, fllalgré ces innovations, c'est
encore la moins déraisonnable de toutes; les autres adorent
des singes et une infinité d'culres animaux.
La religion chrétienne s'introduisit au Japon peu de temps
après que les Portugais eurent fait la découverte de ce pays.
L'arrivée des premiers jésuites dans la province de Bungo
remonte à l'année iM9; ils se répandirent dans tout le
royaume guidés par les renseignemens que leur donna
un jeune Japonais, qui vint exprès se faire baptiser à Goa.
Ce néophyte indiqua aussi aux Portugais tous les avantages
qu'ils trouveraient à venir commercer dans sa patrie. Ceux-
ci avaient alors la liberté de trafiquer, de prêcher dans les
Indes, et même partout où bon leur .semblait. L'entre-
prise réussit au-delà de leurs espérances , surtout pour le
spirituel. Plusieurs princes japonais embrassèrent le chris-
tianisme. Des Portugais épousèrent des femmes du pays
( Idoles japonaises.)
et s'élabhrent. Eu lin , les missionnaires acquirent une | dres rigoureux pour exterminer tous les chrétiens furent
telle importance , qu'ils euvoyèreul une ambassade de Ja- promulgués et exécutés avec tant d'aciivilé que dans le
ponais au pape Grégoire XIII, avec de riches présens. Ces I cours de l'année suivante il y eut pins de vingt mille per-
SHCcèi, et les immenses richesses que leur procurait le sonnes mises à mort. En4597,Jcs persécutions recommen-
coramerce, enflèrent tellement l'orgueil des Portugais, qu'ils cèrent avec plus de violence que jamais. Toute espèce de
ne tardèrent p»« h se rendre odieux à leurs hôtes. Des or- prédication fut .sévèrement interdite, el la plus grande partie
MAGASIN UNIVERSEL.
39^
(lu cleigc chassée du Japon. Le gouvernement ordonna que
lous les chrélicns qui ne voudraient pas abjurer seraienl
chassés ou misa mort. Celle persécution dura quarante an-
nées sans se ralentir, et ne linil ([u'apiès l'anéanlisseineul
complet (Ui cinislianisme au Japon el la destruction du com-
merce des Portugais dans celte contrée. Trente-sept mille
chrétiens, réduits au désespoir, s'étaient réfugies dans la
forteresse de Siinmabasa ; après y avoir été assiégés et forcés,
ils furent lous massacrés c;i un seul jour.
POISSONS VOLA N S.
l/ailc do l'oiseau et la nageoire du poisson diffèrent l'une
de l'autre bien moins qu'on ne le croirait au |)reinier coup
d'œil; et voilà pourquoi, depuis les anciens naturalistes
grecs jusqu'à nous , le nom d'aile a été si souvent donné à
ct'ite nageoire. L'une et l'autre présentent une surface assez
grande, relativement au volume du cor[)s, et l'a/iimal peut
selon ses besoins accroître ou diminuer celte surface , en
élcn;!ant sa nageoire ou son aile avec force, ou en les res-
serrant en plusieurs plis. La nageoire ainsi que l'aile se
prèle ùjces différens déploiemens ou à es diverses contrac-
tions, parce qu'elles sont composées Tune el l'autre d'une
std)stance memb; ancuse molle et souple. La surface (prçUes
piésentent toutes deux résiste et agit avec précision , et
frappe avec force , car chez l'ime et l'autre cette surface est
soutenue par de petits cylin ins réguliers ou irréguliers,
solides, durs et prescpi'iuncxibles; dans l'aile elle esl forii-
liée par des pliunes; dans la nageoire elle est quehpieffjis
consolidée par des écaille» dont la substance esl de la même
nature que celle des plumes de l'oiseau.
On pourrait dire que les oiseaux nagent dans l'air et (pie
les poissons volent dans l'eau.
Ainsi (pic les Pégases, les Scorpènes, les Daclyloptères
el les Trigles, l'Exocet volant, Exocntus exiliens, jouit de
la fa"uHé de s'élever à d'assez grandes distances au-dessus
de la sm-face des eaux; ce privilège que lui accorde la na-
tiiie démontre hautement ce que nous avons développé tout
à l'heure, c'est-à-dire (pie voler est nmjcr dans l'air, et
«pie narjer est voler au sein des eaux.
Ixien n'est plus beau que de voir surgir au-dessus des
Hots ces corps brillans dont l'éclat argentin resplendit sur
presque toute leur sui face, ces poissons dont le sommet de
la tôle rédéchit les plus belles teintes de l'azur, et dont la
poitrine et la (pieue sont colorées du bleu le plus foncé;
leiu" crystallin, qu'on apen^oit au travers de la prunelle,
est d'un bleu noirâtre pendant la vie de l'animal. Cette
parure brillante compte parmi les causes de tourmens et
de perte qui poursuivent l'exocet pendant toute sa vie , car
elle ne sert qu'à le faire découvrir de plus loin par des en-
nemis contre lesquels il a élé laissé sans défense. C'est , en
effet , de tous les babilans de la mer , le plus inquiété le
plus agité, et le plus poursuivi par les scambres et les co-
rypbènes. S'il abandonne , pour leur échapper^ l'élément
dans lequel il est né, s'il s'élève dans l'atmosphère, s'il dé-
crit une courbe plus ou moins prolongée , il trouve, en re-
tombant dans la mer, mi nouvel ennemi dont la dent meur-
trière le déchire et le dévore. Pendant la durée de son
court tiajet, il devient la pioie des frégates et de ces autres
oiseaux (pie leur vol puissant a fait nommer grands-voiliers,
et (pii , pouvant seids résister aux grands mouveniens de
l'atmosphère, bravent les orages, surmontent les autans
déchaînés, peuvent voler long-temps au-dessus de l'Océan,
ss précipiter avec rapidité sur leur proie, l'enlever au plus
haut des airs, et nager à d'immenses distances de la rive.
Si l'exocet veut chercher sa sûreté sur le pont des vais-
seaux , les passagers ou les matelots lui donnent la mort pour
se nourrir de sa chair, (pii esl grasse et d'un excellent goût.
ALl-MÉHEMET, VICE-llOI D'EGYPTE.
Ali-Pacha (Mehemel ou Mohamed), vice-roi d'Egypte,
est le prince de toutrOrienl, et peut-être du inonde entier,
le plus habile dans l'art de gouverner, si on ne le juge que
par les succès qu'il a obîenus. Il s'est élevé au-dessus de
cette foule de pachas qiu pèsent depuis tant de siècles sur
le sol oriental, parce (pi'il a eu l'audace de commander à la
fortune en se débarrassant de lous ceux qui pouvaient l'ar-
rêter dans sa marche. Ses vues politiques et administrati-
ves sont profondes; mais Bonaparte, pendant la comte du-
rée de son séjour en Égyple, avait ébauché tout ce (pi'Ali
exécuta depuis; il avait préparé les peuples aux cliange-
mens qui devaient les rendre heureux. Né de parens ob-
scurs, en 1709, à la Cavale, ville et port de mer de la Ro-
mélie, Ali-Mehemet élail encore en bas âge lors(iu'il perdit
son père; il trouva un asile dans la maison du gouverneur
de la Cavale, qui, charmé de ses heureuses dispositions ,
se plut à l'élever comme son fils. Ali-Mohammed sortait à
peine de l'enfance lorsqu'il donna à son protecteur une
grande preuve de sagacité et de courage. Les babilans d'un
village voisin refusaient de payer le tribut d'usage , et le
gouverneur manqiiait de moyens pour les y contraindre :
Ali se présente, et ne demande que quelques hommes ar-
més pour réduire les rebelles. Il part pour ce village , entre
dans la mosquée, demande les quatre principaux habilans,
so
MAGASIN UNIVEIISEL
à qui il feint d'avoir à comniîmiqucr nue affaire importante,
les emmène cliar^és ilc cîiaines, menace de les mellre à
mort si on veut les lui enlever, , et arrive avec eux à la Ca-
vale. L'arriéré deTimpôt fut bienlôl ac(|uillé. Celle affaire,
conduite avec autant d'adresse que de vigtieiir, valut un
emploi au jeune Ali, el la main d'une jeune veuve très ri-
che, parente du gouverneur j il se trouva alors à la tète
d'une grande f)rlune, et mit tous ses soins à l'augmenter
encore : il se livra au conmierce du tabac, l'un des plus lu-
cratifs de ces contrées, et acquit des richesses auxquelles
il dut un surcroil de consilération, ce qui ne l'cmjjè'chait
pas de prendre les armes toutes les fois ijue l'occasion s'en
présentait. Ce fut contre les Français, en Egypîe, qu'il fil
sa première campagne. Le gouverneur de la Cavale avait
aruié el éijuipc un corps particulier dont il avait domié le
comuîan.lement à son lils, en lui adjoignant pour conseil
Ali-Mohammed. Le î)reniier, bientôt rebute des fatigues de
la guerre, quitta l'armée, et laissa le commandement de sa
Irouiie à Mohammed. Celui-ci ne larda pas à se faire re-
marquer par plusieurs actions d'éclat el fui élevé par le ca-
pitan-paeha à un poste suin-rieur. Il entrevit dès-iors le rang
auquel il pouvait prétendre, et ne négligea rien pour y ar-
river. Il chercha suriotit à s'attacher les soldats albanais
et servit, à leur têle, les projets de la Porte pour l'anéan-
lissemcnl des Mameloucks. Là grande réputation qu'il se
lit par les succès continuels qu'il obtint sur eux, excita la
jalousie el même la haine des pachas ses supérieurs. Ceux-
ci démêlèrent bientôt les vues ambilicuses de leur subor-
donné, el le desservirent auprès du grand-seigneur, qui
lui intima l'ordre de quitter l'Egypte, en le nommant pa-
cha de Salonlipie. Ali, déconceiié, mil tout en œuvre pour
emiiècher le triomphe de ses ennemis; le peuple, les mili-
taires, les ulémas, soulevés secrètement par lui, s'opposè-
rent ouvertement à son départ, et portèrent leurs réclama-
tions jusqu'au pied du trône. La réponse se faisant attendre,
le peuple et les cheycks, impatiens, déposèrent le pacha
d'Egypte, et le remplacèrent par Ali, qui, trop rusé pour
se rendre à une nomination illégale, attendit le firman du
grand-seigneur, qui arriva enfin, et le confirma dans la
place éminente de gouverneur d'Egypte, avec la dignité de
paclia à trois queues. Les circonstances n'étaienlpas favora-
bles; les soldats, sans paie depuis long-temps, étaient en
pleine insurrection ; les Mameloucks, ayant à leur tète Elfy
Bey, soudoyé par l'Angleterre, faisaient la guerre au pacha
légitime, et avaient remporté sur lui quelques avantages.
Les Anglais portaient Elfy Bey au gouvernement d'Egypte,
et faisaient agir à Gonstantinople tous les ressorts de la po-
litique eu sa faveur. Ces démarches, et surtout la promesse
de quinze cents bourses dont l'Angleterre garantissait le
versement, décidèrent le grand-soigneur à envoyer une ar-
mée en Egypte pour en déloger Ali-Pacha, el y- établir les
changemtns nécessaires. Ces troupes, au nondjre de trois
mille hommes, débarquèrent à Alexandrie; un capidjy,
dépêché sur-1 t-champ à Mohammed, lui intima l'ordre de
se rendre sans délai à Alexandrie, pour de là être trans-
porté à Saloni(|ue en (pialité de pacha. Ali sentit le piège,
el différa d'obéir sous les prétextes les plus plausibles; mais
il eut soin de faire prévenir sous main ses principaux offi-
ciers de l'orilre qu'il veiiail de recevoir, en leur annonçant
q-i'il était prêt à s'y soumettre; ce n'était qu'une ruse de
sa part; il savait que la mort l'attendait à Alexandrie. Tous
ses officiers accourent à l'instant , et lui protestent <|u'ils
ne consentiront jamais à son départ. L'adroit pncha profite
de cet enthousiasme, lenr fait une courle, mais véhémente
allocution, et leur demande de jurer sur le coran, livre sa-
cré pour eux, qu'ils ne l'abandonneront pas, qu'ils mour-
ront, s'il le faut, pour la cause (lu'ils défendent. Le serment
fut prêté à l'insUml même ; ils ajoutèrent au serment une cé-
rémonie simple, mais antique, qui forme pour les Alba-
nais un lien indissoluble qu'ils n'osml rompre <jans infa-
■ mie, c'est depa,sscrl'un après l'autre su- un s-dirc nu, tenu
aux deux bouts par les deux plus ûhôiens. Vm nouvelle
requête fut présentée au divan, auprès duquel l'ambassî^-
deiir français agissait aussi d'une manière énergique; elle
ne fil p.!S un grand effet : Ali-I\lohammed n'eut raison que
lorsqu'il cul envoyé à Consiantinople (\cu\ mille boures que
lui avaient fournies ses amis en se coiisant chacun selon ses
moyens. Alors seulement arriva le firman du grand-sei-
gneiu', qui confirmait pour la seconde fois Ali dans le pa-
chalick d'Egyple. Un ennemi redoutable vint Tatlaquer au
sein de sa capitale ; les Anglais avaient déclaré la guérie à
la Porte et étaient accourus en toure hâte, avec vingt-trois
vaisseaux et six mille hommes de troupes de terre , se pré-
ci[iiler sur l'Egypte; mais leurs succès, fastueuscment an-
noncés, se bornèrent à la prise d'Alexandrie, où ils ne pu-
rent se maintenir; ils furent ensuite complètement battus
dans divers engagemens , la plupart de leurs généraux ayant
été tués ou faits prisonniers, el enfin obligés de s'humilier
devant leurs vaiùqueurs pour obtenir la permission de se
retirer. Ali, enflé de cette victoire, tourne aussilôt ses ar-
mes contre les Mameloucks. Ces derniers, après la perte de
plusieurs chefs accrédités, alternativement vainqueurs et
vaincus, acceptèrent la paix aux conditions qu'ils proposè-
rent, et qui leur ftuent garanties; c'était qu'il leur sérail
permis de retourner au Caire, et d'y jouir des débris de leur
ancienne fortune. Ils s'étaient rendus trop redoutables pour
ne pas porter ombrage au despote de l'Egypte ; leur destruc-
tion fut résolue. Il imagina donc que les Mameloucks fomen-
taient de nouveaux troubles pour renverser le gouverne-
ment, et, au moment où il les comblait d'honneurs et des
témoignages d'amitié les plus signalés, au milieu d'ime cé-
rémonie solennelle, où Toussoum, son fils, chargé delà
giierre des Wahabites , allait être revêtu des msignes du
commandement, il les fil massa rer de la manière la plus
perfide et la plus barbare; de quatre cent soixante-dix Ma-
meloucks qui faisaient partie de ce cortège devenu pour eux
une marche funèbre, aucun n'échappa au carnage; l'exter-
mination fut générale dans les provinces; soixanle-dix-huit
d'entre eux qui avaient été amenés au vieux Caire, furent
égalemenl tués pendant la nuit.
("La suite à un prochain mimévo.)
MOEURS DU PEUPLE ANGLAIS (I).
L'iviognerie abandonne tous les jours les classes supé-
rieures de l'Angleterre. Il est aujourd'hui de très mauvais
ton de se griser jusqu'à rouler sous la table, el quoiqu'il ne
soit pas encore fort rare de rencontrer dans les rues de
Londres des hommes et des femmes bien mis, à la mine
enhunitiée et à la démarche chancelante , on peut cepen-
dant assurer que ces personnes , les femmes surtout , n'ap-
partiennent pas à ce qu'on appelle la classe respectable. c:e
n'est pas cependant que les bonnes matrones sur le retour,
que les vieilles filles d'une certaine aisance, el appartenant
à de bonnes familles des classes moyennes , de marchands
retirés, ne se permettent assez souvent, le soir surtout, le
régal do gin et d'eau chaude; mais cela se passe à l'inlé
rieur, après le souper, et si la raison se trouble tant soil
peu, on n'a pas de témoins importuns, les enfans sont au
lit, el l'on a toujours assez de force pour monter se cou
cher. Le lendemain ou a mal à la tète, mais le climat est
si mauvais, qu'il n'y a rien là qui doive suiprendre, et l'on
n'hésite pas à détourner les yeux et a faire la grimace ton
tes les fois (ju'on se trouve en compagnie d'hommes qui se
livrent au même passe-lemps. Péché caclié est à moitié re
mis.
Mais à mesure que l'ivrognerie abandonne les classes su
péiieures, elle se propage avec une effrayante rapidité dans
les classes piuvres; elle semble croître en raison inverse
de l'aisance, et d'eflel (lu'elle çst, elle ne lardera pas à de-
venir la cause du décroissemenl de la prospérité. Un petii
coup de yiu pour un eslomac délabré est un loidUtl qui
j (0 Voyez page 41 r, I'^ volume.
iMAGASIN TJNIVîiiRSBL.
charme la fuiin, et lemcdie toiuporaircinciit au délabre-
ment, et comme rcffct en est prompt , on a plus tôt fait d'y
avoir recoins que d'acheter un morceau de pain; les maux
(l'estomac redoublent par l'usage de celte boisson , il faut
bien que le remède soit plus fréquemment employé, et l'on
ne tarde pas à tout saciiiier pour se procurer ce poison. Le
gin a une qualité qui lui est propre, il est narcotique; les
mères en donnent une cuillerée aux jeunes enfaus ([ua la
douleur empêche de dormir ; il n'est doue pas élonuanl que
le goût en soil aussi général.
Ce goût tend à se lépandre ])ien plus encore depuis l't la-
blissement de ces inimenseset magnifiques palais (ju'om ap-
pelle. (/t)i-<c»»pl'es, cl dans lesquels on débile, pour im ou
deux sous, du(/i)i à chacun des qualre-viugls ou ce.it indivi-
dus de tout âge, de tout sexe, et couverts de haillons, (pii
vien:.ent s'asseoir siu' les bancs (pii lupissent ses murailles.
Le spéculateur place eu général ces lenq)ies dans les
quartiers habités par les pauvres , do sorte que leur souî-
ptuosilé ressort emiore plus indécemment au milieu de la
misère qui les entoure.
Un comptoir en ac;ijou , d.ius le fond d'une vaste salle
éclairée par l'éclat de mille becs de gaz , des frises dorées et
gcidpl! es avec soin , des glaces d'une grande dimension ,
tous les détails de la somptuosité anglaise, lourde, massive,
mais riche, sont déployés dans ces gouffres pour attirer les
malheureuses victimes qui, les pieds nus, la poitrine à peine
couverte par des haillons , restes des habits des riches, vien-
nent achever d'y ruiner leur santé. A Londres , comuie
nous l'avons dit dans un précédent article, jamais un
pauvre n'endosse une veste dont l'étoffe ou la forme
convienne à sa condition; ce sont les défroques des liches
qui les coiivrent, et l'étranger, en arrivant, est frappé d'é-
to:inement à la vue de pauvresses qui lui demandent l'au-
mône, couvertes d'ime vieille robe de salin à falbalas et d'un
chapeau de velours à fleurs ou à plumes.
Les (jin-iemplcs , contre lesquels il faut regretter que le
gouvernement ne pusse rien , ont pruvoqué la naissance
des sociétés de tempérr.nce , et bien que ceux qui se sont
enqiarés de celle idée soient en général des philanlropes de
profession, c'est-à-dire des gens qui parlent beaucoup et ne
font guère, il y a lieu d'espcier (pie les bous citoyeiis s'en
mêleront et renié 'ieionl au mal.
Un comité d'ivrognerie s'est établi sous les anspices de la
législature , et peut-être oblienùra-t-on un acte contre les
yin-iempïes.Pnvmi les documens qui ont été présentés à ce
comité, celui-ci mérite d'être rapporté. Il s'agissait d'une
vieille, femme tombée dans la mi-ère par l'usage du (jin.
« Cette femme , qui est veuve aujourd'hui , dit le témoin ,
est la tante de l'un de nos plus célèbres chanteurs. C'est
une buveuse de gin incorrigible. Elle est mère de quatre
fds cl de deux lilles, tous transportés à Botany-Bay.
Après avoir vend;i tout ce qu'elle possédait pour se jjrocu-
rer sa liqueur favorite, elle eut recours àrexpédienl h; plus
extraordinaire : la natiu'e , ([ui l'avait assez bien dolic, lui
avait, avec l'âge , retiré tous ses dons, à l'exceplion de»
dents les plus bl;:nchesel les mieux faites (ju'il soit l'Ossii le
d'imaginer; Elle les vendit nu dentiste les unes .iprès les
autres... A mesure que sa passion augmentait, le dentiste
Spéculait sur son appétit et diminuait le prix qu'il avait d'a-
J)or;l donné. Il lui reste aujourtrimi deux dents; la dernière
qu'elle a vendue lui a été payée 8 sous.
« Après son extraction ce|)endant, elle pensa que c'était
trop souffrir pour si peu ; elle alla trouver m» médecin , et
lui proposa de lui vendre s; n corps par anlici[)alion. Le
médecin y consentit; il lui offrit même de lui dum.er une
certaine somme par jour en sus du piix de son corps, à la
condition qu'elle prendrait une certaine dose de médecine
par semaine, pour en essayer les effets. La buveuse hésila;
mais, craignant que la médecine n'eût pour objet de la
tuer plus vile, elle se décida à refuser. »
Ilyaim grand enseignement dans cet exemple. L'An-
gleterre s'y dévoile tout entière : la vieille fenîine, le den-
tiste, le médecin ïont des types qu'on ne saurait trop exa-
miner
IIOCIIE.
Le seul nom de Ilochc jappelle un desphw beaux carac-
tères qui aient honoré la profession des armes, et un des
plus grands laleus qui l'aient illuslrée. Les giaiuls hommes
li'onlinaiie ne sont pas exempis de grandes faules , et l'on
serait même lenléde croire, en lisant l'hisloiredeleur vie,
que c'est là une condition nécessaire de leur supériorité. La
vie de Hoche ce[)eu(lanl fut pure comme sa gloire ■•jeté, dès
l'âge le pins tendre, au milieu des dissensions civiles, dans
un lempsoù le>princi[)esmême les plus ordinaires u'huma-
niié étaient indignement travestis, et sacrifiés à l'ambition,
ù la popularité, àrinlérêl, il sut conserver l'indépendance
et la loyauté de ses opinions , servant s^'palrle avec amour,
et dévouement , sans songer jamais L se rendre l'apôlre
d'aucun système , d'aucime théorie.
Noire dessein n'est pas de raconter en détail chacun des
exploits de ce grand capitaine : ses hauts faits militaires
sont bien connus; et d'ailleurs sa trop courte carrière est
lellement remplie d'actions glorieuses, que nous ne pour-
rions les rapporter toutes sans sorlir ûcs limites (|ui nous
sont imposées; nous ne voidons (presquisser les iiariictilari-
tés les plus saillantes de sa biogi-aphie , où chactui de nous
pourra puiser de belles et utiles leeons de courage, de vertu
et de patriotisme.
Il naquit à Montreuil (Seine-et-Oise), le 24 février I7G8.
La pauvreté de ses parens l'obligea de bonn.e heure à s'oc-
cuper lui-même des moyens de fjouiToir à son existence. Il
n'était qu'un enfant lorsqu'il f.it reçu aicL'-sinnuméraIre
dans les écuries royales. Devenu o:'[)li('!iu,il pr fila des se-
cours qui lui huent offerts p:u- une de ses tantes, fruitière
à Versailles , p:)ur faire emplelle de quehiues livres, avec
lesquels il fit lui-même sa première éducation, et dès-lors
commencèreid à se dévelojjper les grandes facidlés intellec-'
tuellesdontil était doué. Consacrant le jour à ses pénibles et
abjectes occupations, il employait les nuits à étudier. A dix-
sept ans, dégoûté d'un service qiii était si |)e:i en harmonie
avec l'élévation de ses seutimens, il end)rassa l'elat mili-'
laire, fui admis dans les gardes-françaises, et ne larda pas
à fixer sur lui les regards de ses chefs par la régidarilé de
ses mœurs , son apiilicalion ù la lecture et sa prodigieuse
activité: aussi ful-il promu, en ifSA, au grade de seigenl;
quelipies années après (1702), il passa officier, et fut pourvu
d'une lieutenanee au régiment de Rouergue. Au siège de
Thionville et à la bataille de NerwiiMie, il donna des preu-
ves éclatantes de sa capacité et de sa bravoure. Appelé à
Paris, peu de temps après, il exposa au comité de salut pu-'
blic un i)lan de campagne si lieuicusenieni conçu, que l'il-'
lustre Carnot r.e put s'ejnpècher de s'écrier : « Voilà un of-'
licier subalterne d'un bi n grand mérite. » Le comité tout
Câilier se joignit à Carnot pour admirer tant de savoir dans
un jeune homme, et se hâta de le placer dans un poste
digne de lui. Révolu d'abord du titre d'adjudanl-général,
Hoche reçut ensuite le commandement de Dunkerque, qu'il
défendit hrillammenl contre les Anglais: puis il fut nommé
général debrigade, et bientôt après général dedivision(l795).
vVinsi, dans l'espace de neuf années, le sergent des gardes-
françaises s'était élevé par son se;d mérite aux premières
dignités militaires.
Ici commence pour lui une série de succès et d'exi.Ioits
dont la jalousie l.d disputa la gloire, et qui furent inter-
rompus par la persécution. Enlevé à l'armée de la Moselle,
dont il avait le comin:m;lement en chef, il fut jeté dans les
prisons de Paris , d'oîi il ne sortit que le 9 thermidor. C'est
alors qu'il fut envoyé dans la Bretagne contre les Vendéeijs,
et qu'il s'altaeha à delrui; e la guerre civile , moins par lés
armes que parles voies conciliatrices, ne consentant à vain-
cre ses ennemis qu'après avoir tout tenté pour les feire ren-'i
se
MAGASIN Ur^lVERSEL.
trer, sans effusion de sang, dans le sein de la grande fa-
fainille française. Il parvint à faire snccéder l'empire des
lois à l'état de guerre qui avait désolé ces contrées, et mon-
tra tant de ménagement et de respet pour les droits de la
conscience religieuse, que l'esprit insurrectionnel s'éLeignit
assez rapidement sur les deux rives delà Loire. Un si grand
service rendu à la république méritait une récompense;
lé i(i juillet 1796, un message du Directoire ayant annoncé
au conseil la pacification de la Vendée, les représenlans de
Ici nation proclamèrent solennellement par un décret que
Hoche et son armée avaient bien mérité de la patrie. Deux
tentatives d'assassinat faillirent arrêter ce général au milieu
de ses triomphes : une fois on essaya contre lui l'effet du
|ioison, et peu ap.ôs, il fut assailli, au sortir du Ihéàire de
Rennes, par un individu qui lui lira un coup do pistolet dont
henreusenicnl il ne fut point atteint.
Cependant le cabinet de Sainl-Jaines redoublait d'acti-
vité |)0'.ir entretenir la guerre civile en France. Le libéra-
teur de l'Ouest conçut alor.sle hardi projet d'une descente
en Irlande : il se rendit aussitôt à Brest, y fit ses pré[taia-
tifs, et s'embarqua dans ce port à la fin de 1796. Tout jus-'»
que-là semblait avoir favorisé son audacieux projet; mais, à'
peine lancé en pleine mer, les élémens se déclarèrent contre ■
lui, et sauvèrent l'Angleterre des embarras que cette en-
treprise devait lui susciter. Sa Hotte ayant été dispersée par'-
un ouragan terrible, il fut obligé de revenir en France,:
heureux d'échapper, grûce aux habiles manœuvres de son
pilote, à la vigilance des croiseurs anglais.
A son retour, il fut nommé général en chef de l'armée de
Sanibre-el-Meuse, à la tète de laquelle ilouvrit la campagne -
de 1797, en passant le Rhin à Neuwied, en présence el sons
le canon de l'ennemi. Heureux celle fois de cueillir des lau-
riers qui n'étaient pas teints du sang français , il put se li-
vrer entièrement au génie des batailles, et mai cher sans re-
grets de victoires en victoires. L'armistice conclu par Bo-
naparte avi c le prince Gliarles vint l'arrèlcr tout à coup au
milieu de sesbrillaiis succès cl de sa marche triouiplule sur
le lerrito re allemand. Ou lui ofiril alors le miiiislère de la
guerre, (pi'il refusa; mais il reçut le connuandenienl d'un
corps d'armée, placé aux environs de Paris , et destiné à
(Tombeau du général Hoclio.)
déjouer les intrigues que le parti de Clichy entretenait
contre le Directoire. Les dénonciations calomnieuses de
ses ennemis ne lardèrent pas à lui faire perdre ce comman-
dement, qui fut confié à Augereaii. Iloche, offensé de cette
disgrâce, demanda des juges pour leur rendre m\ comnte
solennel de sa conduite, et ne put les obtenir. Dégoûté alors
du séjour de Paris , il retourna dans les camps ; mais le
terme de sa glorieuse carrière approchait : il tomba subite-
ment malade dans les premiers jours de septembre 1797,
el mourut le 15 de ce mois, au milieu des plus cruelles
douleurs, et en s' écriant : « Suis-je donc revêtu de la robe
empoisonnée de Nessus? » Il était âgé de vingt-neuf ans.
Des honneurs funèbres furent rendus ù la mémoire de
Hoche, tant à l'armée que dans l'inlérieur de la Républi-
que. Les étrangers mêlèrent même leurs larmes à celles
des Français-, et un poète illustre, Chénier, célébra dans
de nobles vers la gloire du héros enlevé si jeune à sa
pairie.
Le de-ssin qui accompagne cet article représente le
tombeau de Iloche, sm- les Ijords du Rhin.
EPHEMERIDES.
»•' et 3 oclohie 1789. — Les gardes de corps du- roi .n Ver-
isailleSi réimb à un banquet, jurent de £<>^ dévouer à lu défense
de la famille royale.
\*f ççtvhrt 1791, — L'assemblée ronsliluaDle ^t!>clamc Ln dé-
claration des droits de t/iommc et des citi>yr/ts en Fr.iiirc. —
Mort du grand Corneille. (Voyez page 19.)
2 octobre 1700. — Tcslamenl de Charles II en faveur d'un pelil-
(ils de Louis XIV.
3 octobre 1468. — Louis XI est arrêté à Péroiuie par le duc de
Bourijogue au momeut où parvient la nouvelle de la réxoile des
IJégcois , excités par les agens du roi de Fiance.
3 octobre iSCg. — Bataille de Monlcontour gagnée par les
callioliqucs sur les huguenots , commandés par l'auiiral de
Coligny.
3 octobre iGrr. — Mort du duc de Mayenne.
4 octobre 1776. — Le congres des Étals-Unis proclame l'acte de
fédération perpétuelle des États-Unis , malgré les défaites suc- .
cessives qu'ont éprouvée sies troupes de l'Union el rabatleiueul
dans lequel est tombé le peuple.
4 octobre i8i5. — Mort d'Oberskampf , fondateur de la nia:.u-
faclure de toiles peintes de Jouy et de la filai ure d'l\ss(tne.
Avant lui , nous ne connaissions que les toiles peintes do la
Perse el de l'Inde que nous vendaient les Anglais.
5 octobre. — Fête de Cérès à Atliènes.
5 octobre SSg. — Concile général de Constanlinople.
5 octobre 1795 (i3 vendémiaire). — Attaque de la Convention .
française parles sections de Paris; Bonaparte, chargé par Bar-
ras du soin de proléger la Convention, fait mitrailler les sec-
tions sur les marches de Sainl-lloch, dans la rue Sainl-Honoré
et sur les quais, — — 1
Les Bureaux d'Abonnement el de Vente sont transférés rue i»
Seine-Saiat-Ceriuaiu, 9.
5)
(3o oclobrciSÎ^.)
MAGASIN U.NIVEilSIilL.
55
ALEXANDRE-LE-GRAND. — SON TOi\lBEAU.
'Tombeau d" Alexandre.
Vingt et un siècles se sont écoulés depuis la mort d'A-
lexandie-le- Grand ; pendant cet espace de temps , il n'a pas
cessé un instant de lixer raltenlion de la postérité; sou
nom n'est inconnu à aucun liouuue j plus de cent écrivains
ont raconté, jugé , apprécié ses actions. Cette préoccupation
de tous les siècles, à son égard , suffirait pour constater sa
supériorité; le génie seul jouit d'un pareil privilège. Per-
sonne n'a mieux apprécié, n'a mieux résumé les résultats
immenses du règne de ce prince, (jui porta la civilisation
grecque au-delà de l'Iudus, que M. Poirson , dont les re-
cherches savantes ont jeté une si vive lumière sur des pé-
riodes entières de l'histoire ancienne restées ignorées jusque-
là. Tous les historiens d'Alexandre ne lui ont cependant
point payé le même trihut d'administration; quelques-uns
l)ien loin de le mettre au rang des dieux , ont voulu que la
fortune eût tout fait pour lui , taudis que les autres ont
avancé qu'il avait tout fait pour sa fortune; au reste, les
grands esprits, depuis César jusqu'à Condé , Bossuet,
Montesquieu , frappés de la hauteur de ses idées et de ses
combinaisons, se sont réunis pour lui rendre justice. Il
fonda en dix ans un empire aussi vaste que celui que les
Romains élevèrent en dix siècles ; mais sa conquête fut
juste, elle délivra la Grèce des dangers et des humiliations
(|ue lui prodiguaient les rois de Perse depuis deux cents ans.
De plus, il la rendit salutaire aux vaincus, dont il amé-
liora le sort, et chez lesquels il fonda plus de villes que les
autres conquérans n'en ont détruit. Son administration
passe les vulgaires éloges. Elève d'Aristote , le génie le
plus universel de l'antiquité , il compritt toutes les idées
que l'Orient , mis à la disposition du philosophe de Stagyre,
lui avait données , et il employa sa toute puissance à les exé-
cuter. On ne doit donc pas s'étonner de l'intérêt qu'ins-
pire tout ce qui se rapporte à cet homme extraordinaire ;
on sait que d'après sa dernière volonté, on devait porter son
corps dans le temple de Jupiter Ammon , mais Ptolémée
s'en empara , et le fit inhumer à Alexandrie , dans un cer-
cueil d'or. Le monument dont nous donnons la description,
et que l'on prétend être le tombeau d'Alexandre , a soulevé
une discussion fort intéressante en Angleterre , où il a été
transporté d'Alexandrie par le docteur Edward Daniel
Tome II.
Clarke. Ce monument indiqué dans les relations de plusieurs
voyageurs des siècles passés , comme étant devenu l'objet
d'une véiiération religieuse de la part des Musulmans, fut
examiné avec soin parDenon, lors de l'expédition française
en Egypte ; mais ce savant ne parle pas de la tradition qui
en fait le tombeau d'Alexandre : « Près de ces bains, dit-il,
est une des principales mosquées, l'ancienne église de
Saint-Atlianase ; cet édifice, dont les ruines sont magnifiques,
donne une idée de la négligence. des Turcs pour les objets
dont ils sont le plus jaloux; avant notre arrivée , ils ne per-
mettaient à aucun chrétien d'en approcher, et ils y avaient
placé une garde plutôt que de réparer les portes qui , dans
l'état où nous les trouvâmes , ne pouvaient tourner sur leurs
gonds. Au Tuilieu de la cour de cette mosquée , un petit
temple octogone contenait un sarcophage des anciens
'.Médaillle d'Alexandre.)
51
MA(iASIiN L.MMJISEL.
Egyptiens, d'une inconiparalile beauté , tant par sa nature
que par le nombre prodiij'ieux d'iiiéroglyphes dont il était
couvert intérieurement et extérieurement. Ce sarcopbage
qui pourrait produire des volumes de dissertations , doit
être considéré comme l'un des plus beanx morceaux de
raiili(!uilé, et nous désirerions vivement qu'il vînt enrichir
l'un de nos musées ; mon enthousiasme fut partagé par
Dolomieux quand nous découvrimes ensemble ce précieux
monument. »
Lors de l'entrée des Anglais dans Alexandrie , le doc-
teur Clarke rechercha avec soin tout ce qui pouvait faire
connaître sa destination primitive, et en comparant les
renseigneniens qu'il avait obtenus et ses propres observations
au récit de Diodore, il demeura convaincu que ce devait
être le tombeau d'Alexandre 3 les argumens qu'il a réunis
dans un opuscule publié sous le titre de : Testimonies res-
pectiiHj the tomb of Alexavder , laissent peu de doute à cet
égard ; un examen a[)profondi des hiéroglyphes serait ce-
pendant nécessaire pour lixer définitivement l'opinion. Ce
sarcophage est d'un seul bloc , il a dix pieds trois pouces et
demi de long sur cinq pieds trois pouces et demi de large ,
et trois pieds dix pouces de haut; l'épaisseur des côtés est
de dix pouces.
Il existe aussi en Angleterre une médaille qui, dans l'o-
rigine, appartenait àLysimaque, et qui, après avoir excité
de savantes controverses , est maintenant reconnue uni-
versellement pour être la représentation d'Alexandre; la
déification du conquérant , comme fils de Jupiter Ammon,
s'y trouve indiquée par l'inscription grecque qui y est
jointe. Le dessin placé au bas de la page précédente peut
donner une idée de cette médaille et de ses dimensions.
Alexandre avait les traits réguliers , le teint beau et ver-
meil, le nez aquilin, les yeux grands et pleins de feu , les
cheveux blonds et bouclés , la tête haute , mais un peu pen-
chée vers l'épaule gauche , la taille moyenne et dégagée , le
corps bien proportionné et fortifié par un exercice continuel.
Son portrait est connu grâce à Thermes sur lequel est son
nom , et qu'on a trouvé dans une fouille près de Tivoli ;
cet herraès a fait reconnaître la figure du héros macédonien
dans un camée , et sur plusieurs médailles d'après lesquelles
a été gravé le portrait de la collection de M. Landon.
BATAILLE DE CASTIGLIONE.
Aujourd'hui que vingt années ont refroidi l'enthousiasme
guerrier de l'empire , aujourd'hui que les idées de paix et
d'union ont remplacé les haines insensées qui divisaient les
peuples , qui de nous cependant ne se sent encore ému au
souvenir des brillantes campagnes d'Italie , au récit de ces
hauts faits, qui rendent éternelle la gloire de l'armée fran-
çaise et de son général , et pour lesquels les batailles d'An-
nibal peuvent seules fournir des objets de comparaison ?
Les moindres circonstances de ce célèbre épisode de notre
histoire, portent avec elles le plus puissant intérêt, et
éveillent dans nos cœurs une sympathie irrésistible. C'est
à peine si l'on ose ajouter foi aux faits les plus avérés , tant
ils tiennent du prodige , tant ils semblent au-dessus des
forces humaines.
Mais parmi tous ces glorieux évenemens , il n'en est peut-
être pas de plus mémorables que la bataille dé Castiglione
et les com))als qui la précédèrent.
Les bruits les plus alarmans circulaient alors en France
sur le sort de l'armée d'Italie ; on savait que le général des
Autrichiens, Wurmser , avait reçu de nombreux renforts :
on savait qu'il voulait en profiter pour débloquer Mantoue;
qu'il s'étaKdéjà empaié de Salo et de Brescia; et qu'une de
ses colonnes avait contraint l'armée française d'évacuer Vé-
rone. L'iBqoiiitud» était grande ; mais la confiance dans les
lalens A^b^naparte l'était encore d'avantage , et elle ne fut
point Uroopée. Dans ces circonstances difliciles , pressé par
«ne ariHé* nombreuse que des avantages devaient -enhardir,
ce général sentit qu'il fallait adopter un plan vaste, afin^,
non-seu'emcnt , d'arrêter les progrès de l'ennemi, mais
encore d'anéantir ses forces. Les Autrichiens , en descen-
dant du Tyrol par Brescia et l'Adige , le mettaient au mi-
lieu de leur armée ; mais si les troupes républicaines
étaient trop faibles pour faire face aux deux divisions , elles
pouvaient battre chacune d'elles séparément. Pour y réussir,
il fallait, dans vingt-quatre heures, lever le siège de Man-
toue , repasser sur le c'iamp le I\lincio , et ne pas donner à
l'ennemi le temps d'envelopper l'armée française; Bonaparte
n'hésite pas un seul instant.
Le 12 thermidor, an iv , toutes les divisions se mettent
en marche ; le 43, le général Soret bal les Autrichiens à
Salo, leur prend deux drapeaux, deux pièces de canon et .
deux cents prisonniers , pendant que le général Dallemagne,
chargé d'attaquer Lonado, met 600 hommes hors de combat,
et fait six cents prisonniers. Le 44 , Augereau s'empare de
Brescia.
Le \5, l'armée est rassemblée, et se porte en avant.
L'ennemi fait marcher un corps considérable à Castiglione ,
occupé par une demi-brigade française , (jui se reploye , par
la faute de son chef, et abandonne celte position importante.
Le général Soret est forcé de quitter Sulo: le général Guieux
reçoit l'ordre de le reprendre. Pendant ce temps, on ap-
prend que toute l'armée de Wurmser passe le Mincio pour
venir attaquer les Français.
Le 46, à la pointe du jour, on se trouve en présence;
Augereau attaque les ennen^is, fait 2,000 prisonniers, tue
500 hommes, et enlève 18 pièces de canon. La division
Masséna les rencontre à Lonado : au commencement de
l'action, elle perd trois pièces d'artillerie , et le général Pi-
geon est fait prisonnier ; mais Bonaparte et Berthier ar-
rivent , le comlîat recommence , le général Pigeon est re-
pris, l'ennemi prend la fuite, IMasséna le poursuit, lui
prend sept pièces de canon , trois généraux , deux mille
prisonniers, et taille en pièces cinq à six cents hommes.
En même temps une autre colonne attaque Salo, et s'em-
pare de 450 chevaux d'artillerie, de 400 hulans, et de
4 ,800 prisonniers.
Le 47, un parlementaire vient dire à Bonaparte, que la
gauche de son armée est cernée , et que les Français sont
sommés de se rendre. Bonaparte répond : « Allez dire à
votre général que s'il a voulu insulter l'armée française, je
suis ici ; que c'est lui-même qui est prisonnier^ que la di-
vision qu'il commande est une des colonnes que nos troupes
ont coupée à Salo ; que si , dans huit minutes , il n'a pas
mis bas les armes , que s'il fait tirer un seul coup de fusil ,
je fais tout fusiller. Débandez les yeux à Monsieur, ajoute-
t-il , voyez le général Bonaparte, son état-major et la brave
armée républicaine ; dites à votre général qu'il peut faire
une bonne prise; allez. » On redemande à parlementer; le
chef de la colonne ennemie veut obtenir une honorable ca-
pitulation : « Non , dit Bonaparte , vous êtes prisonniers de
guerre. » Berthier reçoit l'ordre de faire avancer les grena-
diers , l'artillerie légère , et d'attaquer. Aussitôt le général
ennemi s'écrie : Nous sommes tous rendais. Trois bataiUons
autrichiens de 4,000 hommes , 20 hulans , 4 pièces de canon,
5 drapeaux, sont livrés aux Français, et sont rais en route
pour les dépôts.
Le lendemain, 48 thermidor, Bonaparte est à Casti-
glione de Stivère, en présence de l'autre division de
Wurmser, forte de 25,000 hommes. A six heures du matin„
il fait un mouvement rétrograde , pour attirer l'ennemi ,
qui se laisse tourner par la colonne du général Serrurier.
L'action s'engage r sur tous les points les Français sont vic-
torieux , et l'ennemi perd deux mille hommes , tant tuéa
que prisonniers, dix huit pièces de canon et 420 caissons.
Cette campagne se termina en cinq jours; l'armée étiùt
depuis huit jours à cheval ; Bonaparte n'avait pas dormi
depuis le 44 thermidor, et le 48, il ne s'était pas encore
débotté.
Lorsque les nouvelles de ces étonnans succès parvinrent
à Paris, l'enthousiasme fut universel, et un décret unanime
MAGASIN UNIVERSEL.
du corps législatif déclara que l'armée d'Italie n'avait cessé |
de bien mériter de la patrie. Un orateur du conseil des
cinq-cents , qui regrettait de ne pouvoir lui donner un té-
moignage plus éclatant de la reconnaissance nationale , di-
sait à cette occasion : « Nous somuies condamnés à nous
servir de formules uséesj mais il est beau de les avoir usées
par la victoire. »
BAINS CHEZ LES ANCIENS.
L'heureuse influence des bains sur la santé et le bien-être
qu'ils procurent , ont été appréciés dans tous les temps et
dans tous les pays. L'histoire nous apprend l'emploi fré-
quent qu'en faisaient autrefois les Egyptiens , les Grecs et
les Romains, et de nos jours , les Russes, les Finlandais,
les Norwégiens et les autres peuples du nord, ont pour les
bains «n goût tout aussi prononcé que les Turcs, les
Egyptiens modernes , les Persans et les Indous , qui vivent
sous un ciel ardent.
Les fondateurs de quelques sectes ont fait de l'usage des
bains une pratique religieuse, parce qu'ils ont compris
l'importance de ces ablutions pour la salubrité publique.
Partout où les classes pauvres ont pu recourir à peu de frais
à ce simple traitement , on a vu diminuer rapidement la
gravité et la fréquence de ces hideuses maladies de la peau,
jadis si communes , non-seulement dans les pays chauds ,
mais encore dans les régions tempérées que nous habitons.
On retrouve l'usage des bains chez tous les peuples de
l'antiquité ; c'est ainsi que dans Homère nous voyons ïé-
lémaque conduit dans des bains d'une extrême propreté , et
ensuite parfumé par les plus belles esclaves du palais.
Ce fut aux Grecs que les Romains empruntèrent non-
seulement l'usage des bains , mais encore la forme et la des-
tination des pièces qui les composaient. Sous César, les
bains étaient telleuîent en usage , qu'on en trouvait dans
toutes les maisons des particuliers aisés. Les Romains se
baignaient ordinairement depuis midi jusqu'au soir; il fut
défendu par un édit de se baigner après le repas.
La forme de l'habillement des Grecs et des Romains,
ainsi que la chaleur des climats qu'ils habitaient , leur im-
posèrent la nécessité de se baigner fréquemment; mais le
luxe et la mollesse multiplièrent dans la suite les bains chez
ces derniers, à tel point que sous les empereurs, ils y
passaient presque la journée entière. C'est alors que s'é-
levèrent ces immenses monumens , connus sous le nom de
thermes, et dans l'érection desquels chaque empereur
voulut déployer sa magnilicence en faisant sa cour au
peuple; nous ne traiterons , dans ce premier article, que
des bains privés.
L'appartement des bains se pratiquait dans la partie la
plus reculée de la maison; il se composait d'une petite
cour entourée de portiques sur trois de ses faces ; sur Ja
quatrième était mi bassin servant à prendre le bain froid
en commun; ce bassin, appelé ba/Jtisierhnji , quelquefois
assez grand pour pouvoir y nager , était couvert d'un toit
supporté par des colonnes en saillie
Plus loin était l'étuve , pièce ordinairement circulaire,
entourée de trois rangs de gradins en marbre , an centre de
laquelle était un bassin d'eau bouillante, d'où sortait un
nuage épais de vapeur qui remplissait la salle et s'échappait
par une ouverture pratiquée au sommet de la voûte.
On se plaçait en entrant, sur le premier gradin , puis sur
le second , et enfin sur le troisième pour s'accoutumer par
dégrès à la température de ce dernier , qui, en raison de sa
situation, éprouvait une chaleur plus élevée que les autres.
Indépendamment de celte vapeur, le pavé , les gradins , les
revêtemens de la salle , et même les corridors adjacens ,
étaient chauffés par des fournaux souterrains. '
A ce genre d'étuves, on en substitua plus lard un autre,
au centre de laquelle était un grand poêle chauffé par un '
fourneau ; il en sortait un courant d'air chaud dont on mo-
dérait à volonté la force , au moyen d'une soupape en bronze
de la forme d'un bouclier , qui s'adnplait à la partie su-
périeure du poêle , et qu'on élevait ou descendait à l'aide
d'une chaîne.
En sortant de l'étuve on entrait dans le bain chaud pour
s'accoutumer insensiblement à l'air extérieur; là, des es-
claves grattaient légèrement la peau des baigneurs avec des
spatules d'ivoire , d'une forme propre à suivre les contours
des muscles et de toutes les parties du corps, pour en
extraire la sueur ; on les essuyait ensuite avec des étoffes
de lin ou de coton , et on les couvrait d'un manteau de
laine fine à long poil; venaient ensuite les épileurs , chargés
aussi de couper les ongles , et enfin des esclaves qui oignaient
la peau d'huiles et d'essences parfumées.
En général les bains des anciens étaient revêtus de
marbres ou de stucs décorés de peintures élégantes et
analogues à leur destination, tels que la naissance de Vénus,
les jeux des Tritons et des Nayades , des poissons de toute
espèce qui semblaient nager dans les eaux. Le pavé de
chacune d'elles, et même celui de la cour, était en mo-
saïque variée de forme et de couleur , et de la plus grande
recherche. On a trouvé , dans les ruines de ces bains , un
grand nombre de statues , de lampes de bronze , de vases
d'argent et de terre cuite dorée, de la plus grande élégance.
ENGOULEVENT.
La famille des fissirostres à laquelle appartient cet oîsead ,
réunit tous les passereaux qui ont le bec court , large , aplati
horizontalement, légèrement crochu, sans échancrure , et,
profondément fendu ; l'ouverture de leur l)0ucbe est très-
large , et ils engloutissent aisément les insectes qu'ils pour-
suivent au vol; car ils sont exclusivement insectivores,
éminemment voyageurs, et émigrent dans les zones tem-
pérées.
Tous les engoulevens se ressemblent par leur plumage et
par leurs habitudes. Ils ne sortent que vers le soir , de ma-
nière qu'on peut les appeler des oiseaux crépusculaires; la
nature de leurs plumes soyeuses et les couleurs tendres
qu'ils présentent , leur donnent la plus grande analogie ,
quant à l'enveloppe extérieure, avec les phalènes ou pa-
(3n trouvait plus loin un autre bain froid; c'était une j pillons du soir. Leurs yeux sont grands. Leur bec, garni
pièce fermée, au milieu de laquelle était une vaste cuve qui de fortes moustaches, encore plus fendu qu'aux hirondelles,
pouvait contenir plusieurs personnes à la fois. A proximité peut engloutir les plus gros insectes, qu'il retient au moyen
de ces bains, était le vestiaire, dans lequel des esclaves, d'une salive gluante, et porte sur sa base les narines en
après avoir déshabillé les baigneurs, pliaient leurs vêtemens
et les serraient dans des cases ou armoires disposées à cet
effet.
Venait ensuite le bain chaud : on y trouvait ordinairement
plusieurs baignoires ; mais la principale , dans laquelle on
descendait par des dégrès de marbre , était placée auprès
d'un bémycicle garni de deux rangs de gradins. Cette dis-
position s'appelait V école, parce que ceux qui s'y asseyaient
pour assister au bain , sans y prendre part , s'y livraient à
des entretiens pliiloso[>;iiques avec les baigneurs. Cette
pièce était éclairée par en haut ; ces entretiens avaient lieu
dans le bain froid comms dans le Ixiin chaud.
forme de petits tubes; leurs ailes sont longues, leurs pieds
courts , à tarses emplumés ; le pouce peut se diriger en
avant.
Ces oiseaux vivent isolés , ne volent qne pendant le cré-
puscule ou dans les belles nuits , poursuivent les phalènes
et autres insectes nocturnes , et déposent à terre et sans art
un petit nombre d'œufs. Quand ils volent , l'air qui s'en-
gouffre dans leur large bec , y produit un bourdonnement
particulier. On a dit qu'ils tètent les chèvres; mais il n'en
est rien , et ce qui a donné lieu à celte opinion populaire,
c'est qu'ils frécpientent les parcs des chèvres et des moutons
I pour s'emparer des insectes qui y sont attirés en grand
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MAGASIN UNIVERSEl
nombre. La seule espèce d'engoulevent qui existe en Eu-
rope, est longue de dix pouces et demi , ayant vingt-deux
pouces d'envergure , d'un gris brun , ondulé et moucheté
de brun noirâtre , avec une bande blanchâtre allant du bec
à la nuque. Cet oiseau arrive chez nous au printemps , niche
dans les bruyères, et va chercher des climats plus chauds au
moment de l'année où sa nourriture devient moins abon-
dante. Le mâle diffère de la femelle par une tache blanche,
ovale, placée sur le côté intérieur des trois premières
pennes de l'aile , et par une autre qui est au Iwut des deux
pennes les plus extérieures de la queue.
(L'Engoulevent. )
Le vol de l'engoulevent , qui est bas et inceilain lorsqu'on
le fait lever en plein jour , est vif et soutenu après le cou-
cher du soleil; mais il présente toujours des irrégularités,
qui sont uidispensables à cet oiseau , pour la poursuite de
sa proie. C'est ainsi qu'on le voit que]([uefois s'abattre avec
impétuosité , se relever brusquement , et faire long-temps ,
et sans interruption , le tour d'un arbre où des insectes se
sont réfugiés. Cet exercice semblerait devoir fournir aux
chasseurs des moyens aisés d'atteindre ces oiseaux , mais
loin de lu, les erigoulevens disparaissent au moindre
bruit , et comme pendant le jour leur couleur empêche de
les distinguer du feuillage qui les enveloppe et les protège ,
il faut les faire sortir , à grand bruit, des taillis où ils se
blotissenl, et les tirer au vol.
LA MER MORTE.
Dans le récit qu'il vient de publier de sou Voyage en
Orient, M. Michaud décrit en ces termes l'aspect et la na-
ture extraordinaire de cet immense lac dans lequel se jette
le Jourdain et que nous connaissons sous le nom de Mer
Morte :
« Nous visitâmes la mer Morte, qui est à trois quarts de lieue
à l'ouest de l'embouchure du Jourdain; il était sept heures
du matin : une brise légère soufflait alors , la surface du
lac en était ridée , et ses ondes battaient paisiblement la
rive. La mer n'exhale ni vapeur ni fumée , l'air est pur
autour d'elle, les flots sont aussi brillans, aussi azurés que
ceux de l'Archipel et de i'Hellespont. Ce qu'on a dit de
l'amertume et du mauvais goût de ses eaux est parfaitement
exact; j'en ai goûté dans le creux de ma main , et j'en ai
eu le cœur malade pendant un quart-d'heure. Une blanche
bordure de sel entoure le lac , et se mêle à un bitume rou-
geâtre déposé par les eaux ; j'ai vu sur la rive de petits co-
quillages et des cailloux comme on en voit sur les rivages
de nos mers. Nos savans naturalistes se demandent encore
s'il existe des poissons dans la mer Morte; ils sont en
général maigres et petits. Le vieux Cheik , (|ui m'accom-
pagnait, et deux de nos cavaliers arabes , m'ont dit qu'ayant
voulu un jour en manger, ils leur trouvèrent un goût si
empesté qu'ils furent obligés de les jeter. J'aurais bien voulu
me baigner dans la mer Morte , pour résoudre par moi-
même la question de savoir si l'eau est assez pesante pour
soutenir le corps de l'homme; je craignais le retour de la
fièvre, et je n'ai point osé entrer dans le lac ; mais l'un des
voyageurs anglais qui nous avaient suivi, a fait devant moi
cette expérience : il s'est étendu sur l'eau , cherchant à s'en-
foncer , et j'ai vu son corps flotter à la surface comme un
tronc d'arbre. Vespasien , si l'on en croit Josephe , fit la
môme expérience ; il lança dans la mer Morte plusieurs
esclaves, les pieds et les mains liés, et pas un n'alla au
fond. Le voyageur Pococke plongea dans le lac, et ne put
parvenir à s'enfoncer ; d'autres voyageurs se sont aussi
assurés du phénomène : on trouve dans quelques endroits
du lac , des ulves aux lanières longues et déliées, comme
dans nos lacs et nos étangs d'Europe. Je n'ai point vu la
caille d'Arabie dont parlent quelques voyageurs , la même,
dit-on , qui nourrit les Hébreux dans le désert.
Je ne crois pas qu'il existe, dans tout l'univers, des lieux
plus capables de frapper l'imagination que la mer Morte et
les lieux d'alentour; cette vallée dont la face a été flétrie et
dévorée , est comme remplie encore de la grande et su-
blime terreur d'une époque de deslrudion. Cette mer est
véritablement une mer morte; car elle ne jette à la terre
aucun bruit, elle est immobile et muette comme un sé-
l)u!cre ; on dirait un de ces lacs funèbres que la mythologie
des anciens avait placés dans le royaume des morts. Lorsque,
sous le souffle de la tempête , la mer de Sodome par fois
est ébranlée , son mugissement sourd ressemble à de longs
cris étouffés , vous diriez les sanglots et les gémissemens
des nations englouties dans l'abîme, la voix suppliante de
Gomorrhe et de ses sœurs. Si j'avais quelques étincelles de
ce génie qui dicta l'épopée Des Martyrs , ou celui qui a
inspiré les Méditalions poétiques , j'aurais pu reproduire de
grandes et de terribles peintures ; mais toutes mes paroles
me semblent vaines en présence du lac où dorment et les
peuples et les cités, sur ce sol livide où lèvent de la colère
a passé , devant ces montagnes brunes et dépouillées qui
semblent garder encore l'empreinte de la foudre. »
LE JAGUAR.
Cet animal long-temps confondu avec la panthère et le
léopard , n'en a bien été distingué que dans la Ménagerie
du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Le hasard l'avait
fait placer à côté d'une panthère , et l'on fut si frappé de la
différence de la voix de ces deux animaux à peu près de
même taille , qu'on dût conclure qu'ils n'étaient pas de la
même espèce, et par un examen plus attentif, on les dis-
tingua complettement l'un et l'autre.
Le jaguar appartient à l'ordre des carnassiers , à la famille
des carnivores ; cette ftimille comprend les mammifères les
plus carnassiers , ceux dont l'appétit sanguinaire est en har-
monie avec la force des organes qui doivent lui servir d'in-
strument. Chez les carnivores, en effet, chaque mâchoire est
armée de deux dents canines grosses , longues et écartées ,
entre lesquelles sont six ihcisives; la seconde incisive de la
mâchoire inférieure a sa racine un peu plus rentrée que les
autres. Les dents molaires sont tranchantes ou mêlées seule-
ment de tubercules mousses et non hérissées de pointes co-
niques. Les habitudes carnassières de ces animaux sont liées
à la forme plus ou moins tranchante des dents , et l'on peut
juger de l'aptitude qu'ils ont à se nourrir exclusivement de
chair , par la disposition plus ou moins tuberculeuse de leurs
dents molaires qui servent à les faire distinguer. A cet ap-
pareil de mastication si redoutable , la plupart des carni-
vores joignent des pattes armées d'ongles plus ou moins
crochus et qui , chez quelques-uns , sont rétractiles. Tels
sont les traits les plus saillans de l'organisation de ces
animaux que leur naturel ardent pousse à tous les genres
de luttes , et dont la vie presque tout entière se consume
dans les combats qu'ils engagent ou qu'ils ont à soutenir.
MAGASIN UNIVERSEL.
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Toutefois , la nature n'a pas doué tous les animaux carni-
vores d'un égal degré de force et d'énergie : à ceux-ci elle
a accordé largement l'audace et la violence ; pour d'autres ,
elle a trouvé un dédommagement à leur faiblesse relative
dans l'instinct adroit et rusé dont elle leur a prodigué les
ressources : aussi l'absence ou la présence de certains or-
ganes , le développement excessif ou modéré de certains
caractères ont-ils contraint les naturalistes à former des
groupes secondaiies dans la famille des carnivores et à les
répartir en trois tribus.
L'une de ces tribus , les digiiigvades, est celle où doit être
rangé le jaguar qui appartient au genre chat , l'un des genres
de cette tribu ; il acquiert une taille qui approche de celle
du lion , sa longueur est d'environ quatre pieds , sa hauteur
de deux pieds et demi , sa queue a trente pouces. Son pelage
est d'un fauve jaunâtre sur toutes les parties supérieures du
corps; le dessous du cou , le tour de la gueule , le ventre,
l'intérieur de la cuisse et des jambes sont d'un beau blanc.
Ses taches sont noires, pleines, eu forme de rond avec un
on plusieurs points au milieu ; sa voix ressemble à une sorte
d'aboiement rauque, et lorsqu'il menace, il souffle à peu
près comme le chat domestique. Cet animal a les mœurs
de tous les autres chats ; lorsqu'il n'est pas poussé par une
faim violente, il est d'une défiance extrême, et n'altaciue
sa proie que par surprise, et surtout la nuit. Sa force est
prodigieuse ; les voyageurs prétendent qu'il peut emporter
un cheval et traverser à la nage , avec cette proie , une ri-
vière large et profonde. Il habite les lieux couverts et les
grandes forêts de l'Amérique , il se cache dans les cavernes,
et n'est pas effrayé par le feu; car plus d'une fois les In-
diens qu'environnaient de grands brasiers ont été attaqués
par lui. Il se nourrit de toute espèce de gibier, et s'avance
dans l'eau pour attraper le poisson , qu'il aime beaucoup.
Les Espagnols et les Indiens chassent le jaguar avec des
lacets, qu'ils lancent si adroitement en courant à toute
bride, qu'à cent pas ils l'enlacent et le mettent hors d'état
de se défendre. Ils le chassent aussi avec des meutes nom-
breuses; alors l'animal monte quelquefois aux arbres pour
se soustraire à leur poursuite , et s'élance sur le chasseur.
Les Indiens sont assez hardis pour attaquer le jaguar cqrps
à corps ; le bras enveloppé d'une peau de mouton , ils évitent
la première atteinte de ses morsures, et au moment où il
s'élance, ils lui enfoncent leur arme dans la poitrine.
( Le Jaguar. )
Les peaux de jaguar sont assez recherchées; long-temps
elles ont fait l'objet d'un commerce très-considérable , mais
le nombre de ces animaux a diminué , et l'on n'en tue que
rarement.
SENEGAL.
SUl'EllSTITIONS DES NÈGRES DE SAI^T-LODIS ET DE
CORÉE. — GRIGRIS. — MARABOUTS.
La religion des nègres du Sénégal est un mélange d'ido-
lâtrie et de mahométisme : mais les objets de leur culte dif-
fèrent plus ou moins de peuple à peuple. Leurs prêtres for-
ment une caste extrêmement respectée; ils sont les dépo-
sitaires de la science et des livres sacrés. Cette classe
d'hommes a seule le privilège de ne pas travailler à la terre;
les lévites qu'ils initient dans la reconnaissance de leurs
mystères vont de case en case ramasser le couscous né-
cessaire à l'existence de leurs maîtres ; ce casuel n'est jamais
contesté. Pour être marabout , il faut être fds de marabout
et savoir, bien ou mal , lire et écrire l'arabe. Un bouquet
de barbe au menton, un air toujours grave , l'assiduité à la
prière matin et soir, au soleil levant et au soleil couchant ,
sont les signes distinctifs du prêtre. Le marabout n'a qu'une
femme et ne boit jamais de liqueurs fermenlées. Pour prix
de cette régularité , il a reçu du prophète le privilège de lire
dans l'avenir, de faire trouver les objets volés, de jeter sur
une ou plusieurs personnes des sorts qui les font périr mi-
sérablement, à moins qu'elles ne se rachètent par des présens
ou ne se mettent sous les auspices d'un autre maral>out plus
puissant et qui daigne les protéger. Mais ce qui fait la prin-
cipale industrie du marabout, c'est la confection des (jrigris,
espèces de reliques plus ou moins efficaces , suivant le degré
de sainteté de celui qui les vend. La forme de ces reliques
varie selon le génie ou le caprice de l'artiste ; il y en a pour
tous les maux et pour tous les actes de la vie. Le chasseur
est à l'abri du boa et du tigre avec son grigrr qn'il porte
suspendu à son cou ; le guerrier peut défier le poignard et
les flèches ; le pêcheur n'a rien à craindre du requin ni du
crocodile , grâce à ces amulettes ; les sorciers ne peuvent
rien sur la femme protégée par le {/ri(/ri , et ses enfans gran-
dissent et prospèrent en dépit des maléfices de ses voi-
sines.
La crédulité de ces pauvres nègres est telle qu'on en a
vu s'exposer, de gaîté de cœur, aux plus grands dangers,
pour éprouver la vertu de leurs grigris. Il y avait à Saint-
Louis une vingtaine de nègres au service des hôpitaux ; la
supérieure des religieuses qui soignaient les malades en-
voyait journellement au magasin général deux nègres pour
aller chercher le vin et le sucre nécessaires à l'établissement :
la livraison de ces objets se faisait sur le vu du bon signe
par la supérieure ; les nègres chargés de prendre les den-
rées ne pouvaient comprendre comment on leur donnait
tant de choses pour un petit morceau de papier , qui saire-
ment était un grigri puisqu'il opérait tant de merveilles. Le
dévoùment des pauvres religieuses pour le service des ma-
lades et le respect que tous les Européens avaient pour elles
recommandaient encore à l'admiration des nègres les grigris
de la supérieure. Tous les petits morceaux de papier qu'elle
jetait ou qu'on pouvait lui surprendre étaient à l'instant
renfermés dans des bourses de cuir qu'ils suspendaient à
leurs cous. Ces grigris ne leur ouvraient pas à la vérité les
portes du magasin général ; mais quand ils allaient à la
grande terre pour faire du bois, ils étaient sûrs de rap-
porter une bonne et belle provision.
Le séjour des Européens sous un soleil brûlant et leur
contact avec les nègres finissent peu à peu par les dégrader,
au point de les rendre esclaves des mêmes préjugés. J'ai vu
entre autres deux négocians de Bordeaux qui , après trente
ans de séjour en Afrique , avaient fini par adopter les gri-
gris des marabouts du pays. J'ai fait la même remarque
presque sur tous les mulâtres de Saint-Louis et de Gorée ;
quoique élevés dans la religion catholique , dont ils suivent
la pratique extérieure , la plupart des négocians consultent
les marabouts avant de jeter un navire à la mer, et cachent
sous leur chemise , avec le soin que commande le respect
humain , les grigris qui décorent la poitrine de leurs es-
claves. Un Français, maire de Gorée , nourrissait dans sa
58
MAGASIN UNIVERSEL.
cave im serpent qui était l'ame de son grand-père; il n'au- |
rait mangé, pour rien au monde , du poisson certains jours
de l'année , attendu que les nègres de Dacar avaient re-
marqué que les poissons pris à ces époques étaient les génies
de leurs ancêtres. Le maire de Saint -Louis , autre mulâtre,
était tout au moins aussi superstitieux; et cependant ce
n'était pas un homme ordinaire, on en jugera par le trait
saivant :
Un marabout de Saint-Louis fut convaincu de vol et
condamné par la police de la ville à être fouetté sur la place
publique : grande désolation dans tout le pays : fouetter un
marabout ! jamais un pareil scandale n'avait affligé les en-
fans du prophète. Un soulèvement épouvantable allait
avoir lieu , lorsque le maire , revêtu des insignes de l'au-
torité , parut dans l'assemblée des marabouts, où il fut ré-
solu qu'on se rendrait en députation chez le commandant ,
pour lui demander la grâce du condamné. Au jour indiqué,
deux au trois cents nègres , conduits par leurs prêtres , se
rendent au domicile du maire, leur protecteur naturel et
chargé de porter la parole. Celui-ci met son écharpe et
marche à la tête de la députation. Quelques réflexions pé-
nibles l'agitaient en chemin. Le gouverneur ne sera-t-il pas
offensé de sa démarche ? Celte grande cohue , qui se gros-
sissait en route , u'a-t-elle pas plutôt l'air d'un attroupement
que d'une modeste députation ? et enfin les 3,000 francs qu'il
reçoit du gouvernement ne sont-ils pas compromis par cet
acte de condescendance ? Pendant qu'il était préoccupé de
ces réflexions, un trait de génie vint tirer le maire de tant
de dangers. Arrivé à la porte du palais , il fit faire un cercle
autour de lui et harangua son escorte dans les termes sui-
vans : « Enfans du prophète , valez-vous plus que vos pères ?
Répondez ! — Non , non ! s'écrie-t-on de toutes parts. —
Eh bien ! vos pères étaient fouettés , pourquoi ne le seriez-
vous pas? La cause d'un homme qui a dégradé son minis-
tère mérite-t-elle une faveur que n'ont pas exigée vos pères
dans une semblable occasion ? Croyez-moi , retirons-nous ,
et laissons fouetter le marabout. Le prophète est plus puis-
sant que nous auprès du commandant , ne lui enlevons pas
la gloire de le délivrer , s'il le juge convenable. » Cette al-
locution calma la foule irritée, qui se dispersa; et la sen-
tence fut exécutée. La suite à un prochain numéro.
MOEURS DES SUEDOIS. (Suite.)
Nous avons donné, dans un précédent numéro (I), sur
les moeurs du peuple suédois , un premier article emprunté
à la Revue Britannique , recueil mensuel où l'on trouve
non seulement des extraits et des analyses faites avec talents
des publications les plus remarquables de l'Angleterre,
mais encore des articles originaux d'un haut intérêt. Nous
communiquerons aujourd'hui à nos lecteurs, avec l'au-
torisation du directeur de cette Revue, un second extrait de
la Notice si exacte et si pleine de faits qu'il a donnée sur
le même sujet.
La contrée la plus curieuse à observer de toute la Suède,
c'est la Dalécarlie , pays sauvage où peu de voyageurs pé-
nètrent , et que les Suédois eux-mêmes connaissent mal.
Un caractère franc , hardi , énergique , une force athlétique,
un grand respect pour la loi et le magistrat, respect qui
n'est mêlé d'aucune servilité , distinguent le Dalécarlien.
L'orsqu'un gouverneur passe , tous les habitans des villages
qui connaissent les endroits qu'il doit traverser la nuit, ont
soin d'éclairer sa route avec des torches allumées ; cependant
leur esprit d'indépendance est extrême , ils sont industrieux,
et la plus part des villages de la Dalécarlie possèdent quelque
genre d'industrie qui est propre à chacun d'eux. Ainsi les
paysans de Mora et Dornoes , fabriquent de jolies pendules ;
ceux d'Hémora sont célèbres pour leurs ustensiles de fer;
ceux d'Elfdal exportent d'excellens peignes à tisser. Quoi-
qu'une population trop abondante occupe un espace de
(i) Voyez i)age 22.
terrain aride ^ qui souvent se refuse a donner les produits
nécessaires , roconomie laborieuse de ce peuple et sa fru-
galité le soutiennent au milieu des rigueurs du climat.
Aucun paysan Dalécarlien n'a recours au cordonnier , aa
tailleur ou au maçon ; chacun fabricjue de ses mains tout
ce qui lui est nécessaire , et, cependant, quand la saison est
mauvaise , quand arrivent les jours de disette , le paysan est
obligé de pétrir et de broyer l'écorce d'arbre à laquelle il
mêle un peu de farine , et qui compose son pain. On cite
des traits charnians d'hospitalité qui n'appartiennent qu'aux
peuples primitifs. Un Dalécarlien qui sort de sa cabane
pour aller aux champs, pose, sur une tablelte placée en
dehors de la porte, la clef de son garde-manger, afin que
le voyageur puisse , pendant l'absence du maître , trouver
les alimens qui lui sont nécessaires.
Ce peuple singulier se distingue par une physionomie
spéciale , par un costume brillant et bizarre qui n'a pas
changé depuis cinq siècles, et par un attachement aux
vieilles mœurs qui ne se retrouve dans aucun pays d'Eu-
rope ; il parle encore le vieux Scandinave , la langue des
Russes. Il y a beaucoup de paroisses où les mœurs pri-
mitives se sont conservées dans toute leur pureté : ainsi
dans le village de Mora , les jeunes gens et les jeunes filles
se rassemblent deux fois par semaine dans une grange ,
sans que les parens assistent à ces soirées ; des morceaux de
sapin résineux éclairent le salon rustique; les jeunes filles
ti'icotent et tissent pendant que les jeunes gens causent , et
la réunion se prolonge très-avant dans la nuit. On assure
que les ménages dalécarliens sont excellens , et que cette
liberté des mœurs en protège la pureté.
En 1715, les habitans d'une des parties les plus sauvages
et les plus stériles de la Dalécarlie, de la paroisse d'Elfdal, ont
découvert une source, non de richesse, mais d'aisance;
les pauvres gens que leurs nuits froides , leur sol pauvre ,
leurs rochers sans terres végétales exposaient si souvent à
la famine , et qui dépouillaient leurs arbres de leur écorce
pour nourrir leurs femmes et leurs enfans , ont enfin trouvé
une mine de porphyre dont les produits magnifiques sont
exportés dans toute l'Europe , et mériteraient d'obtenir une
circulation plus étendue. Les laiteries, les pharmacies, les
fabriques d'horloges et de pendules devraient employer
plus fréquemment cette matière dont la dureté résiste aux
liqueurs les plus corrosives, tandis que le marbre se laisse
entamer , non seulement par le vinaigre , mais par le lait.
Les pilons des pharmaciens , leurs mortiers , les dessus de
tables et de cheminées ; gagneraient beaucoup à ce que l'on
fît usage de celle pierre si brillante à l'œil , si belle par son
poli et ses vives arêtes , si forte contre l'action du temps.
Les crimes contre la vie des hommes sont presque in-
connus en Suède , et la vue d'une paire de pistolets , in-
strumens que presque tous les voyageurs d'Europe regar-
deraient comme indispensables , porterait la terreur dans
un village. Cependant le Suédois est naturellement brave ,
il est poli quoique rustique , il s'étonne beaucoup des ma-
nières anglaises, qui, depuis environ cinquante ans, se
sont empreintes , comme on sait , de morgue, de froideur et
de dureté. Un voyageur anglais qui entre dans un lieu pu-
blic sans se découvrir , est regardé comme une espèce d'a-
nimal farouche qui n'est point fait pour la société. La lenteur
naturelle des Suédois s'accomode très- bien de cette grave
politessp et de ce sang-froid qui ne les quitte jamais. La
douceur des jurons et des malédictions en usage parmi le
peuple, contraste étrangement avec l'énergie et l'impureté
des malédictions dont les autres peuples sont prodigues. A
mesure que l'on avance vers le midi , l'impiété , la colère,
le cynisme , marquent ces expressions d'un sceau de violence
et de fureur souvent révoltant; un Anglais appelle le feu
du ciel sur vos yeux , sur vos jambes , sur votre corps , sur
votre âme; un Italien vous interpelle en termes de débauche
mêlés d'impiété. Le plus gros juron qu'un Suédois puisse
prononcer, c'est tusandjeflar (mille diables). Des menaces
paisibles, un grand amour de la vie de famille, peu de
MAGASIN lliSIVEUSKL.
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fêtes bruyantes , peu de galanterie , des rapports sociaux
qui n'ont ni celle activité , cet éclat , celle étourderie de .
l'ancienne France , ni celle ostentation , cette étiquette pom-
peuse , et cette vaniteuse prétention de l'Angleterre ; tels
sont les signes spéciaux d'une civilisation très-paisible , et
qui, si elle n'est pas agitée par le génie dramatique des
passions, offre du moins beaucoup de chances pour le bien-
ôtre et le bonheur.
Les femmes, dès leur jeunese, sont employées comme
facteurs de postes, commissionnaires, postillons, garçons
de cafés , garçons de bains. Vous arrivez à minuit à un re-
lais : une jeune personne blonde, de la plus jolie figure,
très-légèrement vêtue, et qui a rattaché son jupon à la
hâte , vient se placer à vos côtés dans la voiture , prend les
rênes , dirige les chevaux , et s'enfonce avec vous dans les
forêts les plus solitaires.
Une grande réserve , et une douceur constante , carac-
térisent les dames de la bourgeoisie et des classes supé-
rieures ; de toutes les femmes du nord , ce sont celles qui
possèdent le plus d'attraits et de grâces. Sveltes et légères,
elles n'ont rien de ces formes massives et épaisses , que l'on
trouve souvent dans les contrées septentrionales, leur taille
est mince , leur chevelure magnifique et blonde ; leur teint
éclatant, et leur tournure d'une élégance ([ui rappelle celle
des polonaises ; ajoutons que les femmes du peuple sont en
général plus jolies encore que les dames et les bourgeoises.
L'art gastronomique , sans avoir atteint en Suède une
haute perfection, y est du moins Irès-hono ré , comme dans
la plus part des pays du nord ; avant de se mettre à table ,
on va chercher sur un petit buffet, couvert de nappes
blanches , un petit repas préparatoire composé de hors-
d'œuvres , d'anchois , de radis , de caviar ; préface toujours
accompagnée de (|uel(iues verres de cognac et de rhum. Le
dhîer est disposé d'une manière qui semblera fort originale
aux étrangers : le potage , qui se compose tout simplement
d'eau chaude dans laquelle la viande a bouilli , parait non
au commencement , mais au milieu du festin; on y voit
nager des feuilles de fenouil et du raisin de corinlhe ; en-
suite défile une longue liste de mets qui tous sont accom-
modés au sucre; on met du sucre dans le potage, dans la
bière , dans la salade ; on le mêle au poivre , au vinaigre ,
aux sauces les plus épicces ; enfin l'Européen méridional ,
qui voit au milieu de la table le sucrier en permanence et
dans lequel on puise conlinuellement, regrette, je vous
assure , de tout son cœur , les dîners de Paris et de Londres.
La vie des Suédois semble partagée en stations gastrono-
miques. A votre réveil, vous trouvez sur votre lit une pe-
lile table qui supporte du café , du beurre et du pain ; à
onze heures , on déjeune avec des tartines de beurre , du
jambon , du poisson salé et de l'eau-de-vie ; on dîne à deux
heures; à quatre heures, on s'ert du café; à six heures,
vient le goûter, espèce de collation légère; enfin, à neuf
heures, on soupe, et presque toujours le mets principal de
ce dernier repas est un mélange de lait, de bière et de sirop,
qui ne ressemble à rien de ce (jui se mange ou se boit dans
nos contrées. L'habitude des toasts s'est conservée en Suède
dans sa simplicité patriarcale ; toutes les fois qu'un convié
boit à votre santé , il est absolument nécessaire que vous
vidiez votre coupe jusqu'au fond. Aussi comme disait le
jeune Ilamlet : « Supposez que vingt convives renouvellent
la même politesse, à moins d'être très-exercé à cet usage,
vous vous trouverez très-embarrassé , d'autant plus que les
verres des Suédois sont larges et profonds. » Souvent, dans
les classes bourgeoises , on pratique l'ancienne coutume ,
(pii ordonne à chaque convive de baiser la main à la dame
placée près de lui.
sailles par les bandes venues de Paris ; retour du roi et de la fa-
mille royale ramenés par le peuple dans la capitale.
7 octobre 1760. — Premier congrès national à New-Yorck
déclaration des droits des Américains. — 18-26. Traité d'Acker«
mann par lequel la Russie force la Porte à reconnaître les privi-
lèges de la Valachie et la Moldavie , et l'existence civile et reli-
gieuse des Servions.
8 octobre 45r. — Le concile général réuni à Calcédoine, con-
damne deux évoques qui soutenaient qu'il n'y a en Jésus-Christ
qu'une seule nature. — 1804. Un nègre échappé à l'esclavage
lors de la révolte de Saint-Domingue ; Dessalines est proclamé
empereur d'Haïti.
9 octobre 1793. — La ville de Lyon, que les excès de la ré-
volution avaient soulevée contre la convention , forcée de se rendre
parla famine, est livrée à la commission composée de Couthon ,
Fouché , et Collot d'Herbois. On sait qu'elle férocité déployèrent
ces triumvirs dans l'accomplissement de leur mission. — I7<j5.
Josepli-le-Bon , d'ignoble et sanglante mémoire, le bourreau des
habitans d'Arras , tombe à son tour sous la hache de la révolution.
— 1799. Bonaparte , à son retour d'Egypte, débarque à Fréjns.
— i8i3. Le congrès d'Aix-la-Chapelle arrête que les armées
alliées évacueront le territoire Français.
10 octobre 1785. — Les Prussiens s'emparent de la Hollande ;
le stathouderat triomphe de la république.
i3 octobre 1641 — Les catholiques irlandais, soulevés pour la
défense de leurs libertés religieusets et civiles, massacrent un grand
nombre de protestans. — i8i5. Murât, ex roi d'Italie, après
avoir abandonné follement son trône , opère une descente sur la
côte de la Calabre , est saisi et fusillé.
14 octobre 1066. — Bataille d'Hastings ( voyez page 2 1 ). —
i8oti. Bataille d'Iéna qui soumit la Prusse à Napoléon.
16 octobre 1793. — Exécution de la reine Marie-Antoinette.
17 octobre i8o5. — Les Autrichiens, entassés dans Ubn , se
rendent à l'empereur ; cet anéantissement de leur armée prépara
le succès de la bataille d'Austerlitz.
1 8 octobre 1 3 1 5. — Napoléon débarque à Sainte-Hélène.
1 9 oct. r S 1 3. — La France perd à Leipsick le sceptre de l'Europe!
20 octobre 4S0 av. J.-C. — Les Perses sont vaincus par les
Athéniens dans les eaux de Salaniine. — 1827. Bataille de Navarin.
26 octobre i83o. — Bombardement d'Anvers.
27 octobre i553. — Calvin fait brûler, à Genève, Michel
Servet, comme hérétique.
3i octobre 1787. — Création de l'école normale.
ÉPHÉMÉRIDES.
Faits et cvcneinens remarquables du 6 «k 3r octobre.
5 et G octobre 1789. — Massacre des gardes-du-corps à Ver-
LE RHINWALD.
Le pays des Grisons est une des parties de la Suisse que
le voyageur parcourt avec le plus d'intérêt. La nature y
déploie d'aussi grands et d'aussi sublimes spectacles que
dans l'Oberland Bernois , et Ton y trouve une solitude ma-
jestueuse et sauvage, que ne présente pas cette dernière
contrée, sillonnée en tous sens par une foule de ioxiristes
fashionables et d'oisifs de tous les pays. De plus , les Gri-
sons ont conservé une partie de leur originalité primitive ,
et l'étude de leurs mœurs, simples et douces , offie, à l'ob-
servateur, le plus puissant attrait. L'historien trouve aussi
chez eux de quoi satisfaire ses goûts de science et de re-
cherches ; car il y a peu de pays où l'on rencontre un aussi
grand nombre de châteaux , de donjons et de ruines dii
moyen-âge , monumens curieux auxquels se rattachent une
foule de traditions , de légendes et de chroniques intéres-
santes.
Le canton des Grisons est fort étendu et fort peuplé : il
ne renferme pas moins de soixante quinze mille habitans,
dont les deux tiers environ professent le culte réformé , et
le reste le culte catholique. Les Grisons^ont loin d'imiter la
tolérance religieuse de quelques cantons de la Suisse , où
l'on voit souvent les catholiques et les protestans célébrer
tour-à-tour , dans le même temple , lesmystères de leur foi.
La population , presque entière , se livre aux soins de
l'éducation des bestiaux ; l'autre partie s'occupe du com-
merce de commission, qui ne laisse pas d'avoir une cer-
40
aiA&ASIN UiMVEHSEL.
taine importance , car ce canton est traversé par un des plus
anciens passages des Alpes, servant de communication
entre rAUemagne et l'Italie.
Parmi les belles vallées de ce pays , celle du Rhinwald se
fait surtout admirer par ses sites pittoresques. Elle est en-
tourée de tous côtés par de hautes montagnes, dont quel-
ques-unes élèvent leurs cimes, couronnées de neige), à onze
mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Ces montagnes
sont couvertes d'énormes glaciers , et la vallée est exposée
à d'affreuses avalanches.
On sait (}ue les chûtes de neige , connues sous le nom de
lavanges ou d'avalanches , offrent un des phénomènes les
plus terribles, et en même temps les plus extraordinaires
de la nature dans les Alpes. Pendant le cours de l'hyver ,
d'énormes masses de neige s'amassent et s'avancent au-delà
des parois de rochers , de manière à surplomber au-dessus
du sol ; aux mois d'avril et de mai , quand le soleil a pris un
peu de force , et qu'il survient un dégel subit , ces masses se
brisent et s'écroulent par l'effet de la pesanteur, entraînant
avec elles des quartiers de pierre , des arbres et des terres , et
ensevelissant , sous leurs ruines , des maisons et des villages.
C'est au printemps que ces sortes d'avalanches ont le plus
souvent lieu , et qu'elles rendent si dangereux le passage
des Hautes-Alpes. Comme le moindre son est capable de dé-
terminer une avalanche , il faut, dans quelques contrées pé-
rilleuses, ôter toutes les clochettes des chevaux, partir dès
le grand matin , avant que le soleil ait amolli les neiges , et
marcher vite et dans le plus profond silence. On peut aussi
prendre la précaution de tirer un coup de pistolet avant de
traverser les endroits les plus dangereux j car l'ébranlement
de l'air , causé par ce bruit , entraine la chiite des masses
les plus disposées à s'écrouler, et le passage n'offre plus
ensuite aucun péril.
Les avalanches d'été ne sont à craindre ni pour les
hommes ni pour les bestiaux, parce qu'elles ne tombent que
sur les parties élevées des montagnes, sans descendre dans
(Vue de la vallée du Rhinwald , eu Snisse.)
les vallées. On croirait voir une rivière d'argent , entourée
d'une nuée de neige extrêmement subtile , se précipiter du
haut des rochers; la masse augmente de gradins en gradins,
elle roule avec un bruit semblable à celui du tonnerre, et
qui se prolonge , à la faveur des échos , au milieu du silence
subHme des Alpes. Malgré les ravages que les avalanches
ont tant de fois causés dans la vallée du Rhinwald ; malgré
les nouveaux malheurs dont elle est sans cesse menacée ,
on est étonné de voir souvent des habitations situées pré-
cisément dans les endroits les plus périlleux. C'est ce qui
prouve que la présence continuelle d'un grand danger en
diminue et en détruit même la crainte.
Au fond de la vallée , au milieu des horribles rochers de
l'A vicula et du Piz-Val-Rhein , se trouve le glacier du
Rhinwald , qui donne naissance au Rhin postérieur : ce
fleuve , qui n'est encore qu'un torrent , en sort sous une
voûte immense de glace transparente et azurée. Après avoir
quitté la gorge profonde qui lui sert de berceau , il reçoit,
dans ses ondes , un grand nombre de ruissaux , avant d'ar-
river à Splûgen ; de là il parcourt le ravin de Rofflen , s'en-
gouffre dans les abîmes de la Via-Mala , s'enrichit encore ,
dans la vallée de Domleschg , du tribut de plusieurs ri-
vières , et se réunit enfin à Reichenau , avec le Rhin an-
térieur. De Reichenau au lac de Constance , il tombe en-
core dans le Rhin une trentaine de torrens.
L'hyver dure neuf mois dans la vallée du Rhinwald ; à la
fin de juin , l'herbe ne fait que poindre , et avant le com-
mencement du mois de septembre, il faut que les foins
soient rentrés.
Ce pays est habité par les descendans des Allemands de
la colonie de Souabe , que l'empereur Frédéric I""" envoya
sur la fin du xi" siècle , pour s'assurer à jamais du passage
du Splûgen.
Les Bureaux d'Abonnemfnt et de Vente sont transfères rue
de Seine Saint-Germain, n" 9,
(
6
'6 iiovcmltre i834 )
Magasin universel
41
LES BOUTIQUES DES BARBIERS A ALGEll.
Nous avons donné à nos lecteurs la description des mos-
quées et des cafés d'Alger, et nous y avons joint denx des-
sins faits sur les lieui par l'un de nos plus habiîcs artistes ,
M. Lessore. Il nous reste à leur faire connaître d'autres
lieux de réiuiion, que les Maures semblent affectionner par-
ticulièrement, et que l'on trouve en grand nombre dans
la ville : nous voulons parler des bouticpics de barbiers.
Les autres bouli([ues des marchands sont on ne peut plus
mesquines, non-seulement à Alger, mais dans toutes les villes
de la Barbai ie ; ce ne sont, à proprement parler, que des ni-
ches pratiquées dans les murs extérieui s des maisons. Elles
ont de sept à neuf pieds de largeur sur trois pieds de pro-
fondeur environ; et quand le marchand y est accroupi au
milieu des objets de son commerce, il n'y reste presque plus
de place. Les boutiques des barbiers occupent une bien plus
grande étendue; elles ont jusqu'à vingt pieds de long sur
neuf à dix pieds de large, et réunissent ordinairement un
assez grand nombre de Maures.
Dans l'intérieur de ces boutiques, régnent , tout autour,
des banquettes en planches, où l'on voit gravement assis
les amateurs qui attendent que leur tour soit venu, et les
faneurs que le désir d'apprendre des nouvelles appelle dans
ce lieu de conversation.
Les barbiers d'Alger jouissent du privilège que conser-
vent encore un grand nombre de leurs confrères d'Etuope,
celui de répandre les petites anecdotes du jour et les évé-
nemens politiques, qu'ils habillent toujours à leur manière.
Permis à ces vivantes chroniques de débiter, à défaut de
nouvelles positives , des faits extraordinaires empruntés à
leur imagination. Tout est bon pour la galerie qui les
écoute dans un religieux silence, et accorde au doclefrater
presque autant de confiance qu'aux imans de la mosquée.
Ce débit non interrompu de nouvelles est animé par le
jeu du barbier : toujours en mouvement, soit qu'il peigne
une barbe avec grâce , soit qu'il montre sa dextérité à raser
nne tête, soit enfin qu'il se promène en gesticulant dans sa
boutique, en attendant les pratiques, il joue à lui seul , de-
vant ses habitués , un speclacle qui absorbe toute leur at-
tention.
Les boutiques des barbiers sont ordinairement tenues
Tome II.
avec propreté. Sur les murs sont accrochés les instrumens
du métier, le plat à barbe, les rasoirs, les cafetières, dans
lesquelles l'eau doit être amenée à un état de douce cha-
leur, etc. Quelques tableaux, faits par les artistes du lieu,
ornent aussi les murailles ; ce sont pour la plupart de gros-
sières représentations des combats soutenus par des corsai-
res algériens , et dans lesquels , bien entendu , le peintre
accorde toujours l'avantage à ces derniers.
Chez les barbiers ont été tramés à plusieurs reprises des
complots qui avaient pour objet le massacre général des
Français ; et c'est de ces foyers de conspiration que par-
taient ces avis donnés au bey de Tileri avant que nos sol-
dats l'eussent fait prisonnier.
COUTUMES DU MOYEN -AGE.
§ II. — LES COMBA.TS JUDICIAIRES (l\
Nous avons dit, dans notre premier article, que les com-
bats judiciaires ne paraissent avoir été d'usage général en
France que sous Louis-le-Jeune : ce qui n'empêche pas
qu'on ne trouve antérieurement à ce prince quelques exem-
ples de ce genre barbare de procédure. Nous en citerons
un assez remarquable, que nous fournit l'histoire de ces
temps reculés. Sous Louis-le-Bègue , la comtesse de Gasti-
nois fut accusée d'avoir empoisonné son mari ; les indices
contre elle étaient si forts, et Gonlran, son accusateur,
cousin-germain de ce mari, passait pour un guerrier si re-
doutable , qu'elle se voyait abandonnée de tous ses parens
et amis, lorsqu'un jeune inconnu, âgé de dix-sept ans et
nommé Ingelger, se présenta pour soutenir qu'elle était
innocente. Les juges ayant ordonné le champ-clos , il tua
Gontran , et la comtesse , de l'avis et du consentement de
ses barons et vassaux , le fit son héritier. L'archevêque de
Tours lui donna sa nièce en mariage , avec les châteaux
d'Amboise , de Buzençay et de Châlillon. Ingelger fut la
tige des comtes d'Anjou qui montèrent sur le trône d'An-
gleterre. Ce fait nous semble curieux , surtout en ce qu'il
caractérise parfaitement 1" esprit avenlureux de nos ancêtre^
(Voyez page i4.)
6
ÂÛ
MAGASIN UlSIVEllSEL.
dans ces temps de chevalerie, où la moindre circonstance
henreuse offrait les moyens d'acquérir une brillante répu-
Sation , et même de faire fortune en un instant.
Vers la fin du x* siècle, on fit décider, par le combat
judiciaire, im point de droit qui alors clait vivement con-
troversé. Il s'agissait de savoir si, en matière de succession,
la représentation pouvait avoir lieu en ligne directe. Deux
braves furent chargés de défendre en cliamp-clos, l'un
l'affirmative, l'autre la négative: et celui qui combattait
pour la représentation, ayant eu l'avantage, il fut ordonné
qu'à l'avenir elle aurait lieu, c'est-à-dire que le petit-fils
succéddrait aux biens de ses aïer.l ou aïeule , concurrem-
ment avec ses oncles et tantes, et de la même manière que
ses i)ère et mère eussent eux-mêmes succédé.
Sous le règne de Louis VII, les religieux de Ste. Gene-
viève offrirent de prouver par le duel que les liabilans d'un
petit village auprès de Paris étaient hommes de corps de
leur abbaye. Sous le même règne , les religieux de Saint-
Ci ermain-des-Près , ayant demandé le combat pour prouver
(ju'Étienne de Maci avait eu tort d'emprisonner un de leurs
:-;erfs, les deux champions combattirent long-temps avec un
(gai avantage; mais enfin, à l'aide de Dieu , dit l'historien,
Is champion de l'ahbaye emporta l'ceil de son adversaire ,
et l'obligea de confesser qu'il était vaincu.
Quoique ces prétendus jwgemcHS de Dieu fussent fondés
•jur cette présomption , que le Ciel ne pouvait accorder la
victoire qu'à l'innocence (comme s'il était donné aux hom-
mes de pénétrer les desseins secrets de la Providencej , on
peut citer une foule de faits qui prouvent que l'issue du
combat ne favorisa pas toujours le bon droit. Aussi, combien
d'infortunés furent punis pour des crimes dont ils n'étaient
pas coupables ? Combien de criminels parvinrent à se sous-
traire aux justes chàtimens qui leur étaient dus? En voici
un exemple bien frappant, rapporté par tous les historiens,
et dont on ne peut par conséquent contester l'authenticité.
L'an 1386 , Jacques Legris , chevalier au service du duc
d'Alençon, était accusé, devant la cour du parlement, de
violences et d'outrages commis envers la dame de Carrou-
ges : la cour ne trouvant pas les preuves suffisantes , or-
doiina qu'un combat à outrance aurait lieu , en présence de
cette dame , entre son mari et l'accusé, et que , si le sieur
de Carrouges était vaincu, sa femme, comme accusatrice,
subirait la peine réservée aux calomniateurs.
Au jour fixé pour le combat , les lices furent dressées à
Paris, auprès de Saint-Martin-des-Champs. La dame de
Carrouges y fut conduite , dans un char de deuil , couverte
de vêtemens noirs. Son mari s'approcha d'elle, et lui dit ;
« Dame, par votre information et sur votre querelle, je vais
« aventurer ma vie et combattre Jacques Legris. Vous
« savez si ma cause est juste et loyale. » — « Monseigneur
« dit la dame , il est ainsi j et vous combattez tout sûrement,
« car la cause est bonne. » Carrouges embrassa son épouse,
se signa, et quoiqu'il fill alors tourmenté par la fièvre, il se
disposa au combat. Les deux champions luttèrent d'abord
à cheval avec un égal avantage ; puis ils mirent pied à terre ,
et, s'étant avancés l'un contre l'autre, ils engagèrent en-
sem!)le une attaque des plus vives. Legris portaà son ad-
versaire un violent coup d'épée , qui lui fit à la cuisse une
grave blessure. On se figure aisément quelles durent être
en cet instant fatal, les transes cruelles de la dame de Car-
rouges ; car si Legris était vainqueur, son mari était attaché
à la potence, et elle était condamnée au feu. Le combat
cependant continua avec acharnement; mais l'infortuné
Legris ayant eu le malheur de faire un faux pas, Carrou-
ges en profila pour se précipiter sur lui et le terrasser.
Vainement il s'efforça de lui faire avouer son crime : il né
put lui arracher que des protestations d'innocence. Usant
alors de toute la rigueur de sa victoire, il lui passa .son épée
au travers du corps.
Telle fut l'issue de ce combat, qui ne laissa aucun doute
«ur la culpabditc dti vaincu. Le corps de ce malheureux fut
abandonné au bourreau, qui le pendit, selon Tusage et le
jeta ensuite à la voirie. Carrouges fut comblé de faveurs et
devint chambellan du roi : de plus, le parlement, par un
arrêt du 9 février 1387, lui adjugea une somme de 6,000 li-
vres sur les biens de son adversaire.
Quelques années s'étaient écoulées; l'opinion publique
était bien fixée sur cet événement, et la famille de Legris
avait perdu à la fois la fortune et l'honneur. Enfin le vérita-
ble auteur du crime fut découvert : c'était un écuyer qui
avait quelque ressemblance avec Legris. Carrouges apprit
celte nouvelle pendant ([u'il était en Afrique, et on ne le
revit plus. Quant à sa femme , en proie au désespoir et dé-
cidée à racheter par la pénitence son imprudente accusa-
lion, elle entra dans un couvent et se fit religieuse.
Ce combat ne contribua pas peu à montrer combien une
pareille jurisprudence était absurde, et ce fut à-peu-près
vers celle époque (ainsi que nous l'avons dit au § i"), que
cessa en France la coutume des duels judiciaires.
En Angleterre, cet abus a subsisté beaucoup plus long-
temps. En 1571 , un combat judiciaire fut ordonné sous
l'inspection des juges du tribunal des plaids communs; mais-
il n'eut pas lieu, parce que la reine Elisabeth, interposant
son autorité dans cette affaire, ordonna aux parties de ter-
miner à l'amiable leurs différens. Cependant, afin que leur
honneur ûft intact, la lice fut fixée et cuverie , et l'on ob-
serva avec beaucoup de cérémonie toutes les formalités
préliminaires d'un combat. En 1651, un due! judiciaire fut
pareillement ordonné, sons l'autorité du grand connétable
et du grand maréchal d'Angleterre, entre Don.ild lord
Réa et David Puunsay; mais celle querelle se leimina,
comme l'autre, sans effusion de sang, grâce à la médiation
de Charles P^
Au moyen-âge, il existait encore d'autres moyens de
rendre la justice, non moins ridicules que les combats :
c'étaient les épreuves judiciaires, qu'on appelait de même
jtigemens de Dieu. Il nous reste à en dire quelques mots.
L'épreuve, ou le jugement de Dieu par l'eau froide,
consistait à jeter celui qui était accusé li'un crime, dans une
grande et profonde cuve, pleine d'eau , après lui avoir lié
la main droite au pied gauche et la main gauche au pied
droit : s'il enfonçait, il était déclaré innocent; s'il surna-
geait , c'était une preuve que l'eau , qu'on avait eu la pré-
caution de bénir, le rejetait de son sein, étant trop pure
pour y recevoir un coupable.
Celui que l'on condamnait à l'épreuve par le feu, était
obligé de porter pendant quelques instans une barre de fer
rouge, pesant environ trois livres. Celle épreuve se faisait
aussi en mettant la main dans un gantelet de fer sortant
d'une fournaise, ou bien en la plongeant dans un vase
plein d'eau bouillante, pour y prendre un anneau béni :
on enveloppait ensuite la main du patient avec un linge ,
sur lequel le juge et la partie adverse apposaient leurs
sceaux. Au bout de trois jours , l'appareil était levé , et s'il
n'apparaissait pas de marque de brûlure, l'accusé était
renvoyé absous (1).
(i) L'cprpiive par le feu était en usage aussi chez ks païens .
Dans YAnligone de Sophocle, des gardes ollVint de prouver leur
iniuxeucc en maniaDt le fer chaud, et eu niaiciiaiit à travers ii's
flamme». Du reste il parait qu'on connais>ait le moyen de se pré-
serve." des brûlures , car Stiabon parle des prêtresses de Diane,
qui marcbaient sans se brûler, sur dis cbaibuns aidons ; et saint
Epipliane rapporte que des prêtres d'Egypte se frottaient le visage
avec certaines drogues, elle plongeaient ensuite dans des chau-
dières d'eau bouillante, sans paraît) e ressentir la moindre douleur.
Nos charlatans modernes ne sont pas moins adroits que ceux de
l'antiquité. Madame de Sévigné cite, dans une de ses lettres, un
homme qui se versait sur la langue de la cii e d Espagne onfliim-
mée ; et Saintc-Foix dit que de sou temps on a vu, dans les j)ro-
vinces, un honnne qui se frottait les mains avec du plomb fondu.
Il n'est personne de nous qui n'ait assisté au moins une fois à quel-
que scène semblable de charlatanisme. Tout le monde se ra])pelle
l'homme incomhtisiilile , qui se montrait, il y a quilques années,
à Paris , et qui malgré l'épithèle attachée à sou nom , fut rôti dans
uu four, par la maladresse de son compère.
MAGASIN UNIVERSEL.
45 r
Quand deux lioinmes s'accusaient inulucllement, on les
soumettait quelquefois à l'épreuve de la noix, ce qui se
faisait ainsi. On les plaçait vis-à-vis l'un de l'autre, et
chacun d'eux devait étendre les bras horizontalement.
Celui qui, fatij^ué le premier, laissait retomber ses bras,
perdait son procès'.
En Allemagne , l'épreuve par le cercueil fut long-temps
en usage. Lorstiu'un assassin, malgré les informations,
restait inconnu , on dépouillait eniièrement le corps de
l'assassine, on le mettait sur un cercueil, et tous ceux qui
étaient soupçonnés d'avoir en pari à l'assassinat , étaient
obligés de le toucher. Si l'on remarquait quelque mouve-
ment, quelque cJiangement dans les yeux, la bouche, les
mains ou les pieds , ou bien si la plaie venait à saigner,
celui qui le touchait au même instant était regardé comme
le vrai coupable.
Pour terminer la série de toutes ces extravagances et
faire diversion aux horreurs que ces temps d'ignorance nous
rappellent, nous citerons un usage analogue, mais furt
plaisant , que les voyageurs attribuent aux Siamois. Pour
coimaitre de quel côté est le bon droit dans les affaires ci-
viles ou criminelles, ils se servent de pilules purgatives,
qu'ils font avaler aux deux parties; celle qui les garde le
[)lus long-temps dans son estomac , o|)lient gain de cause.
DE LA MANIERE DE VOYAGER EN ESPAGNE.
Les voilures dont on se sert en Espagne sont de quatre
espèces; k's volantes ou calechines, les calechas, et les co-
ches de culleras, toutes assez incommodes , mais, en géné-
ral, fort solides, et enfin les diligences établies récemment
sur quehpies roules. Les volantes ou calechines sont de pe-
tits cabriolets portés sur deux roues, feruiés sur le devant
par des rideaux de cuir, avec un siège à deux places, mais
un peu serrées ; ils sont traînés par une mule ou par un
cheval , et conduits par un volantero ou conducteur qui va
tantôt à pied, à côté de sa bète, tantôt s'asseoit sur une des
barres du brancard.
Ces voitures sont suspendues par des courroies extrême-
ment courtes et rakks , de sorte qu' elles sui\ eut tous les
mouvemens des roues et du brancard , et qu'on y est dure-
ment et continuellement secoué ; elles sont ouvertes à tous
les vents; les cuirs destinés à les fermer ne joignent jamais;
on y est exposé au vent, à la pluie, au soleil, à la poussière.
Les calechas sont également des espèces de cabriolets ,
delà même forme et de la môme construction que les vo-
lante -, avec les(iuelles on les confond presquet oujours , mais
elles sont plus larges et plus ftrofondes.
Les coches de culleras sont des carrosses à quatre places,
construits avec plus de solidité que d'élégance , assez bien
V fermés , mieux suspendus, où l'on est à son aise et beaucoup
plus commodément; ils sont attelés de six mules, rangées
•ie deux en deux , et attachées entre elles et au limon par
de simples cordes , qui sont assez longues pour laisser une
distance considérable d'une mule à l'autre; c'est ce qu'on
appelle un tiro. Ces voitures sont conduites par deux con-
ducteurs, dont le chef s'appelle mayoral, et l'autre zayal
on TOO-o; le premier en est comme le cocher, et le dernier
le postillon; aucun d'eux ne monte jamais à cheval. Elles
portent des charges très considérables sur le derrière et sur
le devant.
L'allure des coches de culleras est assez singulière, amu-
sante même , et quelquefois effrayante, mais toujours sans
danger.
On ne peut voir tranquillement des mules sans frein ,
sans guides, retenues seulement par des traits d'une lon-
gueur étonnante , qui leur permettent de s'éloigner, de
se rapprocher, d'errer à l'aventure, parcourir des routes
souvent tortueuses, inégales, raboteuses, quelquefois es-
carpées, quelquefois encore peu frayées; on les croit à tout
moment prêtes à renverser la voiture , à l'entraîner sur des
montées scabreuses, à la jeter dans des précipices pro-
fonds; mais on est bientôt rassuré par la vigilance, par l'a-
dresse active et piomptc des conducteurs, par la docilité
des animaux (pii la tirent; ceux-ci n'ont u'autre frein ,
d'autre guide, d'auire éperon que la voix de ceux-là; ils la
connaissent, ils en comprennent les diverses inilexions et
l'inlenlion <jui les dirige; ils y obéissent avec une prompti-
tude étonnante : un cri du mayoral suffit pour les contenir
et les diriger; sa voix les anhne, les presse, accélère ou ra-
lentit leur course, les fait tourner à droite et à gauche, les
éloigne ou les rapproche', les arrête sur-le-champ. Une '
mule s'écarte- 1- elle, accélère- 1- elle ou ralentit-elle .sa
course, le mayoral l'appelle par son nom, qui est ordinai- '.
remenl celui d'un grade militaire, h generala.h capitana,
la commissaria : il lui indicjue dans son langage ce qu'elle
doit faire; le docile animal l'entend, le comprend, lui obéit.
Il les anime aussi et les redresse quelquefois en jetant sur
celles qui s'écartent des petits cailloux, qui, sans les bles-
ser, leur donnent un avertissement qu'elles comprennent.
Le maijoral ou conducteur et le zagal sont en sentinelle
sur le devant du brancard, qui leur sert de siège; à la
moindre apparei'.ce de danger, le zagal s'élance avec une
activité incroy.ible, il marche à côté des mules, il les suit
à la course; i! les anime de la voix; il s'attache aux traits
qui les contiennent, et qu'il dirige quelquefois, s'il peut y
avoir du danger, surtout dans les endroits difficiles; il se
met à leur tôle, il se place entre les deux premières mules,
il les conduit avec intelligence; il retourne ensuite à son
l)Osle jusiiu'à ce qu'un nouveau danger l'oblige à recommen-
cer la niènie manœuvre.
On voyage aussi en Espagne avec sa voiture; mais alors
i! en coûte ordinairement le double au moins, le triple quel-
quefois.
Si l'on ne veut prendre ni la poste ni des voitures de
louage, on peut aller à cheval (a caballo), comme disent les
Espagnols, même quand ils vont sur des nudels; alors on
loue un mulet avec son conducteur (moso rfc fSj)i<e//a.9,
c'est-à-dire garçon d'épenns), et l'on fait la journée ordi-
naire de huit à neuf lieues assez prouiplenu'ni, attendu que
les conducteurs, (|ui, en môme teitips, font l'oflice dedouics-
ticpies, sont ordinairement de très bons piétons. Le conduc-
teur dont nous parlons est ordinairement un compagnon de
voyage fidèle et serviable, (pu connaît parfaitement les rou-
tes [sour h s avoir parcourues bien des fois; c'est lui qui se
charge d'arranger le dîner p ur son maître, et qin, par ses
relations dans les auberges, et la connaissance qu'il a des
prix , réduit les comi:tes à un taux juste et raisonnable.
Rien n'est plus agrcable (pie de parcourir ainsi à cheval
cette belle terre d'Espagne; toutes les routes sont embau-
mées de l'odeur des plantes aromatiques; l'aspect du pays
varie sans cesse au milieu des montagnes ([ue l'on traverse,
et d'où l'on découvre lant(Hune vue étendue, lanlôt un site
sauvage et yiitloresque.
Oivne s'aperçoit d'aucun mauvais chemin à cheval , et
en s' écartant de la roule, on trouve différentes provisions
à acheter en chemin, principalement du gibier. On couche
la plupart du temps sur des paillasses, mais on les recouvre
avec les couverlures de laine que l'on porte sur la selle de
son cheval , et l'on s'enveloppe dans son manteau ; une fois
l'habitude prise, on dort aussi bien de la sorte que dans le
meilleur lit, et on est prêta partir au point du jour pour
respirer l'air excellent du malin. On passe à sa toilette le
moment de la chaleur, au lieu où l'on s'arrête pour dîner,
et l'on achève sa nuit par une heure de sieste , après le dî-
ner, avant de se remettre en route le soir. Cette vie er-
rante et libre dans un pays où la nature est belle , et où les
monumens sont curieux, a plus de charmes qu'on ne pense.
Les personnes à qui toutes ces manières sembleraient en-
core trop coûteuses, peuvent voyager avec des charretiers
{arrieros) ; ceux-ci ont ou des mulets seulement ou des voi-
tures. ^
Cette dernière manière de voyager est celle (pii convient
à des minéralosistes et à des botanistes. D'abord les jour-
44
MAGASIN UNIVERSEL.
nées sont courtes et lentes , et puis les arrieros passent par
les plus hautes montagnes, où les sa vans peuvent faire le
plus de recherches. On a encore l'avantage de voyager sou-
vent en grande compagnie : il n'est pas rare de voir aller
ensemble jusqu'à trente mulets; on peut donc, si l'on veut,
rester en arrière sans danger de s'égarer. D'ailleurs , celte
manière n a rien d'humiliant; c'est celle des ecclésiasli-
ques, des négocians et des hommes comme il faut de tous
les états.
La manière de voyager sur des horicos ou sur des ânes
est excessivement incommode ; un bât grossier et chance-
lant, souvent un animal rétif , sans bride ni frein, conduit
avec une gaule, et qui, à chacjue coup qu'on lui donne, fait
des ruades, des gambades de côté et d'autre, et vous oc-
cupe sans cesse de lui, voilà ce dont il faut s'accommoder.
Voyager seul et à pied en Espagne, ce serait s'exposer à
beaucoup d'inconvéniens. Aussi rencontre-t-on pende voya-
geurs à pied dans ce pays, excepté dans l'intervalle de deux
villages très proches l'un de l'autre; des pèlerins, des sol-
dats, des moines, des mendians, en un mot, tous ceux qui
ailleurs voyagent à pied-, vont ici presque toujours en com-
pagnie d'un arriéra ou de (luelque voilure. Un piélon qui
arriverait seul courrait risque de ne pas être reçu dans les
auberges. Si vous ajoutez à cela les grandes distances entre
les différentes villes, et le peu de sûreté des rout^ incon-
vénient qui n'est pas exagéré , on croira sans peine que les
voyages à pied ne sont pas , en Espagne , aussi praticables
ni aussi communs qu'en France ou en Allemagne.
LES HARENGS,
LEURS CARACTÈRES EXTÉRIEURS, ET LEUR PRÉPARATION.
Le hareng est une de ces productions naturelles dont
l'emploi décide de la destinée des empires. La graine du
cafeyer, la feuille du Ihé, les épices de la zone lorride, le
ver qui fde la soie , ont moins influé sur les richesses des
nations , que le hareng de l'Océan atlantique. Le luxe ou le
caprice demande les premiers : le besoin réclame le hareng.
Le Batave en a porté la pêche au plus haut degré. Ce peu-
ple , qui avait été forcé de créer un asile pour sa liberté ,
n'aurait trouvé que de faibles ressources sur son territoire
factice : mais la mer lui a ouvert ses trésors ; elle est deve-
nue pour lui un champ fertile , où des myriades de harengs
ont présenté à son activité courageuse une moisson abon-
dante et assurée. Il a, chaque année, fait partir des flultes
nombreuses pour aller la cueillir. Il a vu dans la pèclie du
hareng la plus importante des expéditions maritimes ; il l'a
surnommée la grande pêche ; il l'a regardée comme ses
mines d'or.
Le Hareng.)
On sait que le hareng a la tète petite ; l'œil grand ; l'ou-
verture de la bouche courte; la langue pointue et garnie
de dents déliées; le dos épais; la ligne latérale à peine visi-
ble^ la partie supérieure noirâtre; l'opuscule distingué par
une tache rouge ou violette ; les côtés argentins; les nageoi-
res grises.
Son ouverture branchiale est très-grande ; il n'est donc
pas surprenant qu'il ne puisse pas la fermer facilement
quand il est hors de l'eau, et qu'il périsse bientôt par une
suite du dessèchement de ses branchies.
Il a une caudale très-haute et très-longue; il a reçu par
conséquent une large rame»; et voilà pourquoi il nage avec
fojce et vites.se.
Sa chair est imprégnée d'une sorte de graisse qui lui
donne un goût très agréable , et qui la rend aussi plus
propre à répandre dans l'ombre une lueur phosphorique.
La nourriture à laquelle il doit ces qualités , consiste com-
munément en œufs de poisson , en petits crabes et en vers.
Les habitansdes rivages de la Norwége ont souvent trouvé
ses intestins remplis de vers rouges , qu'ils nonunent roë-
uat. Cette sorte (i'âliment contenu dans le canal intestinal
des harengs, fait qu'ils se corrompent beaucoup plus vile, si
l'on tarde à les saler après les avoir péchés : aussi, lors-
qu'on croit que ces poissons ont avalé de ces vers rouges ,
les laisse-t-on dans l'eau jusqu'à ce qu'ils aient achevé de
les digérer.
Ces poissons ne forment pour tant de peuples une bran-
che inunense de commerce , que depuis le temps où l'on a
employé, pour les préserver de la corruption , les différen-
tes préparations que l'on a successivement inventées et per-
fectionnées. Avant la lin du qualorzicme siècle, époque à
laquelle Guillaume Deukelzoon , ce pêcheur célèbre de
Biervliet dans la Flandre , trouva l'art de saler les harc ngs ,
ces animaux devaient être et étaient en effet moins recher-
chés.
On prépare les harengs de différentes manières , dont
les détails varient un peu , suivant les contrées où on les
emploie, et dont les résultais sont plus ou moins agréables
au goût et avantageux au commerce, selon la nature de
ces détails, connue aussi selon les soins, l'attention et
rex[>érience des préparateurs.
On sale en pleine mer les harengs que l'on trouve les
plus gras et que l'on croit les plus succulens. On les nomme
hareiHjs nouveaux ou harengs verts , lorsqu'ils sont le pro-
duit de la pêche du printemps ou de l'été; et harengs pecs
ou pehels lorsqu'ils ont été pris pendant l'automne ou l'hi-
ver. Communément ils sont fermes, de bon goût, très
sains, surtout ceux du printemps : on les mange sans les
faire cuire, et sans en relever la saveur par aucun assai-
sonnement. En Islande et dans le Groenland on se con-
tente , pour faire sécher les harengs , de les exposer à l'air,
et de les étendre sur des rochers. Dans d'autres contrées ,
on les fume ou saxire de deux manières : premièrement,
en les salant très -peu , en ne les exposant à la fumée que
pendant peu de temps, et en ne leur donnant ainsi qu'une
couleur dorée ; et secondement, en les salant beaucoup plus,
en les mettant pendant un jour dans une saumure épaisse,
en les enlîlant par la tête à de menues branches qu'on
appelle aines, en les suspendant dans des espèces de che-
minées que l'on nomme roxissahles, en faisant au-dessous
de ces animaux un feu de bois qu'on ménage de manière
qu'il donne beaucoup de fumée el peu de flamme , en les
laissant long-temps dans la roussable , en changeant ainsi
leur couleur en une teinte très-foncée , et en les mettant
ensuite dans des tonnes ou dans de la paille.
Comme on choisit ordinairement des harengs très-gras
pour ce saiirage, on les voit, au milieu de l'opération,
répandre une lumière phosphorique très-brillante, pendant
que la substance huileuse dont ils sont pénétrés s'échappe,
tomlie en gouttes lumineuses , et imite une pluie de feu.
Enfin , fa préparation qui procure particulièrement au
commerce d'immenses bénéfices, est celle qui fait donner
le nom de harengs blancs aux harengs pour lesquels on
l'a employée.
Dès que les harengs , dont on veut faire des harengs
blancs , sont hors de la mer, on les ouvre, on en ôte les
intestins , on les met dans une saumure assez chargée pour
que ces poissons y surnagent; on les en tire au bout de
quinze ou dix-huit heures; on les met dans des tonnes; on
les transporte à terre ; on les place par lits dans les caques
ou tonnes qui doivent les conserver, et on sépare ces lits
par des couches de sel.
La gravure qui accompagne cet article représente une
famille de pêcheurs occupée à la préparation des harengs
dans un bâtimeut spécialement destiné à cet usajje. — Ap-
MAGASIN UNIVEUSEL.
tt
( Prcparalion des harengs.)
poilcs dans des hoUes et déposes en las sur le sol, ces pois-
sons sont fêtés dans nne an!,'e où ils s'imprègnent de san-
mnre ; puis ils sont disposés en longues piles , en les plaçant
par Iraiichos hoiizonlales séparées par des couches de sel.
Et enfin ils sont pressés dans les tonnes au moyen de leviers
chargés de poids.
On a soin de choisir du bois de chêne pour les tonnes ou
caques , et de bien en réunir toutes les parties , de peur
que la saumure ne se perde et que les harengs ne se gâtent.
Cependant Block assure que les Norvvégiens se servent
de bois de sapin pour faire ces tonnes , et que le goxit com-
muniqué par ce bois aux harengs fait rechercher davantage
ces poissons dans certaines parties de la Pologne.
Lorsque la pêche des harengs a été très-abondante en
Suède , et que le prix de ces poissons y baisse , on en ex-
trait de l'huile dont le volume s'élève ordinairement an
vingt-deux ou vingt-troisième de celui des individus qui
l'ont fournie. On relire celle huile , en faisant bouillir les
harengs dans de grandes chaudières ; on la purifie avec
soin ; on s'en sert pour les lampes ; et le résidu de l'opéra-
tion est un des engrais les plus propres à augmenter 15 fer-
tilité des terres.
{La suite à un prochain numéro.)
ORIGINE
DES MUNICIPALITÉS OU COMMUNES BT DES ASSEMBLÉES
NATIONALES EN FRANCE.
Après la soumission des Gaules , de la Bretagne et de la
Péninsule hispanique, Rome organisa d'une manière uni-
forme le gouvernement des provinces occidentales de l'em-
pire. Les grands proconsulals d' Espagne et des Gaules
étaient divisés en cités, civitates, qui se composaient non-
seulement de la ville, clief-lieu , où siégeait l'autorité muni-
cipale, et qui donnait son nom au district, mais encore des
cantons, payi, qui en dépendaient. A chaque cité était at-
taché un commissaire impérial sous le titre de comte, comes^
obéissant au proconsul de la province entière, qui lui-
môme recevait les ordres du préfet du prétoire, fonction-
naire chargé de recevoir les tributs des provinces romaines,
et de transmettre aux proconsuls les prescriptions du gou-
vernement central. Ainsi constituées, les cités formaient de
véritables petits états , dont chacun avait son gouvernement
propre, indépendant, quoique soumis à une sorte de sur-
veillance , et distinct de celui des autres , quoique sembla-
ble dans la forme. Le gouvernement de la cité était confié
à un sénat dont les places étaient héréditaires, et à une as-
semblée municipale nommée curie , dont les places étaient
données à l'élection. Les citoyens {cives), c'est-à-dire les
habitans libres de la cité, formaient trois ordres ou catégo-
ries : 4° les patriciens ou membres des familles sénatoria-
les ; 2° les boux-geois ou propriétaires de biens-fonds ou d'im-
meubles dans le territoire qui dépendait de la cité ; ils étaient
partagés en dècuries, et, sous le nom de curiaïes, élisaient
dans les assemblées publiques leurs dècurions ou officiers
municipaux; 5° les artisans ou citoyens exerçant une pro-
fession manuelle ou mercantile. Ce troisième ordre portait
la dénomination de coUegia opificum , parce que chaque
état formait une corporation (co/Ze^/ium). Le sénat et la cu-
rie gouvernaient ensemble la cité ; mais les décurions seuls
avaient le droit d'exiculer les réglemens municipaux; ces
officiers étaient chargés en outre du recouvrement des im-
pôls, de la levée des troupes, et, en général , de toutes les
affaires de la cité.
Rome ne s'était réservé sur les provinces de l'empire
qu'une espèce de suzeraineté, dont les droits se résumaient
dans la perception du cens ou tribut de vassalité : le cens
se composait de deux sortes d'impôts , l'impôt de juçjèraiion
ou terrilorial, qui frappait toute espèce de propriété , et
l'imiiôt personnel ou capilation , qui pesait sur tous les in-
dividus. Aces contributions, ajoutez les douanes, les péa-
ges , et quelques corvées ordonnées pour le service de l'em-
pire , comme les transports de denrées ou de troupes. C'é-
4G
MAGASIN UNIVERSEL.
•taient là les seules obligations auxquelles les cités fussent
assujéties envers Romej elles étaient du reste indépen-
dantes , et se gouvernaient librement dans leur inlérieur :
elles avaient leurs revenus parlicidiers, provenant soit des
octrois qu'elles s'imposaient avec l'autorisation de l'empe-
reur, soit du produit des propriétés communales. Elles
avaient aussi des milices réglées et permanentes. Quelquefois
les cités s'assemblaient en états généraux où leurs députés
délibéreraient sur les intérêts co mmuns du pays. Adrien ,
en l'an 423, prit ce moyen de les consulter. Un de leurs
droits les plus importuns, et dont elles firent souvent usage,
était celui de citer à Rome les gouverneurs qui se rendaient
coiipîibles d'exactions. Le sénat, devant qui l'affaire était
portée, jugeait le proconsul mis en accusation.
Ce fut cette municipalité, d'origine toute romaine, qui
servit de m.dèle aux communes espagnoles ou françaises
qui se constituèrent plus tard, bien long -temps après la
chute de l'empire romain ; seulement les communes espa-
gnoles sont encore et ont toujours été la représentation fi-
dèle et complète de ce type primitif, tandis qu'il n'en est
pas de même des municipalités françaises , qui surgirent
d'abord , comme on sait , sous Louis VI , et se développè-
rent d'une manière si puissante sous Philippe-Auguste et ,
L«uis XI. En Espagne, on lro!ive encore, en effet, des
membres de le commune siégeant par droit d^iérédité,
comme ceux de l'ancien sénat , des membres siégeant par
droit d'élection, comme ceux de l'ancienne curie; des pro-
cureurs syndics, qui remplacent les coinmissaires impé-
riaux; et, pour compléter la similitude, au-dessus de ces
municipalités, des capitaines généraux, qui sont de vérita-
bles proconsuls.
Voici maintenant quelle fut l'origine des assemblées na-
tionales.
Quand les peuplades barbares qui envahirent plus tard
l'empire romain, avaient résolu quelque expédition ou con-
quête, elles choisissaient un chef de l'entreprise, dnc {dux),
lequel choisissait à son tour des lieutenans (comités , com-
tes), guerriers d'élite, qui poussaient jusqu'au fanatisme le
dévouement à sa personne; et ces hommes d'action se lais-
saient diriger par la prudence des vieillards (seniores, sei-
gneurs , senor, signor.) Lorsque ces barbares s'établirent
à main armée dans des pays conquis , le chef élu se trouva,
parle fait de l'émigration générale, commander au peuple
entier conquérant et conquis, et son autorité temporaire,
se prolongeant par la durée de l'expédition, dégénéra
en une puissance viagère. Ses lieutenans, auxquels il put
donner des provinces en recompense de leurs services ,
devinrent les grands vassaux de sa couronne, et se créè-
rent des arrière-vassaux par la division de leurs fiefs. En-
fin, le conseil des vieillards, qui jusque-là s'était biirnc,
faute d'attributions plus importantes, à décider les affaires
publiques ou à calmer les querelles privées, devint, par suite
de la conquête, le conseil d'état du prince et l'assemblée
législative de la nation nouvelle.
Les Francs, maîtres des Gaules, enrent leurs champs-de-
tnars sous la première race , leurs champs-de-mai sous la
seconde, qui furent les uns et les autres des assemblées na-
tionales, où se résolvaient les questions d'intérêt public, où
se discutaient et se rendaient les lois. Ces assemblées n'eu-
rent pas du reste l'importance des assemblées analogues
qu'introduisit en Espagne la conquête des Goths. Les pre-
mières ne se réunissaient qu'à une certaine époque de l'an-
née, les autres en toute saison , comme en toute circon-
stance; les unes étaient des forums en plein air, où l'on
votait par acclamation et sans discussion ; les autres , au
contraire, un sénat, où l'on discutait les questions avec ma-
turité. Nous devons même remaniuer que les unes n'ont
laissé guère que d'incomplètes traditions, tandis qne les
antres ont mis au jour nn corps de droit public qui a régi
l'Espagne pendant plusieurs siècles.
yrtf-
FRANCE.
HAISONS CENTRALES DE DÉTENTION,
Il y a en Fiance dix-neuf maisons centrales de détention ;
trois d'entre elles se trouvent sur le territoire de l'ancienne
Normandie, à Beaulieu, près de Caen; à Gaillon , arron-
dissement de Louviers ; et au Mont-Sain t-Michel , dans le
voisinage d'Avranches.
La maison de Beaulieu fut fondée en 4160 ou 4101 par
Henri II , duc de Normandie, pour recevoir les malades at-
taqués de la lèpre : de là le nom de maladrerie , ([u'elle con-
serve encore. A l'époque de la révolution de 4780 , elle
servait à enfermer des condamnés, des personnes détenues
en vertu dé lettres de cachets , celles qui étaient an êlécs
pour vagabondage, et les aliénés des deux sexes.
La maison centrale de Gaillon, instituée par décret ou
5 janvier 4842, occupe l'ancien château des archevêques de
Rouen, situé sur les bords de la Seine.
Quant à la maison du Mont-Saint-Michel , c'était une ab-
baye fondée , au commencement du VIII" siècle , s:.r le
sommet aplati d'un rocher, qui a environ trois cjuarls de
lievie de circuit, et qui s'élève au milieu d'une vaste plage
sablonneuse, que la mer dans son flux couvre entièrement.
Le château fort servait autrefois de prison d'état.
Toutes les maisons centrales sont achninistrées suivant
le même système, sauf quelques modifications nécessitées
par les localités. Ce qui dans ces maisons doit surtout inté-
resser les amis de l'humanité, c'est le régime pénitentiaire»
au moyen duquel on peut espérer de corriger les individus
que la société outragée a repoussés de son sein, et ([ui, [our
la plupart, sont destinés à y rentrer après un inleivalle
plus ou moins long. Tous les observateurs éclaiics qui ont
visité la maison de Beaulieu, ont admiré l'ordre et la pro-
preté qui y régnent; et ils ont pu se faire une idée du ré-
gime auquel sont soumis les détenus.
Depuis notre première révolution , un grand nombre de
publicistes, de philantropes, et le gouvernement lui-mêiuc
ont été animés du désir d'opérer la réforme matérielle des
prisons, et d'établir en France un système pénitentiaire.
C'est par un décret de l'empereur, daté de Bayoune, lois
de son entrée en Espagne, que les maisons centrales ftuenl
instituées ; et c'est de cette époque que commence la ré-
forme des prisons.
La maison centrale de Melun , qui , à une certaine épo-
que, avait fait le plus de progrès dans son organisation )na-
térielle et morale , étant placée près de Paris, fut visitée
par nn grand nombre de curieux de la capitale et de phi-
lantropes de tons les pays. Les idées de perfectionnement
qu'ils s'étaient faites sur le régime pénitentiaire, ne se
trouvant pas entièrement réalisées dans ce qu'ils voyaient,
ils ne tinn nt aucun compte des améliorations déjà intro-
duites, et, an lieu d'en indiquer de nouvelles et d'aider
par de sages conseils à perfectionner le système , ils l'atta-
quèrent et l'entravèrent dans sa marche.
Po;u" faire ressortir l'injustice et l'exagération de cescri-
lif|ues sur le régime des maisons centrales, il suffira d'en
citer une seule. A la botte de paille, seul coucher qui exis-
tât dans les prisons, on a substitué un lit à fond sanglé, un
matelas contenant treize livres de laine, une paire de
draps, une couverture et un couvre-pieds; mais, comme
ce lit n'était qu'un peu plus large que les cadres des offi-
ciers de marine, et que les draps étaient cousus jusqu'à la
poitrine, de prétendus philantropes l'ont comparé à un cer-
cueil dans lequel on enterrait les détenus toutvivans, après
les avoir mis toutefois dans un sac ou linceul.
Un rapide aperçu de l'une des maisons centrales de
France, celle de Beaulieu, fera juger à nés lecteurs des
autres améliorations introduites dans notre système péni-
tentiaire. Celte maison est située dans une position des
plus salubres, à moins d'un quart de lieue de l'octroi de la
ville de Caen, sur le bord de la roule de Bayeux.
Une moitié des bâtimens de cette prison est destinée
MAGASIN UTNVERSEL.
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aux ateliers, el l'autre aux dortoirs; les rez-tle-ehaussce ser-
vent de réfectoires. Ainsi les prisonniers n'habitent pas la
nuit les mêincs corps de bàtimens qu'ils ont occupés le
jour; ils trouvent le soir et le matin des salles bien aérées ,
où règne la plus grande propreté, el qui sont exemptes de
tonte mauvaise odeur.
Un bâtiment placé entre le qnartier des hommes et celid
des femmes, contient trente-six cellules isolées, divisées cha-
cune en deux petites pièces , l'une pour le coucher, et l'au-
tre pour le travail. Ces cellules , sans fers, sans inslruniens
de torture, sont le seul moyen de punition qui soit mis en
usage. Les détenus qui troublent l'ordre ou qui refusent de
travailler, y sont renfermés pendant un temps plus ou moins
long, suivant la gravilé de leur faute. Les hommes endur-
cis, que rien n'a pu réduire, et dont l'exemple serait dan-
gereux, y sont placés dans un isolement absolu, à l'excep-
tion cependant des heures des repas, qu'ils prennent avec
les autres prisonniers.
A leur entrée dans la maison, on visite les condamnés
pour s'assurer s'ils ne sont point atteints de maladies con-
tagieuses. On leur fait prendre un bain; si les hommes ont
les cheveux trop lon;;s ou malpropres, on les leur coupe, et
on leur fait prendre l'uniforme de l'élabUssement , qui est
en étoffe de laine pour l'hiver, et en coutil pour l'été. S'ils
ont une profession, et qu'elle fasse partie des ind(is(ries de
la maison, on la leur laisse exercer; s'ils n'en ont pas , on
leur accorde, autant que possible, la Uberté d'en choisir
une, dont ils font l'apprentissage.
Il est rare que les prisonniers, quelque récalcitrans qu'ils
soici\lj ne se conforment pas, dès les premiers jours de
leur arrivée dans la maison , à l'ordre qu'ils y trouvent éta-
bli. La plus courte instruction leur suffit , et la conduite
des autres prisonniers leur sert d'exemple. Ils savent qu'ils
doivent être propres, décens, soumis et laborieux, el qu'à
ces conditions ils seront traités avec douceur.
L'habillement est parfaitement entretenu. La nourriture,
sans être abondante, suffît pour l'entretien d'une bon état
de santé.
Les prisonniers , ayant droit aux deux tiers de leur sa-
laire, dont l'im est mis en réserve pour l'époque de leur
sortie, peuvent, avec celui qui leur est remis cha(pie se-
maine, se procurer un supplément de nourriture, qu'ils
paient d'après un tarif renouvelé tous les huit jours. Mais,
quand ils n'auraient pas cette ressource , leurs forces n'en
seraient pas diminuées.
Il n'est vendu à la cantine aucune liqueur spiritueuse, ni
aucun mets propre à exciter la gourmandise, et à donner
des goûts qui ne peuvent être que dangereux pour des
houimes destinés à vivre du fruit de leur travail. Chaque
déienu ne peut acheter qu'un htre de cidre par jour, et à
l'heure du diner seulement.
Les médecins font régulièrement une visite tous les jours,
et davantage si le besoin l'exige. Le traitement des mala-
des est, sous tous les rapports, le même que dans les hôpi-
taux les mieux tenus.
Après le lever et avant le coucher, les prisonniers pren-
nent une demi-heure de récréation; ils ont en outre une
heure de repos à chaque repas.
En entrant dans les ateliers, les détenus se mettent à leur
travail; et, dès ce moment, toute conversation cesse. Ce
silence n'est pas absolu : arrive-t-il qu'un détenu ait besoin
du secours de son maître ou d'un de ses camarades, il a la
permission de le réclamer ; de là résulte nécessairement un
échange de quelques mots. Cette faculté qui leur est accor-
dée, sans occasioner du bruit ou du désordre, entretient
chez eux des rapports de bienveillance et d'égards récipro-
ques, qui adoucissent leurs mœurs. Dans les dortoirs on
n'entend plus un mot après la prière du soir; c'est le mo-
ment du repos et du sommeil, après une longue journée de
travail.
Pour soustraire, autant que possible, les prisonniers à la
mauvaiseinûuencedeleurs conversations, on a créé, dans
les préanx, de petits jardins qu'ils cultivent avec beaucoup de
soin, d'intelligence et d'intérêt : ces jardins sont couverts
de tleurs pendant la belle saison. Rien n'est plus remar-
quable que le respect que les détenus portent réciproque-
ment à ces petites propriétés : pas une fleur n'a encore été
dérobée.
C'est à l'heure de ces promenades, de ces momens con-
sacrés au repos, que l'on peut distinguer les trois classes
de prisonniers qui peuplent les maisons de détention. Ils se
recherchent presque toujours entre eux; et voici comment
on peut les classer : \° les hommes profondément dépra-
vés, qui se sont endurcis dans le crime, qui en font mé-
tier, et qui n'ont d'autre pensée que celle d'en commettre
de nouveaux. Le nombre n'en csl que trop grand à cause
de le(n- dépravation ; mais il excède rarement quinze sur
mille, et il est souvent au-dessous : ceux-là sont incorrigi-
bles. 2" Ceux à qui une mauvaise éducation a fait contrac-
ter, dès l'enfance, sous les yeux de leurs parens, et peut-
être par leur influence , l'habitude du vol et de la paresse :
ils ne «ont ni méchansni cruels, ils ne commettraient pas
de grands crimes; mais ils ne peuvent plus s'accoutumer à
une vie laborieuse et sage. Cette classe est nombreuse > et
présente peu de conversions. La troisième classe se com-
pose des hommes que de mauvaises compagnies, des cir-
constances fortuites, le besoin, des malheurs imprévus, ont
entraînés dans le crime : dans les maisons de détention, ils
deviennent laborieux, et dans la société ils prennent sou-
vent place à côlé des ouvriers les plus estimés.
Un avantage immense , sous le rapport financier, résul-
tera bientôt du travail des prisonniers. Si nous ne pouvons
pas, comme aux Etats-Unis , où les prix de la main-d'œuvre
sont quatre fois plus élevés qu'en France, couviir les dé-
penses de nos maisons centrales par le travail journalier des
prisonniers, nous avons du moins un moyen d'amortissement
qui nous donnera un peu plus tard les mêmes résultats. Le
tiers du produit de la main-d'œuvre, qui est mis en réserve
pour être versé aux prisonniers le jour de leur libération ,
n'est pas déposé dans les caisses de ces élablissemens.
On ne conserve , sur les rentrées de ( haque mois , que ce
qui est nécessaire pour payer les masses de léserve des pri-
sonniers qui sortent, dans le courant du mois suivant; le
reste est placé sur l'Etat, en achat d'inscriptions de rente
S p. 0/0 . Ce plan , qui a été adopté en 4849, a eu des ré-
sultats extraordinaires. Los dix-neuf maisons centrales, ré-
parties sur divers points de la France, ont alors placé entre
elles 123,000 fr. , et les placemens s'élèvent aujourd'hui à
plus de 5,000,000. On conçoit, d'après cette progression,
comment nous arriverons à un capital dont le revenu suf-
fira pour couvrir toutes les dépenses.
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN.
L'existence du châterai vieux de Saint-Germain , dont
nous donnons ici la gravure , ne remonte pas au-delà de
l'armée 4525. — C'est vers cette époque que François P"",
auquel on devait déjà rédification des maisons royales de
Fontainebleau et de Chambord, entreprit de reconstruire le
château de Saint-Germain, qui depuis est demeuré tel à peu
près que nous le voyons aujourd'hui. Nous ne nous oc<3upe-
rons point, par conséquent , de l'espèce de chàteau-fort qui,
sous les rois précédens, avait existé à la place de celui-ci;
nous dirons seulement que celte position, unique par son
avantage, ayant de tout temps attiré l'attention des maîtres
de la contrée , il est fait mention , dès le il" siècle, dans les
clironiques, d'un château royal de Saint-Germain.
Plusieurs auteurs ont pompeusement raconté et les noces
de François I" avec Madame Claude, lesquels furent célé-
brées au château de Saint-Germain , et le goût prononcé dé
ce prince pour cette habitation royale.
Ce fut pour Diane de Poitiers, que la beauté du paysage
et la pureté de l'air dçSaiat-Gerraain avaient séduite, que
48
MAGASIN UNIVERSKL.
François I'''" tira le chàlean de ses ruines. Par nne bizaire-
rie, que la galanterie de l'époque peut seule faire compren-
dre, il fit donner à cette construction la forme d'un D
golhique. Pour qu'il ne manquât rien aux agrémens de
celte résidence, François P"" y joignit un parc de 416 ar-
pens ,. enclos de murs , et dans lequel on enferma des cerfs,
des daims , des sangliers , amenés en grand noni])re de la
forêt de Fontainebleau.
Il n'est personne qui n'ait entendu parler du fameux
duel qui eut lieu , sous Henri II , entre Jarnac et De la
Châtaigneraie. Ce fut dans le parc et sous les murs du châ-
teau de Saint-Germain que se vida cette célèbre querelle.
Frappé d'on coup imprévu par son adversaire, Laclialai-
gneraye succomba aux suites de sa blessure , Henri II fut
si profontiémenl affecté de la mort de son favori , qu'il jura
de ne plus permettre de combats en champ-clos. Ses succes-
seurs imitèrent son exemple , et il n'est resté de celle odieuse
coutume que le dicton populaire de coup de Jarnac , pour
désigner une ruse, un retour imprévu de la part d'un
ennemi.
Au commencement de la ligue, en 1574, Charles IX et
sa mère Catherine de Médicis , effrayés par les troubles qui
agitaient Paris, vinrent se réfugier à Saint-Germain.
L'assemblée des liolables, convoquée en 1383 par Henri III,
pour la réformalion des abus, se tint également à Saint-
Germain.
Henri IV, ainsi que son prédécesseur, aima fort le séjour
de Saint-Germain, et c'est sous son rô;4ne que l'on vit
s'élever, à côté de l'ancien chàleau , une seconde habilalion
royale qui prit le nom de ChcUea^i-Nexif, et qui n'était
(Le Château de Saint-Gcrmahi.J
sépare de l'ancien que par un espace de 200 toises. Ce châ-
teau devint la demeure habituelle de Gabrielle d'Estrées.
Un des pavillons de ce bâtiment s'appela même Pavillpn de
Gabrielle,
Louis XIV naquît an Château-Neuf. C'est sons son règne
qne les habitations royales de Saint-Germain et leurs dé-
pendances acquirent , par des embellissemens snccossifs ,
le plus haut degré de splendeur. Le Nôtre y dessina cette
magnifique terrasse commencée par Henri IV, et qui n'a
peut-être rien de comparable en Europe, ainsi que ce vas:e
parterre, devenu aujourd'hui un tapis de verdure, ombragé
par de belles et grandes allées d'arbres. Les agrandisse-
mens ne se bornèrent pas là. A l'ancien château furent
ajoutés les cinq gros pavillons dont il est flanqué j parce que
toutes ces vastes demeures ne pouvaient encore suffire à la
cour du monarque le plus fastueux de l'Europe. Plus de six
millions et demi furent employés à ces travaux ; mais ce
n'était là qu'une bagatelle, en comparaison du milliard
qu'on devait engloutir à Versailles !
Le Château-Vieux de Saint-Germain vit se développer
l'affection du grand roi pour Madame de Lavallière.
A Madame de Lavallière succéda Jacques II. Deux fois
précipité du trône, ce roi d'Angleterre vint terminer à
Saint-Germain ses infortunes et sa vie. Son tombeau est
conservé dans l'église de la ville, et il est peu d'Anglais
qui, en arrivant àParis, n'aillent saluer les deponillcsmor-
(elles du dernier des Stuarts, — Jacques II est le dernier
personnage historique qui ait habité le château de Saint-
Germain, et avec ces hôtes couronnés a disparu toute l'im-
portance de cette maison royale. — Les deux édifices ont
souffert de cet abandon. — Le ChâleauNneufavait déjà cessé
d'exister avant 93 (1), et si l'ancien a résisté aux ravages
du temps et des révolutions, on le doit à l'étonnante solidiié
de sa construction , qui seule a arrêté la main des nivelcurs.
Il est, comme on l'a dit, d'une forme pentagone irrégu-
lière, et entouré de fossés profonds, que l'on traverse an
moyen de deux ponts-levis. Sa hauteur moyenne est de 90
pieds à partir de sa base dans le fossé. Le côté sous le(|uel
on le voit dans la gravure, est la façade qui regarde l'ave-
nue des Loges (2).
(i) Madame la duchesse de Duras, l'auteur d'Ourikn, aciiefa
en 1828 et fit réparer un petit pavillon du Chàteau-Heuf, où
Louis XIV avait reçu le jour.
(a) Maison succursale de celle de Saint-Denis , et destinée à
l'éducalion des fiiles des membres de la Légion-d'Houneur.
Les Bureaux d'Abonnement et de Vente sont transférés rue de
Seiue-Sainl-Gcrmain, 0.
')
MAGASIN UNIVERSEL.
4»
LE DANTE.
La Divine comédie du Dante est
depuis cinq siècles l'objet des éludes
des hommes qui s'occupent de lit-
térature. C'est un monument origi-
nal qui n'a été imité par personne ;
on a souvent copié les tragédies de
Shakspeare , mais on n'a jamais fait
une épopée sur le modèle de celle
du Dante.
C'est que , comme Ylliade , l'on-
rrage du Dante reproduit les carac-
tères des grands poèmes primitifs ;
il est encyclopédique; il embrasse
toute l'histoire , toute la théologie ,
toutes les idées du temps où il a
paru; c'est une époque de renou-
vellement comme dans l'âge d'Homère; on sait peu de ] hommes av
chose et l'on sent beaucoup ; à l'apparition mystique de ' guste pour
l'influence religieuse et des légendes,
se joint la force guerrière; seulement
le mélange de la civilisation ancienne
avec la grossièreté et la barbarie du ,
treizième siècle, ces illuminations de •
l'antiquité combinées avec les rêves
anticipés d'un état social à venir,
donnent aux tableaux du poète une
physionomie particulière et d'un sin-
gulier effet.
Depuis la chute de l'empire romain
et l'invasion des barbares , à peine
quelques lueurs vacillantes volti-
geaient-elles encore au milieu des rui-
nés confuses de la société; depuis que,
selon l'expression de Machiavel , le»
aient quitté les grands noms de César et d'Au-
ceux de Pierre et de Jean , il semblait que le
y.?
(Le géant Antbée.)
monde était déchu. Les cent villes de l'Italie , en guerre I tenu par le parti Gibelin, c'est-à-dire par l'aristocratie des
perpétuelle, étaient ravagées par les proscriptions qui fai- cités , n'avait pu anéantir le parti Guelfe , ou démocratique,
saient de ce brillant jardin de l'Europe la terre la plus dont les souverains pontifes s'étaient faits les représentans;
opprimée et la plus anarchique; d'un côté, l'empire sou- [ d'un autrç côté, la querelle des GueUes et des GU)çUns
Tome II. —Kovembre i834. '^\
va
MAGASIN UNIVERSEL.
avait changé d'objet , et ce n'était plus autre chose qu'une
lutte entre les nobles et les plébéiens.
Au milieu de ce conflit apparaît un homme de génie ,
doué d'un esprit puissant, d'une âme ardente et mélan-
colique ; cet honuTie , c'est le Dante, Pendant trente ans ,
Guelfe exalté , il se fait peuple ; mais les ambitions , les ri-
valités divisent son parti; la noble cause qu'il défend dé-
génère en guerres civiles , l'Italie épuise ses forces sur elle-
même; il ne voit de salut pour sa patrie que dans cette unité
que Machiavel lui souhaitait, même au prix d'un Borgia ;
exilé de Florence, où il a reçu le jour, il se fuit Gibelin
par vengeance ; mais par son génie il plane au-dessus des
Guelfes et des Gibelins ; en lui se montre une pensée haute
et sublime sur l'alliance des deux puissances si long-temps
rivales. Pour empêcher qne tant de courage et d'énergie se
consume dans de misérables débats , il lève les yeux vers
«ette antique image de Rome , dont il ne reste plus que les
ruines du Capitole ; mais les papes ont avili la tiare, le Dante
regarde plus loin , et souhaite un maître à l'Italie.
L'orgueil d'un descendant du peuple romain peut seul
expliquer un tel vœu chez ce caractère indépendant , qui n'a
même pu supporter la liberté d'une république ; il ne mé-
connaît pas ce qu'il peut y avoir de salutaire dans la puis-
sance pontificale; il veut en faire le type de la justice mo-
rale , mais sans soumettre le sceptre à l'encensoir ; il veut
réaliser l'union de la force et de la sagesse ; idée qui de
nos jours a tant occupé M. de Maistre , il veut rendre le
pouvoir impuissant contre la religion , et la religion puis-
sante pour consacrer le pouvoir, mais non pour le détruire.
Ce lien d'unité pour l'Italie fait toute la politique de la
Divine comédie; lorsque l'auteur fait voyager Virgile dans
l'enfer, à travers les cercles concentriques dont il a décrit la
structure , lorsqu'il montre la taille gigantesque de Lucifer,
comme une immense échelle qui sert à en gravir les degrés,
parmi ces bizarres inventions , il donne à Lucifer trois têtes,
dont l'une dévore Judas Iscariote, et les deux autres, Cassius
et Brutus, Brutus qu'il punit sans l'avilir et qu'il représente
comme un stoïque inflexible. Ces deux derniers sont révol-
tés contre l'empire qu'il représente sous la forme d'un aigle
étranger, tandis que le premier est révolté contre Dieu.
C'est ainsi que l'idée de la nécessité du pouvoir impérial
domine partout.
Ce poëme en cent chant, où figurent Saint- Thomas ,
Saint-Bonaventure et une foule de docteurs, où l'on ren-
contre tant de dissertations théologiques, était un instrument
destiné à populariser des pensées politiques et morales ,
parce que ces noms, ces questions étaient alors ce qui
ylaisail le plus à l'esprit humain ; c'étaient les symboles de la
Sagesse. Pour relever l'empire, le poète ne recide pas de-
Irant l'humiliation de ses ennemis, et il use fréquemment
d'une liberté qui étonne dans un écrivain du moyen-âge ;
tout en rêvant pour le passé la suprématie pontificale , il
ouvre une fournaise ardenle où il ose jeler plus d'un souve-
rain pontife en lançant des malédictions sur les vices, la
simonie, la cupidité , la luxure.
Indépendamment des allégories sous lesquelles il re-
produit la physionomie naïve , mais énergique du temps ,
ce poëme a aussi un caractère nécessairement scientifique ;
c'est d'un amas d'études , de souvenirs empruntés à la
théologie, au droit, à l'histoire, que le Dante s'élance pur
et nouveau comme Homère. Quand il écarte toute celte
enveloppe étrangère , son imagination invente comme on
inventait aux premiers jours du monde ; ses images vous
saisissent; il a la voix jeune et argentine du poète ; toujours
simple, toujours vrai , c'est là son éternelle gloire. Il n'y a
après lui que Milton qui , du milieu des clameurs scolastiques
et d'une vie orageuse , ait retrouvé un ciel et nn horizon
inaccessibles. Un des plus admirables passages de Milton
dans son Paradis , c'est celui où il reparait lui-même , où
il parle de ses maux, de sa cécité; cette beauté revient tou-
jours et naturellement dans le poëme du Dante; contempla-
teur de ce monde invisible dont il est l' historien, il reparailsans
cesse, il vous entretient de sa gloire et de ses espérances. La
présence de l'auteur dans toutes les parties de sa Divine comé-
die , contribue à y faire naître un genre particulier de beau-
tés. Dès le premier chant, il rencontre Virgile, qu'il prend
pour guide et pour patron; il arrive dans le vestibule de
l'enfer où les âmes des grands poètes anciens sont arrêtées ,
et après avoir compté Homère , Virgile, Horace, Ovide ,
Lucain , il s'écrie : Et moi , je me trouvais le sixième parmi
ces grands poètes !
Flaxman a traduit merveilleusement la pensée du Dante;
tous ses dessins sont empreints d'un sentiment exquis; et
dans le grandiose qui n'admire cette figure du géant Antliée,
lorsciu'il prend dans ses bras et le Daule et Virgile pour
les déposer dans le neuvième cercle ( chant xxxi).
Ma lievamente al fondo che divora
Lucifero con guida , ci posa.
Il serait trop long de rappeler les épisodes dont l'ouvrage
étincelle ; tout le monde connaît ceux de Françoise de Ri-
mini et d'Ugolin; on ne peut lire sans émotion ceux de
Farinata de(jli l'berti, de l'infortuné Pier délie Vigne, de
Brunetto Latlni,de Vanni Fucci, de Manfredi , Sordello ,
Forese , etc., etc. ; MM. Villemain et Fauriel en ont plusieurs
fois fait le sujet de leurs éloquentes leçons à la Sorboime.
On a souvent accusé le Dante d'avoir imité Virgile , mais
ce qui fournit à peine vingt vers à celui-ci, fournit un poëme
entier au poète italien ; que d'imagination dans le Paradis,
le Purgatoire et VEnfer! Que de tableaux admirables dans
cette i>rogression des supplices et des tortia-es , cette série
d'épreuves par lesquelles l'ame s'épure , et enfin dans la
succession des béatitudes qui lui sont promises! Quelle sur-
prise doit produire la fécondité d'un pareil génie ! personne
ne lui disputera le titre qu'il a reçu de Père des poètes.
Dante nejouit point de sa gloire ; après une vie remplie
de traverses et de longues douleurs , il mourut dans l'exil le
14 septembre 4321 , chez Guido Novello de Ravennes, et
ce ne fut qu'un siècle après que sa patrie redemanda se»
cendres; mais inutilement.
{La suite à nu prochain numéro.
RUSSIE.
MŒURS DES OSTIAKS,
Les Ostiaks de l'Obi sont une des premières nations de
la Sibérie qu'aient découverte les Russes. Leur nombre
a diminué depuis qu'ils ont été conquis; la petite vérole
et d'autres maladies qui leur étaient anciennement incon-
nues, ont fait de grands ravages parmi eux, et cependant ils
forment encore une nation nombreuse- La plupart des
Ostiaks sontd'une taille médiocre , paraissent peu robustes,
et se font surtout remarquer par une jambe maigre et
effilée ; ils ont presque tous la figure désagréable et le teint
pâle; aucun trait ne les caractérise , leur chevelure com-
munément rougeâtre ou d'un blond doré , les rend encore
I>lus laids , et principalement les hommes qui la laissent
flotter sans ordre autour de la tête.
Les Ostiaks sont simples , craintifs et remplis de préjugés ;
ils ont le cœur assez bon. Leur vie est pénible et nullement
agréable; quoiqu'adonnés au travail dès l'enfance, ils sont
très portés à l'oisiveté , lorsque leurs besoins ne les excitent
point à travailler, et surtout les hommes. Ils sont très
malpropres , et même dégoutans dans leur ménage ; l'ha-
billement des hommes et des femmes n'a presque rien de
commun avec celui des autres nations. Il consiste prin-
cipalement en peaux d'animaux préparées par eux-mêmes ;
les riches sont les seuls qui aient des chemises ; les autres
portent leur habit de peau sur la chair. L'habillement des
iiommes est une fourrure de dessous, étroite et à manches,-
appelée mavliza , qui va à peine à la moitié des rehis , avec
une ouverture vers le haut pour passer la tête; elle est
fermée par devant et par derrière; près du trou où l'o»
MAGASIN UNIVERSEL.
fH
passe la tête , est un capuchon rond qui sert de bonnet ;
cette fourrure et le capuchon sont bordés de peaux de
-chiens j ils la mettent quelquefois en été pendant les cha-
leurs, mais ils quittent alors leur gilet. Eu hiver ils portent
une autre fourrure beaucoup plus auiple et plus longue , à
laquelle pend aussi un capuchon qu'ils mettent sur la tôle
par dessus l'autre ; celle-ci s'appelle gous ; elle est faite de
peaux de gros rennes à longs poils ; aussi ne dépouil-
lent-ils ces peaux qu'en hiver. Ceux qui donnent dans le
luxe , font pour l'été un mavliza de petits morceaux de
draps de différentes couleurs cousus ensemble , sans dou-
blure , et chamarré de peaux de chiens blancs ou de
queux de renards du nord. Ceux qui habitent les rives de
l'Obi, portent un manteau de peaux de loutres, qui leur sert
de nourriture dans les momens de disette; ils le font cuire
dans un chaudron et le mangent. Les culottes que les
hommes portent habituellement, joignent bien sur la cuisse,
mais elles ne descendent pas jusqu'aux genoux. L'es femmes
ostiakes ont sur la peau des robes de chambres de fourrures,
ouvertes par-devant, qui ne sont pas très-amples, mais
assez cependant pour que l'un des côtés puisse être rabattu
•sur l'autre; elles les fixent avec de petites courroies. C'est
là leur uni(|ue habillement, et quoi qu'elles ne portent pas
de ceinture, on ne voit jamais aucune partie de leur corps
à nu ;, elles n'ont ni caleçons , ni même de bas en été ,
mais elles portent en hiver des bas de peau corroyée.
Toutes les fenmies et les filles mettent un voile sur leur
tête , aussitôt qu'un étranger et même un parent entre dans
leur yourte; elles n'ont le visage découvert que devant leur
mère. Ce costume est maintenu par une pudeur naturelle
aux femmes et aux filles ostiakes; lorsqu'une personne
quelconque pénètre dans leur demeure , elles en sortent aus-
sitôt, ou se cachent dans un coin. Le principal ornement des
femmes, est d'avoir le dos des mains, l'avant-bras, et le
devant de la jambe tatoués. Les hommes ne s'incrustent sur
le poignet que le signe par lequel ils sont désignés dans les
livres où l'on enregistre les tributaires ; ce signe sert aussi
de signature chez les peuples de la Sibérie , qui ne savent
point écrire. Dans les maladies , les hommes se font in-
cruster toutes sortes de figures sur les épaules et les autres
parties du corps , et ils attribuent autant de vertu à ce remède
<iue les Européens à l'application des ventouses.
Plusieurs familles habitent une même cabane; aussi pra-
tique-t-on le long des murs autant de séparations qu'il y
a de familles; on voit dès lors qu'il ne peut régner aucun
ordre dans l'intérieur de ces ménages. Les Ostiaks étant
aussi gênés , les femmes qui ont des petits enfîms, suspendent
les berceaux ou les mettent devant leurs loges ; lorsqu'ils
sont un peu grands , ils couchent sur un tas de foin étendu
par terre et couveit de peaux de rennes. Les chiens
de bonne race , et surtout les chiennes qui ont des petits ,
couchent sous les bancs qui servent de couchettes ; les
chiens communs, c'est-à-dire ceux qu'on attèle à leurs
traîneaux , couchent en dehors de la cabane , et n'y entrent
pour manger que lorsque la famille se propose de voyager.
Ou entretient un feu au milieu de la yourte; il est commun à
tous ceux qui l'habitent, chacuny va faire lacuisine quand bon
lui semble. Les Ostiaks n'ont pas d'heure réglée pour leurs
repas, la faim seule les y décide. Ce feu delà communauté
sert aussi à faire griller les débris des poissons qu'ils donnent
à leurs chiens; ce grillage continuel remplit tellement le
toit de leurs cabanes d'une suie grasse., qu'elle y pend par
flocons. On sèche aussi , près de ce feu , le poisson superflu
qu'on prend en hiver; cette préparation doit occasioner
une grande malpropreté. On se fera facilement une idée de
la puanteur, des vapeurs fétides etde l'humidité qui régnent
dans leurs yourtes, lorsque l'on saura que les hommes, les
femmes, les enfans et les chiens y satisfont à certaines
exigences et que rarement on a soin d'enlever les ordures.
j Rien n'est aussi dégoûtant que la manière de vivre de ce
peuple ; ils ne se lavent jamais les mains; à peine les femmes
<n ôten belles [une partie de la crasse, lorsqu'elles ouvrent
les poissons ou quelles les retirent du chaudron; elles n'ont
pour essuie-mains que leur fourrure; elles ne lavent jamais la
vaisselle, quoiqu'elle serve aux hommes et aux animaux;
leur chevelure est remplie de vermine. Quelques Ostiaks
riches ont cependant pris tant de goût pour la propreté,
«pi'ils composent eux-mêmes un savon pour se laver , ne
pouvant en tirer que très-difficilement de la Russie. Celui
«ju'ils emploient est plus propre à enlever la crasse collée
sur la peau, parce qu'il est plus mordant. l>eur malpro-
preté vient principalement de ce que les femmes sont sur-
chargées d'ouvrage; les honmies les regardent comme leurs
esclaves. Les femmes montent et démontent les eabanes,
préparent le manger, ont soin des habiilemens des hommes,
et sont entièren)ent chargées du ménage ; elles nettoient et
apprêtent le gibier et le poisson , Iors(jue les h(inunes re-
viennent de la chasse et de la pêche. Ceux-ci ne font que
chasser , pêcher, et préparer les instrumens qui leur sont
nécessaires pour ces deux objets. Les peaux pré[)arées par
les femmes ostiakes ne se gâtent jamais à l'humidité.
Pendant l'été ils se donnent rarement la peine de faire
bouillir ou griller le poisson; ils préfèrent le manger cru,
sortant de l'eau; ils le coupent par bandes, l'huniectent
avec le sang qui sort abondamment des picpires qu'ds lui
font dans la queue ; ils mordent dans ces bandes de chair, en
coupant adroitement la bouchée avec leur couteau près de
la lèvre inférieure. La bouche et les habits des Ostiaks in-
fectent pendant l'été; ils sentent plus mauvais que les mar-
chés où l'on vend de la marée. En hiver, ils mangent de
préférence le poisson cru lorsqu'il est gelé, en grattant peu-
à-peu la chair qui est dessus les arêtes. Des gens beaucoup
plus instruits qu'eux, assurent que le poisson gelc' est un
excellent préservatif contre le scorbut.
En hiver , les Ostiaks pénètrent fort avant dans les
landes et les forêts désertes; ils se servent de raquettes
pour marcher sur la neige ; lorsqu'ils tuent de grosses bêles,
ils les écorchent et les enterrent dans la neige , en mar-
quant la place , afin de venir les enlever avec des rennes ou
des chiens. Ils mangent les ours , les renards, les écureuils et
même la charogne; le tabac est une grande ressource pour
les Ostiaks dans ces chasses d'hiver , puiscju'ils sont exposés
au froid le plus violent, à toutes les incommodités, et
quelquefois à la faim; ils en fument, mais ils préfèrent la
prendre en poudre ; comme ils ne le trouvent jamais assea
mordant, ils le mêlent à de la cendre d'agaric, ou excrois-
sances fougueuses qui croissent dans les fentes des bouleaux
ou des trembles ; cette cendre est très-alkaline. Après
s'être bien rempli les narines de ce tabac, ils les bouchent
avec des copeaux d'écorce de saule. Le montant de cette
poudre se trouvant ainsi concentré, leur occasione sur
tout le visage une espèce d'inflanunation, qui les garantit
du froid , et il leur gèle très-rarement (pielque partie de
la figure. Les oiseaux de passage leur fournisfient, au
printemps, une autre occupation et une nouvelle nourri-
ture. Les Ostiaks jouissent d'une très bonne santé, quoi
qu'ils ne se nourrissent que de mauvais alimens, et que
l'eau soit leur uni(|ue boisson ; ils se procurent quelque-
fois un peu d'eau-de-vie des Pousses.
Ils ne connaissent pas les remèdes ; ils ont recours à l'ap-
plication des ventouses contre les douleurs des jointures.,
les enflures et les inflammations , maladies auxquelles ils
sont très-sujets , ou bien ib font brûler sur la partie affectée
un morceau d'agaric de bouleau, de la même manière que
les Chinois et les Japonnais le pratiquent au moyen du
moxa; ils prétendent que l'application doit se faire sur le
lieu même du mal, si on veut en ressentir l'effet. I!s
prennent un charbon bien allumé qu'ils approchent de la
partie souffrante, et le changent de place jusqu'à ce (ju'ils
en trouvent une où le malade ne sente pas tout de suite
l'action du feu ; ils appliquent à cette place le vrai caustique,
qu'ils laissent agir. Le malade doit souffrir cette opération
jusqu'à ce que la peau soit brûlée et percée.
I
MAGASIN UNIVERSEL.
LES HARENGS. — LEURS MIGRATIONS.
(Suite).
On a cru pendant long-lemps que les harengs se reli-
raient périodiquement dans les régions du cercle polaire ;
qu'ils y cherchaient annuellement , sous les glaces des mers
hyperboréennes, un asile contre leurs ennemis, un abri
contre les rigueurs de l'hiver; que, n'y trouvant pas une
noarriture proportionnée à leur nombre prodigieux, ils en-
voyaient, au commencement de chaque printemps, des co-
lonies nombreuses vers des rivages plus méridionaux de
l'Europe ou de l'Amérique. On a tracé la route de ces lé •
gions errantes. On a cru voir ces immenses tribus se divi-
ser en deux troupes, dont les innombrables détachemens
couvraient au loin la surface des mers , ou en traversaient
, les couches supérieures. L'une de ces grandes colonnes se
pressait autour des côles de l'Islande , et se répandant au-
dessus du banc fameux de Terre-Neuve , allait remplir les
golfes et les baies du continent américain; l'autre, suivant
des directions orientales , descendait le long de la Norwége,
pénétrait dans la Baltique , ou , faisant le tour des Orcades,
s'avançait entre l'Ecosse et l'Irlande, cinglait vers le midi
de celte dernière île, s'étendait à l'orient de la Grande-
Bretagne, parvenait jusque vers l'Espagne, et occupait tous
les rivages de France, de la Balavie et de l'Allemagne,
qu'arrose l'Océan. Après s'ôlre offerts pendant long-lemps,
dans tous ces parages , aux filets des pêcheurs , les harengs
voyageurs revenaient sur leur route , disparaissaient, et al-
laient regagner leurs retraites boréales et profondes.
^i Pendant long-temps , bien loin de révoquer en doute ces
merveilleuses migrations , on s'est efforcé d'en expliquer
l'étendue, la constance et le retour régulier : mais on a
prouvé , par un rapprochement très exact des faits incon-
testables, qu'il était impossible d'admettre cette navigation
annuelle et extraordinaire. Pour continuer d'y croire , il
fendrait rejeter les observations les plus sûres d'après les-
quelles il est hors de doute, qu'il s'écoule souvent plusieurs
années sans qu'on voie des harengs sur plusieurs des ri-
vages principaux indiqués comme les endroits les plus re-
marquables de la route de ces poissons; qu'auprès de beau-
coup d'autres prétendues stations de ces animaux, on en
pêche pendant toute l'année une très grande quantité; que
la grosseur de ces osseux varie souvent, selon la qualité
des eaux qu'ils fréquentent, et sans aucun rapport avec la
saison, avec leur éloignement de leur asile septentrional,
ou avec la longueur de l'espace qu'ils auraient dû parcou-
rir depuis leur sortie de leur habitation polaire; et enfin
qu'aucun signe certain n'a jamais indiqué leur rentrée ré-
gulière sous les voûtes de glaces des très hautes latitudes.
Chaque année cependant les voit arriver vers les îles et
les régions continentales de l'Amérique et de l'Europe qui
leur conviennent le mieux , ou vers les rivages septentrio-
naux de l'Asie. Toutes les fois qu'ils ont besoin de cher-
cher une nourriture nouvelle , et surtout lors(ju'ils doivent
se débarrasser de leur laite ou de leurs œufs , ils abandon-
nent les fonds de mer, soit dans le printemps, soit dans
l'été , soit dans l'automne , et s'approchent des embouchures
des fleuves et des rivages propres à leur frai.
Mais, à quelque époque que les poissons dont nous écri-
vons l'histoire quittent leur séjour d'iiiver, ils paraissent en
troupes que des mâles isolés précèdent de quelques jours ,
et dans lesquelles il y a ordinairement plus de mâles que de
femelles. Lorsqu' ensuite le frai commence, ils frottent leur
ventre contre les rochers ou le sable, s'agitent, impriment
des mouvemens rapides à leurs nageoires , se mettent tan-
tôt sur un côté et tantôt sur un autre, aspirent l'eau avec
force et la rejettent avec vivacité.
Les légions qu'ils composent dans ces temps remarqua-
bles, où ils se livrent à ces opérations fatigantes , mais com-
mandées par un besoin impérieux , couvrent une grande
surface , et cependant elles offrent une image d'ordre. Les
plus grands, les plus forts ou les plus hardis, se placent dans
les premiers rangs , que l'on a comparés à une sorte d'avant- '
garde. Et que l'on ne croie pas qu'il ne faille compter que
par milliers les individus renfermés dans ces rangées si
longues et si pressées. Combien de ces animaux meurent
victimes des cétacés, des squales, d'autres grands poissons,
des différens oiseaux d'eau ! Et néanmoins combien de mil-
lions périssent dans les baies , où ils s'étouffent et s'écra-
sent , en se précipitant , se pressant et s'entassant mutuel-
lement contre les bas-fonds et les rivages ! Combien tombent
dans les filets des pêcheurs ! Il est telle petite anse de la
Norwége où plus de vingt millions de ces poissons ont été
le produit d'une seule pêche : il est peu d'années où l'on ne
prenne, dans ce pays, plus de quatre cents millions de ces
dupées. Bloch a calculé que les habitans des environs de
Gothembourg en Suède s'emparaient chaque année de plus
de sept cents millions de ces osseux. Et que sont tous ces
millions d'individus à côté de tous les harengs qu'amènent
dans leurs bâtimens les pêcheurs de Holstein , de Mecklem-
bourg , de la Poméranie , de la France , de l'Irlande, de l'E-
cosse, de l'Angleterre, des États-Unis, du Kamtschatka,
et principalement ceux de Hollande , qui , au lieu de les at-
tendre sur leurs côtes , s'avancent au-devant d'eux et vont
à leur rencontre en pleine mer , montés sur de grandes et
véritables flottes ?
{La suite à un prochain numéro.)
LES MIQUELETS ET LES GUÉRILLAS.
Au commencement de la guerre de 1689, entre la France
et l'Espagne , on créa dans le Iloussillon , cent compagnies
de fusiliers dits de montagne, pour les opposer auxmique^
lets chargés de défendre l'entrée des gorges de la Catalogne*
Les milices du Roussillon, qui s'étaient acquises une haute
réputation de bravoure , et qui réunissaient à cet avantage
une connaissance parfaite du terrain , convenaient en effet
mieia que d'autres troupes à ce genre de guerre. Cesçom-
(Fusilier de montagne.)
pagnîes avaient pour chef un gentilhomme du pays, choisi
parmi les plus entreprenans et les plus capables de les diri-
ger. Il avait le titre et l'autorité d'un colonel. Dans l'on-'
gine les compagnies étaient formées d'un capitaine, d'un
lieutenant , d'un brigadier , d'un sous-brigadier , d'un cornet
et de vingt-cinq hommes. Leur habillement se composait
d'une veste rouge, passée dansunhaut-de-chausse, comme
les matelots; d'un juste au corps, à l'antique, de couleur
grise , à paremens et à doublure bleus , et d'un bonnet
(barette) de laine de même couleur que les paremens et la
doublure : ils avaient ordinairement les jambes nues et por-
taient des souliers de cordes (spardilles). Leur armement
consistait en deux pistolets suspendus à la gauche de la cein-
ture, une épée (dagne)t et un petit fusil (escopeUei. ]LÇ8
MAGASIN UNIVERSEL.
33
miquelets du Roiissillon , excellens tireurs , manquaient
rarement leurs coups; ils étaient aussi fort habiles à la
course et passaient pour résister facilement aux fatigues et
aux privations. L'instrument dit cornet n'était autre qu'une
grosse coquille ou limaçon de mer , percée au bas bout , et
qui servait, comme le tambour, dans les marches, dans les
combats ou à rallier les tirailleurs dispersés dans les gor-
ges, dans les défilés et au sommet des montagnes.
Les miquelets ne servaient pas seulement comme parti-
sans : on les employait aussi à couvrir la marche des colon-
nes, à flanquer les ailes de l'armée, à assurer le passage
de l'artillerie et des convois de bagages ou de vivres. Ils pro-
tégeaient également les fourrageurs et servaient d'escorte
aux courriers.
Ces troupes négligées et mal soldées , se dispersèrent pres-
que en totalité après la paix de Riswich (1697) et il n'en est
presque plus question depuis cette époque jusqu'en i7U.
A cette dernière date (2 février), le ministre d'Argenson
créa un nouveau corps d'infanterie sous le nom de fusiliers
de montagne. Celui-ci composé de deux bataillons de
six cents hommes chacun, fut reformé en 1763 : il était
réduit à sept cent vingt hommes depuis 1747.
Leschasseursdesmontagnesel\Gschasseurs-hon-tireurs,
créés au commencement de nos guerres de la révolution ,
le furent à l'imitation des corps dont il vient d'être parlé.
En 1808, lorsque Napoléon se préparait à porter ses armes
en Espagne pour imposer à ses peuples un prince de sa
famille , il institua aussi un corps de miquelets français ,
qui rendit de très grands services pendant toute la durée de
cette guerre. Ces derniers eurent, à-peu-près, l'uniforme
de l'infanterie légère , approprié au genre de guerre et à la
nature du terrain sur lequel ils devaient être exercés.
Avant nous l'Espagne a eu ses miquelets, comme nous
l'avons indiqué au commencement de cet article. Leur
manière de combattre et de vivre, était nécessairement
la môme que celle des miquelets français. Quand cette
nation eut à défendre son territoire contre l'invasion des
armées impériales , il s'y forma de tous côtés des corps peu
nombreux de partisans, qui firent beaucoup de mal à nos
troupes, et auxquels, vu leur peu d'importance, les Espa-
gnols donnèrent le nom de cpiérillas.
Loin d'adopter les manœuvres françaises pour les mouve-
raens en masse et les charges à la baïonnette , les Espagnols
avaient sagement jugé que si les guérillas ne pou^^ient
arrêter d'abord l'impétuosité des Français , elles parvien-
draient un jour, peut-être , à les dégoûter des victoires qui
finissaient par leur coûter plus qu'à l'ennemi vaincu. Il
n'était guère de province qui n'eût un chef à la tête d'une
bande formidable. Abandonnés à eux-mêmes, les plus
hardis et les plus entreprenans de ces chefs s'élevaient au
commandement, ou par des actions d'éclat, ou par l'in-
fluence qu'ils parvenaient à exercer sur leurs compa^-nons
d armes, quelque en fût d'ailleurs le motif. Livrés à leurs
seules inclinations, maîtres de choisir le champ de bataille
et le genre d'attaque et de résistance, le «ervice militaire
le plus convenable à leurs forces et à leurs habitudes était
celui qu'ils adoptaient.
Parmi ces chefs , il en était beaucoup qui n'étaTent connus
que par leurs noms de guerre, et par des actes de cruauté
dont les soldats français s'étonnèrent long-temps avant que
de chercher a s'en venger. Connaissant les ressources que
eur offraient eshabitans et celles qu'ils pouvaient, au besoin,
tirer des localités d'un pays montagneux ; informés à temp
de l apparition des Français et de leur nombre, ces par-
tisans se séparaient et se réunissaient à un rendez-vous fixé
aux commandemens de leurs chefs respectifs ; assurés de la
foi inviolable de leurs compatriotes , constamment protégés
par des mtelhgences que la surveillance la ph.sexacîe delà
part des Français, et les menaces les plus'sé4res né pou-
vaient rompre , ils restaient souvent cachés des jours entiers
aux portes mêmes d'une ville occupée par les Français at
tendaient patiemment le moment où ils seraient supérieurs
en forces, et enlevaient l'objet de leurs recherches sans
qu'on eût le temps de prévenir ni d'arrêter leur attaque.
Rien n'était à l'abri de leur activité et de leur audace , et
malheur à qui tombait vivant entre leurs mainsj ainsi.
(ai
'é^i
(Miquclet français, 1808.)
agissant à part et en petits corps , les guérillas ne cessaient
d'inquiéter les armées françaises, les forçaient à doubler
leur service, et à se tenir perpétuellement sur leurs gardes.
Bien même qu'une telle guerre ne pût donner immédiate-
ment de grands résultats , elle aurait dû être entretenue
très soigneusement dans toute la Péninsule , en raisoQ
de l'extrême faiblesse des forces régulières espagnoles;
mais l'amour de la patrie, qui dirigeait les Espagnols dans
leurs efforts, n'était point tellement exclusif, qu'il ne
laissât quelque empire à des passions moins désintéressées
et moins nobles.
La réputation de quelques chefs de guérillas avait éveillé
la jalousie du gouvernement , pour le maintien duquel ils s«
battaient; soupçonneux parce qu'il était faible, ce gou-
vernement craignait qu'ils ne devinssent indépendans. Hors
d'état de s'assurer d'eux par des récompenses pécuniaires,
et de les arrêter quand il le jugeait convenable, il voulut au
moins donner à leur ambition une direction dont il resterait
maître. En conséquence, pour conserver, autant que possible,
son autorité sur eux, il récompensa adroitement leurs efforts
par un rang militaire , les soumettant ainsi aux généraux de
l'armée régulière; des uniformes riches et brillans, un
état-major personnel, et d'autres accessoires inutiles, furent
ajoutés à leurs titres ; le sentiment de leur importance s'ac-
crut, et ils augmentèrent l'appareil de leurs forces dans un
degré correspondant. Les principales bandes de guérillas
furent bientôt composées d'artillerie , d'infanterie et de ca-
valerie , et du moment qu'elles eurent échangé leur activité
contre de l'importance, elles devinrent une mauvaiee
espèce de troupes régulières. Les talens de Mina et de
Longa seuls s'accrurent; ils commandèrent des armées de
six à huit mille hommes avec l'habileté de tacticiens con-
sommés. Favorisés par la configuration du terrain , et par
les connaissances locales qu'ils avaient d'un pays aussi acci-
denté, ces chefs firent quelquefois, pendant des mois en-
tiers, pour tromper la poursuite de plusieurs corps français
considérables, des manœuvres que n'auraient peut-être
pas désavouées les généraux les plus célèbres. A ces excep-
tions près, et elles étaient rares, la force des guérillas
s'éteignit graduellement par le fait même de l'intervention
du gouvernement espagnol , dont la politique méticuleuse
porta un coup mortel à l'institution de ces corps francs;
ils auraient probablement cessé d'exister au bout de quel-
ques campagnes, si la guerre de la péninsule eût été prO'
longée plus long-temps.
f."
M
MAGASIN UNIVERSEL.
SENEGAL.
SUPERSTITIONS DES NÈGRES DE SATNT-LODIS ET DE
CORÉE, GRIGRIS, MARABOUTS.
(Suite) (i)
Les marabouts, par leurs rapports avec le prophète,
exercent un empire absolu sur les Africains, et il faut con-
venir que les moyens qu'ils mettent en usage sont bien
propres à entretenir chez ces peuples barbares une sorte de
vénération mêlée de terreur. On a vu à Gorée le père , la
mère et les enfans , sur lesquels un sort avait été jeté, périr
successivement sans qu'on pût découvrir les traces de ce
crime. Initiés dans la connaissance des simples dont on extrait
le poison le plus subtil, il leur est facile de porter la mort
dans toutes les familles , et de justifier par l'événement leur
puissance et leur crédit auprès du prophète qui frappe à la
prière de son minisire.
« J'occupais à Saint-Louis , dit M. Baradère , ancien [)réfet
apostolique au Sénégal, un logement dans la maison d'un
Piémontais , possesseur de plusieurs esclaves et d'une nom-
breuse famille. La femme de cet Européen était plus maho-
métane que catholique ; quant à lui , il n'avait aucune foi
dans les mystères de Mahomet : néanmoins son intérêt
exigeait qu'il eftt des égards pour le marabout du quartier
qui venait souvent le voir ; et Boucalin (c'est le nom du
propriétaire) se plaisait souvent à le mettre aux prises avec
moi. C'était un homme d'esprit fort agréable ; je parlerai
plus tard de mes conversations avec lui. Un jour , je fus ré-
veillé par les cris aigus que poussait une négresse employée
dans l'intérieur de la maison , et que Boucalin assommait
à coups de poing, parce qu'une de ses filles avait perdu six
grains d'or de son collier ; la malheureuse lola était inno-
cente , c'était une mulâtresse nommée Jeanne-Marie qui
avait extrait du collier les grains égarés. Voulant faire un
exemple du coupable , Boucalin fit a[)peler son voisin le
marabout qui lui promet de découvrir le voleur. Il vint
m'inviter à assister aux mystères de celte découverte;
« quand j'aurai opéré, me dit-il malignement, tu médiras
si tu peux en faire autant chez les fc/ours. » Je n'eus garde
de manquer à cette cérémonie qui fut fixée pour le len-
demain.
A l'heure indiquée , le prêtre maure et deux de ses con-
frères étaient dans la cour de la maison , où se trouvaient
rcunis en cercle , et assis par terre , tous les nègres de Bou-
calin au nombre d'environ quarante. Le marabout se mit
à exhorter le voleur à se dénoncer lui-même. Voyant que
son éloquence étai4^ perdue , il se recueillit un moment dans
une oase, d'où il sortit revêtu d'une tunique blanche et
suivi de ses deux acolytes qui portaient sur leurs épaules
une grande perche. Ce bois , béni parle pontife et promené
sur tous les nègres assis par terre , avait la vertu de s'ar-
rêter sur le coupable indépendamment de la volonté de ceux
qui le portaient.
Le marabout arriva donc processionnellemenl au milieu
de ces pauvres nègres : il ordonna de promener le bois sacré
sur celle troupe effaj-ée : après deux tours inutiles, on com-
mençait à rire de ses singeries, lorsque ses acolytes, en
pirouettant sur eux-mêmes, sont entraînés par le bois sacré
et tombent sur la malheureuse Jeanne-Marie que les autres
négresses faillirent écharper. Le triomphe du marabout
fut complet. Les grains d'or fin*ent rendus et Jeanne-Marie
fut aiticliée à une échelle étendue par terre et reçut cin-
quante coufis de fouet au lieu de cent d'abord ordonnés : il
nous fut iujpossible d'obtenir de Boucalin une plus forte
renriise. La peine même n'était pas infamante; mais la moindre
plainte eût déshonoré la coupable; elle reçut donc, sans
pousser uu cri , les cinquante coups; mais quand on l'eut
détachée , on s'aperçut qu'elle avait la bouche ensanglantée
et qu'une de ses dents était restée dans un des barreaux de
réchelle. On conçoit combien de pareilles victoires exer-
(0 "^oyagf^.pageS;.
cent d'influence sur une population brute et naturellement
fanatique.
Quelques jours après , le marabout vint me voir et m'ap-
porta un grigri qu'il tenait de son père et qui avait , disait-il ,
une très-grande vertu contre la fièvre ; j'acceptai son grigri
tout en luidisanlqueje complais beaucoup plus sur une pou--
dre rovge que je lui montrai que sur son grigri. Il fut tout
étonné de voir que j'avais deviné juste sur l'affaire du vol,
et n'osa beaucoup insister. A propos de son grigri , il m'as-
sura qu'étant très-jeune il avait suivi son père dans un pè-
lerinage qu'il allait faire fort loin en passant par Portandic.
A trois ou quatre jours de marche de Portandic, ils arri-
\ èrent sur le soir à im village bien pauvre . car le sol n'était
que du sable , couvert dans certains endroits par des bou-
quets d'herbe que les chèvres broutaient; or, ces chèvres
étaient toute la ressource de celle peuplade. Avant d'entrer
dans le village , ils aperçurent un grand feu vers lequel ils se
dirigèrent; mais quel fut leur étonnement, lorsqu'ils aper-
çurent sur ce brasier les membres d'un homme qu'on faisait
rôtir. Ils apprirent que c'était un \ieillard qu'on allait
manger. Quand le repas fut prêt, on leur offrit une jambe;
mais ils la refusèrent, ce qui étonna beaucoup ces sauvages
qui leur assurèrent que c'était une viande comme une autre.
Malgré ces témoignages d'hospitalité, nos deux pèlerins
n'étaient pas parfaitement rassurés, surtout le fils que le
caractère de marabout ne protégeait pas encore contre l'ap-
pétit de ces sauvages, et , dès qu'ils purent s'esquiver, ils
renoncèrent à leur voyage , et revinrent à grandes jour-
nées dans leur pays. C'était, me dit-il , paur que je fusse
à l'abj-i des maladies pendant la roule, que mon père me
donna ce grigri. Il me faisait donc un cadeau précieux que
je payai généreusement, et que je garde avec soin.
Dans les calamités publi([ues les marabouts sont consultés
et leurs avis toujours suivis. En ^820, la sécheresse fut ex-
trême; à Dacar, la récolle du mil allait infailliblement
manquer, lorsque le chef de l'état convoqua les marabouts
qui décidèrent consciencieusement que les poules et les porcs
étaient la cause de celte sécheresse; et, sur le champ, tous
les porcs et toutes les volailles de la république fiu-ent mis à
mort. On achetait à Gorée un porc pour deux sous. Ce
massacre hâta, dit-on, les pluies : la récolte fut également
mauvaise; mais sans celle mesure elle eût entièrement
manqué. »
Si les maralîouts sont sur la terre les représentans du
prophète et méritent les hommages des peuples et les pro-
duits de la terre qu'ils ne remuent j-amais, les Griots sont,
en Afrique , le rebut de la société : gens maudits , indignes
de toutes fonctions , et destinés après leur mort aux peines
de l'enfer. Ils sont, parmi les Africains, ce qu'ont été,
parmi nous, les Bohémiens, les Juifs et les comédiens.
Leur indignité ne leur attire pas cependant les rigueurs de
l'intolérance, et leurs compatriotes, qui savent qu'ils ne
doivent point jouir de la béatitude céleste après leur mort,
trouvent bon qu'ils jouissent de tous les plaisirs qu'ils
peuvent se procurer pendant la vie : il leur est permis de
boire du vin , de changer de femme , de voler , pourvu qu'ils
le fassent avec adresse, etc. A leur tour ils se dévouent aux
amusemens du public et des princes; ce sont eux qui or-
ganisent les fêles , battent le <am-/am, chaulent les louanges
du prince et des grands, et exécutent toutes les faces qui
leur tiennent lieu des concerts de Rossini et des drames de
Victor Hugo. Celte classe d'hommes vit d'aumônes qu'on
ne leur refuse jamais. A leur mort commence pour eux la
proscription : leurs cadavres sont jetés dans le creux d'uu
baobab où les vautours et les bêtes féroces se les disputent.
HABITATIONS TURQUES.
Lorsque vous parcourez la Turquie , ne vous attendez
pas à y jouir , comme en Occident , de l'aspect d'une belle
façade; vous n'y verrez pas une seule maison , qui justifie
au dehors l'idée que vous vous êtes faite du luxe oriental.
Jamais un homme opulent, qui vit sous la loi du prophète,
MAGASIN UNIVERSEL.
S5
fïît-il élevé à la dignité de grand-visir , n'a décoré rextérieur
du palais qu'il habile, et jamais à Coiistanlinople aucun ar-
chitecte n'a songé à déployer les ressources de son art pour
embellir l'exlérieur de la demeure d'un simple particuher.
a Au nom de Dieu clément et miséricordieux, dit le Coran,
que le serviteur lîdèle ne recherche pas l'élévation, la gran-
deur, la beauté de l'édifice, ni les richesses de l'architec-
ture , ni les ornemens de la peinture et de la sculpture.
Les protluctions des beaux arts ne sont réservés (pi'aux
temples , aux mosquées , aux lio[)ilaux et aux moniunens
publics. Croyans, vous ne bâtirez vos habitations avec du
ciment et de la pierre , que jusqu'au premier étage ; que
le dedans comme le dehors soit d'une extrême siniplicité;
qu'on n'y voie ni ciselure , ni dorure ; qu'on n'y étale point
d'ouvrage créé par le pinceau; que tout ornement en soit
banni. »
Le précepte peut être bon ; mais Dieu sait , et les riches
mahométans savent aussi, s'il n'a pas reçu d'infraction.
Voulez-vous avoir une iilée complcle de ia maison d'un
mahométan, ligurez-vous à l'extérieur un pan de muraille
absolument nu; çà et là, semées au hasard , quelques petites
fenêtres grillées , comme on en voit , dans les pays ca-
tholiques , aux couvens des femmes ; et puis au-de.ssus de
la porte un shah-nishin lugubre , espèce de balcon entière-
ment recouvert de treillages en fer. INe cheichez pas un
signe distinclif qui puisse au besoin vous faire reconnaître
la maison que vous examinez ; vous ne verrez sur la porte
ni armoiries, ni inscriptions, pas même de numéro; le rez
de chaussée est bâti en pierre et en brique ; mais par
respect pour le Coran , le haut de la maison , depuis le
premier étage , est en bois , ce qui explique les nombreux
incendies dont les villes turques sont si souvent le théâtre.
Le plus léger accident, un fourneau renversé, l'étincelle
qui s'échappe d'une pipe, suffisent pour réduire tout un
quartier de ConstaaLinople en cendres. Quoi qu'il en soit ,
malgré le prophète et le Coran , l'intérieur de l'habitation
d'une personne aisée ne répond pas à la simplicité de la
façade , ni à la sombre structure de la porte d'entrée.
L'homme riche, qui dans l'Occident ne craint point d'étaler
son opulence, se cache au contraire en Turquie, quand il
veut jouir de ses trésors ; pour ne pas éveiller l'œil jaloux
du despote qui gouverne, il se soustrait à ses yeux, et
élève un mur impénétrable.
La cour intérieure est vaste , spacieuse et pavée en marbre
très recherché. Si le temps est beau, on la couvre en entier
de tapis précieux; toutau tour, règnentdes terrasses, des par-
terres émaillés de fleurs , et de magnifiques galeries sou-
tenues par d'élégantes colonnelles. Chacjue arceau , chaque
travée est enrichie d'arabesques capricieux ; au milieu de
l'enceinte, s'élève, sur des piliers de marbre, la fontaine
qui fournit de l'eau pour les ablutions; quelques arbres
hauts et touffus l'ombragent de leurs larges feuilles. Plus
que partout ailleurs , l'eau en Turcpiie est une des choses les
plus indispensables aux habitans ; car il faut de l'eau pour
se laver avant et après la prière ; il faut de l'eau pour se
purifier des péchés que l'on vient de commettre ; il faut
enfin de l'eau pour boire , puisque la loi défend les liqueurs
fermentées; aussi les gens riches multiplient-ils les fontaines
et les jets d'eau ; ils ne croiraient pas avoir embelli leur
maison de campagne, si, à côté de chaque kioske, ils
n'élevaient une fontaine dont les eaux se perdent ensuite
dans les carrés du jardin. Il n'y a pas, en Turquie, une
seule maison aisée où l'on ne trouve une fontaine; l'enfant
de Mahomet , quel qu'il soit, a droit de s'y laver; refuser
de l'eau à un croyant , ce serait encourir toute la sévérité
des lois.
Le rez-de-chaussée n'est ordinairement occupé que par
les esclaves , les domestiques et les officiers de la maison.
Un grand escalier de bois conduit au divan-khane ; vous
voici dans un long corridor qui mène aux appartemens des
hommes, et oui se orolonce sur trois côtés de ta cour. A cha-
que angle s'élèvent aes kioskcs ricneniene occores, coaverts i
d'arabesques , de guirlandes , de fruits , de fleurs , de
paysages. C'est dans ces élégans pavillons qu'attendent , la
pipe à la bouche , les officiers de service ou les personnes
qui demandent audience ; le corps de bâtiment est divisé
en deux parties : l'une sert au maître , à ses enfans, aux
domestiques, aux étrangers qui viennent le voir; c'est le
salem-lit\ l'autre destinée aux femmes, et accessible à lui
seul , [irison consacrée par la religion à l'esclavage de ses
compagnes, c'est le harem : dans le salem-lit , les appar-
temens sont spacieux , mais peu élevés ; vous n'y trouvez
d'autres meubles que des sofas et des tapis. Les muraillos
n'y sont peintes que d'une seule couleur; sur le haut de la
porte est gravé en lettres d'w un passage du Coran, et tout
au tour les noms sacrés de Dieu et du prophète.
De belles tapisseries , des tableaux précieux , des gra-
vures rares , n'ornent jamais la demeure d'un osmanii ;
dans les appartemens vous n'apercevez pas une seule chaise,,
et les glaces y sont très peu prodiguées; mais aussi partout
vous retrouvez le long et monotone divan qui sert à des
usages si divers : le divan vous prête son appui pendant le
repas, il soutient votre tête pesante et paresseuse , lorsque,
couché sur le tapis, vous vous laissez aller à un doux repos,
et la nuit c'est encore le divan qui vous sert de lit; alors
on l'entoure de franges, on le pare des étoffes les plus pré-
cieuses , on le revêt des plus riches tapis. C'est dans la salle
du divan qu'on déploie les rideaux les plus somptueux,
que l'on décore les fenêtres avec le plus de soin , que l'on
obtient l'obscurité la plus profonde ou le jour le plus
éclatant; c'est là qu'en été on ménage les courans d'air les
plus agréables , le frais le plus délicieux. « Les lambris, dit
un voyageur , jouent aussi un grand rôle dans la demeure
des osmanlis ; ils en ornent leurs plus beaux appartemens.
J'ai vu des lambris qui avaient coûté des sommes consi-
dérables; ils étaient d'une richesse, d'une délicatesse de
travail que rien ne peut égaler J'en ai vu un, entre autres,
d'une exécution si parfaite qu'il représentait , en mosaïque,
et avec tout le fini du pinceau le plus exercé ', des
arabesques et des dessins d'un goût exquis. Je ne sais si
nos artistes les plus habiles arriveront jamais à ce degré de
perfection; je doute que jamais un Européen parvienne à
combiner avec autant de bonheur, les diverses couleurs dont
on peint en Turquie les corbeilles de fleurs et les bouquets.
Je ne parlerai pas des riches tapis dont on fait en Orient
un si grand usage ; on les comiaît assez en Europe , et ce
serait peine inutile que d'en donner une description. Les
Turcs en général font très peu de cas de ceux que l'on fa-
brique à Smyrne, dans l'Asie-Mineure, àSalonique, quoi-
qu'ils soient très recherchés en Europe , et aux États-Unis.
Ils préfèrent les tapis de Perse , de Syrie et d'Egyte , qu'ils
trouvent d'une qualité supérieure et mieux travaillés.
Tels sont les principaux traits qui peuvent donner une
idée des maisons particulières, dans les contrées musulmanes,
où tout le monde est obligé de bâtir de la même manière.
Là le Grec, l'Arménien et le Juif sont soumis sous ce rap-
port à la loi du prophète ; le chrétien bâtit sa maison selon
la règle du Coran , car on ne lui ferait pas grâce de l'amende
s'il s'avisait de la transgresser. Le minav-aga, à qui est
confiée la surveillance des constructions à Constantinople,
est un homme pieux et sévère qui n'entend point raillerie;
aussi je ne conseillerai jamais à im Européen établi en
Turquie de se mettre en opposition avec la loi bizarre de
Mahomet , et surtout avec son fils bienaimé l'intendant des
architectes de la capitale et de tout l'empire. »
LES FETES DES JUIFS.
Il est intéressant de connaître les fêtes consacrées des
anciens Hébreux , fêtes qu'on trouve mentionnées si fré-
quemment dans la Bible. La nation juive dispersée sur la
terre , conservant toutes ses croyances , fidèle à ses pra-
tioues dans l'attented'un messie, présente encore aujourd'hui
on speciacie aigne a attention.
86
MAGASIN UNIVERSEL.
(La fête des trompettes. )
Nous allons donner quelques détails sur les quatre fêtes
annuelles des Juifs : trois de ces fêtes n'étaient célébrées
que par le peuple de Dieu ; la quatrième, ou fête des trom-
ffettes , reproduite dans la gravure placée en tête de cet
trticle, et considérée comme l'anniversaire de la création
du monde , n'était pas particulière aux hébreux; elle était
dans l'origine observée avec quelques circonstances so-
lennelles par tous ceux qui craignaient le Seigneur.
Le septième mois qui répond à notre mois de septembre,
était originairement le premier de l'année en souvenir de
la création , et on continua de le regarder comme le pre-
mier de Vannée civile. Mais après la merveilleuse sortie
d'Egypte, le septième mois, (Ahih) forma une nouvelle ère
dans l'histoire des Israélites. Le seigneur dit à Moyse et
à Aaron : « ce mois-ci sera le commencement des mois ; ce
« sera le premier des mois de l'année ; observez le mois
« d'abib (le mois des grains), en célébrant la pâque en
« l'honneur du Seigneur votre Dieu ; parce que c'est le
« mois où le Seigneur votre Dieu vous a fait sortir de
« l'Egypte pendant h nuit. »
Le docteur Gill remarque à propos du passage que nous
avons cité , que ce jour étant celui de la nouvelle année,
cette cérémonie semblait avoir été établie pour exprimer
la reconnaissance des heureux évènemens de l'année ex-
pirée ; et comme à cette époque tous les fruits de la terre
sont recueillis , non seulement l'orge et le blé , mais l'huile
et le vin , on appelait les bénédictions divines sur les pro-
ductions de la saison suivante. D'un autre côté, les Juifs
croient que ce jour est celui de la création , et le son des
trompettes est pour eux un emblème des voix célestes.
« Lorsque les astres du matin lonnient le Seigneur tous
« ensemble , et que les enfans de Dieu , les anges, étaient
a transportés de joie ». On peut croire enfin que c'était un
avertissement pour les Juifs de se préparer au jour de l'ex-
piation qui tombait le 40, et à la fête des tal)ernacles qui
arrivait le 45 de ce septième mois. Les Juifs observaient
cette fête dans de pieux exercices; les trompettes reten-
tissaient dans les synagogues , ils fesaient un joyeux repas ,
et se livraient le reste du jour à des pratiques religieuses.
La pdque. Cette fête dont nous avons déjà parlé fut in-
stituée en mémoire de la délivrance des Hébreux. Moyse
appela tous les enfans d'Israël , et leur dit : « Allez prendre
« un agneau dans chaque famille , et immolez-le , car c'est
« la pâque (c'est-à-dire le passage) du Seigneur; trempez
a un bouquet d'hysope dans le sang que vous aurez mis sur
« le seuil de votre porte , et vous en ferez une aspersion sur
« le haut de la pfbrte , et sur les deux poteaux ; que nul de
« vous ne sorte hors de sa maison jusqu'au matin ; car le
« Seigneur passera en frappant de mort tous les premiers
« nés des Egyptiens, et quand il verra ce sang sur le haut
« de vos portes , il ne permettra pas à l'auge exterminateur
« d'entrer dans vos maisons , ni de vous frapper. Vous
« garderez cette coutume qui doit être inviolable pour vous
« et pour vos enfans, et quand vos enfans vous diront quel
« est ce culte religieux , vous leur direz : c'est la victime du
« passage du Seigneur lorsqu'il épargne les maisons des enfans
« d'Israël dans l'Egypte , frappant de mort les Égyptiens. »
La fête des semaines. Cette fête était observée sept
semaines ou cinquante jours après la pâque ; elle est ap-
pelée quelquefois ijeniecôte dans le Nouveau-Testament,
d'un mot grec qui signifie cinquantième. Elle fut établie en
souvenir de la loi de Dieu, donnée sur le mont Sinaï cin-
quante jours après la délivrance des Israéhtes. La pentecôte
était aussi nommée la fête de la moisson , parce qu'elle
tombe à la fin de la récolte des blés ; on offrait au Seigneur,
pour un sacrifice, deux pains de prémices, de deux dixièmes
de pure farine , avec du levain , et on lui rendait de so-
lennelles actions de grâces.
La fête des tabernacles. Cette fête était célébrée par les
Israélites, pendant sept jours , lorsqu'ils avaient retiré
de l'aire et du pressoir , les fruits de leurs champs ; ils
admettaient à leurs festins de réjouissances , le lévite, l'é-
tranger , la veuve , l'orphelin , et appelaient la bénédiction
de Dieu sur leurs travaux. En souvenir du séjour de leurs
ancêtres dans le désert , où ils avaient habité sous des tentes,
ils élevaient des espèces de cabanes au moyen de branches
d'arbres , et ils y demeuraient pendant les sept jours que
durait la fête. Toute la nation devait se rendre à Jérusalem
pour y adorer le tabernacle de Jehovah.
Les Bureaux d'Abonnement et de Tente sont transférés rue de
Seine-Saint-Germain, 9.
(8
MAGASIN UNIVERSEL.
Si
^ LYON.
(Vue de l'Eglise Saint-Nizier. )
C'est en examinant Lyon et le pays environnant du haut
de la tour Pitra , qu'on peut se faire une idée de la gran-
deur de cette ville et de son influence sur le pays tout en-
tier.
Le sommet du Mont-Blanc qu'on découvre sur la gauche,
les glaciers de la Savoie qui se dressent à l'horizon attirent
en vain les regards; l'œil abandonne bientôt cette perspec-
tive lointaine et nébuleuse , pour s'arrêter sur le magnifi-
que spectacle qui se déroule aux pieds de l'observateur;
il y a plaisir à suivre le cours de ces fleuves majestueux qui
viennent, à droite et à gauche, étreindre Lyon la superbe,
et qui, après l'avoir baignée de leurs eaux, après avoir
jeté dans ses murs leur abondant tribut de productions di-
verses , se réunissent au sortir de la ville , et fuient dans
une vallée sans bornes, tout droit vers le soleil du Midi.
Vous pouvez suivre long-temps des yeux les deux fleuves
encore distincts après leur réunion. La Saône semble quit-
ter à regret ces bords enchanteurs, et les nombreuses mai-
sons de plaisance , et les îles couvertes dé verdure qu'elle
baigne en passant. Elle chemine lentement ; elle paraît
immobile à côté de son impétueux compagnon , qui l'en-
traîne dans sa course rapide vers les champs de la Pro-
vence.
Si vous baissez encore les yeux , il vous semblera que ces
ponts hardis et nombreux , ces ponts qui joignent quatre
villes en une seule , sont à vos pieds. Les quais immenses
qui bordent la Saône et le Rhône, les nombreux monu-
TOME II. — NovembN tBJA.
mens dont on domine le faîte , l'hôpital dont le dôme s'é-
lève avec majesté , et ces bateaux à vapeur qui s'éloignent
avec la vitesse de l'oiseau, et cette population qui se presse
dans ces rues pavées des cailloux roulés du Rhône , et ces
maisons si élevées qu'elles semblent se joindre par le som-
met pour intercepter les rayons du soleil; tout cela forma
un des panoramas les plus riches et les plus animés que
l'on puisse concevoir.
La partie la plus éloignée des hauteurs qui bordent les
faubourgs de la rive droite de la Saône , a été autrefois
occupée par les armées de la Convention.
Ces beaux peupliers qui s'élèvent majestueusement le
long de cette langue de terre qui termine la ville au con-
fluent des deux rivières , montrent encore les blessures que
leur ont faites les boulets républicains.
La partie de ces hauteurs qui avoisine la ville , et le
faubourg Saint- Jean qui les joint à la Saône, ont encore été
le théâtre de luttes aussi sanglantes et aussi déplorables ;
car Lyon semble destinée aux guerres civiles. C'est là,
près de l'archevêché , presque en face du pont qui mène à
Bellecour, qu'a commencé la guerre des mu tuellistes; c'est
là que la résistance a été si longue , si opiniâtre; c'est là
qu'a commencé aussi le systtaie de destruction des habi->
tations dont un jour plus tard la ville elle-même devait êtM
victime. L'église représentée dans la gravure qai accora*
pagne cette notice a aussi été témoin de scènes désas-
treuses : quelques insurgés s'y étaient enfermés lor» des der*
S8
MAGASIN UNIVERSEL.
niers évènemens ; cet asile de paix a vu le trépas sanglant
de ces victimes de nos dissensions politiques.
Dans une lettre adressée à un de nos amis, un voyageur
étranger décrivait en ces termes l'aspect de Lyon pendant
les évènemens de l'hiver de 1831 .
« L'impression que je ressentis en pénétrant dans cette
ville si fameuse ne s'effacera jamais de ma mémoire. C'était
en 1831 , en hiver, après l'arrivée à Paris de la nouvelle ter-
rible , imprévue , extraordinaire , d'une population qui venait
de chasser de ses murs l'armée du souverain dont, quel-
ques mois auparavant, elle avait célébré la fête avecl'ivresse
de l'enthousiasme. Je pensais trouver sur la route, campée
autour de la ville, la cernant par un cordon formidable,
l'armée qui l'avait évacuée; mais le grand mouvement
de troupes qui depuis Moulins se faisait remarquer, l'en-
combrement qui dans toutes les villes et sur tous les che-
mins avait retardé notre voyage, cessaient tout à coup aux
approches de Lyon. Là tout était morne et silencieux : le
faubourg était désert; à peine une lanterne isolée jetait-
elle une faible clarté sur nous. Notre voilure fut arrêtée
aux portes de la ville. Ce n'était pas , comme je l'avais pensé,
un poste royal qui venait inspecter nos passeports : nous
étions arrivés à la grille, et là l'autorité royale était mécon-
nue; u*ne sentinelle isolée, en chapeau rond, en veste
courte , sans sabre et sans giberne , semblable en tout aux
insurgés de juillet, se promenait en silence. L'employé de
l'octroi fit son inspection avec soin , comme si la ville eût
été dans son état habituel. Les soldats-ouvriers semblaient
ne pas même s'apercevoir de notre passage. Nous eûmes
bientôt franchi la barrière, et la ville se développa suc-
cessivement à nos yeux.
J'ai lu souvent les chroniques du moyen-âge; j'ai tres-
sailli au récit de ces guerres des rois contre les villes, de la
résistance souvent si opiniâtre de ces cités nouvellement
affranchies, qui avaient arrêté devant leurs murs des ar-
mées disciplinées, et les avaient vaincues dans leurs rues.
Nancy, Beauvais , une autre Lyon, se pressaient à ma mé-
moire : et bien, rien, rien au monde, ne me frappa plus
que l'aspect de Lyon pendant celte nuit obscure ; c'était la
réalisation complète, exacte, des récils des chroniqueurs. De
temps en temps, un factionnaire à demi armé nous regar-
dait passer en silence , à travers ces étroites ruelles dont les
sinuosités prudentes rappellent les temps de l'arquebuse et
les précautions des bourgeois contre les gens d'armes. A
Lyon, les barricades ne sont pas pour le peuple une né-
cessité première ; les tournansdes rues les rendent inutiles.
C'était le surlendemain seulement que les troupes, sur
l'invitation des habilans, devaient faire leur rentrée en ville.
-On attendait l'arrivée du maréchal Soult et du prince royal
f.pour cette espèce de prise de possession.
»' J'eus donc encore le temps de contempler, tout un grand
jour, l'aspect d'une ville conquise par ses propres enfaus.
Déjà la victoire leur était à charge; ils avaient abandonné
les postes principaux. Les métiers battaient dans tous les
quartiers. Le soir, ces hautes maisons, bâties aux moindres
frais possibles, et louées, bien cher hélas! en détail à la
- population ouvrière, étaient éclairées à chaque fenêtre.
Dans chaque chambre, une modeste lampe, de la forme la
plus simple, une mèche brûlant dans un vase plem d'huile ,
éclairait le travail du canut, travail si délicat , si minutieux
par les soins de propreté qu'il exige, et qui cependant est
souvent exécuté par de pauvres êlres , salis par la misère ,
transis par le froid, affaiblis par l'abstinence , et dont on
pourrait penser que les facultés morales sont anéanties. Il
n'eu est rien cependant : l'ouvrier lyonnais , assis tout le
jour devant un travail qui bientôt pour lui est une habi-
tude , a tout le loisir d'occuper son esprit par les tristes
pensées que fait naître sa malheureuse condition.
Je me dirigeai vers la Croix-Rousse , ce quartier-général
de la fabrique. En gravissant ces collines escarpées , ces
rues toutes couronnées de rampes inaccessibles, je n'étais
plus surpris des succès des ouvriers; il faut s'étonner même
de la victoire que depuis les soldats ont obtenue : il n'y a
que des soldats français qui puissent surmonter de telles
difficultés. Pourquoi faut-il que tant de courage soit dé-
ployé dans des luttes qui ne laissent au cœur de tous que
d'amers souvenirs !
La rue principale de la Croix-Rousse , la Grande-Côte,
semble abandonnée aux classes les moins aisées. L'aspect
de cette rampe longue et pénible a quelque chose qui rap-
pelle le supplice de Sysiphe. Les malheureux qui la gravis-
sent , chargés de leurs provisions du jour, du pain , des lé-
gumes, du charbon, nécessités de leurs petits ménages,
doivent être accablés de fatigue à la fin de leur course jour-
nalière. Autrefois, l'exemption de l'octroi devait compen-
ser leur pénible tâche du malin ; mais à présent la Croix-
Rousse est soumise à l'octroi comme tout le reste de la
ville.
Quand on a jeté un coup d'oeil attentif sur cette ville de
travailleurs, si bien placée pour ses opérations industrielles,
on ne s'étonne plus des quarante-cinq mille métiers qui
parfois, mais parfois seulement, battent dans ces nombreuses
demeures. On comprend que, dans celte immense fabrique,
quatre-vingt-dix mille personnes, sur cent cinquante mille
habilans, soient occupées à la fabrication des tissus de
soie. »
Lyon touche au nord et au midi de la France à la fois.
Elle tient par ses habitudes de l'une et de l'autre contrée,
elle reçoit les productions de toutes deux Lyon devrait
être prospère , car elle contribue pour une forte part à la
prospérité générale : elle exporte en effet à elle seule pour
125 millions de produits par an.
{La suite à «a prochain numéro).
LOIS FONDAMENTALES DU PORTUGAL
FAITES DANS LA PREMIÈRE CONVOCATION DES ÉTATS-
GÉNÉRAUX A LAJUEGO, EN 1145 (1).
Au nom de la Très-Sainte-Trinité , Trinité inséparable ,
hrioi Alphonse , fils du comle Henri et de la reine Thérèse,
petit-fils du grand Alphonse, empereur des Espagnes , et ,
depuis peu, pat la miséricorde de Dieu , élevé à la dignilé
royale.
Puisque Dieu nous a accordé le repos , et qu'il nous a
fait triompher des Maures , nos ennemis , voulant profiter
de ce temps de calme, nous avons convoqué ceux dont
voici les noms et les qualités : l'archevêque de Braga , les
évêques de Viseu , de Porto, Coïnibre et Lamego, etc.
Laurent de Venegas, portant la parole pour le roi, en
qualité de son procureur-général , en présence du roi, mais
sans aucune marque royale , et du clergé séculier et régu-
lier assemblé dans l'église de Sainte-Marie d'Almançave, se
lève et dit :
Le roi Alplionse que vous avez élu dans le camp d'Ouri-
que, vous a convoqués ici pour vous exhiber les brefs dti
pape , et vous demander si vous voulez qu'il soit roi. Tous
répondirent : Noxis voulons qu'il soit roi. — Comment se
ra-t-il roi ? Sa royauté finira-t-elle avec lui , ou ses enfam
pourront-ils lui succéder? Tous répondirent : Il régneru
tant qu'il vivra, et après lui ses enfans. — Si vous le vou-
lez ainsi , continua Venegas , donnez lui les marques de la
royauté ; et tous répondirent : Donnons lui les marques de
la royauté, au nom du Seigneur. Pour lors , l'archevêque
de Braga prit des mains de l'abbé de Lorbano une couronne
d'or, enrichie de perles, et donnée à ce monastère par le
(i) L'importance des évènemens qui se sont accomplis dans
ces derniers temps en Portugal fera sans doute accueillir avec
intérêt par les lecteurs du Magasin Universel, le récit des faits
qui se passèrent dans la première assemblée où les Portugais,
affranchis du joug des Maures , jetèrent les bases de leur const»>
tution et donnèrent la couronne au chef qui les avait coaduilai;
la victoire.
MAGASIN UNIVERSEL.
59
roi des Goths, et la mit sar la tête du roi , qui tenait son
épée nue à la main, la même qu'il avait portée à la guerre.
En cet état , Alphonse dit à haute voix : Béni soit Dieu, qui
m'a toujours assisté, quand je vous ai délivrés de vos en-
nemis avec cette épée que je porte pour votre défense. Je
suis donc votre roi, et puisque je suis tel, faisons des lois
qui établissent la tranquillité dans notre royaume. Nous
le voulons bien, reprirent les peuples, faites telles lois
qu'il vous plaira, nous sommes à vos ordres, nous et nos
familles.
Et les lois pour la succession au trône furent telles qu'elles
sont exprimées dans les articles suivans :
Que le roi AlpJionse vive pendant longues années, et
qu'il règne sur nous. S'il a des enfans mâles, qu'ils soient
nos rois, sans qu'il soit nécessaire de faire une autre élec-
tion : le fils succédera au père, puis le petit-fils, et ainsi à
perpétuité dans leur descendance.
Si le fils aîné du roi meurt pendant la vie de son père ,
le second fils, après la mort du roi son père, sera notre
roi; puis le troisième succédera au second, et ainsi des au-
tres fils du roi.
Si le roi meurt sans enfans mâles, le frère du roi, s'il en
a un, sera notre roi, mais pendant sa vie seulement; car,
après sa mort , le fils de ce dernier roi ne sera pas notre
roi , à moins que les évêques et les Étals ne l'élisent.
Le roi demande, dit Laurent de Venegas, si vous voulez
que les filles entrent dans la succession de la couronne ,
et souhaite que sur cela on fasse une loi. Après une lon-
gue contestation , les évêques et seigneurs arrêtèrent que
les filles du seigneur roi régneraient, mais en cette ma-
nière :
Si le roi n'a point d'enfant mâle, et qu'il ait une fille ,
elle sera reine après la mort du roi, pourvu qu'elle se ma-
rie avec un seigneur portugais ; mais ce seigneur ne por-
tera le nom de roi que lorsqu'il aura un enfant mâle de la
reine qui l'aura épousé. Quand il sera dans la compagnie
de la reine, il marchera à sa main gauche, et ne mettra
point sur sa tête la couronne royale.
Que cette loi soit toujours observée, continua Alphonse,
et que la fille aînée du roi n'ait point d'aiilre mari qu'un
seigneur portugais, afin que les princes étrangers ne de-
viennent point les maîtres du royaume. Si la fille du roi
épousait un prince ou un seigneur étranger, elle ne serait
point reconnue pour reine , parce que nous ne voulons point
que nos peuples soient obligés d'obéir à un roi qui ne se-
rait pas né Portugais, puisque ce sont nos sujets et nos
compatriotes qui , sans le secours d'autrui , mais par leur
valeur et aux dépens de leur sang, nous ont fait roi.
Telles sont les lois qui regardent la succession à la cou-
ronne de Portugal; et les peuples y applaudirent, en di-
sant qu'elles étaient bonnes et justes, et ajoutèrent qu'ils
n'en voulaient point d'autres ni pour eux ni pour leurs
descendans.
Et Laurent de Venegas s'étant levé , proposa aux peu-
ples , au nom du roi , de faire des lois louchant la noblesse
et la justice. Ils répondirent qu'ils y consentaient, pourvu
qu'elles fussent conformes aux lois divines. Ce sont celles
qui suivent :
Tous ceux qui sont du sang royal, ainsi que îeurs des-
cendans, seront reconnus princes. Les Portugais qui au-
ront combattu pour la personne du roi , pour son fils, pour
son gendre, ou pour la défense de l'étendard royal , seront
nobles , les descendans des Maures , des Juifs ou des Infi-
dèles exceptés. Si un Portugais, fait prisonnier par les
Barbares, meurt en captivité sans avoir renoncé à la sain-
teté de son baptême, ses enfans seront nobles. Celui qui
aura tué un roi ennemi ou son fils, ou qui aura pris leur
étendard royal , sera reconnu pour noble.
Si un noble est assez lâche pour fuir dans le temps qu'il
faudra combattre ; s'il a frappé une femme de sa lance ou
de son épée ; s'il n'a point exposé sa vie pour la liberté de
la personne du roi ou du prince son fils , et pour la défense
de l'étendard royal; s'il est convaincu de parjure; s'il est
allé servir chez les Maures; s'il a volé, blasphémé, ou en-
fin attenté à la personne du roi , cet Jiomme noble sera dé-
gradé de tout caractère ainsi que sa postérité.
Les lois concernant la justice ayant été pareillement-éta-
blies , Laurent de Venegas se leva encore , et dit aux peu-
ples : « Voulez-vous que le seigneur roi aille aux assem-
blées du roi de Léon, qu'il paye le tribut, soit à lui, soit
à quelque autre personne étrangère , et commise par le
pape, qui l'a fait roi ? » Chacun se leva en tirant l'épée , et
ditàhautevoix : « Nous sommes libres, notre roi l'est comme
nous. Nous devons notre liberté à notre courage , et si le
roi consentait à faire quelque chose de semblable , il serait
indigne de vivre, et, quoique roi , il ne régnerait point sur
nous. » A ces paroles , le seigneur roi , ayant la couronne
sur la tête et l'épée nue à la main , se leva et dit aux peu-
ples : « Vous savez les risques que j'ai courus, et les dan-
gers auxquels je me suis exposé pour vous procurer cette
liberté dont vous jouissez ; je vous prends à témoin, aussi
bien que cette épée que je porte pour votre salut et pour
votre défense : si quelque roi consentait à commettre une
telle infamie, qu'il meure: et si c'est mon fils ou mon pe-
tit-fils , qu'il soit privé de la couronne. » Et tous s'écriè-
rent en agitant leurs épées : « C'est bien dit : ils mour-
ront , et si le roi est assez lâche pour se soumettre à «n«
autre puissance , qu'il cesse de régner. » Et le roi reprit »
« Ainsi soit-il. »
L'ADANSONIA DIGITATA.
La belle plante dont nous ne donnons ici que quelques
feuilles et une fleur, est la plus volumineuse de toutes celles
que le célèbre Adanson a décrites dans son voyage du Se -
négal. Le tronc de l'arbre qui porte l'adansonia digitata n'est
pas très haut , mais il devient si gros qu'il n'est pas rare
d'en rencontrer qui ont soixante et quinze ou quatre-vingts
pieds de circonférence. Il est couronné par un grand
nombre de branches fort grosses , longues de cinquante à
soixante pieds, dont les plus basses s'étendent et touchent
quelquefois la terre, de manière que l'arbre, dont le tronc
est ainsi masqué, ne paraît de loin qu'une masse de ver-
dure de soixante ou quatre-vingts pieds de haut , sur cent
cinquante pieds de diamètre. De l'aisselle de deux ou trois
feuilles inférieures de chaque branche , il sort une fleur
solitaire, pendante à un pédoncule cylindrique une fois plus
long que les feuilles, accompagné de deux ou trois écailles
qui tombent vers le temps de l'épanouissement de l' Adanso-
nia. Cette fleur est proportionnée à la grosseur de l'arbre ;
elle a, lorsqu'elle est épanouie , quatre pouces de longueur
sur six pouces de large.
Aux branches de cet arbre répondent à peu près autant
de racines , presque aussi grosses , mais beaucoup plus
longues. La racine du centre forme un pivot qui , sembla-
ble à un fuseau , pique verticalement à une grande pro-
fondeur , pendant que celles des côtés s'étendent horizon-
talement , et tracent près de la superficie du terrain ; on a
observé que les racines d'un individu âgé seulement de dix
ou douze ans , et d'une circonférence de soixante-dix-sept
pieds, avaient une étendue de cent et dix pieds. L'ac-
croissement de cet arbre , très rapide dans les premières
années , diminue ensuite considérablement ; sa durée étonne
l'imagination; on le nomme pour cette raison arbre de mille
ans. Adanson , à qui nous devons une histoire très étendue
de ce végétal, a prétendu que parmi ceux qu'il avait ob-
servés au Sénégal , plusieurs étaient âgés de six mille ans ;
et c'est ce qui a fait dire à Huniboldt que cet arbre est le
plus ancien monument organique de notre planète. Le
fruit, lorsqu'il est gâté, et son écorce ligneuse , servent aux
nègres à faire un excellent savon , en tirant la lessive de ses
cendres et en la faisant bouillir avec de l'huile de palmier
qui commence à rancir. Le bois est blanchâtre , léger , et
tellement tendre , qu'en Abyssinie les abeilles y forment
60
IVIAGASIN UNIVERSEL.
tin trou pour y déposer leur miel , qui est considéré comme
le meilleur de ces contrées. Il parait que le bois n'est employé
ni pour les arts ni pour l'industrie ; les nègres font encore
un usage bien singulier du tronc de ces arbres; ils agrandis-
sent les cavités de ceux qui sont attaqués de la carie; ils y
pratiquent des espèces de chambres où ils suspendent les ca-
davres de ceux auxquels ils refusent les honneurs de la sé-
pulture , et ils en ferment l'entrée avec une planche. Ces
cadavres s'y dessèchent parfaitement, et y deviennent de
véritables momies sans aucune autre préparation ; le plus
grand nombre de ces corps , ainsi desséchés , sont ceux des
griots , ou poètes musiciens qui président aux fêtes et aux
danses, à la cour des rois nègres, voy. pageS4. Cette espèce
de supériorité de talens les fait respecter des autres nègres,
qui les regardent comme des sorciers ou des démons; mais
(Adansonia digitata. )
à leur mort ce respect se change en horreur ; les nègres
croient que si on enterrait ces corps , ou si on les jetait
dans les eaux , ils attireraient la malédiction sur leur pays;
c'est pourquoi ils les cachent dans les troncs des Baobabs.
DIUGENCES ESPAGNOLES.
(Suite.) (i)
Depuis 1820, des capitalistes ont eu l'heureuse et lucra-
tive idée de former une compagnie royale des diligences.
Les routes que desservent ces voilures sont celles de Per-
pignan à Madrid, en passant par Barcelone et Valence; de
Bayonne à Madrid , par Vittoria et Burgos ; et de Madrid
à Séville. Enfin , depuis deux ans , un bateau à vapeur re-
çoit les voyageurs qui veulent descendre à Cadix par le
Guadalquivir, ou remonter ce fleuve jusqu'à Cordoue.
Rien de plus commode ni de mieux approprié au climat
que ces diligences de la compagnie royale. Des espèces de
ventilateurs, des persiennes adaptées aux portières, enfin
des ouvertures pratiquées dans les cloisons qui partagent
les compartimeus de la voiture, garaatissent les voyageurs
(f) Voyez, page 43.
de la poussière et de la chaleur tout à la fois. Assis à l'aise,
et au milieu d'un demi-jour que laissent arriver les jalou-
sies , on voyage aussi agréablement que possible , par une
chaleur de trente degrés, et emporté par huit ou dix mu-
les qui vont comme le vent. On ne rencontre pas à beau-
coup près les mêmes commodités dans les diligences de
France. — Tout comme dans les coches de cuUeras, le mayo-
ral est assis sur le siège, tenant les rênes, qu'il n'abandonne
jamais; à côté de lui se tient le zagal. Celui-ci, pour peu
qu'une mule ralentisse son allure, s'élance comme un trait, et,
la frappant du bâton noueux de son fouet , accélère le pas de
la pauvre bête. L'attelage entier reprend une nouvelle ar-
deur à ce bruit bien connu qu'accompagne ordinairement un
redoublement de reproches à la capitana, à la coronella , etc.
C'est là, d'ailleurs, une criaillerie qui ne cesse pas pen-
dant toute la route. — Ce qu'on va dire donnera une idée de
la rapidité des diligences espagnoles : un ordre de police
défend encore aujourd'hui de voyager la nuit, et cela , di-
sent les affiches municipales , pour la commodité et pour la
sûreté des voyageurs (jpor la seguridaddeusted). Des esco-
peteros ou gardiens, payés par les entrepreneurs de la com-
pagnie royale , escortent leurs diligences. Ils sont quatre
ou six, selon les pays ou les époques; toujours perchés sur
l'impériale , ils voyagent armés de poignards , de pistolets
et de tromblons. On s'arrête au coucher du soleil, et ou
repart vers trois ou quatre heures du matin. Néanmoins, au
bout de vingt-quatre heures , on a fait autant de chemin
qu'une diligence française qui aurait roulé jour et nuit pen-
dant tout ce temps. Ainsi de Lyon à Paris l'on compte cent
vingt lieues environ, que nos voitures publiques parcou-
rent ordinairement en trois jours et trois nuits , tandis que
les diligences espagnoles vont en trois jours de Madrid à
Bayonne ; or, ces deux villes sont éloignées de cent lieues,
et on a couché deux fois en route. Il est vrai que les routes
d'Espagne , bien qu'elles n'exigent pas la moitié des tra-
vaux qu'occasione l'entretien des nôtres, sont, en général,
plus fermes et plus unies. Cette différence lient à la rareté
des pluies et à la moindre activité du charroi. Il faut aussi
faire entrer en considération le prix élevé des places dans
les diligences espagnoles ; il en coûte de cent dix à cent
qumze francs pour faire cent lieues; notez que dans ce
prix ne sont pas compris les frais d'auberges. Ces auberges,
dont l'administration a calculé les distances sur les routes ,
reçoivent les voyageurs moyennant une rétribution de qua-
rante-deux sous pour le déjeuner, et du double pour le dî-
ner et la couchée.— Ces ventas^ ces grandes hôtelleries iso-
lées, qui ont conservé dans leur pureté originelle les mœurs
de la vieille Espagne, rappellent par leur aspect les scènes
si bien décrites dans Don Quicliotte : sous le hangard qui
règne tout autour de la cour, dorment pêle-mêle les voya-
geurs mendians qui reçoivent l'hospitalité , les muleliers ,
les bestiaux avec leurs gardiens. Au milieu de la cour, et
bien avant dans la nuit, le mayoral, avec les escopeteros,
et quelquefois avec l'hôtelier, fument et boivent grave-
ment autour d'une table. Réunis dans leur chambre, au
nombre de six et même davantage, les voyageurs reposent
au premier étage , jusqu'à ce que la voix matinale du con-
ducteur vienne les éveiller en criant : Al coche, al coche!
A la voiture, à la voiture! Il faut alors se lever et re-
partir. ^___«.
ACARUS DE LA GALE.
Dans l'étude de l'histoire naturelle on rencontre souvent
des objets qui, après avoir fixé quelque temps l'attentiou
générale, sont ensuite tombés dans l'oubli, ou du moins
qui n'ont plus prêté qu'à de rares observations, soit parce-
que les observateurs se sont lassés de pousser plus loin
leurs recherches , soit parce qu'ils ont pensé n'y plus rien
découvrir. C'est ce qui est arrivé pour Yacarus de la gale,
dont l'existence a été signalée, depuis près de trois siècles,
par des observateurs dignes de foi, et qui depuis a été tour
MAGASIN UKrVERSEL.
m
à tour reconnu et décrit, après avoir été mis eu doute et
enfin nié positivement.
Les anciens ont connu quelques acarus ou cirons, ainsi
noraméspareuxjà cause de leur peliiesse presque atomisti-
que, ou parce qu'ils se creusent des espèces de galeries dans
la substance dont ils se nourrissent. En effet, Aristote a dit
qu'il s'engendre, dans la cire ou dans le vieux fromage,
un animal, le plus petit de tous, auquel on donne le nom
d'acarus; mais il ne parait pas qu'il ait connu l'animalcule
parasite de l'espèce humaine, dont la présence indique
la gale, quoiqu'il ait probablement connu cette maladie.
C'est dans un auteur arabe du 42" siècle que se trouvent
les indices de cette découverte. On lit, en effet, dans
un ouvrage intitulé: Taisir Elmedaouar, par un médecin
arabe, nommé Ahoumeroand- Abdel Maleck ; « Il y a une
« chose connue sous le nom de soab , qui laboure le corps
l'insecte de
LA GALE ,
VU AU MICROSCOPE.
( Diamètre réel de
l'acarus, un huitième dn
millimètre.)
Les dimensions sous
lesquelles Tacarus de
la gale est ici représenté
sont «leiix cent cin-
qua.trc lois environ ses
dimensions réelles.
(Centièmes de millimètres.)
« à l'extérieur ; elle existe dans la peau , et lorsque celle-ci
« s'accroche en quelque endroit , il en sort un animal ex-
« trêmement petit, et qui échappe presque aux sens; »
description à laquelle il ajoute un système de traitement
qui consiste en onctions avec de l'huile d'amandes amères
et avec une décoction de feuilles de persicaire.
Cependant, malgré ce passage du médecin arabe, la dé-
couverte de i'acarus fit peu de progrès en Occident; en
4557 seulement, Scaliger en parle d'une manière positive.
« Les Padouaves nomment I'acarus pedicelli , les Turiniens
« scirones , les Gascons hrigant. Il est si petit qu'on peut
M à peine l'apercevoir. li se loge sous l'épiderme; en sorte
« qu'il brûle par les sillons qu'il se creuse. Extrait avec une
« aiguille et placé sur l'ongle , il se met peu à peu en raou-
« vement, surtout s'il est exposé aux rayons du soleil. Eu
« l'écrasaat entre deux ongles, on entend un petit bruit,
« et on en fait sortir une matière aqueuse. »
Le dictionnaire de la Crusca , publié pour la première
fois en 1612, donne déjà une définition de cet acarus au mot
pedicello , très petit ver qui se forme sous la peau des
galeux et dont la morsure cause une énorme démangeaison.
La lecture de cette définition engagea le docteur Bononio
à vérifier le fait. Il découvrit en effet l'insecte et en doima
la première figure.
Cependant, il faut l'avouer, ce que l'on savait de l'his-
toire de Vacarus scabiei était dû aux travaux des Italiens
ou des Allemands, et les Français n'y avaient eu, pour
ainsi dire , aucune part , lorsqu'en 1812 , M. Gales , phar-
macien en chef de l'hôpital Saint-Louis, hôpital où tous
les galeux de Paris et des environs sont traités , eut l'idée
de profiter de cet avantage pour éclaircir et confirmer les
faits admis par les pathologistes étrangers. Ses observations
et ses expériences , consignées dans une thèse inaugurale
soutenue à la Faculté de médecine à Paris, avaient été sui-
vies par un grand nombre de médecins et de naturalistes.
Tous avaient pu voir le ciron de la gale. M. Gales avait
montré, de plus, par une expérience faite sur lui-même et
répétée devant les commissaires nommés par le conseil gé-
néral des hospices, qu'un acarus, placé convenablement sur
la peau d'un homme sain, détermine l'éruption des pustules
psoriques , ce que ne fait nullement Vacarus de la farine.
Les figures de Vacarus scabiei fournies par M. Gales
furent regardées comme incontestables jusqu'au moment
où M. Raspail, en 1829, prouva que ces figures, au lieu
de représenter le ciron de la gale , n'étaient que la repré-
sentation de celui du fromage.
Dès lors les doutes sur l'existence de Vacarus reprirent
le dessus , et par un excès blâmable , on contesta tous ces
faits et les expériences de M. Gales, comme si elles étaient
une conséquence rigoureuse de l'inexactitud-e de ses figures,
et comme si l'Europe savante n'avait pas prononcé de-
puis long-temps sur ce sujet. On fut amsi tenté d'admettre
avec M. Raspail que l'animal parasite de la pustule de ia
gale chez l'homme ne s'y trouve pas toujours, et bien plus,
qu'on ne l'y rencontre qu'accidentellement.
MM. Galeoti, Chiorugi, à Florence, et MM. Bielt, Lugol,
MAGASIN UNIVERSEL.
Mousonville, Rayn, Asselin , Henri , Pelletier, en France ,
après des tentatives infructueuses , déclarèrent que ce mal-
encontreux insecte n'existait pas. M. Biett cependant,
ébranlé par l'autorité des savans qui l'avaient vu, demanda
de nouvelles expériences , tandis qu'au contraire, M. Lugol
défia tous les entomologistes de le trouver, et offrit un
prix de 300 fr. à celui qui le lui ferait voir.
La question en était là, lorsqu'on i83i , Olymi, le jar-
dinier d'Alfort, et deux élèves de cet établissement,
adressèrent à M. Raspail des débri« de la gale du cheval ,
qui grouillaient à la vue simple. C'étaient des insectes bien
vivans qu'il se hâta d'observer au microscope et de dessiner
avec soin. Il est inutile de faire observer que ces insectes
n'avaient pas le moindre rapport de ressemblance avec les
figures de M. Gales, aux yeux d'un homme exercé à l'étude
des corps microscopiques. M. Raspail en publia la descrip-
tion , en annonçant que l'on retrouverait sûrement un jour
l'insecte des pustules de la gale humaine
Ses prévisions se sont toutes vérifiées , et l'on ne peut
encore s'expliquer comment elles ont tant tardé à l'être ; car,
entre autres auteurs , Casai nous a laissé une espèce d'iti-
néraire de l'insecte, qui aurait dû mettre les médecins sur
les traces de cet animal. En effet , a dit cet auteur qui
l'avait bien des fois observé dans les Asturies , « l'insecte
s'engendre sous l'épiderme; on l'appelle, et ajuste titre, le
laboureur, car il laboure la peau entre le derme et l'épi-
derme ; il avance à la manière des lapins , et laisse derrière
lui son terrier en forme d'un sillon, qui est très visible à un
œil ordinaire , lorsqu'il est éclairé par une lumière assez
vive. Dans les pays des Asturies , il n'est pas rare de trou-
ver des personnes qui savent extraire ces animalcules avec
la plus grande habileté à la pointe d'une aiguille j elles les
placent sur un verre poli, où on les voit courir. »
Ce que Casai a rapporté des Asturies , on l'observe de la
même manière dans toutes les-provinces méridionales de
l'Europe, et les bonnes femmes n'ont pas besoin d'avoir
recours à la mystificalic»! de M. Galès , pour montrer aux
curieux l'insecte qui dévore la peau de leurs nourrissons.
M. Renucci , élève en médecine , natif de la Corse , et
qui avait eu de si fréquentes occasions de remarquer dans
cette province de la France ce que Casai avait observé dans
les Asturies, M. Renucci apprit avec étonnement, en assis-
tant aux cours de la capitale , qiie l'existence de Vacarus de
la gale donnait lieu à une polémique assez animée. Il se
mit à examiner les galeux de la capitale , et par les procé-
dés usités dans son pays , il s'assura que cet insecte se trou-
vait à Paris comme en Corse. Ses indications ont été si po-
sitives, que chaque médecin peut aujourd'hui extraire cet
ttcanis avec la même dextérité que les habitans des Astu-
ries, de Corse et de Naples; car, au bout du sillon dont a
parlé Casai , M. Renucci a fait remarquer un point blanc
qui , lorsqu'on le rencontre, indique infailliblement la pré-
sence de Vacarus : on n'a alors qu'à plonger au-dessous de
ce point l'exlrémité d'une épingle , à soulever l'épiderme,
pour emporter l'insecte au dehors, tout vivant et non mu-
tilé. Lepointd'un i peut donner une idée de la grosseur de cet
insecte, qui a un peu moins d'un huitième de millimètre d'é-
tendue. Le grossissement sous lequel il est représenté dans
la figure de cet article est de plus de deux cent cinquante fois
son diamètre. L'acarus est blanc , opalin, arrondi , bosselé ,
demi-transparent; la partie supérieure du dos est cou-
verte de sillons transversaux et de petites élévations en
forme de verrues; les bosselures de cette partie ressemblent
assez à celles que présenterait ime vessie distendue et enfon-
cée en quelques points par des brides; la partie infé-
rieure présente les sillons transversaux déjà indiqués,
mais on n'y voit point les petites élévations du dos; elle pré-
sente, entre l'insertion des quatres pattes antérieures, trois li-
gnes roussâtres qui correspondent à des enfonceraens, et qui,
vues sur l'insecte mort , paraissent être des tendons destinés
à mouvoir les pattes ; de semblables lignes se font remarquer
aux pattes postérieures, elles ont une même couleur et pa-
raissent destinées aux mêmes fonctions. Le reste du coi-ps
est transparent , si ce n'est au centre et vers la partie
antérieure , où l'on voit une tache brune qui n'a pas élé
figurée sur la planche, et semblerait être l'estomac; cette
tache s'est présentée sur plus de douze individus que nous
avons examinés au microscope. La tête est courte et de cou-
leur rouge rouille, ainsi que les pattes; en avant, sont deux
antennes courtes et semblables aux poils qui existent sur
d'autres parties du corps; la bouche paraît être verticale,
comme celle de l'acarus du fromage ; les yeux sont à peine
indiqués sur les côtés de la tête ; les pattes antérieures , au
nombre de quatre, sont fortes et puissantes , puis prolon-
gées par un filet mince qui paraît plier sous le poids de l'a-
carus : l'extrémité de ce filet est terminée par une petite
ventouse en forme de pelotte , et réunie avec le filet au
moyen d'une articulation. Nous avons constaté ce fait sur
des individus morts, chez lesquels ce petit tarse faisait un
angle droit avec la jambe. Les pattes postérieures sont
moins fortes que les pattes antérieures ; elles sont terminées
par de longs poils qui égalent quelquefois la longueur du
corps de l'insecte ; elles ne sont point comme les antérieu-
res terminées par la petite ventouse dont nous avons parlé,
et que M. Raspail a trouvée à ces pattes postérieures chez
le sarcopte du cheval. Dans l'état ordinaire, l'acarus les
traîne derrière lui , et elles ne lui servent point à marcher,
mais elles paraissent avoir pour fonctions de servir à élever
la partie postérieure de l'animal lorsqu'il veut pénétrer
dans un tissu , et elles lui permettent ainsi de plonger avec
la tête et d'agir avec les pattes antérieures ; nous avons vu
des acarus répéter souvent cette manœuvre sur des pla
ques de verre entre lesquelles nous les avons conservés
quatre jours vivans.
Il y a dans l'organisation de cet insecte un fait fort re
marquable , c'est que , destiné à vivre sous l'épiderme , où
il se fraie un chemin , il présente une organisation analo
gue à celle de la taupe. Ses extrémités antérieures sont
puissantes et développées , tandis que les postérieures sont
presque à l'état rudimcntaire. Il serait curieux de vérifier
si le sarcopte du cheval qui a des pattes postérieures pour-
vues de venlouses , quoique moins fortes que les pattes an-
térieures, est situé plus souvent dans la vésicule que sous
l'épiderme ; cette différence de mœurs serait tout-à-fait en
rapport avec l'organisation des deux insectes , et servirait
pour ainsi dire à l'expliquer.
LE DANTE.
(Suite.) (i)
Né à Florence au mois de mai 1265, de la famille des
Alighierri , ce poète avait reçu le nom de Durante , qu'on
changea par abréviation en celui de Dante. On ajoutait alors
beaucoup de foi à l'astrologie judiciaire ; Brunetto Latini ,
poète et philosophe qui passait pour un savant astrologue ,
prédit que cet enfant s'élèverait un jour au plus haut degré,
et , chargé du soin de son éducation par sa mère Bella , il
ne négligea rien pour développer ses heureuses dispositions.
Dante perdit son père de bonne heure; à neuf ans , il vit
pour la première fois une jeune fille du même âge , Béatrix
ou Béatrice Portinari; il reçut dès lors des impressions qui
purent bien s'affaiblir dans la suite , mais qui ne s'effacèrent
jamais ; ce fut pour Béatrice qu'il composa ses premiers
vers ; il a écrit dans l'un de ses ouvrages en prose , la Vita
nuova , l'histoire de leurs innocentes amours , et lui a élevé
un monument plus célèbre dans son grand poème qui est
en quelque sorte plein de son souvenir. Il ne borna pas ses
études à la poésie et à la littérature ; la philosophie de Platon
et celle d' Aristote , l'histoire , la théologie , l'occupèrent
tour-à-tour; il savait parfaitement le latin , le provençal ,
et même un peu le grec , ce qui était alors très rare. Il
cultiva aussi la musique et le dessin ; on le voit jusqu'^
(x) Voyez page 49>
MAGASIN UNIVERSEL.
as
vingt-cinq ans se livrer sans relâche à des exercices de l'es-
prit. Plusieurs de ses essais poétiques en l'honneur de
Béatrix , eurent du succès , mais il était temps qu'il prît
une détermination pour son avenir; il flotta entre des partis
très divers, et songea même à se faire moine j il porta,
dit-on, l'habit de Saint-François ; mais ces idées ne du-
rèrent pas , car c'est à la guerre , à la bataille célèbre de
Gampaldino, en 1589, qu'il paraît pour la première fois
comme citoyen de Florence. Il servait dans la cavalerie , et
contribua au succès de la journée qui anéantit les dernières
espérances des Gibelins. Dante né dans une famille Guelfe,
en avait épousé les passions avec toute l'ardeur de son ca-
ractère; il combattit encore l'année suivante dans une autre
expédition contre les Pisans , et se trouva au siège et à la
prise du château de Caprona ; mais ses talens l'appelaient
plus particulièrement aux ambassades ou aux missions po-
litiques ; il en remplit jusqu'à quatorze.
I En 1290, une grande douleur l'attendait à Florence;
Beatrix mourut dans la vingt-sixième année de son âge ,
mariée depuis quelque temps à un personnage de la noble
famille des Bardi. Des mois se passèrent avant qu'il pût
essayer d'exhaler ses regrets dans des vers sur sa tombe ;
il la célébra , la pleura , la divinisa dans maint Canzone ;
il écrivit une lettre latine adressée aux rois et aux princes
de la terre , pour leur peindre la désolation où la mort de
Béatrix venait de laisser Florence et le monde entier. Nous
ne nous arrêterons pas à l'opinion récemment émise, d'après
laquelle Béatrix ne serait qu'une personnification de la puis-
sance impériale que Dante appelait de tous ses vœux ; elle a
été combattue et réfutée avec une grâce exquise , par fau-
teur de la Vie intime, M. Antoine de Latour.
Le vif chagrin que notre poète avait ressenti de la perte
de son amie, ne l'empêcha pas de se marier en 1291 ; il
épousa Gemma Donati dont il eut plusieurs enfans , et avec
laquelle il ne vécut pas long-temps en bonne intelligence ;
elle finit par le quitter , et ce fut sans retour. Cette division
jeta Dante dans le paiti des Blancs , et fut la source de tous
ses malheurs.
Les Gibelins avaient été expulsés de Florence , et les
Guelfes tout-puissants se partagèrent bientôt en deux fac-
tions , la faction des Noirs qui , appuyés par le souverain
pontife, voulaient appeler Charles d'Anjou dans leur ville,
et la faction des Blancs qui s'y opposaient violemment. Les
Donati étant du premier parti , Dante embrassa le second;
nommé Prieur en 1300, il ne put réprimer les discordes
civiles , et lorsque Ciiarles eut passé les Alpes , il fut désigné
comme chef de l'ambassade envoyée au pape Boniface VIII;
c'est alors qu'il tint le propos si fier et si connu : Si je vais ,
qui reste? si je reste, qui va ? Pendant qu'il était à Rome ,
Charles , après avoir reçu le titre de pacier de la Toscane ,
entra à Florence le 1" novembre 1301 , et malgré des pro-
messes solennelles , prétextant une feinte conspiration , il
livrait les Blancs aux vengeances de leurs adversaires. Les
Blancs ft-appés d'épouvante , se mirent à fuir de tous côtés ;
quand ils furent partis , Charles les fit citer devant lui , et
condamner comme rebelles, pour n'avoir pas comparu.
Leurs biens furent confisqués , leurs palais démolis ; ceux
qui eurent le courage de se présenter ne furent pas mieux
traités ; la plupart furent bannis , leurs biens confisqués ou
dévastés. Le nombre des proscrits fut de plus de six cents ,
sans compter les enfans et les femmes; le gouvernement
de Florence y gagna des sommes immenses ; Charles de
Valois eut pour sa part vingt-cinq mille florins d'or , et ce
fut ainsi qu'il termina sa mission de pacier en Toscane.
Dante toujours à Rome ne pouvait manquer d'être per-
sécuté; il fut condamné, par une première sentence , à l'exil
et à la confiscation de ses biens , et par une seconde à être
brûlé vif lui et tous ses adhérens; ces sentences existent
écrites en latin barbare. Il alla donc se joindre aux autres
bannis; ils firent cause commune avec leurs anciens ennemis
les Gibelins , et les Blancs-Gihelins cherchèrent vainement
en 1304 à rentrer par la force à Florence. Dante ne fit plus |
que changer fréquemment d'asile, trouvant partout d'abord
un bon accueil , et fatigant bientôt ses îiôtes , soit par la
hauteur et l'âpreté de son caractère, que le malheur aigris-
sait , soit par son malheur même, a Je réserve ma plus
grande pitié , écrivait-il , pour ceux qui, se consumant dans
l'exil , ne revoient leur patrie qu'en songe. » L'arrivée du
nouvel empereur, Henri de Luxembourg, en Italie, lui donna
quelques espérances que la mort inopinée de ce prince fit
évanouir. Ce fut , dit-on , vers ce temps là qu'il vint à Paris
et qu'il y fréquenta l'Université ; il retourna ensuite en Italie,
et recommença sa vie errante; il mourut à Ravenne , à
l'âge de cinquante-six ans, après une courte maladie, et fut
enterré dans l'église des Frères Mineurs de Saint-François,
sous une simple tombe de marbre sans inscription. Ce ne
fut qu'en 1483 que Bernard Bembo lui fit élever un mo-
nument digne de lui. Ravenne ne voulut jamais consentir
à rendre à sa patrie les restes de ce grand honnne.
Voici le portrait que nous en a laissé Boccace :
Dante était de taille moyenne et légèrement voûté ; sa
démarche était noble et grave , son air bienveillant et doux;
il avait le nez aquilin , les yeux grands, la figure longue,
et la lèvre inférieure un peu avancée ; il avait le teint très
brun, la barbe et les cheveux noirs, épais et crépus.
Sa physionomie était celle d'un homme mélancolique et
pensif; naturellement rêveur et taciturne, il ne parlait guère
à moins d'être interrogé, et souvent absorbé comme il
l'était dans ses réflexions , il n'entendait pas toujours les
questions qui lui étaient faites. Il aimait passionnément
tous les beaux arts ; doué d'une belle voix , il chantait
agréablement , c'était sa manière favorite d'épancher les
émotions de son ame , surtout quand elles étaient douces et
heureuses.
GUILLAUME TELL.
L'histoire de Guillaume Tell est sans doute assez con-
nue de tous nos lecteurs pour que nous devions nous abste-
nir de la produire dans notre recueil. Un auteur dont les
œuvres se retrouvent dans tous les coins de la France ,
Fiorian, a fait de celte histoire un roman qui est loin d'être
sans intérêt. Lemierre a bâti sur cette légende une tragé-
die jouée pour la première fois en 1766, et qui, malgré ses
défauts, est restée au théâtre; et enfin, le grand Schiller,
l'un des régénérateurs du théâtre allemand, a fait paraître
sur le même sujet un drame éminemment remarquable. La
couleur républicaine de cette œuvre dramatique valut à
Schiller un brevet de citoyen français , que loi décerna la
Convention. Cette terrible assemblée avait cependant reçu
de Schiller , lors du procès de Louis XVI, un mémoire en
faveur de cet infortuné monarque. Lorsque le brevet fut ex-
pédié en Allemagne , pas un seul des conventionnels qui
l'avaient signé n'avait survécu; chose remarquable, ils
avaient tous péri de mort violente. La musique et la danse
ont aussi payé leur tribut à la gloire de Guillaume Tell. Le
divin Rossini a fait la musique d'un opéra qui porte le nom
du libérateur de la Suisse, et que les amateurs vont tou-
jours entendre avec empressement à l'Académie royale de
musique; et dans ces derniers temps, le théâtre Nautique
a donné , sous le même titre , un ballet dont l'attrait est
rehaussé par de magnifiques décorations.
La réalité de l'existence et des hauts faits de Guillaume
Tell n'est pas admise par tous les historiens. On retrouve,
en effet, la même légende dans une histoire des rois et
héros saxons, écrite au xii^ siècle par un Danois, Saxo-
Grammaticus. Dans ce recueil curieux de traditions popu-
laires , de chants nationaux et de documens sur les peuple*
du nord, qui ont les premiers adopté une sorte de gouveir
nement constitutionnel , nons trouvons, sous un nom diffé-
rent, un autre Guillaume Tell, dont la biograplde semble
avoir servi de modèle à celle que les Suisses donnent de leur
héros, ou qui du moins « ^té copiée littéralement sur cetlç I6-;
64
MAGASIN UNIVERSEL.
gende. Guillaume Tell, suivant les chroniques suisses, au-
rait vécu dans le xiv' siècle , tandis que l'ouvrage de Saxo
G rammaiicus remonte au douzième; mais la plupart des
historiens français et allemands pensent que celte histoire
de Guillaume Tell a été insérée après coup dans l'ouvrage
danois.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas permis en Suisse de met-
tre en doute le généreux dévonement et les hauts faits du
vengeur de ce pays. L'insurrection des trois cantons d'Uri,
deSchwitz et d'Underwald , qui les premiers ont secoué le
joug oppresseur de l'Autriche, et l'établissement de leur ré-
publique fédérative , sont chez eux inséparables des noms
( Monument élevé à Guillaume Tell dans son canton.)
de Gessler et de Tell. Le refus de ce dernier de rendre hom-
mage au chapean du gouverneur planté sur une pique au
milieu de la place d'Altorf, son emprisonnement dans le
château fort de Kusnacht, le passage du lac, la tempête
(|ui force Gessler à confier la conduite de sa barque à
Guillaume Tell, l'évasion de ce dernier, la mort de Gess-
ler frappé au cœur d'une flèche lancée par le héros siiijse ,
et jusqu'à la scène peu vraisemblable dans laquelle Guil-
laume Tell , pour recouvrer sa liberté , est forcé d'abattre
une pomme placée sur la lôte de son fils , ce sont là autant
d'articles de foi pour les bons habitans des Waldstœtten.
Chaque année , quand revient cette fcte des carabiniers
suisses, qui entretient parmi leurs chasseurs une émulation
utile à la défense de leur territoire , le souvenir de Guil-
laume Tell est rappelé avec amour et vénération. Faux ou
vrais , la Suisse fera bien de respecter et de conserver ces
récits merveilleux qui enflamment l'imaginalion de ses en-
fans, elles excitent à se dévouer pour l'indépendance de leur
pays.
EPHEMERIDES.
Le mois de novembre doit son nom au rang qu'il occupait
dans l'année romaine , telle que l'avait, dit-on, conçue Romulus ;
ce rang était le neuvième {novem) , les changemens introduits
plus tard dans la division de l'année , placèrent ce mois à la
dixième place, puis à la onzième, qu'il a toujours conservée depuis.
Une seule fois il changea de nom chez les Romains, ce fut sous
l'empereur Commode dont les courtisans substituèrent au nom
de november celui d'ex-superatorius (triomphant).
Les chrétiens ont placé dans les premiers jours de novembre,
deux de leurs principales fêtes, la Toussaint, et la fête des morU.
L'origine de la première de ces deux fêtes remonte au vu" siè-
cle. L'empereur Phocas ayant permis au pape Boniface IV, de
consacrer au culte chrétien le célèbre temple appelé le Panthéon,
ce pape en fit une église qu'il dédia à la Vierge , et à tout les
martgrn de la foi. La fôtc de tous les sainu fut dèj-lors instituée,
et plus tard, le pape Grégoire IV ordonna qu'elle serait observée
dans toute la cbrélienté , le premier jour de novembre.
Les anciens avaient donné le nom de Sagittaire à la constella-
tion du zodiaque à laquelle correspondait alors le mois de novem-
bre. La figure que l'on représente dans les sphères à la place
de cette constellation, a, comme les centaures, une tète et un
buste d'homme , terminé par un corps de cheval. Ce centaure ect
orné d'un arc , et lire une flèche.
i""" novembre 644. — Assassinat d'Omar I*"" , second successeur
de Mahomet. On raconte qu'Omar fut converti subitement à l'is-
lamisme par la lecture de quelques passages du Coran dont il
avait vu un exemplaire dans les mains de sa sœur. Parent de
Mahomet il se montra l'un de ses plus zélés sectateurs , et l'une
de ses filles devint une des femmes de ce faux prophète. Omar
fut successivement chancelier d'Abou-Keir , le premier kalife après
Mahomet , puis kalife lui-même. Omar s'étant emparé de plu-
sieurs villes de la Syrie, Jérusalem se rendit à ce prince. Il
entra suivi d'une escorte peu nombreuse , fit ses prières sur les
marches de l'église de la Résurrection et ordonna la construction
d'une mosquée sur les ruines de l'ancien temple de Salomon.
Devenu maitre de l'Egypte, Omar fit rouvrir le canal qu'Ad/ien
avait fait creuser du Nil à la mer Rouge , pour faciliter l'arri-
vage des blés en Egypte par l'Arabie. — Vers le même temps
Omar s'empara de la Perse. Un esclave persan auquel il avait
refusé une diminution de tribut , le perça de son poignard dans
une mosquée. Ce kalife exerçait l'état de corroyeur pour obéir au
Coran qui ordoune de vivre du travail de ses mains. Il ne se
nourrissait , dit-un , que de pain d'orge et d'eau.
1"^'" novembre 1700. — Charles II , roi d'Espagne, meurt un
mois après avoir signé le testament dans lequel il avait désigné,
comme successeur au trône, Philippe d'Anjou, petit-fils de
Louis XIV. (Nous ne faisons qu'indiquer ici un événement qui a
exercé une si grande influence sur l'état de l'Europe , et que noua
ne saurions renfermer dans le cadre étroit de nos éphémérides).
Les Bureaux d'Abonnement «t de Vente sont transférés rue df
8(etoe'Saint*Cermain, 9. ^
(9
Magasin universel.
65
TOURS.
(Vue de Saint- Gatiea.)
Déjà nous avons présenté à nos lecteurs des articles
spéciaux sur quelques-unes des villes de France ; aujour-
d'hui nous appellerons leurs regards sur le chef-lieu du
département d'Indre-et-Loire. Située dans une plaine
magniflque , entre la Loire et le Cher , entourée de champs
fertiles et de jardins délicieux, Tours attire dans ses murs
un grand nombre d'Anglais, et d'autres étrangers. La
douceur de son climat , l'agrément de son site , le bas prix,
l'abondance et la bonne qualité des productions de la terre,
contribuent beaucoup à y entretenir l'affluence des visiteurs;
mais les mœurs douces et aimables des habitans de Tours
sont aussi pour quelque chose dans cet accroissement de
population.
L'importance de Tours est de vieille date. Dès U70 elle
vit la réunion des états généraux de France, qui s'y
assemblèrent de nouveau en ^484 et en 1506. Ce fut dans
les environs de Tours que les Sarrasins furent mis en déroute
par Charles Martel. Tours a donné le jour à plusieurs
célébrités littéraires et industrielles , parmi lesquelles nous
citerons Destouches , l'auteur comique ; L. Leroy , l'un
des horlogers du xvii« siècle qui aient fait faire Iç plus
Tome II. — Novembre r834.
de progrès à leur art ; Béranger , et enfin l'un de nos plus
sa vans géographes vivans, M. Eyriès. Les lecteurs des An-
nales des voyages reconnaîtront la plume de ce spirituel
écrivain dans les lignes que l'on va lire sur l'état actuel , et
les antiquités de la ville de Tours.
Quand la grande route , venant de Paris et de Chartres ,
traversait le faubourg St.-Symphorien , elle suivait sur la
Loire un vieux pont , qui n'était pas l'œuvre des Romains ,
mais d'Eudes, dit le Champenois, comte de Touraine, qui
le fit bâtir en 4050 ou 1051. Il était étroit, sinueux et mal
pavé. Les arches en étaient d'inégale largeur; de distance
en distance , des angles ou des demi-lunes s'ouvraient pour
faciliter le passage de deux voitures qui se rencontraient.
Il y avait à peu près au milieu , c'est-à-dire à l'endroit où
un îlot , dit St.-Jacques , le coupait en deux , de misérables
maisons bien vieilles , bien délabrées , où se vendaient aux
paysans , aux voituriers , des graines , de la poterie , des
étoffes communes , et aussi l'Almanach de Liège , la civilité
pti^iïe ci fconn ^<e, et quelques recueils de prières impri-
més sur papier gris, avec de détestables images en bois,
seule librairie à l'usage des passans , et qui faisait alors par-
Ofi
MAGASIN UNWEî^fiL.
tie obligée, comme encore à présent dans nos provinces les
plus reculées , d'un petit fonds d'épiceries.
L'aspect de ces constructions irrégulières, amassées sur
le pont, était triste et repoussant. Kl cependant, à moins
qu'on ne traversât la Loire dans une toue, il n'y avait pas
d'autre route pour arriver au chemin de Château-Renault,
de Vendôme, ou sur la chaussée de Blois et d'Anjou.
De ces constructions si solides , formées d'une agréga-
tion de petites pierres liées avec du ciment rouge, et dont
les pilotis sont devenus noirs comme l'ébène, on ne voit
plus surgir que trois arceaux , espèce de squelettes déchar-
nés , qui se soutiennent encore , mole sud , contre les
glaces et les grosses eaux , non loin de ces quatorze belles
arches si larges, »i uniformes , qui composent le nouveau
1)ont. L'avenue qui en est le prolongement , avec l'avenue
(le Grammont , ou la route d'Espagne d'un côté , et de
l'autre côté, la tranchée qui conduit dans le Maine ou dans
le Vendômois, forment une magnifique enfilade et un vaste
coup d'œil : celqi qui ne suit que cette ligne prend une
idée peut-être trop favorable de la ville de Tours , dont
toutes les rues n'ont pas celte élégance et cette régularité.
Je reviens aux vieux pouls. Sans doute les anciens ent
vu la porte massive et chargée de fer , avec la herse aux
dents aiguës, et aussi la petite figure de la Vierge, enluminée
de rouge et de bleu , posée au-dessus de celte porte , dans
inie niche sculptée. Je n'en ai point de souvenirs. Mais j'ai
vu quelquefois le château qui en était tout près , monument
historique remarquable seulement par sa masse et son anti-
(luité , dont on voudrait faire remonter (voyez un peu les
vanités humaines ! ) l'origine à Turnus. Commencé par un
seigneur et terminé par un autre , réparé et augmenté par
un troisième, il avait de grosses et de petites tours, il fut
pris et repris, coipme tous le» châteaux du monde^ il reçut
des comtes , des ducs et des rois, une foule d'hôtes joyeux,
puissans ; puis ses murs épais, percés de petites fenêtres ,
hérissées de barreaux de fer dentelés qui se croisaient ,
entourés de fossés , remplis d'une eau verte et croupis-
sante, servirent à renfermer des prisonniers d'état, de
grandes victimes de la politique ou de la religion, Mais
toutefois , le château de Tours, bâti sur la rive gauche du
fleuve, ne pouvait lutter en beauté avec les grandes con-
structions de Blois , d'Amboiseetde Saumur, si éminem-
ment pittoresques. Les bords de la Loiro sont si riches
dans ce genre, que Tours, sous ce rapport , n'a pas la pré-
tention de soutenir le parallèle avec ses voisins. Mais comme
« les histoires des prisonniers sont plus intéressantes ,
« parce que la perte de la liberté est le plus grand et le
« plus ancien des mall»eurs , » laissez-n»oi vous parler un
peu longuement du fils de Henri de Guise , dit le Balafré,
qui s'esquiva avec beaucoup de bonheur de ce terrible
donjon.
Depuis plus de trois ans, ce jeune prince était confiée la
garde du seigneur de Rouvray et de Jean d'O, capitaine de
cent hommes de la garde du roi. Il était surveillé nuit et
jour avec une telle sévérité , que pas un de ses domestiques
ne couchait dans sa chambre. Mais le 45 août, après avoir
donné «vis de son projet d'évasion à ses serviteurs fidèles,
chargés de lui amener des chevaux au lieu désigné , il des-
cendit à la chapelle , il y fit ses prières , et avant de monter
ù la grosse tour qui lui servait de prison , il s'entretint fami-
lièrement, selon sa coutume, avec ses gardes , leur propo-
fdut un défi à qui moulerait le plus tôt à cloche-pied l'es-
câlier de la tour. On lui laissa n^onter par respect les pre-
mières marche.i , il profita de la polilessse , prit sa course ,
escalada rapidement l'escalier , et s'empara d'une porte de
sûreté qu'on avait fait faire exprès pour lui. Il la ferma aux
verroux , la mit entre lui et ses gardes , ordonnant à ses
gens de ne l'ouvrir à personne, quelque menace qu'on pût
leur faire. Ayant pris dans sa chambre une corde que la
blanchisseuse avait glissée dans son linge, il l'attacha à un
bâton place entre ses jambes, et passant par la fenêtre, ses
domestiques le desceftijirçnt, Mais des gardas l'aperçufeat,
tirèrent des fenêtres du château sur lui , ce qui fit que ses
gens effrayés laissèrent aller la corde tout à coup; le
duc de Guise tomba de quinze pieds environ. Sa chute ne
l'empêcha pas de se relever, et, sans songer à ramasser son
chapeau , il s'enfuit le long des murs de la ville , parce que
la Loire qui les baignait était alors fort basse. Ainsi , malgré
les clameurs d'une vieille femme qui ne cessait de crier :
le Guisard se savve ! il parvint jusqu'au faubourg de Notre-
Dame-de-la-Riche , où il s'empara du cheval tout bâté d'un
boulanger qui le menait boire. Plus loin un obstacle imprévu
se présenta : un soldat, qui avait été au service de la Ligue ,
et ancien sergent de l'élection de Tours , lequel était fort
bien monté , aborda le prince en lui commandant de des-
cendre. L'échappé voyant que c'était un soldat de la garni-
son , lui dit qu'il se rendait et consentait à rentrer dans la
prison du château. Le soldat étonné lui demanda son
nom. Lorsque le prince se fut fait connaître , le sergent
descendit de cheval , baisa respectueusement ses genoux ,
et lui offrit sa monture qui était bien meilleure et bien plus
commodément harnachée. Alors, prenant le galop, il se diri-
gea vers le lieu qu'il avait indiqué à ses serviteurs ; et ceux-
ci le voyant venir à cheval et nu-tête, se mirent à fuir jus-
qu'où ce que l'un d'eus, s' étant retourné , le reconnut à ses
vêtemens.
L'ancien hôlel-de- ville , que Charles VII et Louis XII
ont visité plus -d'une fois, qui vit nos pères proclamer
Henri IV, et délibérer avec anxiété pendant les troubles
de la Ligue et de la Fronde ; l'ancien hôtel-de-ville où les
mesures de rigueur et de clémence étaient prises tour à
tour , soit que la peste décimât la population , soit que la
famine mît le poignard aux mains des mères échevelées ;
l'hôtel-de-ville avec ses sculptures gothiques et ses grandes
salles , a disparu peu de temps avant que tant d'institu-
tions» bonnes et mauvaises , et tant d'édifices précieux peur
les arts et l'histoire, fussent renversés par la révolution
de n89,
Ce monument, qui n'était plus en harmonie avec les
incpurs actuelles , et qui se trouvait placé dans une rue
resserrée , ne devait pas subsister plus long-temps. Le lieu
des séances de l'administration municipale, ainsi que le
palais de justice , fut transféré sur une belle place demi-
circulaire , en face du pont nouvellement construit dans
une situation charmante, sur la rive de la Loire, et vis-à-
vis les coteaux si rians qui la bordent.
L'édifice était convenable, élégant même à l'extérieur;
mais ce qui me charmait le plus , c'était de voir incrustée
dans les parois du grand escalier une longue file d'ccus-
sons en pierre, des maires et échevins de la cité. Je ne
reconnais pas de plus belle noblesse que celle que donnent
des services gratuits, modestes, obscurs, rendus à ses
concitoyens pendant un long espace de temps. Celui qui
maintient l'ordre et la paix dans une ville , quelquefois au
péril de ses jours ; celui qui nourrit le peuple dans les
temps de disette; celui-là, certes, à l'éfioque delà raison
où nous sommes arrivés , mérite bien le droit de laisser à
sa famille les signes honorables de son illustration. Ces
témoignages muets et innocens de l'estime contemporaine ,
ces archives de famille, ont péri dans le déluge universel
de 89.
Parlons de St.-Gatien. C'est une église bien vieille ; ses
tours ne sont pas sans élégance, et certain roi (Henri IV ).
pour faire sa cour aux Tourangeaux, disait qu'il fallait à
ces tours un étui. L'éloge était pompeux. Ses abords et ses
alentours sont peut-être peu en harmonie avec ce grand édi-
fice : son intérieur , ses vitraux , mutilés et mal réparés ,
ne peuvent lutter sans doute avec ceux des églises de Char-
tres , de Rouen , de Paris , de Strasbourg ; on a fait tomber
les arcs-boutans qui soutenaient cette basilique , et on a
retouché et dégradé les figures dont les portiques étaient
ornés. Toutefois la cathédrale de St.-Gatien est encore un
des plus curieux monumetis qui nous restent de r^rchitcC"
tv« qu'on appelle Yulgajiremeot gQUûqu«.
MAGASIN UNIVERSEL.
07
La ville de Tours est une de celles qui , en France , ont
retiré le plus d'avantages de la découverte ou du perfec-
tionnement des puits artésiens. Placde entre deux fleuves,
elle jouissait en outre de quelques fontaines , mais qui taris-
saient quelquefois pendant les jours de sécheresse. Aujour-
d'hui aux deux extrémités de la ville , dans son centre , et
sur d'autres points encore , des eaux abondantes excèdent
les nécessités les plus multipliées.
Les maisons à toits pointus et saillans , avec des poutres
sculptées, et ornées de figures grotesques; les maisons dont
la façade, moitié en bois, moitié en tuiles, offrait de lon-
gues et tristes lignes d'ardoises transversales , fmissent par
disparaître ; les blocs réguliers de pierre blanche , si suscep-
tibles de prendre toutes les formes, servent aujourd'hui aux
nouvelles constructions ; les rues s'alignent et sont parées
avec plus de soin; des balcons élégans , de grands carreaux
et des Persiennes donnent aux édifices ordinaires un aspect
plus riant.
Tours , comme les autres villes de France , a vu tomber
les flèches aiguës , les hautes tours rondes et carrées qui
surgissaient du milieu des maisons uniformes et se dessi-
naient avec élégance le long du fleuve ; mais la Loire n'a
pas cessé de baigner ses murs , mais la rue spacieuse qui la
traverse , la fraîche ceinture d'arbres qui l'entoure , mais
l'élégance de ses habitations, la douceur du langage , et des
mœurs , devenues plus faciles encore par le séjour des An-
glais et des militaires , et par sa proximité avec la capitale ,
feront toujours de cette cité le rendez-vous des étrangers
et un lieu de plaisance.
ÉPHÉMÉRIDES.
6 novembre r79a. — Victorieuse à Jemmapes, la France chasse
les Autrichiens de la Belgique.
II novembre iai5. — Concile général de Latran.
i4 novembre i665 Les trois ordres du Danemarck recon
naissent une nouvelle conslitiUion qui attribue au roi un pouvoir
absolu.
17 novembre 1796. — Mort de Catherine II, impératrice de
Russie. Le même jour Bonaparte met les Autrichiens en déroule
à l'affaire d'Arcole.
i^ novembre 1703.— Mort, à la Bastille, du prisonnier an
masque de fer.
19 novemlf^e lôGg. — La Gazette signale comme un fait
nouveau , l'usage du café , à la suite d'une audience donnée à un
envoyé Turc, par le marquis de Lyonne , ministre de liOuis XIV.
10 novembre i8i5. — Traité de Paris. Envahie par les puis-
sances coalisées , la Fiance est obligée d'acheter leur départ par
d'immenses sacrifices. Elle se reconnaît déi)ilrice de plus de
sept cents millions , et perd nne partie de son territoire.
ai novembre 1806. — Napoléon lance de Berlin le décret
qui interdit aux Anglais tout rapport avec le continent,
21 novembre 1682. — Mort de Claude Lorrain , peintre fran-
çais.— i8a3. Exécution de Jean Buckler dit Scftinderhannes (Jean
l'Ecorcheur), chef d'une bande de brigands qui ravageaient les rives
du Rhin. •
■x5 novembre i56o. — Mort d'André Doria, le libérateur de
Gènes.
a6 novembre 1 8 r a. — Plusieurs milliers de soldats français sont
noyés ou tués par le canon des Russes , au passage de laBérésina.
27 novembre i8i3. — Après avoir défendu la place de Dantzick
avec un rare courage , le général Rapp est réduit par la détresse
à capituler.
a^ novembre iSaS. — Mort de Foy, l'un des pi us braves géné-
raux, et des plus grands orateuis de la France.— i5i6. Le fameux
voleur Cartouche est mis à mort et dénonce se» complices.
ag novembre 1 5 16. — La France et la Suisse concluent à Frt-
bourg un traité de paix perpéluellie. — i83o. Révolution de la
Pologne.
3o novembre i6;o. — Fondation de l'hôtel royal des Invalides.
— i«o3. Les Français évacuent Saint-Dooxingue. — 1807. Entrée
à Lisbonne de l'armée française, commandée par Junot.
LA TAUPE.
La taupe est un animal essentiellement souterrain et fait
pour fouir ; son corps est trapu ; son museau est allongé et
terminé par un boutoir mobile servant à percer la terre ; ses
membres antérieurs très courts , mais extrêmement forts et
très larges , sont dirigés en dehors et terminés par d'énor-
mes ongles propres à fouir. A l'aide de ces organes, les taupes
creusent dans le sol , avec une rapidité extrême et un art
admirable , de longues galeries au milieu desquelles elles
établissent leur demeure. Les petites élévations qu'on voit
souvent sur le sol , et qu'on appelle des taupinières, sont
formées par les déblais que ces animaux rejettent au dehors
lorsqu'ils exécutent ces travaux souterrains. Ces animaux
ne sortent presque jamais de leurs labyrinthes , et se nour-
rissent des vers et des larves d'insectes qti'ils y trouvent.
Admirablement organisée pour la vie retirée et solitaire,
la taupe n'éprouve d'autres désirs que céUx qu'elle satisfait
aisément , mais elle n'a rien qu'elle ne doive à son travail ;
son lieu de refuge , creusé dans les profondeurs de la terre,
elle ne l'acquiert qu'au prix de travaux patiens et péni-
bles : il lui faut onvrager la terre , la percer d'outre en
outre , l'ouvrir en tous sens , et se créer un moude souter-
rain à travers des difficultés innombrables. La main , qui
termine ses membres antérieurs, remplit l'office d'une
pioche à cinq dents, les doigts sont terminés par des ongles
crochus à l'extrémité , tranchans sur les bords , et cette
double disposition lui permet d'entailler le tuf, et de le
couper en même temps. La taupe s'aide encore , pour fouil-
ler ses galeries , de son museau terminé en boutoir , et de
toute sa tête, dont les inuscles sont volumineux et puissans;
elle peut la renverser en arrière , soulever le sol , l'ouvrir,
et à l'aide de ses pattes larges et résistantes repousser,
comme avec une pelle , la terre émiettée qui obstrue l'in-
térieur de ses galeries.
Ce que se propose la taupe par son travail, on vient de
le voir : elle fouille pour vivre. Elle creuse, dans chaque
occasion, lui boyau à plusieurs embranchemens ; exploi-
tant chaque fois d'autres lieux, elle revient sans cesse à la
charge. Il ne faut pas beaucoup de temps pour que la terre
soit minée en plusieurs sens. Quelques boyaux débouchent
fortuitement les uns dans les autres, et d'autres fois avec
intention : la taupe lie ensemble plusieurs canaux , en élar-
git quelques-uns , et, se créant des routes usuelles, elle
finit par soumettre toutes les percées qu'elle a faites à un
système parfaitement combiné , lequel , amené à sa perfec-
tion , s'appelle le cantonnement de la taupe. Son gîte en
occupe ordinairement le centre. Le nid pour l'éducation
des petits > est une chambre écartée et différente à quelques
égards.
Nous connaissons les travaux de la taupe, grâces à Ilenri
Lecourt , qui occupait avant la révolution un emploi au
château de Versailles. Entraîné par un goût irrésistible ,
il fixa de bonne heure son attention sur l'instinct des ani-
maux ; plus tard , les difficultés de l'observation et l'utilité
de l'entreprise , en donnant une autre direction à son esprit,
l'amenèrent à étudier exclusivement la taupe. Lecourt se fit
taupier à Pontoise , et y créa une profession où l'homme
lutte avec les forces de son esprit contre une industrie et
une puissance de multi[ilication vraiment merveilleuses.
M. Cadet-de-Vaux a publié les observations de ce prati-
cien consommé, dans un volume in-t2 qui a pour titre :
De la tavpe , dt ses mveurs, dé ses habitudes, et des moyens
de la détruire.
M. le professeur Geoffroy'St.-Hilaire a communiqué à
son auditoire , en 4829, les recherciies auxquelles il s'était
livrées avec letaupier Lecourt. Nous arrivâmes, dit-il, à une
taupinière que nous voulions ouvrir : la taupe ne craint point
et n'a pas lieu de craindre que sa demeure soit rendue dis-
tincte , par le volume trop grand des terres entassées ; .ses
précautions la ntettent à l'abri de toute surprise , et son
asile n'est pas là : elle choisit avec discernement le lieu de
68
MAGASIN UNIVERSEL.
(La Taupe.)
son gtle : l'attention qu'elle a de le placer au pied d'un mur,
d'une haie ou d'un arbre , prévient son refoulement et
toute pression. Par des déblais considérables , l'animal se
procure une grosse taupinière : le tout en est bientôt
façonné au moyen d'une galerie circulaire sous clef. Non
contente d'avoir ouvert celle galerie , en se glissant entre
deux terres , la taupe continue ses tassemens de dedans sur
le dehors par des poussées de son corps et de sa tête. (Celte
galerie est marquée ii dans la figure 2 , A", de la planche
ci-joinle). Une autre galerie circulaire (u u , même figure ),
au-dessous de la première , est plus grande et de niveau
avec le terrain environnant. La taupe y fait les mêmes tas-
semens. Les galeries communiquent entre elles par cinq
boyaux également espacés , fig. 3 A , et la galerie supé-
rieure aboutit au sommet du gîte par trois routes. Le gîte,
ou la chambre qu'habite la taupe , est l'emplacement cir-
conscrit par une ligne de points et marqué g. Un trou (
est à son fond ; il fait l'entrée d'une route de sauvetage
pour la taupe , si elle est menacée. Ce trou est à l'ordinaire
bouché par un matelas d'herbages. Pour que le tassement,
sous le comble de la taupinière , puisse acquérir la plus
rande densité possible , la taupe y ouvre encore plusieurs
autres boyaux aveugles, dont elle fait les enduits avec son
( Travaux de la Taupe.
poil lisse et les pressions de toute sa masse. Ces boyaux sont
en outre comme autant de sentinelles avancées; caries
premiers rompus , l'éboulement de leurs flancs intérieurs
devient un objet d'alarme. A ce signal , qui , pour ces
demeures profondes et paisibles , y retentit et s'y propage
comme un coup de tonnerre, la taupe est réveillée, si elle
était endormie , et , prenant l'épouvante , elle se cache sous
son matelas ou fuit par son trou de sauvetage.
Dans la planche ci jointe , la figure 3 montre , conune
faisant partie du tracé général des roules, le gîte en i, et
les galeries latérales par où la taupe s'échappe. En A est le
gîte grandi et vu de face , et en A" (fig. 2) est cette même
habitation aperçue de profil. Enfin la ligne courbe z z
figure la coupe de l'extérieur du terrain.
La chambre de mise-bas, ou le nid, n'est pas toujours
surmontée d'un dôme à l'extérieur : dans le cas contraire,
la taupinière du nid se reconnaît à son volume quadruple
de celui d'une taupinière de déblais , et à sa forme , qui n'est
ni aplatie ni pyramidale, et dont une sébile de bois ren-
versée donne une idée assez exacte. La taupe femelle qui
MAGASIN UNIVERSEL.
construit son nid se borne à agrandir un des carrefours
formé par la rencontre de trois ou quatre routes. La lettre
B (fîg. 5) montre ce nid dans ses rapports avec le terrier
tracé par le mâle , et celle E (fig. 4) un nid abandonné ,
celui de l'année précédente. Ces figures 4 et 5 , montrent
ces nids isolés et grossis (comparativement aux autres des-
sins) , pour donner une idée de leur forme.
{La suite à un prochain numéro).
BRIGANDS NAPOLITAINS.
Nous avons dit dans notre article sur Salvator Rosa (i),
que les montagnes sauvages et élevées des Abruzzes et
de la Calabre retinrent long-temps les pas errans de ce
grand peintre. L'événement le plus marquant de ces cour-
ses hardies, est sa captivité parmi les bandits qui étaient
maîtres de ces contrées , et son association temporaire avec
eux. On ne peut douter qu'il n'ait vécu avec ces hommes
terribles, si on en juge par l'étonnante expression de ces bri-
gands pittoresques dont il a multiplié les portraits à l'infini.
La position des bandits napolitains, au commencement du
XVII* siècle , est un trait curieux dans l'histoire de cette
belle contrée. Dès les temps les plus reculés , les montagnes
des Abruzzes étaient sous la protection de Mercure , dieu
des Larrons, de même qu'elles sont aujourd'hui sous la garde
de Saint-Gologaro, patron de la Calabre. Toutefois le vérita-
ble bandit du xvii* siècle ressemble fort peu aux vulgaires
brigands des temps modernes qui bornent leurs exploits à des
vols de grands chemins , à piller et à assassiner indistincte-
ment. Il se rapprochait davantage du hardi condottiere ,
des bandes noires et blanches de Médicis et de Suffolck ,
aux xv^ et xvi« siècles , et quoiqu'il ne reconnut point de
lois quand il n'était pas ù la solde d'une puissance ou d'un
particulier, il avait en certaines occasions autant d'im-
portance que le soldat régulier, se battait bravement et
fidèlement pour celui qui le payait, quelle que fût la
bannière de ce chef. De même que les corsaires munis de
lettres de marque , moitié pirates , moitié nationaux ,
ces bandits étaient régulièrement organisés, et obéis-
saient à une discipline particulière. Leurs rangs étaient
remplis , il est vrai , par le rebut de la société , par des
êtres que leurs crimes avaient fait repousser de son
sein ; mais plusieurs d'entr'eux sortaient des castes supé-
rieures : c'étaient des seigneurs napolitains échappés à la
roue , à l'échafaud , pour avoir embrassé la cause de leur
patrie, et qui, cherchant un asile dans les Abruzzes, y
devenaient, par leurs talens ou leur rang , tes chefs de cette
foule de bandits armés contre la société par des motife
bien différens.
C'est un fait reconnu dans l'histoire , que le nombre , la
valeur , l'habileté et la fidélité de ces bandits les rendaient
redoutables au gouvernement austro- espagnol et intéres-
saient le peuple à leur sort. Tantôt le gouvernement les
employait à son service comme les troupes régulières , tan-
tôt il les faisait poursuivre par celles-ci , quand ils étaient
en opposition avec lui , et les cherchant jusques dans leurs
retraites les moins accessibles, les faisait brûler et pendre ou
les livrait aux tortures.
« Chaque vice-roi , chaque commandant de place , cha-
que employé du gouvernement , dit Sismondi dans son
ouvrage sur la littérature du midi , avait des bandits sous sa
sauve-garde , auxquels il assurait l'impunité et même la
récompense des violences et des assassinats qu'il leur
faisait commettre pour son compte. Dans une conspiration
dirigée par le père Campanella, on vit avec étonnement que
les moines de la Calabre pouvaient mettre sur pied plusieurs
milliers de bandits. Les brigands campaient presque aux
portes des villes , et l'on ne pouvait voyager sans escorte
aux environs de Naples. »
Si l'on en croit quelques critiques, la gravure que nous
(i) Voyez tome I, page Z^S.
avons donnée dans notre article sur Salvator Rosa {K) expli-
que clairement l'histoire de la captivité de ce peintre parmi
les bandits des Abruzzes* Le jeune homme assis languis-
samment sur un roc, au milieu du groupe, serait Salvator
Rosa lui-même. Ce sont bien là , disent-ils, ses cheveux qui
tombent en profusion sur son front ; le peu que l'on voit du
visage ressemble trop aux portraits orignaux de ce peintre
pour qu'on puisse les méconnaître. Sa tête penchée , ses
bras affaiblis , l'expression de désespoir répandue sur toute
sa personne , indiquent bien ce qu'il devait éprouver dans sa
nouvelle situation. La femme qui étend sa main et pose un
-or
(Brigand napolitain d'après Salvator Rosa. )
de ses doigts sur sa tête , semble plaider pour la vie du
jeune homme dont elle fait remarquer la faiblesse et le peu
d'importance.
On n'a jamais su le temps précis que Salvator a passé au
milieu de ces bandits ; il n'est pas impossible qu'il ait dû la
sécurité dont il put jouir dans ces contrées, à l'exercice
de son talent poétique et musical, non moins propre i
amuser ses terribles hôtes , qu'à charmer le monde volup-
tueux des salons napolitains. On ne sait pas non plus de
quelle manière Salvator Rosa fut rendu à la société , si ce
fut en s' échappant des Abruzzes, ou s'il fut mis en liberté
par les bandits eux mêmes. Ce qui est certain , c'est qu'après
avoir erré à travers les régions sauvages dont il a si bien
reproduit les traits grandioses, il revint, pauvre et l'esprit
déjà porté vers de sombres idées, à Naples, où il trouva sa
famille dans la dernière détresse. Ce spectacle acheva de
bouleverser son ame, et donna depuis à ses œuvres, même à
l'époque où la fortune daigna lui sourire , cette teinte mé-
lancolique et sombre qui en est un des principaux caractères.
I («) Voyez tome I, page 396.
tfO
MAGASIN UNIVERSEL.
DE l'ARf DE FAIRE LE VIN
CHEZ LES ANCIENS.
Les historiens et les poètes de l'antiquitë parlent du vin,
et cette liquear paraît être presque aussi anciennement con-
nue que les autres [>roductions végétales ; mais on ne peut
pas assigner l'époque précise où les hommes commencèrent
à en faire avec le fruit de la vigne. Les ouvrages des écri-
vains les plus anciens prouvent nou seulement que le vin
était connu de leur temps, mais encore qu'on avait déjà des
idées saines sur ses diverses qualités , sur ses vertus et sur
ces préparations. Les poètes de l'antiquité font l'éloge de
cette liqueur, et la regardent comme un présent des dieux :
Homère, qui vécut 884 ans avant l'ère chrétienne, l'a
qualifiée de divin breuvage ; il parie des différentes espèces
de vins et de leurs qualités, comme en ayant souvent éprouvé
les heureux effets. Les législateurs et les philosophes eux-
mêmes font son éloge. Le patriarche Melchisédech offrait à
Dieu du pain et du vin en sacrifice. Pfaton, tout en blâ-
mant l'usage immodéré que l'on en fafsait de son temps
(430 ans avant Jésus-Christ), le regarde comme le plus beau
présent (jue Dieu ait fait aux hommes. Caton , né 332 ans
avant .lésus-Christ ;" Marcus-Varron , né 46 ans plus tard;
Dioscoride, Pline, Athénée, qui vécurent dans Je commen-
cement de notre ère , et beaucoup d'autres, ont écrit sur la
vigne et sur les procédés employés de leur/emps pour la
préparation des diïFérens vins.
Il paraît que les Egyptiens donnèrent les premières no-
tions sur la culture de la vigne et la {^réparation du vin aux
peuples de la Grèce , qui portèrent cet art à un très haut
degré de perfection. Les Italiens l'apprirent des Grecs , et
leur sol étant très favorable à la vigne , cet arbuste devint
en peu de temps uh objet important de la culture de toute
l'Italie.
Les anciens pré^raient leurs vins de différentes maniè-
res : les uns étaient légers et délicats; d'autres étaient plus
ou moins colorés , corsés et spiritueux. Ils faisaient sécher
en partie les raisins an soleil pour obtenir des vins liquo-
reux. Les vins faibles étaient conservés dans des celliers
frais , tandis que les vins forts étaient placés dans des en-
droits chauds , et même dans des étuves, afin d'accélérer
leur maturité et de les rendre plus spiritueux ; ces étuves
se nommaient fumaria. Gelles des Romains étaient d'une
construction fort simple; mais celles des Grecs étaient
disposées pour recevoir de grandes quantités de vins pré-
cieux que l'on préparait avec soin , et dont on avançait la
maturité à l'aide d'une température maintenue toujours au
même degré. Ignorant l'art d'extraire l'alcool du vin par la
distillation, ils ne pouvaient pas employer cette liqueur pour
augmenter la force de leurs vins ; mais ils y ajoutaient, pour
remplir Ce bùl , beaucoup d'autres substances) On répan-
dait sur le moût de la poix ou de la résine en poudre pen-
tâant la fermentation , et quand elle était terminée , on y
'fcisaît infuser des fleurs de vigne ,-des feuilles de pin ou de
cyprès , des baies de myrte broyées , des copeaux de bois de
'Cèdre , des amandes amëres , du miel et beaucoup d'autres
ingrédions ; mais le procédé le plus ordinaire paraît avoir
été de Uiôler ces substances dans une partie de moût, de
taitr bouillir le tout jusqu'à épaisse consistance, et de le
Verger ensuite à diverses proportions sur les vins. Pour em-
pêcher \a dégénéralion de celle liqueur, on employait les
fr<)<^nil\e.= pulvérisées , le sel grillé , les cendres de sarment,
les '.Ttoïs cle galle ou les cônes de cèdre rôtis , les glands et
tes iK faux d'olives brûlés , et diverses autres substances.
<Jnelquefois on plongeait dans la liqueur des torches allu-
Inées on des fers rougis. Il est incertain que les anciens
nient connu le soufrage. Cependant Pline, qui vécut dans le
premier siècle de notre ère , parle du soufre comme étant
lemployé pour clarifier les vins ; mais il ne dit pas si on
l'employait solide ou en vapeur. L'emploi des blancs d'œufe
paraît avoir fréquemment eu lieu pour celte opération.
Galien, né à Pergame, enMysie, vers l'an iSi de l'ère
chrétienne, parle des vins d'Asie, qui, mis dans dfe Man-
des bouteilles que l'on suspendait dans les fchemlnées , ac-
quéraient par l'évaporation la dureté du sel. Arislote , né
ési ans avant Jésus-Christ, dit que les vins d'Arcadie Se
desséchaient dans les outres, dont on les lirait par mor-
ceaux ; qu'il fallait les délayer avec de l'eau chaude , et lés
passer ensuite dans un linge pour en séparer les impuretés.
Cette filtration étant susceptible d'altérer leur goût et leur
saveur, les personnes soigneuses les laissaient reposer, ex-
posés à l'air pendant la nuit. Baccius dit que par ce dernier
procédé ils acquéraient la couleur, la transparence et la ri-
chesse de nos meilleurs vitis de Malvoisie ; ils pouvaient
être limpides et d'un fort bon goût; mais la dessiccatiou du
moût s'opposait à la formation de l'alcool , et la liqueur dé-
layée, étant exposée à l'air, devait perdre le peu de spiri-
tueux qu'elle pouvait contenir.
Comme les vins ainsi délayés étaient souvent bus chauds,
l'eau chaude était un article indispensable dans les festiue.
Les Romains avaient des lieux publics nommés thermojiK)-
lia , dans lesquels on en trouvait toujours, et où Twi allait
boire les liqueurs préparées, chaudes ou fix)ides, comme
dans nos cafés. L'appareil dans lequel on faisait chaufter
l'eau, tel que l'ont décrit Vitruveet Sénèque, qui vivaient
dans les premiers temps de l'ère chritieime^ se composait de
trois vases placés au-dessus les uns des autres, et commu-
niquant entr'eux par des tuyaux : celui du bas fournissait
de l'eau bouillante; celui du milieu de l'eau tiède, et celui
du haut de l'eau froide ; ils se remplissaient l'un par l'auti-c.
Les anciens avaient aussi l'habitude de rafraîchir leurs
breuvages avec de la glace ; ils conservaient la neige dans
des glaciers. Quand Alexandre assiégea Pelra, il fit creuser
des trous profonds qui furent remplis de neige et recouverts
avec des branches de chêne. Piutarque , vers l'an 66 de Jé-
sus-Christ, indique le même procédé; seulement il propose
la paille et de grosses toiles pour couvrir le trou. Les Ro-
mains adoptèrent cette méthode pour conserver la neige
qu'ils faisaient venir des montagnes, et qui, du temps de
Sénèque , donnait Heu à un commerce assez considérable.
Galien et Pline décrivent le procédé qui est encore employé
entre les tropiques pour rafraîchir l'eau en la faisant éva-
porer, pendant la nuit, dans des vases poreux.
Les plus grands vases employés daris les premiers temps
pour contenir le vin, étaient des peaux d'animaux rendues
imperméables avec de l'huile, delà graisse ou des gommes-
résines. Quand Ulysse alla dans la caverne des Cyclopes,.il
avait une peau de clvèvre pleine de vin que lui avait donnée
Maron, prêtre d'Apollon. Athénée nous apprend que dans
la célèbre fêle processionnale de Ptolon^ée-Philadelphe , qui
régnait 32 ans avant Jésus-ChWst , un char de 53 coudées
(environ cinquante-deux pieds) de longueur, sur 4 4 (21 pieds)
de largeur, portait une outre faite avec des peaux de pan-
thères, contenant 5,000 amphores ou 76,980 litres de
vin. Ces vases , que l'on emploie encore aujourd'hui dans
toute la Grèce, dans quelques parties de l'Italie, en Espa-i
gne, dans la Grucinie et dans plusieurs autres vignobles
de la Russie méridionale, servaient pour transporter l«s
vins, et pour conserver ceux destinés à être bus prompte-l
ment; mais, dès le temps d'Homère, les meilleurs vins
étaient mis dans des tonneaux, où ils restaient jusqu'à ce,
qu'ils eussent acquis leur maturité. On les meitait alorsl
dans des vases de terre enduits intérieurement avec de k;
cire et extérieurement avec de la i)oix. On employait aussi j
pour l'enduit intérieur des compositions grasses, mêlé** de
substances aromatiques.
Les Grecs , quoique très policés , étaient généralement
accusés d'aimer beaucoup le vin et d'en boire avec excès; ^
Ils permettaient à leurs femmes d'en faire usage en parti-
culier, mais ils ne les admettaient jamais dans leurs fes-
tins. Les dames romaines , au contraire, étaient admises
dans les repas les plus somptueux; mais le vin leur était
interdit, quoique les hommes en fissent une ample consom-
mation en leur présence.
MAGASIN UNIVEllSEL.
RUSSIE.— LES OSTIAKS.
( Suite )(i).
Les Osliaks , et surtout ceux qui demeurent au-dessous
de Bérézof, sont encore païens j ils ont autant de femmes
qu'ils en peuvent nourrir : ils épousent la veuve de leur
fi'ère, leur belle-mère, leur belle-fille, ou toute autre pa-
rente du côlô des femmes ; ils se marient de préférence avec
les deux sœurs, dans la conviction où ils sont que cela porte
bonheur à leur ménage; ils regardent comme une grande
faute et môme comme une tache d'épouser une femme de
leur famille et de leur nom, Ils comptent seulement leur
généalogie suivant la ligne masculine. Au surplus, tous les
mariages sont bons, pour\u que les pères des deux époux
.'loient de races différentes. Une fille mariée évite autant
qu'il lui est {lossible la présence du père de son mari tant
qu'elle n'a pas d'enfant , et le mari , pendant ce temps, n'ose
pas paraître devant la mère de sa femme. S'ils se rencon-
• lient par basaril , le mari lui tourne le dos, et la femme se
couvre le visai^e. On ne donne point de nom aux filles os-
tiakes; lorsqu'elles sont mariées, les hommes les nomment
imi (femme) ; les femmes, par respect pour leurs maris, ne
les appellent pas par leur nom, elles se servent du mot
ihaé (homme). Les Ostiaks ne regardent pour ainsi dire
leurs femmes que comme des animaux domestiques néces-
saires; ils leur disent à peine une parole de douceur, quoi-
qu'elles soient chargées de tous les travaux pénibles du
ménage; ils ne leur infligent cependant aucun châtiment
corporel sans le consentement du père, quelque grave que
puisse être leur faute. Si la femme est maltraitée, elle se
sauve chez ses parens; elle oblige alors son père de rendre
à son mari le présent de noces que ce dernier lui a donné
et de lui faire épouser un autre homme.
Les Ostiaks enterrent leurs morts dès qu'ils ont rendu le
dernier soupir; une personne morte le matin est déjà en-
terrée à niidi : on fait une fosse de deux pieds de profon-
deur au plus, parce que le sol, qui est gelé presque par-
tout, ne permet pas de pénétrer plus avant. On revêt
le mort de ses meilleurs habits; on l'expose, en mettant à
côté de lui un couteau, une hache, une corne remplie de
tabac. Lorsque c'est un homme, on fait suivre le convoi par
les quatre plus beaux rennes que possédait le défunt , bien
harnachés et attelés à des traîneaux. Après que le mort est
enterré, on attache une courroie à chaque pied de derrière
de ces rennes; deux hommes les tirent ainsi en avant, tan-
dis que quatre autres les suivent avec des pieux épointés,
en les enfonçant de tous côtés dans le corps de ces animaux.
■Quand le mort est riche, on en tue plusieurs autres, en
leur passant des cordes au cou et aux jambes , et en les
frappant avec des perches sur le dos, jusqu'à ce qu'ils
tombent morts sous les coups. Ces animaux immolés aux
mânes du défunt restent sur la tombe.
Les Ostiaks out recours à leurs princes , ou bien ils se
choisissent parmi eux des juges pour terminer leurs dispu-
tes. Si le procès passe à im tribunal russe, et que l'affaire
soit tellement embrouillée, qu'elle ne puisse être jugée , on
a recours à la prestation de serment : on apporte une de
leurs idoles de bois; on fuit sentir à l'accusé ou à celui que
l'on croit coupable le danger auquel s'expose celui qui
prête un faux serment; on l'oblige de prendre une hache
ou un couteau pour couper le nez à l'idole, ou du moins
l'emlommyger, en récitant le serment usité, qui est lu par
un interprèle : « Je veux que mon nez périsse de cette ma-
« nière, que celle hache me coupe , qu'un ours me dévore
« dans la forêt, et qu'il m'arrive enfin tous les malheurs
« possibles, SI je ne dis pas la vérité dans la cause pour la-
« quelle je comparais ici. » Les croyances de ce peuple le
font obéir à de pareils sermens et il est fort rare d'en voir
prêter dç faux à un Ostiak.
(i) Vojez page So.
Une grossière idolâtrie est encore la religion dominante
de ce peuple. Les Ostiaks, qu'on a baptisés , ne sont chr^ •
tiens qu'en secret; les païens ont des idoles particulières
dans leurs cabanes , et sont dirigés par des devins. Les fem^
mes ont aussi leurs idoles; ce sont des statues à figure
humaine, ou, pour mieux dire, des poupées grossièremenl
taillées en bois , dont plusieurs sont revêtues de chiffons.
On les place dans un des angles de la yourte ; on met un
petit coffret devant celte poupée pour y déposer les offran-
des de celui qui lui rend un culte. Il y a toujours près de
ce coffret une corne remplie de tabac en poudre et de
minces copeaux d'écorce de saule , pour que l'idole puisse
en prendre et se boucher les narines connue les Ostiaks,
Ils ont soin de barbouiller souvent la bouche de l'idole avec
de la graisse de poisson , el de lui rendre taule sorte d'hon-f
ueurs. Malgré la vénérati-m et le respect qu'ils ont pour
leurs idoles , malhein- à elles lorsqu'il arrive quelque désa-
grément aux Ostiaks, el que l'idole n'y remédie pas : ils
la jettent alors par terre, la frappent, la maltraitent et la bri-
sent en morceaux ; cette correction arrive fréquemment :
les mêmes accès de colère sont communs à tous les peu-
ples idolâtres de la Sibérie.
L'idole pour laquelle les Ostiaks ont le plus de vénération
estdans la contrée des Voksarskoié, à soixaute-dix werstes
au dessous d'Obdorsk. Elle est placée dans un vallon boisé,
et soigneusement gardée par les Ostiaks , ! qui cherchent
à en cacher aux Russes toutes les avenues. Ils s'y rassem-
blent fréquemment en grand nombre pour y faire leurs
offrandes. Cette idole représente deux personnes; l'une
est habillée en homme, et l'autre en femme, à la mode
des Ostiaks. Leur vénération pour elle s'étend même jus-
qu'à la contrée; ils n'y fauchent aucune herbe, n'y alwt-
tent aucun arbre; ils n'y chassent point; ils n'osent pas
même y boire de l'eau des ruisseaux qui les arrosent, de
peur de déplaire à leur divinité.
Leurs chamans ou devins sont les seuls qui les dirigent
dans leur croyance. Lorsque ceux-ci exercent leur art, ils
se mettent dans la cabane devant un grand feu; ils font
des grimaces et des contorsions horribles jusqu'à ce qu'ils
aient renvoyé le diable qu'ils ont cité, et obtenu réponse
de lui-même. Tous ceux qui assistent à cette cérémonie
font un bruit épouvantable , en battant sur des chaudrons,
de la vaisselle, et d'autres objets, et en jetant des cris
jusqu'à ce que leur imagination leur fasse voir une fumée
bleue 8* élevant au dessus de la tête du devin. Celui ci fait
alors semblant d'être hors d'haleine et épuisé de fatigue.
Les danses des Ostiaks sont remarquables et particuliè-
res à ce peuple; on ne peut mieux les comparer qu'à des
pantomimes burlesques, à cause du grand nombre de figu-
res risibles. Les hommes et les jeunes garçons sont les seuls
qui dansent. Ces danses, très pénibles et très fatigantes,
demandent beaucoup de souplesse et d'agilité; elles repré-
sentent, par les diverses positions , par les pas et les gestes
du danseur, les allures des différens oiseaux et animaux
lorsqu'on les chasse, et ceux des poissons lors de la pêche.
Dans d'autres danses, ils con'.refont adroitement leurs voi-
sins, en conservant toujours avec exactitude la cadence,
que le musicien a soin de varier d'après les sujets que le
danseur veut représenter ; ils rendent la chasse de la zibe-
line, les allures de la grue et du renne, le vol de la bon-
drée et la manière dont elle saisit sa proie, la posture et les
gestes des femmes russes, lorsqu'elles lavent à la rivière ,
et diverses actions plaisantes.
Les Osliaks sont très hospitaliers envers les étrangers ,
et font tout leur possible pour les bien traiter; ceux qui
ont des rennes en tuent un sur-le-champ, et servent à leur
hôte la langue , la cervelle , la poitrine el les filets de l'ani-
mal, mets qu'ils estiment être les plus délicieux. Ils l»û
font des présens après le repas, selon leur fortune. Ilsi!<; »o
conduisent pas ainsi dans une espérance de ïéàçïQUjjéi
leur libéralité est parfaitement désintér€9si9.
72
MAGASIN UNIVERSEL.
RICHELIEU.
Montesquieu a dit du cardinal de Richelieu : « Il fît
« jouer à son monarque le second rôle dans la monarchie
« et le premier en Europe. II avilit le roi , mais il illustra
« le règne. » Esprit fait pour gouverner les peuples, grand
dans ses projets, ferme dans ses résolutions , implacable
envers ses ennemis, infatigable dans le travail, jaloux
d'honneurs, désireux d'une immortalité glorieuse, Riche-
lieu a plus fait que la plu-
part des hommes de génie
qui ont paru sur la scène
politique aux époques de
transition. Ministre d'un
roi de France, il a su
marcher à son but et do-
miner son souverain sans
le flatter et sans irriter son
amour-propre. Il a gou-
verné au su du roi lui-
même qui obéissait à l'as-
cendant du génie , et non
comme ces favoris qui en-
dorment ou enivrent leur
maître pour commander
en son nom et lui cacher
leur usurpation.
Mais ce n'était pas par amour pour la domination seule
que le cardinal de Richelieu s'était emparé du sceptre et
de l'épée du roi de France ; à un homme de cette trempe
il fallait autre chose que les jouissances du pouvoir absolu
exercé dans l'intérieur d'une cour et sur le monde des cour-
tisans; comme Louis XI, conune Pierre-le-Grand , il vou-
lait l'ordre dans le royaume, la réforme dans le gouver-
ment , l'agrandissement de son pays , et pour prix de ses
travaux les respects et les éloges de l'étranger. Ami des
arts et des sciences , il fonda l'Académie française, et pro-
tégea l'Université qui lui doit la reconstruction de la Sor-
boune où son tombeau a été replacé , il y a quelques an-
nées, par les soins de son arrière neveu , le maréchal de
Richelieu.
Il serait trop long de rappeler à nos lecteurs tous les
faits marquans de la vie de ce grand ministre , qui pen-
dant dix huit ans joua le premier rôle en Europe. Nos
lecteurs savent comment, destiné d'abord à la carrière des
armes , il, entra à vingt deux ans dans les ordres, et fut sa-
cré à Rome, évoque de Luçon; comment sa carrière poli-
tique commença aux états-généraux convoqués en i6\4;
comment il s'attacha à Marie de Médicis , la veuve du
grand Henri, et devint, par son appui, secrétaire d'état au
département de la guerre et des affaires étrangères. Nos
lecteurs savent aussi ses succès dans les guerres contre les
protestans, et la glorieuse campagne qu'il fit en Italie.
Nous ne retracerons pas non plus ses démêlés avec la
reine mère ; l'acharnement avec lequel il poursuivit tous
les partisans de cette princesse quand il eut réussi à l'é-
loigner de son fils. Les romanciers , les auteurs drama-
tiques ont voulu partager , avec les historiens , le soin de
faire connaître , dans ses moindre détails , la vie du cardi-
nal. Il était déjà atteint du mal qui le fit descendre dans
le tombeau , quand Cinq-Mars et de ïhou portèrent leur
tête sur l'échafaud. Ramené de Lyon à Paris , dans une
espèce de chambre, sur le dos de ses gardes qui marchaient
la tête nue , il faisait abattre des pans de muraille quand
les portes des villes étaient trop étroites pour lui livrer un
passage.
Il laissa à Louis XIII un million et demi, en espèces, et
le Palais-Cardinal ( aujourd'hui Palais-Royal ).
« Je n'ai jamais eu d'autres ennemis que ceux de l'État,
a dit-il en mourant ; je laisse le royaume au plus haut de-
« gré de gloire où il ait jamais été. »
Si les faits principaux de la tîc de Richelieu , que nous
(Médaille frappée en i63i en l'honneur de Richelieu.)
venons de rappeler, sont connus de la plupart des lecteurs,
il en est, et en grand nombre, qui serviraient à mieux faire
connaître son caractère et qui sont enfouis dans des ma-
nuscrits et des livres rares. Ceux que nous allons raconter
sont extraits de la collection des manuscrits de la Biblio •
thèque royale.
Il est avéré que le cardinal de Richelieu avait des ac-
cès de frénésie, et dans ces momens on ne laissait entrer per-
sonne que ceux qui pouvaient le servir, ou qui étaient dans
l'habitude de le divertir,
comme Boisrobert, Vril-
lon, etc.
Etant à Bois- le -Vi-
comte , dit un auteur, le
concierge me fit voir un
cabinet boisé où l'on en-
fermait le cardinal , et où
la menuiserie était toute
percée de coups de cou-
teau pointu. Le concier-
ge me dit que Richelieu
enfonçait le couteau dans
le bois le plus qu'il pou-
vait, et, prenant sa cour-
se , il venait appuyer un
pied contre la muraille
faisait la pirouette sur ce
le couteau avec l'autre.
pied, en cherchant à abattre
C'était là un de ses amusemens favoris.
Richelieu était seigneur-suzerain , non seulement d'une
infinité de châteaux forts , mais d'arsenaux et même de
villes dont les commandans et les troupes étaient à sa dé-
votion. Nous citerons entr'autres Pontoise, la Bastille, Bi-
cêtre, et Vincennes , d'où il menaçait constamment Paris.
La mère de Louis XIII, retirée à Bruxelles pendant sa
disgrâce, énumérait à son fils les sujets de défiance que de-
vait lui inspirer la puissance de son favori. « Comment, lui
écrivait - elle , souffrez -vous qu'il y ait en France un
homme qui dispose de plus de richesses, de places fortes et
de soldats que vous. » Le Caf/ioîicon, satire du temps, pré-
tend que le cardinal avait pour sa garde deux mille hommes
de pied et cinq cents chevaux.
On ne doit pas s'étonner que le cardinal de Richelieu
ait songé à trouver pour sa nièce un gendre dans la fa-
mille royale. Le comte de Soissons auquel il avait d'abord
songé , repoussa ses offres , et paya ce refus par les vexa-
tions que Richelieu lui fit éprouver. Plus tard, il éleva ses
vues jusqu'à Gaston, duc d'Orléans, frère du roi lui-
même; mais cet espoir fut encore déçu. Le cardinal se fai-
sait suivre de sa nièce quand il allait à l'armée. On frappa
dans le temps une médaille en l'honneur de cette nièce;
elle y était représentée habillée en Amazone, un casque sur
la tête , et sur le revers on lisait une inscription qui avait
été primitivement composée pour Jeanne d'Arc.
Le cardinal ne s'épargnait pas les plaisanteries envers
les courtisans , qui supportaient presque toujours patiem-
ment ses railleries. Il n'en fut pas ainsi , un jour que le
cardinal-ministre se commit avec le vieux duc d'Eper-
non. « Mon cher duc, lui disait-il malicieusement, réfor-
« mez donc votre humeur altière , et surtout votre accent
« gascon.... » Et en parlant ainsi, le cardinal contrefaisait
le ton de voix et la parole du bonhomme; puis il ajouta,
en riant aux éclats : « Ne vous en offensez pas au moins,
« mon cher duc, ceci est sans préjudice de vos qualités. »
— « Et pourquoi m'en offenserais-je, répondit le gentil-
« homme indocile , j'en souffre bien d'autres du fou du
« roi qui me contrefait tous les jours en votre présence ?...»
Le cardinal fronça le sourcil, mais il ne répondit rien.
Les Bureaux d'Abonnement et de Vente sont transférés rue de
Seine -Saint-Cermaiii, 9. —Prix: 2 soui la livraisQQ.
(10
MAGASIN UNIVERSEL.
w
MONUMENS FUNERAIRES DES TEMPLES ANGLAIS.
( Vue des Tombeaux de Newton et du comte Stanlioiic. )
On a souvent reproclié aux Français d'être ingrats en- ! l'intrigue; rarement on a pour eux l'admiration qui leur
vers les hommes qui , parleur génie on leurs belksactions, est due, et si on les loue quelquefois, ces éloges stériles
ont été l'illustration de leur siècle. Ce reproche n'est certes ! ne peuvent compenser les tracasseries dont on les accable,
pas sans quelque fondement. Le plus souvent, tant que vi- i Lorsqu' ils ne sont plus, on les regrette, on les pleure ;
vfnt nos grands hommes, ils sont en butte à la jalousie et à puis on les oublie, on du moins on ne s'occupe point de
Tome XI. —Décembre 1884. \Q.
û^
MAGASIN UiNiVERSEL.
!)
rendre honneur à leur mémoire. En vain avons-nous écrit ,
sur le frontispice de notre Panthéon , celte épigraphe pom-
peuse : Aux grands hommes la patrie reconnaissante , les
caveaux de cette admirable basilique sont presque déserts.
Il n'a fallu rien moins qu'une révolution pour y faire porter
le& cendres de deux ou trois grands hommes du xviii* siècle.
Mais où reposent les restes de nos grands écrivains du siè-
cle de Louis XIV, des Racine, des boileau , des Molière et
de tant d'autres ? Leurs tombes modestes sont perdues au
milieu des mausolées somptueux du Père-lMchaise.
Ceci rappelle un couplet d'un ancien vatuleville, où
l'auteur s'élève en justes reproches contre notre coupable
indifférence : il place ces vers dans la bouche d'un An-
glais :
Convenez-en , vous êtes économes
Dans les honneurs que l'on doit aux talem :
Si moins que vous, nous avons de grands honunes^
Sur leurs autels nous brûlons plus d'encens.
Rendez au moins justice à l'Angleterre :
Ce Molière , applaudi tant de fois ,
Obtint chez vous à peine un peu de terre;
Garrick repose à côté de nos rois.
En effet , quand on visite la plupart des églises de l'An-
gleterre , on est surpris du nombre prodigieux de monu-
mens fttnéraires qui les décorent. Les sépultures de la
superbe église de St.-Paul de Londres et celles de l'antique
abbaye de Westminster, sont surtout remarquables.
St.-Paul est spécialement consacré aux grands capitaines,
et Westminster généralement à tous les personnages mar-
tiuans , quelqu'ait été leur genre de célébrité : on nomme
le coin dos poètes {ihe poet's corner) , la partie de l'église
réservée aux monumens que l'Angleterre a élevés à ses
grands écrivains : là se trouvent la statue de Shakespeare ,
les tombeaux de Sbéridan, de Milton, de Gray, de Thotnp-
son, d'Addison, de'Garrick et de Dryden. Non loin des
restes de ces grands génies reposent Chatham , les deux
antagonistes Pitl et Fox , Ganning , etc. Ce temple , sans
rival dans le monde, est ouvert, selon l'expression d'un
auteur célèbre, à toutes les souverainetés de la gloire et du
génie; le républicain y repose à côté du royaliste, et le
catholique à côté du protestant.
Parmi toutes ces tombes illustres , il en est deux qui se
font admirer par la uiagnilicence de leur architecture : ce
sont celles de Newton et du comte Stanhope (Voyez la gra-
vure qui accompagne cet article). Elles sont construites
sous les arcades d'une espèce de Jubé, qui occupe le milieu
de la nef. Il est impossible de rien voir de plus délicieuse-
ment travaillé. Ce chef-d'œuvre de sculpture est moderne,
et a été exécuté aux frais du doyen et du chapitre de l'église.
Cette habile imitation de l'architecture du moyen-âge est
d'autant plus précieuse qu'on a su conserver les gracieux
évidemens et les riches arabesques du genre gothique , tout
en évitant les exagérations et la recherche maniérée, qui
n'ont que trop souvent altéré la beauté «les ornemensdece
style. Le superl)e buffet d'orgues, en bois de chêne sculpté,
qui siu'monte ces arcades, ajoute encore à l'effet du monu-
ment.
LE TYROL.
Les deux versans des Alpes rhétiennes ou rhcliques, qui
ne sont que la contiiuiatioi\ des Alpes de la Suisse, consti-
tuent la plus grande partie du Tyrol, Si l'on y voit moins
de pointes élevées qu'en Suisse , on y remarque des masses
plus étendues en largeur; des montagnes que personne n'a
tenté de gravir, et «jai paraissent être presque aussi hau-
tes r|ue le Mont-Blanc; des profondeurs effrayantes; quel-
ques cascades magnifiques; des glaciers de plusieurs lieues
d'éleiuluc, mais moins beaux qu'en Suisse; des torrens et
des rui«se5inx([ui sillonnent des vallées étroites, sinueuses,
et d'une pente rapide : d'un côté , le souffle glacial des
vents du nord; de l'autre, le hùle brûlant du sirocco; tel
est, en peu de mots, le tableau de ce pays montagneux.
Le Tyrol doit son nom à un ancien château situé snr une
montagne qui domine l'Adige, près de Meran. Il devint
par héritage la propriété des ducs d'Autriche en 1363. Ce
comté est limité au nord î)nr la Bavière; à l'ouest, par la
Suisse ; au sud et à l'est par le royaume Lombardo- Vénitien,
rillyrieet la Haute- Autriche.
Le travail des mines est un moyen d'existence pour le
Tyrolien; mais elles ne.sont pas d'un grand rapport pour
le gouvernement, qui d'ailleurs ne les fait que faiblement
exploiter.
L'habitant tire un meilleur parti de son sol. Il a porté
l'agriculture à un grand point de perfection : il ignore ou
dédaigne l'usage des jachères. On dirait que le sol s'em-
presse de répondre aux soitis assidus et à l'activité du labou-
reur. Chaque espace est utilisé : la terre végétale est trans-
portée sur les sommets escarpés ; l'herbe môme (jui croît
sur les pentes des précipices est recueillie pour la nourri-
ture du bétail. L'action de la nature sur les roches, qu'elle
décompose, est mise à profit par l'homme ; il transforme
leur dêiriHis en champs cultivés. 11 faut voir le paysan ty-
rolien , une corbeille sur la tête , descendre , à l'aide d'une
corde et d'un piquet, le long des roches inaccessibles jus-
qu'au fond des précipices , pour mettre à contribution quel-
quelques pieds de terre, qu'il livre à la culture.
Malgré toute leur activité , huit cent mille habitans ne
pourraient point vivre dans cette contrée , s'ils ne cher-
chaient ailleurs que dans l'agriculture leurs moyens d'exis-
tence. Quelques-uns n'ont d'autres richesses que leurs bes-
tiaux. Mais croirait-on que l'oiseau qui, des îles Canaries , a
été transporté en Europe , où ses chants le font rechercher
plus que son beau plumage jaune, soit, élevé chez le Tyrolien,
un objet de commerce? Ce peuple tire parti de tout, et
vendre des serins hors de son pays n'est point un métier
qu'il dédaigne. Ce commerce d'ailleurs fait entrer annuel-
lement dans le pays une valeur de St) à 60,0(>0 florins. Il
ne, borne poirTt là son industrie : le Tyiol renferme peu de
fabriques , mais aussi chaque habitant est ouvrier ou fa-
bricant. A défaut d'autre état , il se fait colporteur jusque
dans les contrées les plus lointaines, et revient toujours
dans sa patrie jouir du fruit de ses économies. A six ans, le
Tyrolien quitte ses montagnes, part pour la foire de Kemp-
ten, en Bavière, et s'y rend utile pour la garde des oies ou
des bestiaux. Plustaid, il émigrc conmie maçon , charpen-
tier, mineur ou marchand de tableaux. On en compte plus
de trente mille qui s'expatrient tous les ans : l'un , entraîné
par une sorte d'amour pour la guerre, parcourt les monla-
gnes en chasseur, et ne craint point de s'exposer aux plus
grands dangers pour atteindre sa proie ; l'autre y recher-
che les plantes médicinales, que dès l'enfance il apprit à
connaître aussi facilement que le plus habile botaniste.
Parmi ceux qui n'émigrent point, il en est qui exécutent
avec la plus grande adresse divers ouvrages en bois ; dans
le Vorarlberg , ils profitent de leurs vastes forêts pour con-
struire en bois des boutiques , des maisons môme , dont les
différentes pièces, numérotées, sont expédiées jusque sur les
bords du lac de Constance , ci transportées de là dans les
pays voisins. Ce genre d'industrie rapporte au Tyrol près
de 200,000 florins.
Il semble que le Tyrolien soit né mécanicien : les ruis-
seaux qui parcourent ses vallées sont utilisés, par des moyens
ingénieux, pour obvier au défaut de bras ; les eaux font
mouvoir de distance en distance des roues façonnées à cet
usage :a-t-il besoin de farine; désire-t-il se procurer de
l'huile pour son ménage; comme chaque individu se suffit
en quelque sorte à lui-même, il n'y a point de meunier, il
n'y a point de fabriques d'huile ; mais le ruisseau voisin est
chargé de moudre le grain ou de pressurer la plante oléa-
gineuse. Un voyageur allemand dit avoir vu un enfant
dans son berceau balancé d'un mouvement uniforme à
MAGASIN UNIVERSEL.
r*aide d'une roue que l'eau faisait mouvoir. Tandis que les
hommes se livrent à leurs travaux, les feamies s'adonnent
à des occupations productives : les unes tricotent des bas ,
les autres font des gants de peau de chèvre ; celles-ci bro-
dent des mousselines , celles-là tressent la paille, qu'elles
façonnent ensuite en élégans chapeaux. L'industrie manu-
facturière se borne à un petit nombre d'objets. Le pays s'en-
richit encore par le commerce de transit entre llAllemagne
et l'Italie. ^
La bonté , la franchise , la fidélilc à remplir ses engage-
mens , l'attachement à son souverain , et l'amour de son
pays, sont les principales vertus qui distinguent le Tyro-
lien. Ami de l'indépendance et de la liberté, il a horreur
de la conscription , et dédaigne , méprise même la tactique
militaire; mais, soldat volontaire, il affronte avec calme les
dangers, et se bat en héros pour là défense de sa patrie.
Sévère dans ses mœurs , loyal dans ses relations , ami géné-
reux , la [paix et la gaîté régnent dans son intérieur. Na-
turellement dévot, mais superstitieux, il lui faut un culte
imposant par ses cérémonies , une religion qui parle à son
cœur comme à son imagination, et qui entretienne son
ignorante crédulité. Il aime à peupler les sombres forêts
qui l'entourent ou les cimes de ses montagnes d'esprits, de
démons et d'êtres surnaturels. Il se plaît dans les récits
d'apparitions de fantômes. Il est peu de villages qui ne
renferment une sorcière ou un sorcier : on ne voit ni
protestans ni luthériens dans le Tyrol; à l'exception de
huit ou dix familles juives, toute la population est catho-
lique.
« Le Tyrolien , a dit un voyageur, homme d'esprit , est
naturellement gai, sans cependant être léger. Dans les cam-
pagnes, au fond des bois, le long des routes, sur les places
des villages et des petites bourgades, on entend, pendant
tout le jour, les éclats de rire des hommes mêlés au chant
des femmes, surtout parmi le peuple et les paysans. La classe
moyenne est plus allemande , et parmi elle , vous lencon-
trez souvent de ces physionomies longues et calmes , fu-
mant avec une sorte de gravité froide et fort comique l'é-
norme pipe d'écume de mer. Peut-être aussi le chapeau
pointu (remplaçant la casquette plate du bourgeois tyro-
lien), la veste courte et les culottes , contribuent-ils à don-
ner au campagnard un air moins grave , moins rassis et
plus éveillé. •
« Les femmes sont fortes , souvent jolies , quelquefois
fort belles : le calcul sur la beauté m'a presque toujours
donné trois sur douze. Leur costume , assez éclatant, varie
peu : c'est une espèce d'unifortne qui ne diffère que par le
bonnet et les paremens. Les jeunes femmes qui ont un peu
d'aisance portent volontiers quelques chaînes ou quelques
bijoux d'or ou d'argent. Leur gros bonnet d'ours ou de
lame , leur jupon bleu ou noir, leur corsage rouge et blanc,
leur donnent dans la campagne, lorsqu'une procession dé-
file, l'aspect d'un bataillon de grenadiers.
« Cependant, à Inspriick, le cône de fourrure qui recou-
vre la tête des femmes et même celle des hommes est tron-
qué; peu d'habitans, au reste, font usage de cette plai-
sante coiffure , et beaucoup de femmes n'en portent pas
d'autre que celle que la nature leur a donnée; elles mê-
lent toutefois aux tresses de leur chevelure de longues chaî-
nes d'argent et toutes sortes d'ornemens de métal, qui pen-
dent quelquefois jusqu'à terre. Quant à l'ensemble du cos-
tume, il se compose communément d'un corsage qui pré-
sente, d'une épaule à l'autre, une ligne droite bridée, fort
laide ; leur robe forme un nombre de plis incalculable , et
leur donnerait assez l'apparence d'un gros sac bien rem-
bouré, n'était leur magnifique tournure, dont les formes
rebondies et les prodigieuses dimensions défient la nature
la moins avare : d'ordinaire leurs jupons arrivent au-des-
sous du genou. Trois couleurs dominent dans leurs vôte-
mens, le rouge, le bleu léger et le noir. Cependant leur
corsage et les bretelles qui le retiennent sont ornés de
nuances aussi variées que le pourrait désirer le eolorinte le
plus difficile. »
Il y a plus d'clcmens de liberté politique dans le Tyrol
que dans les autres provinces de la monarchie autrichienne.
Depuis \S\6, le gouvernement a confirmé les anciens droits
dont il jouissait : il lui a accordé une constitution plus ap-
propriée à ses besoins. Tandis que dans les autres pays au-
trichiens, la nation n'est représentée que par le clergé, la
noblesse, et quelques députés des villes , les États tyroliens
non-seulement se composent de députés de ces différentes
classes , mais encore de celle des paysans. Le Vorarlberg
jouit de quelques prérogatives particulières. En n'établis-
sant point la conscription dans le Tyrol , le gouvernement
a senti <|u'il s'en faisait un rempart plus sûr contre l'inva-
sion étrangère : eu temps de guerre, chaque TjTolien de-
vient soldat ; habitué à la fatigue , adroit et bon chasseur,
il est peu d'armées qui pourraient résister à ce peuple, levé
en masse pour la défense de ses foyers ; il ne fournit à l'E-
tat , qui le ménage , que quatre bataillons de chasseurs ,
formant en tout cinq à six mille hommes , qui ne sont
tenus qu'à un service d'intérieur. Aucune troupe autri-
chienne ne peut séjourner dans le pays qu'avec l'autorisa-
tion des États ; et , délivré des douanes , ses contributions
forment un revenu assez considérable , que l'on évalue à
plus de 2,500,000 florins d'Autriche.
Le comté du Tyrol renferme vingt-et-une villes , trente-
deux bourgs et qumze cent cinquante-huit villages , dont
quelques-uns sont aussi peuplés que des villes.
ARCHERS, ARBALÉTRIERS ET ARQUEBUSIERS.
Il est bien difficile de préciser l'époque de la formation
du corps des archers; l'origine de cette milice remonte aux
premiers temps de la monarchie : sous Charlemagne , à
Roncevaux , sous Phili[)pe-Auguste, à Bovines , les archers,
(arcuarii) jouèrent un rôle important. Ce n'étaient alors que
des troupes légères, ne pouvant soutenir que difficilement
le choc des forts gendarmes, grosse cavalerie, armée de
pied en cap ; aussi avaient-ils une manière de combattre
qui devait être pour eux d'un grand avantage : à la force
ils opposaient l'adresse. Dans les plaines de Bovines , on
vit les archers et leurs compagnons les cousteliers poursuivre
les autres troupes et empêcher leur ralliement, après la
grande bataille qui délivra Philippe-Auguste de l'insolence
des Anglais ; la mission des archers était d'escarmoucher,
tantôt à pied, tantôt à cheval ; et là se montrait la supériorité
que leur donnait leur armure légère sur les lourds gendar-
mes et arbalétriers, que la pesanteur de leurs armes enipê-
chait de se remuer aisément. •■
De Philippe- Auguste à Charles VI, les archers firent tou-
jours preuve de vaillance et de fidélité ; JVIonslrelet , dans
sa chronique si piquante , si pleine de faits , raconte qu'à la
bataille de Sauatron , gagnée par le duc de Bourgogne con-
tre les Liégeois , « qu'icelle bataille ne dura pas longuement,
car les archers bourguignons estoient embastonnés de lon-
gues épées par l'ordonnance que leur en avoit fait le duc de
Bourgogne ; et après le trait lancé , ils donnèrent dé si
grands coups d'épée , dit le naïf historien, qu'ils coupoient
un homme par le milieu du corps , et un bras ou une cuisse
selon que le coup donnoit. »
Sur la fin du xiv« siècle , le nouveau système militaire,
adopté par Charles VII , avait favorisé le développement de
certaines corporations armées, exclusivement destinées à la
guerre ; dans toutes les villes il y avait des compagnies d'ar-
chers, habiles à atteindre un but, des arbalétriers qui
chaque jour s'exerçaient au tir; les bons compagnons de
l'arc se réunissaient le dimanche: un pigeon était attaché
au bout d'un mât , de manière cependant à pouvoir se
perdre dans les nues ; Farcher liabile devait l'atteiiulre au
l>reiuier coup; alors U était proclamé roi de l'arc, U gagnait
76
MAGASIN UNIVERSEL.
un notable présent , une coupe ciselée et une bonne armure.
Ces compagnies d'archers avaient de nombreux privilèges j
elles étaient organisées en corporations avec des maîtres ,
des syndics. Rien n'était comparable aux compagnies des
villes de Flandre , de Saint-Omer, Gand , etc.; en Norman-
die , Lisieux était célèbre par ses tireurs d'arcs.
En 1445, Charles VII institua aussi régulièrement un
corps spécial de francs-archers , hommes braves et capa-
bles de tirer l'arc avec justesse, qu'il était urgent d'opposer
aux habiles pointeurs d'Angleterre.' Alors les francs-archers
formaient la plus grande force des armées ; la cavalerie
avait perdu sa haute réputation de courage dans les plaines
de Crécy et d'Azincourt, oii'les archers anglais l'avaient
vaincue et complètement déconfie, pour nous servir de
l'expression du temps.
A l'époque de la formation de ces francs-archers , l'armée
était en France assez mal composée. « On y comptoit, dit
Brantôme, force marauts, belistres mal armés, mal com-
plexionnés, fainéants, pilleurs et mangeurs de peuples. «
Aussi le roi jugea-t-il nécessaire de réorganiser ces troupes;
il disait dans son ordonnance : « Ordonnons qu'en chacune
paroisse de notre royaume y aura un archer qui sera et se
tiendra continuellement en habillement suffisant et conve-
nable, avec dague, épée et arc; lesquels seront choisis
parmi les plus adroits et aisés pour le fait d'exercice de
i«;sE5TRi^
(Archers de Paris. — 1490.)
l'arc , et seront tenus de tirer de l'arc les jours et fêtes non
ouvrables, afin qu'ils soient plus habiles et usités audit
exercice. » Le nombre en fut porté à 16,000, divisés par
quatre compagnies , ayant chacune un capitaine sous les
ordres immédiats d'un commandant-général.
Aussi quelles belles prouesses ne firent pas ces bons ar-
chers? Au siège de Caen, en 1450, on en vit 4,500 qui
entouraient le comte de Dunois ; ils firent plusieurs beaux
traits d'armes , écrit encore Monstrelet , et se comportèrent
très-vaillamment ; « ils s'emparèrent de tous les boulevards
et tuèrent grand foison d'Anglois, ce qui grandement les
estonnèrent. »
Charles VII , ayant mis fin à la guerre étrangère et aux
troubles civils qui désolaient depuis si long-temps le royau-
me, on dut congédier en masse les nombreuses troupes qui
coûtaient tant de bons deniers; le pauvre peuple avait été
si cruellement dépouillé par les Anglais , qu'il fallait bien
aux jours de la victoire lui procurer quelque soulagement.
On vit alors se former eu France ces grandes compagnies
d'aventuriers qui produisirent à elles seules plus de mal
par leurs pilleries nombreuses , que n' en avaient fait les
troupes réglées du duc de Bedfort. Ces compagnies ne se
formaient pas d'inconnus armés , gens sans nom et sans for-
tune. Quels en étaient les principaux chefs? presque tous
les archers qui avaient du cœur et du courage ; y avait-il un
castel élevé où, selon la tradition , le sire châtelain renfer-
mait de gros trésors ? aussitôt les archers allaient s'offrir à
lui pour son service contre ses voisins , et ils n'avaient de
repos que lorsque le vieux seigneur avait vidé l'escarcelle !
Louis XI, par une de ses ordonnances qui étaient toujours
le résultat d'une pensée d'ordre et décentralisation, cassa
à perpétuité le corps nombreux des archers. Dès lors, on
ne les vit plus aux armées , si ce n'est comme corps privi-
légié, et servant de gardiens à la personne royale;
Louis XI avait ses archers écossais , et Louis XII , éciit un
contemporain, « Paroissoit toujours au milieu de ses vingt-
quatre arcliers de la garde; ils étoient à pied , la hallebarde
en main , armés bien à point et très richement accoutrés;
un des plus grands plaisirs du roi étoit de voir tirer ses
archers. » C'étaient tous des gentilshommes de nom et de
race , ayant manoir féodal et armure blasonnée ; cet
emploi était beaucoup recherché sous le règne de Fran-
çois I*"" ; le maréchal de Montluc nous apprend dans ses
commentaires qu'il y avait toujours deux ou trois seigneurs
pour une place d'archer.
Le nom d'arciier subsista jusqu'à la fin duxviii^ siècle;
les exécuteurs des ordres du lieutenant de police étaient
appelés archers , quoique armés de hallebardes et de fusils ;
il y avait les archers du grand prévôt de l'hôtel , du prévôt
des marchands, les archers de la ville, les archers de guet et
de nuit ; et les gens de la maréchaussée, qui étaient chargés
de veiller à la sûreté des grandes routes , recevaient égale-
ment le nom d'archers.
Les archers de la ville de Paris faisaient partie àe celte
ancienne garde urbaine , dont l'institution remonte à
la première formation des milices gauloises organisées par
les Romains à l'époque de la conquête. Les arbalétriers ,
qui faisaient aussi partie des gardes de la ville de Paris, fu-
rent créés par Louis-Ie-Gros. Sous Charles VI , la compa-
gnie ou confrérie d'archers était de cent vingt hommes , celle
des arbalétriers de soixante. Les arquebusiers , entrés de-
puis peu dans la composition de cette garde, étaient au nom-
bre de cent.
Les principales villes du royaume avaient, comme Paris,
une ou plusieurs compagnies d'archers, chargées spéciale-
ment d'y maintenir l'ordre et la police. Les archers de la
ville de Paris se faisaient parliculièrement remarquer par
leur zèle et leur fidélité dans le service. On les vit plus d'une
fois solliciter l'honneur d'aller combattre les ennemis de la
patrie , et se signaler par de brillantes actions La gravure
qui accompagne cet article faisant suffisamment connaître la
nature du costume et de l'armement de ces milices bour-
geoises, nous ajouterons seulement que la trousse que l'on
voit suspendue à la cuisse gauche de l'homme contenait
douze à dix-huit flèches.
Les cent vingt archers , les soixante arbalétriers et les
cent arquebusiers, qui formaient la garde de Paris, furent
réunis en un seul corps en 1594 ; mais cette troupe , deve-
nue insuffisante pour le service de la capitale , fut succes-
sivement augmentée : elle était de douze cents hommes au
moment de la révolution de 1789. Une partie de cette
garde occupait encore, à cette époque , une maison n° (90)
dans la rue de la Roquette. On lisait sur la porte : Hôtel de
la compagnie royale des chevaliers de l'Arbalète et de l'Ar-
quebuse de Paris.
Parmi les privilèges dont jouissaient les gardes de Paris,
on remarquait celui qui leur donnait le droit de vendre
quatre mille quatre cents muids de vin sans payer aucun
droit. Ce privilège fut remplacé par une somme annuelle
de trois mille huit cents livres, à prendre sur la ferme gé-
nérale.
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Tî
En 4658, les moines dn couvent des Grands-Aiigustins
refusèrent de donner un asile aux juges qui occupaient le
bâtiment du chàtelet auquel on faisait des réparations im-
portantes. Un arrêt du parlement allait contraindre ces
religieux à céder une partie du local qu'on leur demandait,
lorsque tout à coup , se décidant à défendre leur propriété
et à soutenir un siège, ils firent des provisions d'armes, de
cailloux, et murèrent leiu's portes.
« Les archers de la ville, désignés pour entreprendre ce
singulier siège , ne pouvant entrer dans ce monastère forti-
lié , résolurent d'escalader les murs. L'assaut fut donné et
repoussé avec une égale vigueur : on se battait avec fureur
sur un point, tandis que sur un autre une troupe d'archers
faisait une brèche au mur de clôture qui se trouvait du côté
de la rue Christine. Les moines assiégés , voyant le péril
où les jetait cette tentative, tirèrent de son sanctuaire l'ob-
jet le plus sacré de la religion , le Saint-Sacrement , et le
posèrent sur la brèche , afin de désarmer les assaillans.
Cette ressource avait quelquefois, dans des cas semblables,
été mise anciennement en usage avec succès. L'objet vénéré,
placé entre les combattans , n'en imposa point aux archers,
et les moines furent obligés de capituler. Des otages furent
donnés de part et d'autre : alors les moines abandonnèrent
la brèche et livrèrent leur poste. » Le principal article de la
capitulation portait qu'ils auraient la vie sauve. Les com-
missaires du parlement en firent arrêter onze , qui furent
mis en liberté , vingt-sept jours après , par ordre du car-
dinal Mazarin , qui les protégeait , et qui n'aimait pas le
parlement.
Nous ferons connaître, dans un autre article, les diver-
ses gardes de Paris qui ont succédé à celle dont nous ve-
nons d'esquisser l'histoire.
LANSQUENETS.
i&ui^fcUAUi
(Lansqiieaet sous François I'^''.)
Au commencement du xv* siècle , on donnait le nom de
lansquenets à une sorte d'infanterie allemande dont la bra-
voure était en grande réputation. De U83 à U98, Char-
les VIII prit beaucoup de ces troupes à son service , et c'est
à la valeur de ces auxiliaires qu'il dût ses victoires en Ita-
lie et sa conquête du royaume de Naples. Lorsque ce prince
quitta l'Italie pour rentrer en France, il confia à huit cents
lansqucHCts la garde des places et des provmces con-
quises.
Ces troupes combattaient en ligne, comme notre infante-
rie : elles étaient armées d'une dague ou épée longue, et
de la lance; leur costuftie militaire consistait en une jac-
quette recouverte par une double cuirasse. Au bas de cette
cuirasse étaient adaptées deux pièces en fer servant à ga-
rantir les cuisses. Elles portaient une culotte large à bandes
horizontales de diverses couleurs, et un casque surmonté d'un
panache. Leur chaussure se composait d'une espèce de san-
dale garnie d'une lame de fer ou de laiton, remontant jus-
qu'au défaut du genou.
Les lansquenets continuèrent à servir en France jusqu'à
la fin du règne de Henri IV. Louis XIII les remplaça par
des milices régulières de la même nation, qui furent enré-
gimentées comme nos troupes nationales; elles formèrent,
sous Louis XIV, les régimens d'Alsace, de Saxe, de
La Maick et de Lensk.
LES NIDS DE TONQUIN.
La gastronomie, qui chaque jour étend son domaine, qui
met à contribiuion les connaissances du naturaliste, l'intré-
pidité du marin, la science dn chimiste; la gastronomie,
qui demande au médecin des recettes pour augmenter les
facultés digérantes de l'estomac, est cependant encore loin,
en Europe, d'avoir atteint le degré, nous ne dirons pas
de perfection , mais de raffinement auquel l'ont portée les
Chinois. Ils attachent le plus grand prix à des objets que
nous trouverions sans doute peu délicats , mais qui , pour
ces hommes blasés par la satisfaction facile de toutes les
jouissances matérielles , ont l'attrait de l'étrangelé , et satis-
font la vanité par l'élévation de leur prix. De ce nombre
sont les nids de Tonquin , objet d'un commerce important
à la Chine , et que l'on voit sur la table des riChes , comme
chez nous la truffe parfumée. Ce comestible n'est autre
chose que le nid d'une certaine espèce d'hirondelle , l'a-
rundo escuhnta , moilié oiseau, moitié chauve-souris ; ce
nid, bâti dans la forme qu'ont à peu près les nids de toute
cette famille, est composé d'une substance visqueuse ag-
glomérée, assez semblable à une masse de colle de pois-
son fibreuse et demi-transparente.' Les uns disent que cette
matière provient de l'animal lui même, les autres qu'il la
recueille au milieu des écumes de la mer; mais cette in-
certitude n'est pas pour le consommateur un objet d'inquié-
tude ou de souci.
C'est surtout dans les cavernes des côtes , dans les îles de
l'Océan , qu'on va chercher les nids de tonquin. Pour at-
teindre à l'entrée des cavernes battues par la mer, il faut
descendre un rocher à pic de plusieurs centaines de pieds
de hauteur, rester suspendu sur l'abîme pendant plusd'une
heure, sans autre soutien que les légères échelles de rolia
et de bambou qui, d'espace en espace , tapissent le rocher.
Arrivé à l'entrée des grottes , on allume les Uambeaux et
l'on procède à la recherche des nids, placés le plus souvent
dans des fentes et des crevasses , où il faut pénétrer avec
précaution ; il y règne une nuit éternelle , et on n'y en-
tend d'autre bruit que le mugissement des vagues qui se
précipitent avec fracas au fond de ces abîmes. Il faut avoir
le pied bien sûr et la tête bien calme pour escalader, sans
tomber, ces roches humides et glissantes; une hésitation, un
faux pas, seraient suivis d'une mort certaine. Les accidens
sont loin d'être sans exemples : quelquefois, au milieu du
silence qui préside à la cueillette, un cri se fait entendre,
un flambeau disparaît , et le bruit effroyable d'une portion
de roche détachée qui roule au fond du précipice , et dont
l'écho, semblable au grondement du tonnerre, se prolonge
dans toutes les parties de la caverne , annonce aux chas-
seurs consternés la perle d'un de leurs camarades. Les nids
les plus estimés sont ceux qu'on recueille dans les cavernes
les plus humides, et que les oiseaux n'ont pas encore salis
par la couvée : ils sont plus blancs , plus nets et plus traiis-
I parens que les autres.
.18
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La cueillelte se fait deux fois par an , et si l'on a soin de
ne pas dégrader les roches en prenant les nids , le nombre
est à peu près égal à chaque fois. On a essayé de ne des-
cendre dans les grottes qu'une fois chaque année , mais on
ne trouvait pas au bout de ce temps une quantité de nids
plus considérable que celle qu'on recueille à chaque visite
semestrielle.
La seule préparation que reçoivent les nids de Tonquin ,
avant d'être livrés aux Chinois, est ladessication : on a soin d'y
procéder à l'abri des rayons du soleil, qui en détérioreraient
la couleur et la qualité; puis on les assortit en première,
deuxième et troisième qualité , et on les emballe dans de
petites boîtes en bois de la contenance d'un demi-pécul
(ou de trente kilogrammes environ). Les cavernes qui sont
exploitées avec soin donnent environ 55 p. 400 des nids de
première qualité, 35 de ceux de la seconde, et ii de ceux
de la troisième : ces derniers sont gâtés par les excrémens
des petits. Croirait-on que cette denrée est achetée par les
Chinois à raison de 150 fr., et plus, la livre de première qua-
lité ! On peut se faire une idée , d'après ces prix , du rang
des consommateurs. Une quantité considérable de ces nids
est destinée aux tables de la cour. Les Chinois disent que
nen n'est plus stomachique, plus stimulant, plus salutaire,
que cette nourriture ; mais son sei)I mérite est certaine-
ment le prix auquel elle est vendue ; ce prix flatte la vanité
des riches, qui en sont ainsi les seuls consommateurs. La
quantité annuelle de ces nids qu'on importe en Chine s'élève
à deux cent quarante-deux mille livres environ : estimant
chaque livre à une moyenne de 50 fr., on trouve que pour
ce seul article les Chinois paient aux îles de l'Archipel plus
de 12 millions de francs. C'est un monopole important pour
les souverains des diverses îles où se trouvent les cavernes.
Aussi la possession lie ces lieux est-elle souvent la seule
cause des guerres que se font ces petits peuples. On conçoit
qu'une marchandise si précieuse excite la cupidité ; aussi
les cavernes qui sont les moins difficiles à aborder, ont-elles
été souvent exposées aux déprédations des flibustiers et des
autres pirates, qui non-seulement enlevaient la récolte, mais
dégradaient les roches, et diminuaient, par ces dévastations,
la récolte des années suivantes. Dans les lieux où régnent
l'ordre et la tranquillité , et où l'accès des cavernes est dif-
ficile, on n'a pas cesaccidens à craindre, et le revenu est
assez régulier. TeUes sont les cavernes de Karang-Boland à
Java : elles donnent annuellement près de sept mille livres
de nids, qui valent, au prix du marché de Batavia, cent
trente-neuf mille dollars espagnols ou près de 700,000 fr.
Les frais d'exploitation , de curage, d'emballage, ne s'élè-
vent pas à plus deiOkH p. 400.
SECTES IIELIGIEUSES AUX ÉTATS-UNIS.
UN REVIVAL DAMS UNE ÉGLISE PAESBYTÉRIËNNE.
Les sectes américaines, n'ayant point, comme la plupart
de nos religions d'Europe, l'avantage d'être nationales, ont
besoin, pour se soutenir, de ranimer de temps en temps le
zèle et l'exaltation de leurs partisans. Tous les ans, à des
époques fixes , les membres les plus ardens du clergé se
mettent en route à cet effet, et parcourent le pays. On voit
ces missionnaires arriver dans les bourgs et dans les villes,
par douzaines ou par centaines, selon l'importance du
lieu, et y planter leurs tentes, tantôt pour huit jours,
tantôt pour quinze, et quelquefois même pour un mois,
si la population est considérable. Durant cet intervalle ,
des journées entières , et souvent la plus grande partie
des nuits, sont consacrées à des prédications et à des
prières dans les différentes églises et chapelles du lieu. —
C'est là ce qu'on appelle un revival.
" Ces prêires ambulans appai tiennent à toutes les croyan-
ces, excepté à celles des unilairiens, des catholiques , des
épiscopaux et des cjuakers. Presbytériens de toutes les es-
pèces , anabaptistes de toutes les variété» , méliwcUsles de
toutes les dénominations, participent à cet usage. Il n'y a
pas de mémoire assez bonne pour retenir les simeles
noms de toutes ces sectes , et l'on n'en finirait pas si l'on
voulait expliquer toutes les nuances de ce christianisme à
mille faces. Quoi qu'il en soit, ces missionnaires visitent
successivement toutes les cités, tous les bourgs, tous les
villages de l'Union. Ils logent en général dans les maisons
de leurs coréligionaires , et tant que dure leur station dans
un lieu , toutes les soirées qui ne sont point employées à
des prédications dans les églises et maisons publiques d'as*
semblées , il les consacrent à ce que d'autres appelleraient
des parties de plaisir, mais à ce qu'ils appellent eux des
réunions de prières; ils y passent .leur temps à manger, à
boire, à priei-, à chanter , à entendre des confessions et à
convertir.
Les plus beaux appartemens , les plus belles toilettes, les
raffraîchissemens les plus délicats , rien n'est épargné pour
rentbre le meeting aussi brillant que possible. Pendant que
les personnes invitées arrivent, des conversations à demi-
voix abrègent l'ennui de l'attente. Les personnes qui en-
trent sont saluées du nom de frères et de sœurs, et les dé-
monstrations de bienvenue sont 1res tendres. Quand la
chambre est pleine, la compagnie, qui est toujours compo
sée, en très grande majorité , de femmes, prend place et
s'assied. Alors commence, de la part des ministres, les in-
vitations tour à tom les plus véhémentes et les plus douces,
les plus sévères et les plus caressantes aux frères et aux
sœurs de confesser devant leurs sœurs et leurs frères tou-
tes leurs pensées, toutes leurs fautes, toutes leurs folies.
Ces confessions sont d'étranges scènes; comme les
fautes avouées en font l'intérêt , plus on en avoue , plus on
est encouragé et caressé. Lorsqu'elles sont terminées,
tout le monde s'agenouille, et le prêtre improvise une
prière; après quoi on mange et on boit; les chants, les
hymnes, les piières recommencent de nouveau ; puis vien-
nent les exhortations , puis encore la prière et le chant ,
jusqu'à ce que l'exaltation des assistans atteigne enfin le
plus haut degré d'énergie. Telles sont les scènes qui se pas
sent chaque soir, tantôt dans une maison, tantôt dans une
autre , aussi longtemps que dure le revival ; souvent
même, elles ont lieu simultanément dans plusieurs, car les
églises ne peuvent donner de l'occupation à la moitié des
missionnaires , bien qu'elles demeurent ouvertes toute la
journée et une partie de la nuit, et que les ministres s'y
succèdent l'un à l'autre sans interruption.
L'auteur des Mœurs domestiques des Américains , ra-
conte, en ces termes, la scène dont il fut témoin dans une
église presbytérienne.
a Nous étions au miliea de i été, mais le service auquel
on nous avait priés d'assister ne devait pas commencer
avant la nuit. Le temple était bien éclairé , et il y avait un
concours de monde à n'y pas tenir. Nous aperçûmes , en
entrant, trois ministres debout et rangés côte à côte, dans
une espèce de tribune élevée à l'endroit où se trouve or-
dinairement l'autel.
« Le minisire qui était au milieu priait; la prière était
d'une extravagance véhémente et d'ane familiarité d'expres-
sions ch<x}uante. Après la prière, il clianla un hymne , et
ensuite un autre ministre se mit au milieu, et commença à
prêcher : il déploya dans son sermon une éloquence rare ,
mais le sujet qu'il avait choisi était affreux. Il décrivit,
avec une excessive minutie, les derniers et tristes mo-
mens de la vie humaine ; ensuite il peignit les changemens
affreux que le corps subit graduellement après la mort, et
il arriva au tableau de la décomposition , puis, il fit de
l'enfer une affreuse description. Il suait à grosses gouttes ;
ses yeux roulaient avec horreur , ses lèvres étaient cou-
vertes d'écume , et cliacun de ses traits respirait la pro-
fonde terreur qu'il aurait ressentie s'il eût été réellement
témoin de la scène qu'il décrivait. Puis les deux autres
ministres se levèrent et entonnèrent un hymue ; tous les
1 assisiaiis , le visage couvert de la pâleur de k mort, étaienjl
MAGASIN UNIVERSEL.
Tfr<t
frappés de stapear, et ce ne fnt que quelques instans après
qu'ils purent unir leurs voix à celles des ministres. Loi-s-
que les chants eurent cessé, un autre ministie occupa la
place du milieu, et d'une voix douce et pleine d'affection,
il demanda aux fidèles si ce qu'avait dit son frère était ar-
rivé jusqu'à leur cœur, s'ils désiraient éviter l'enfer qu'il
leur avait fait voir. S'il en est ainsi , venez, conlinua-t-il,
en étendant les bras vers les assistans; venez à nous , nous
allons vous ouvrir le chemin.
« Les bancs destinés aux pécheurs inquiets vont vous être
ouverts; venez donc, venez vous asseoir sur le banc
d'anxiété ( anxious bench ), et nous vous ferons voir Dieu :
venez , venez , venez î
« On entonna un hymne ; alors un des ministres fit éva- 1
cuer un ou deux bancs qui longeaient la balustrade , et |
renvoya au fond de l'église ceux qui s'y étaient assis, j
Les cliants ayant cessé, un des trois ministres exhorta encore |
les assistans à venir prendre place sur le banc d'anxiété, |
et à reposer leurs têtes sur son sein. — Nous allons en-
core chanter un hymne, continua le ministre, afin de vous
donner tout le temps de vous résoudre. — Et les chants |
recommencèrent. En ce moment, dans toutes les parties |
du temple, il se fit un mouvement, léger d'abord, mais qui ,
jM-it par degrés un caractère plus décidé. De jeunes filles
se levèrent , s'assirent , et puis se levèrent de nouveau : |
alors les portes des bancs s'ouvrirent, et l'on vit s'avancer, j
eu chancelant, plusieurs jeunes filles , les mains joiqtes , la j
lêle penchée sur la poitrine , et tremblant de tous leurs ^
ntembres. Les chanls continuaient toujours; ces pauvres ^
créatures a[)prochèrent des bancs, et leurs sanglots et leurs :
goniissemens conunencèrent à se faire entendre; elles s'as- !
sirentsur les bancs d'anxiété : l'hymne fut suspendu, et j
deux ministres, descendant de îa tribune, s'avancèrent, ;
l'un à droite, l'autre à gauche du banc, et murmurèrent |
des paroles à l'oreille des jeunes filles qui tremblaient
toujours. Ces paroles n'arrivaient point jusqu'à nous :
mais en ce moment , les cris et les sangiots s'accrurent
(lune mauière horrible. Ces faibles créatures, les traits al-
térés et couverts de pâleur , tombèrent à genoux sur les
({ailes, et bientôt leur visage alla frapper la terre. Des cris
cl (les gémissemens extraordinaires se faisaient entendre,
et de temps en temps, une voix s'écriait , avec des ac-
cens convulsifs : Oh? mon Sauveur ? venez à mon secours ?
Un grami nombre de ces créatures étaient en proie à
d'horribles convulsions; et quand le tumulte fut parvena
à son plus haut point, le ministre, qui était resté à la tri-
bune, entonna un hymne d'une voix forte, comme pour
essayer de couvrir les cris des pénitentes.
« C'était un spectacle horrible , de voir ces jeunes filles,
à peine au matin de la vie, frappées de terreur, livrées à
d'affreuses convulsions, affaiblies et énervées pour tou-
joui-s. Je remarquai une de ces pauvres créatures, qui ne
devait pas avoir plus de quatorze ans , soutenue dans les
bras de ses compagnes plus âgées ; son visage était cou-
vert de la pâleur de la mort , ses yeux hagards étaient
privés de tout sentiment , et des fiots d'écume ruisselaient
s(n' son menton et sa poitrine. Sur tous ses traits , étaient
empreintes les apparences d'un idiotisme complet; un
ministre s'approcha , et prenant la main délicate de cette
convulsionnaire : Dieu est avec elle ! Dieu soit béni ! dit-il
froidement ; et il passa.
« Les femmes seules obéirent à l'appel des ministres, et
vinrent s'asseoir sur les bancs d'anxiété; la plus grande par-
tie d'eiltre elles étaient de très jeunes femmes. La congréga-
tion avait revêtu ce jour-là ses habits de fêle, et les dames
les plus jolies et les plus élégantes de la ville assistaient à
cette cérémonie. Pendant toute la durée du revival , un
immense concours de monde afflue toujours dans les
temples.
• « Tels sont les plaisirs des dames de Cincinnati. Il est dé-
ïendu d'aller au spectacle; les jeux de caries sont inter-
dite; elles travaillent assiduement dans leurs maisons; elles
ont cependant besoin de distractions ! »
BERNADOTIE.
Nous allons tracer la conduite et les principales actions
d'un guerrier qui , sorti des rangs des armées françaises ,
est venu se placer, par la seule impulsion de son mérite ,
sur les marches du trône des Wasa , trône sur lequel , de-
puis la mort de Charles XIII, il siège avec gloire.
L'iiistoire a ses hyperboles comme le roman ses fictions.
Le biographe se plait à relever les qualités et à faire éclater
d'un plus grand jour les vertus de son héros. Les auteurs
même qui travaillent à l'histoire générale ne sont pas tou-
jours exempts de ce défaut ; ils aiment à einbellir leurs ou-
vrages aux dépens de la vérité. Nous nous sommes efforcés
de nous garantir d'une telle illusion ; la vérité la dédaigne,
et n'en a pas besoin pour faire ressortir les grandes choses
faites par l'homme célèbre qui est l'objet de cet article.
Bernadotte (Jean -Baptiste -Jules), aujourd'hui roi de
Suède et de Norwége, sous le nom de Charles XIV (Jean),
est né à Pau , en Béarn , le 26 janvier 4704 , d'une respec-
table famille de robe. A l'âge de seize ans , son inclination
pour les armes le porta à interrompre ses éludes , pour en-
trer, comme simple soldat, au régiment do Royal -Ma-
rine (i). C'est dans ce régiment qu'il fil ses premières ar-
mes. Bernadotte était dans l'Inde à l'époque de la prise de
Pondichéry. De retour en Europe , il suivit son draiieau
en Corse. Partout lise fil (iislinguer; mais la paix n'offrant
aucun aliment à l'ardeur d'un jeune homme qui semblait
né pour la guerre, il avaii pris la résolution de quitter le
service pour le barreau. Toutefois , un de ces instincts im-
périeux qui ont conduit si rapidement tant d'hommes su-
périeurs, à la gloire, le retint sous les armes. Il n'était que
sergent en 1789; mais alors les circonstances donnèrent au
génie et aux talens de Bernadotte un essor qui fonda sa re-
nommée. Il monta de grade en grade , et en 4792, il fnt
nommé colonel, et envoyé à l'armée cie Custines.
On sait qu'à (îetle époque, l'insubordination se manifes-
tait souvent dans nos armées : un jour, Bernadotte apprend
que des soldats , après avoir assassiné un de leurs généraux,
se vantaient de leur crime ; son indignation est à son com -
ble, mais elle n'est point partagée par les troupes, qui
oseiit applaudir à ce meurtre. Alors, il les fait ranger
en bataille , et , avec cette éloquence militaire qui lui est si
naturelle, il dépeint l'horreur du crime qu'on a commis, et
les suites funestes qui pouvaient en résulter pour toute l'ar-
mée. La fureur (ju'il exciie contre les coupables est telle ,
qu'un cri universel se fait entendre pour réclamer leur
punition ; la troupe demande même à marcher contre eux
et à en faire un exemple. Tel était l'ascendant irrésistible
que Bernadotte avait pris sur le soldat , et son respect
pour la subordination , la première de toutes les vertus
militaires. — Voici un autre trait du même genre : quel-
ques grenadiers d'un régiment que commandait le général
Marceau s'élant livrés à des excès contre leurs supérieurs
immédiats , leur chef voulut les faire arrêter. Cet ordre fut
le signal d'une révolte; ces furieux sejeièrent sur Mar-
ceau, qu'ils entraînèrent avec eux. Bernadotte sortait de
son camp: aussitôt il tire son sabre et fond sur cette troupe,
en lui reprochant sa lâcheté. L'indignation qu'il manifesta,
et surtout l'action courageuse qui l'accompagna, frappèrent
les grenadiers d'une espèce de terreur; les uns prirent la
fuite; les autres, intimidés, demandèrent leur pardon et
la punition des chefs de la révolte.
(i) Uo compatriote et ancien camarade de Bernadotte raconte
qu'allant en semestre à Pau , il rencontra ce dernier qui venait
joindre le régiment ; qu'ils changèrent leurs habit» , et qu'il dit en
passant l'uniforme à son nouveau compagnon d'armes : Va , je te
fais maréchal de France. Ce compatriote était loin de se croire
prophète, et de penser qu'il y eût sous cet h^bit un roi de Suède.
mi
MAGASIN UNIVERSEL.
Ses premières campagnes sur le Rhin lui méritèrent l'es-
time et la recommanda lion du général Custines. Il servit
ensuite sons Kléber, qui, en 1793, obtint pour lui le grade
de général de brigade. Il se trouva à la bataille de Fleurus,
gagnée par les Français le 26jiiin<79-5 , et participa par son
courage au succès de cette glorieus«ijournée. En 1797, le
directoire ordonna le départ de vingt mille hommes de
l'armée de Sambre-et-Meuse pour celle d'Italie , à la tôle
( Bernadolle , roi de Suède. )
desquels il mit Bernadotte. Celui-ci , après avoir rassemblé
les troupes à Metz , fit un règlement de discipline, et se mit
en marche. Depuis Metz jusqu'à Dijon, l'ordre fut parfait:
près de cette dernière ville , il s'éleva une rixe entre trois
soldats et des paysans ; un de ces derniers fut atteint d'un
coup de feu; une patrouille qui survint arrêta les soldats,
qui furent aussitôt jugés et punis par un conseil de guerre.
Ayant ensuite rassemblé ses troupes sur la place d'armes de
Dijon, il les harangua pour leur rappeler leurs obligations
envers les citoyens, Bernadotte, à cettcépo que, était
peu fortuné; cependant il donna 800 fr. à la famille du
paysan qui avait perdu la vie , et lui fit remettre environ
4200 fr. par le payeur de l'armée, sur sa responsabilité; il
fit plus , il ouvrit une souscription parmi les officiers , qui
s'éleva à près de 3000 fr.
A l'armée d'Italie , il marqua sa présence par la prise
de l'importante forteresse de Gradisca et de la ville de
Venise. Si nous décrivions toutes les actions où Bernadotte
se signala dans cette armée, un volume ne suffirait pas.
Après la révolution du 50 prairial an VII (49 juin 4799),
il fut nommé ministre de la guerre. A son entrée au cabi-
net , il trouva tout dans la confusion : il avait à lutter con-
tre les plus grands obstacles, au milieu des désastres de nos
armées , des déprédations et des embarras d'un gouverne-
ment désorganisé. L'armée d'Italie avait été forcée d'aban-
donner toutes ses positions; l'artillerie était perdue ou
prise ; les places fortes étaient tombées au pouvoir de l'en-
nemi. L'armée qui menaçait Vienne deux ans auparavant,
retranchée sur les Apennins liguriens, était sans munitions
et sans vivres. La chaîne des Alpes était occupée par l'en-
nemi ; une partie des départemens des Hautes-Alpes et du
Mont-Blanc était menacée. L'IIelvétie, jusqu'à Zurich,, était
aux Autrichiens; le Bas-Rhin était dégarni de troupes;
l'armée en Hollande était réduite à quinze mille hommes.
Ajoutez la Belgique sans défense , les pUces fortes du Nord
, mal approvisionnées , les côtes de la France dépourvues dj
soldats , la Vendée recommençant à s'agiter, et la discordf
dans le midi ; tel était le tableau que présentait alors la r6
publique.
Quant aux finances, elles offraient une situation non
moins alarmante : la paye des troupes suspendue pendant
six mois ; un entier dénuement d'armes , d'habits et d'équi-
pemens; les hôpitaux remplis de soldats nus et affamés; la
famine dans les camps; enfin l'épuisement du trésor pu-
blic.
A de si grarids maux quels remèdes à opposer? Il y avait
de quoi rebuter la volonté la plus ferme et le courage le
plus éprouvé; et cependant Bernadotte ne désespéra point
de la république. Le premier jour de son ministère, il dit
à plusieurs membres du corps législatif ces paroles remar-
qHa])les : Nous aurons encore d-sux mois de revers; dans
quatre mois , nous serons au cœur de l'Allemagne.
Bernadotte tint parole ; et s'il ne remplit pas lui-môme cette
promesse , c'est qu'une intrigue l'éloigna du pouvoir. Mais
il avait pris des mesures si excellentes, que son successeur
au ministère de la guerre dit au directoire, en lui présen-
tant les drapeaux enlevés à l'ennemi : « Je ne puis m'attri-
« huer aucune part dans ces victoires , car elles ont été prê-
te parées par mon prédécesseur. »
Après avoir vécu quelque temps à la campagne dans une
profonde retraite, il fut nommé , par le gouvernement con-
sulaire , consciller-d'Etat et général en chef de l'armée de
l'Ouest. Il battit en plusieurs rencontres les royalistes
insurgés, et empêcha, le 16 mai 1800, le débarquement
des Anglais à Quiberon. Ces importans services n'empêchè-
rent pas que, l'année suivante, il fût disgracié , exilé, et
faillit passer à un conseil de guerre. Mais Joseph Bonaparte
intervint en sa faveur; Napoléon oublia, et, le 19 mai,
Bernadotte fut élevé à la dignité de maréchal de l'empire.
Il remplaça le maiéchal Mortier dans le commandement
de l'armée de Hanovre, et fut nommé, peu de temps
après, chef de la huitième cohorte de la Légion d'Hon-
neur. En 1805, le département des Hautes-Pyrénées l'élut
candidat au sénat conservateur, et , à la même épo((ue ,
il reçut les ordres prussiens de l' Aigle-Noir et de l'Aigle-
Rouge, et la grand'croix de celui de Saint-Hubert de
Bavière.
A la bataille d' A usterlitz, Bernadotte forma avec ses
braves le premier corps de l'armée , et enfonça le centre
de l'armée russe. A la suite de cette campagne, en 1806,
l'empereur conféra au maréchal Bernadotte la souve-
raineté de Ponte-Corvo , avec le titre de prince et duc.
Après la bataille d'Iéna , le général Blucher s'élant sé-
paré de la ligne d'opérations avec les différens corps qu'il
était parvenu à rallier, le prince de Ponte-Corvo fut chargé
de le poursuivre avec son corps et ceux de Murât et Soult.
Il l'atteignit plusieurs fois, mais le général prussien battit
en retraite jusqu'à Lubeck, où il s'enferma. Bernadotte y
arrive sur ses pas le 6 novenibre , l'attaque , emporte i
d'assaut l'une des portes de la ville défendue par une artil-
lerie formidable, et le poursuit jusqu'au village de Badkan.
Le lendemain, le général Blucher capitula, et le prince de
Ponte-Corvo envoya à l'empereur soixante-quatre drapeaux
tombés en son pouvoir. Bientôt après, il livra aux Busses
un brillant combat près de Morungen, en Pologne; le 5 '
juin, il repoussa leur attaque contre le pont de S|»anden, et *
leur causa une perte considérable. Dans celte dernière af-
faire, Bernadotte fut blessé d'un coup de feu à la tête; il
continua néanmoins à commander , mais , peu d'heures
après, la fièvre survint et le força de quitter son corps
d'armée, regretté, comme un père, de sa nombreuse "
famille.
{La suite à un prochain numéro.) '
Les Bureaux ^Abonnement et de Vente sont transférés rue de
Seine-Saint-Germain , 9,
il)
MAGASIN UNIVEIiSEL.
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MARTIN LUTHER.
( Chambre de Luther à Erfurt.)
Dans l'année < 505, un jeune homme de vingt et un ans, i fait naître les plus grandes espérances. Son imagination,
entrait au couvent des Auguslinsd'Erfurt, malgré les priè-
res et les exhortations pressantes de ses parens ; c'était
Martin Luther d'Eisleben , maître en philosophie depuis
quelques mois , et dont l'esprit vif et pénétrant avait déjà
Tome II. — Décembre i834.
prompte à s'enflammer, venait d'être frappée de la mort im-
prévue d'un de ses amis tué à sescôtés par un coup de tonnerre,
et ses tristes réflexions lui avaient fait prendre une résolu-
tion irrévocable. Assisdans cette cellule, restée même
H
82
MAGASIN UNIVERSEL.
aujourd'hui l'objet d'un religieux respect , et où l'on a con-
servé sa table, son encrier et tout ce qui lui a appartenu ,
Luther , s'ignorant encore , s'abandonnait à une mélancolie
profonde qui ne lui permettait de contempler d'autres idées
que celles des jugemens célestes; il n'en fut guéri que par
l'étude des langues mortes, qui appliqua sa vague inquiétude
à des objets positifs et précis. Le vicaire-général des augus-
tins, Staupitz, reconnaissant des talens au jeune moine, le
prit en affection et l'envoya à Rome pour des affaires de
l'ordi-e ; là le luxe et la mollesse du grand monde lui inspi-
rèrent, dit-on, de violentes préventions contre le chef de
l'Église et toute sa cour. Cependant dans les premiers
temps sa conduite ne le fit point voir , car à son retour en
Saxe , il obtint une chaire de théologie dans l'université de
Wittemberg , et après s'y être montré partisan outré de
l'autorité pontificale, il déclara qu'il serait le premier à pqr-
ter des bîiclies pour faire brûler Erasme, qui avait osé atta-
quer la messe et le célibat ecclésiastique; bientôt, toute-
fois, il se laissa entraîner dans une route nouvelle, et passa
peu à peu à une haine toujours croissante pour les prati-
ques de l'Eglise. La fameuse querelle des indulgences
allait lui fournir un aUmènt de plus. Léon X , pour subve-
nir aux dépenses que nécessitait la construction de la basi-
lique de Saint-Pierre , résolut d'avoir recours à un moyen
souvent employé par ses prédécesseurs, la vente des indul-
gences ; les dominicains en furent chargés à l'exclusion des
augustins qui avaient joui jusque là de ce privilège. Luther
monte en chaire pour défendre les intérêts de son ordre; il
commence par flétrir l'abus dont quelques hommes se sont
rendus coupables; puis il va plus loin, et publie un pro-
granune renfermant quatre-vingt-quinze propositions où il
combat directement les indulgences en elles-mêmes; les
dominicains, armés des foudres de l'inquisition , font brûler
les éci ils de letu* antagoniste dont les disciples usent de
représailles en livrant la réplique du moine Tetzel aux
flammes. C'est une déclaration de guerre; une foule de
livôologiens se mêlent de la dispute; Luther relève habile-
. ment les exagérations de ses adversaires sur l'autorité du
pape, et tandis qu'il écrit au souverain pontife des lettres
soumises et respectueuses pour le supplier de ne point se
laisser prévenir par ses ennemis, il l'attaque sourdement.
Celte première étincelle alluma bientôt un vaste incendie.
On a dit qu'avec un chapeau de cardinal, on eût fait dis-
paraître le réformateur; celte opinion est peut être hasardée.
Luther avait une ame d'une trempe forte et vigoureuse ;
ennemi des demi-mesures , il ne connaissait pas le doute, et
ne le souffrait pas chez les autres; infatigable au travail ,
audacieux dans l'attaque , intrépide dans la défense , étran-
ger aux concessions que l'éducation et l'usage du monde
inspirent, dur pour les autres comme pour lui-même, il
avait toutes les qualités requises pour devenir l'apôtre fana-
tique de la nouvelle secte.
Léon X , éclairé trop tard sur le danger des propositions
du novateur, ne peut, ni par ses averlissemens, ni par ceux
du cardinal Cajetan , obtenir un desaveu. Il les condamne
comme scandaleuses et contraires aux bonnes mœurs,
déclare leur auteur hérétique obstiné, livre son corps à Satan,
et ordonne aux princes de le saisir et de le punir de ses cri-
mes ; cette bulle est reçue avec indignation par quelques
villes d'Allemagne, et Luther, après en avoir appelé du
pape mal informé au pape mieux inforvnè , rompt ouver-
tement avec la cour de Rome , et brûle solennellement sur
la place de Wittemberg la bulle de condamnation et les
volumes du droit canonique.
Fort de l'appui de l'électeur de Saxe , il écrit à Fran-
çois I*"" et à Charles-Quint pour les éclairer ; il s'attache
aussi à gagner le peuple , et pour lui plaire ne garde ni
mesure ni décence. Les injures grossières , les plaisanteries
amères , les sales quolibets que les poètes de l'ancienne
comédie mettent dans la bouche des valets, se reprodui-
sent sous sa plume , et s'appliquent sans distinction de
rang ni d'état à tous ceux qu'il redoute. Il appelle les pré-
lats , des loups dévorans , les moines des pharisiens et des
sépulcres blanchis ; nos lecteurs auront peine à comprendre
la manière dont il traite ses adversaires , et surtout le pape :
« Petit pape, petit j)apelin, vous êtes un âne, un dnon,
et encore, un âne sait qu'il est un âne, une pierre sait
qu'cl/e est pierre , mais ces petits ânons de papes ne savent
pas qu'ils so^H ânons. » De telles invectives ne révoltaient
pas les esprits grossiers de ces temps. Luther , avec ce style
barbare , triomphait dans son pays de toute la politesse
romaine.
Cependant quelques petits princes d'Allemagne s'étaient
fait un prétexte de ces nouveautés pour leurs inlérêls par-
ticuliers ; on vit en peu de temps l'embrasement se répan-
dre dans la plupart des états du nord ; la France même
n'en fut pas tout à fait à l'abri.
Charles V , ayant à ménager le pape pour ses desseins en
Italie , voulut satisfaire les légats du pontife qui deman-
daient la condamnation de Luther comme déjà excommunié
et jugé hérétique; il fut cité à la diète de Worms (4S2I )
afin d'y déclarer nettement s'il renonçait ou non à ses
opinions ; muni d'un sauf-conduii de l'empereur , le réfor-
mateur n'hésita pas à s'y rendre; ses amis lui rappelaient
le sort de Jean Huss. Je suis sommé légalement de compa-
raître à Worms, répondit-il, et je m'y rendrai au nom du
Seigneur, dussé-je voir conjurés contre moi autant de
diables qu'il y a de tuiles sur les toits. Et celui qui deux
ans auparavant n'avait pas pu se procurer un cheval de
louage pouraller à Augsbourg, devenuil'apôtre d'une partie
considérable de l'Allemagne , se fit alors escorter par cent
gentilshommes armés de toutes pièces. Son entrée à
Worms eut l'air d'un triomphe , il traversa les rues monté
sur un char au milieu d'un concours prodigieux que sa répu-
tation avait attiré. Introduit dans l'assemblée , il reconnut
ses ouvrages et offrit de les défendre dans une conférence
publique qui lui fut refusée. N'ayant point voulu se rétracter,
malgré les sollicitations des princes et des électeurs, et me-
nacé d'être mis au ban de l'empire, il quitta la ville. Peu de
jours après son départ, on publia qu'il était criminel endurci,
et on somma quiconque lui donnerait asile de se saisir de
lui. Charles V , pressé de le livrer comme Sigismond avait
livré Jean Huss , répondit : Je ne veux point avoir à rougir
comme Sigismond. Cependant ce prince se prononçait
contre la réforme. Son titre d'empereur et de premier
souverain de l'Europe, le constituait le défenseur de l'an
cienne foi. La nouvelle hérésie fut aussi condamnée en
France par l'université de Paris ; enfin le jeune roi d' A ngle-
terre Henri VIII , qui se disait théologien , écrivit un livre
contre Luther. Mais celui-ci trouva de zélés défenseurs
dans les princes allemands , et surtout dans l'électeur de
Saxe , qui paraît même l'awir mis en avant. Ce prince
avait été vicaire impérial dans l'interrègne qui avait pré-
cédé l'élection de Charles V, et c'est alors que Luther
avait osé brûler la bulle du pape. L'électeur de Saxe
voulant le préserver de ses propres emportemens, le fil
arrêter par des cavaliers masqués, comme il s'enfonça! i
dans la forêt de Thuringe en revenant de la dièie , cl le
cacha dans le château de Wartbourg, près d'Eisenach.
La suite à un prochain numéro.
LA FOIRE AUX FEMMES.
Dans une contrée élevée, à l'extrémité orientale de la
Hongrie, s'élève une montagne appelée Bihar. Ce coin
isolé n'est habité que par une race de pâtres d'origine va-
laque, à moitié sauvages, qui n'ont que peu de relations
avec le reste du monde, et demeurent étrangers à toute
civilisation.
Tous les ans, à la fête de Saint-Pierre, les Valaques du
Bihar se rendent dans la plaine de Kalinasa pour assister à
une foire où ils traitent d'affaires de tout genre , mais qui a
un intérêt particulier pour les jeunes gens des deux sexes ;
car il s'y conclut aussi des mariages, et on y choisit des
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femmes comme on y achète des meubles ou des denrées.
Tous les pères de famille y amènent leurs grandes filles
avec leur dot, entassées sur des charrettes ou à pied. Cette
dot se ressent de la pauvreté des montagnards , et se borne
à des pièces de bétail, des moulons , des porcs , des volail-
les. On n'oublie pas la parure des femmes , c'est-à-dire des
pièces de monnaie percées pour être attachées aux tresses de
cheveux. C'est avec cette suite que chaque fille qui veut un
mari s'achemine à la foire.
De leur côté , les garçons qui veulent se marier arrivent
à la foire revêtus de peauxde moulons. Leurs yeux hagards,
(jui snfliraient pour mettre en fuite toutes nos dames , font
alors l'inspection des jeunes filles que leurs parens ont ame-
nées. Chacun choisit selon son goût. Le choix fait, on s'a-
drt'sse aux parens, on demande ce qu'ils exigent, ce qu'ils
donnent, ce qu'ils ont apporté. On marchande, et si l'on
ne peut tomber d'accord, l'amateur passe à une aulre per-
sonne. Dans le cas coniraire, les deux parties se frappent
'!ans la main de manière à se faire entendre de tout le voi-
sinage : c'est un avis pour les concurrens que tout est con-
clu et que leurs vœux sont exaucés.
La famille entoure alors les deux fiancés : l'eau-de-vie se
verse à plein bord; on appelle le prêtre, et, sans désempa-
rer, celui-ci tire de sa poche le livre de prières, et prononce
la bénédiction.
Vient ensuite le moment de la séparation. La jeune
femme prend congé de sa famille , à laquelle elle n'appar-
tient déjà plus ; elle monte sur la charrette de son mari ,
qu'elle ne connaissait pas il y a peu d'heures , et , suivi de
ses troupeaux , elle est conduite dans la maison qui va être
la sienne, et où l'attendent des devoirs sur lesquels elle n'a
pas eu le temps de méditer.
Souvent, dès la première entrevue, le pouvoir du mari
se fait sentir, et quelquefois , à la foire même , il éclate des
rixes sanglantes entre les montagnards. Le gouverne-
ment hongrois cherclie depuis long-temps les moyens de
su,n[»rinier cette foire ; mais une défense contrarierait trop
les anciennes coutumes, et même les besoins de la peu-
plade pastorale de Bihar, pour qu'elle pût être efficace.
Aiis-si la foire continue-t-elle. On s'y marie, on s'y enivre,
on s'y bat; et pourtant tous les Valaques du pays soutien-
nent que c'est une fêle, superbe.
LA NOUVELLE-ORLEANS.
Quand vous descendez le cours du Mississipi , venant du
pays des Natchez ou de (pielque autre lieu de commerce de
l'intérieur , porté par une de ces nombreuses embarcations
qui vont et viennent sans cesse sur ce fleuve magnifique,
vous commencez à remarquer, à mesure que vous appro-
cliez de la Nouvelle-Orléans , les dévastations causées par
intervalles dans les campagnes riveraines par les déborde-
mens. Jusqu'à 150 milles au-dessus de celte ville, les plan-
leurs voisins ont été obligés d'encaisser la rivière, en for-
mant une immense levée de six à dix pieds au-dessus du
rivage naturel. Celte levée continue des deux côtés de l'eau
jusqu'au-dessous de la Nouvelle-Orléans, aussi loin que les
plantations peuvent s'étendre. Au-delà de celle digue , vous
apercevez une vaste étendue de terrains bien cultivés et
divisés en belles plantations qui produisent des cannes. à
sucre et du riz en abondance.
Les habilpjLionsdes planteurs et les huttes des nègres réu-
nis en groupes nombreux forment unesuccession deconstruc-
tions non interrompue et d'un aspect singulier et frappant.
Les maisons des planteurs sont fort propres , quelques-unes
même magnifiques. Elles sont toutes entourées de bosquets
d'orangers et de jasmins , auxquels se mêlent la rose à mille
fleurs et d'autres arbustes touffus. Ce pays est assuré-
ment la partie la plus riche des Etats-Unis; il offre le coup
d'œil le plus enchanteur et le plus délicieux que l'imagina-
tion puisse se représenter, Derrière ces cultures on voit
d'épaisses forêts d'arbres verts ou des terrains unis et maré-
cageux qui s'étendent aussi loin que l'œil peut atteindre j
les chênes et les cyprès qui croissent sur leur surface inter-
rompent seuls la monotonie de leur aspect.
A 3S lieues au-dessous de l'embouchure du Mississipi , est
située la Nouvelle-Orléans , cette grande capitale maritime
de la vallée du Mississipi. Elle est bâtie dans une position
fort commode , sur la rive nord du fleuve. Sa fondation
remonte à 4719, et sa population fixe s'élève aujourd'hui
à environ 50 mille âmes; une popiilalion mouvante de
25 mille âmes s'y réunit , en outre , pendant l'hiver , qui est
la saison des échanges. Quand on monte sur la levée, et
qu'on suit de l'œil tout le cours du fleuve, ou voit au-
dessus et au-dessous de la ville le rivage bordé d'une mul-
titude de grands bateaux plaLs descendus de tous les pohits
supérieurs de la vallée. Les uns sont chargés de fiuine , de
grains , de comestibles de toute espèce ; les autres portent du
gros bétail , des porcs , des chevaux , des mules. Quelques-
uns ont des marchandises d'exportation ; on en voit qui
sont chargés de nègres ou de wisky, cette boisson enivrante
source de tant de maux.
Dans le bas de la rivière vous voyez une forêt de mâts,
tandis que dans la partie supérieure 20 à 30 bateaux à va-
peur sont rangés le long de la levée ou mêlés aux bateaux
plats des pays du nord ; chaque jour on en voit quelques-
uns arriver et d'autres partir pour aller faire le commerce
à 500, à 600 lieues, à St,-Louis , à Louisville , à Nashville ,
à Pittsbourg et en cent autres lieux , car les dislances ne
sont comptées pour rien dans ce pays; les machines à
vapeur les font disparaître. Chaque jour s'offre aux yeux le
spectacle d'une flolle tout entière remontant le fleuvesans le
secours d'une seule voile ni d'une rame, marchant avec
vitesse à la suite d'un bateau remorqueur d'une force
redoutable. Je restai stupéfait la première fois que je fus
témoin de ce spectacle. C'était le Grampus, le Purpoise ou
le Requin , reuiorquant deux grands navires attaches à ses
flancs avec des grappins , plus deux ou trois bricks suivant
derrière à la portée d'une encablure , et plus loin encore
un où deux schooners et deux ou trois sloops ! Toute cette
flotte s'avançait majestueusement.
Que si vous jetez les yeux vers la ville , un autre tableau
vous attend. D'un côté c'est le négociant , à l'air empressé
et soucieux , faisant charger ou décharger son coton , son
sucre , ses mélasses , son tabac , son café , ses caisses de
marchandises qui couvrent à la ronde un large espace du
quai. Tout le long du rivage sont les maîtres des baleaux
plat^ du haut pays,' occupés à traiter avec les boutiquiers
de la ville. De longues files d'Anglais çt d'Américains ven-
dent en détail toutes ces petites denrées qui peuvent se
transporter à bras ou dans des paniers. D'un autre côté, et
surtout vers la partie du quai qui longe la halle, c'est une
foule de négresses ou de quarteronnes portant chacune sur
leur tête toute une table couverte de gâteaux , de pommes ,
d'oranges, de figues, de bananes ou détruits de plantain,
de pommes de pain , de noix de cocotier , etc. Si vous par-
courez la ville , où tout annonce des progrès lapides , vous
verrez le moulin à scier , les macliines à presser le coton ,
mues par la vap'îur, la halle, le palais des états, édifice
d'un style antique , des hôtels , des théâtres , la cathédrale ,
la prison, l'hospice de la Charité, et enfin la dernière statiou
de tout voyage ici-bas , l'asile où reposent les anciens habi-
tans de cette cité maintenant si pleine de vie , d'activité , ds
plaisirs. Tout homme réfléchi ne peut voir sans intérêt les
cimetières catholique et protestant couverts de mausolées
élégans, dont quelques-uns ont plusieurs pieds d'élévation ,
les uns isolés, les autres groupés dans ces enceintes paisibles.
La population de la Nouvelle-Orléans est très mélangée.
Une grande partie des habitans parlent français , à cause
de l'origine française delà colonie; quelques-uns parlent
espagnol et d'autres anglais. Ceux qui parlent français sonl,
en général , catholiques : ils forment , sous le rapport du
caractère et des manières , une [)opulalion intéressante par
«4
MAGASIN UNIVERSEL.
sa politesse et son affabilité ; de pins , leurs habitudes sont I sujet , obtînt tout ce qu'il demandait. Le mariage fut arrêté ,
lioiuiêtes , frugales et inoffensives. Quant aux Américains
ctal>iis dans ce pays , ils s'adonnent tout entiers à leur
objet exclusif, celui de s'enrichir. Ainsi que toutes les
grandes villes, celle-ci renfernie une classe de peuple
abrutie. Mais la population permanente offre tous les carac-
tères d'une vive intelligence. Plusieurs journaux quotidiens
se publient à la Nouvelle-Orléans; leur rédaction n'est pas
ut'i>ourvue de talent.
On a beaucoup reproché le vice d'intempérance aux
hal)itaus de cette ville; un tel reproche ne doit s'appliquer
(ju'à ces honnnes du nord, à demi sauvages, qui mènent
une vie vagabonde et ne subsistent que d'un travail dur et
grossier ; encore ceux-là même ont-ils subi , dans ces der-
niers temps, une certaine réforme, et il est à remarquer
«pie celte j-éforme a été la suite de l'introduction des machi-
nes à vapeur qui, en les dispensant d'une partie de leurs
laligans travaux , leur ont laissé moins d'excuses pour cher-
cher des déJonunagemens dans l'usage des liqueurs en-
ivrantes.
Tel est , en raccourci , le tableau de la Nouvelle-Orléans,
aujourd'hui place de grand commerce , qui ne peut man-
quer de trouver de nouveaux moyens d'accroissement et de
spleiuleur dans son heureuse situation à l'ouverture de la
grande vallée du fllississipi, au centre de l'Amérique sep-
iciilrionale, et qui, par tous ces motifs, sera toujours
regardée connue la ca[ùlale du midi des États-Unis.
MARIAGE DE HENRI IV
J^T VE UMilli DU MÉUICIS.
Henri IV était en guerre avec le duc de Savoie , au sujet
du marquisat de Saluées , pendant qtie se négociait son
mariage avec Hlarie de Méclicis , princesse de Florence.
Celle ncgocialion, f|ui ne pouvait que faire fort grand
plaisir au pape, ne fut pas inutile au roi pour empêcher le
iSaint Père de s'intéresser pour le duc(^). D'Alincourt, qui
était celui que Sa Majesté avait envoyé à Rome pour ce
(i) Nous empruntons ces parlicularitcs aux lHémories de
Sully ■■ nom en avons cousi-rvé le style original autant qu'il nous
a été possible, en débariassantle récit de toutes les circouitances
etrangnrcn au s'ijct de cet article.
et il ne s'agissait plus que d'envoyer à Florence une per-
sonne qui pût l'accomplir par procureur. Bellegarde solli-
cita fort cet honneur, mais il ne put obtenir que d'être
porteur de la procuration, qui le déférait au duc de Flo-
rence.
Pendant que celte cérémonie s'exécutait à Florence,
Henri croyait ne devoir paraître occupé que de ballets, de
comédies et de fêles.
Peu de temps après, Marie de Médicis arriva à Lyon.
Le roi ne l'eut pas plus lot appris, qu'il quitta ses quartiers
de guerre, et s'y achemina par un temps extrêmement
pluvieux, courant en poste avec une grande partie des sei-
gneurs de sa cour. Il était onze heures du soir lorsqu'ils
arrivèrent au bout du pont.de Lyon, et ils y attendirent
une heure entière qu'on vînt leur ouvrir, pénétrés de froid
et de pluie , parce que le roi, pour le plaisir de surprendre
la reine, ne voulut point se nommer; ils ne s'étaient point
encore vus l'un l'autre. Les cérémonies de mariage se iirenl
sans aucune pompe. (Novembre 4C00.)
La reine ne prit pas incontinent après la route de Paris.
Elle visita plusieurs villes de France. Elle menait avec elle
don Joan , son oncle , et Virgile Ursin , son cousin. Plusieurs
autres Italiens et Italiennes étaient à sa suite, entre autres
un jeune homme nommé Concini, et une fille nommée
Léonore Galigal, qui jouèrent dans la suite un grand rôle (I ).
« Je la précédai à Paris de huit jours, dit Sully, pour y fane
ordonner la cérémonie de son entrée, qui fut des plus
magnifiques en toutes manières. Le lendemain, le roi
l'emmena dîner, avec toute sa cour, chez moi à l'Arsenal.
Elle était suivie de toutes ses filles italiennes , qui , trouvant
le vin d'Arbois fort de leur goiit , en burent un peu plus
que de besoin. J'avais d'excellent vin blanc, et aussi clair
qu'eau de roche ; j'en fis remplir les aiguières, et lorsqu'elles
demandaient de l'eau pour tremper le vin de Bourgogne,
ce fut celte liqueur qu'on leur présenta. Le roi, les voyant
de si bonne humeur, se douta que je leur avais joué pièce.
La conjoncture du mariage du roi fit qu'on ne parla pen-
dant tout l'hiver que de parties de plaisir. »
La cérémonie du sacre de la reine fut différée fort long-
temps. Neuf années s'écoulèrent sans qu'il en fiit question :
vainement Marie de Médicis témoignait au roi le désir
d'êlre couronnée solennellement : Henri s'y opposait tou-
jours. La discorde qui souvent divisa les deux époux était
la principale cause de la résistance du roi. Enfin , il fut
arrêté que le sacre aurait lieu , le i5 février IGIO, à Saint-
Denis. Les cérémonies eurent lieu en effet , mais elles ne
fiu'cnt point terminées ce jour-là : le lendemain étant un
vendredi , on suspendît les fêtes. Le roi vint à Paris , et il
se rendail en voilure à l'Arsenal, lorsqu'il fut assassiné par
Ravaillac dans la rue de la Féronnerie.
DES EGAILLES.
Dans les poissons , on désigne sous le nom d'écaillés tou-
tes les plaques solides dont la peau de certains animaux est
recouverte. Le plus communément elles sont imbriquées,
c'est-à-dire disposées en recouvrement les imes au-dessus
des autres, comme les ardoises des toits de nos maisons.
Elles sont rarement adhérentes entr'elles : chez quelques
espèces néanmoins elles sont serrées et unies de manière à
ne former qu'une seule pièce , qu'on appelle cuirasse. Une
élude superficielle avait fait croire que quelques poissons
étaient entièrement privés d'écaillés; des naturalistes en
avaient refusé au Cépole ïœnia, au Rémora, à l'Ammo-
dyte, à l'Anguille et à l'Anarrhique; mais en examinant
avec plus d'allenlion , on a reconnu l'existence des écailles
dans la poussière brillante qui se détache du corps de ces
. (i) Léonore Dori, dite Galigaï, épousa Concino Concini. qtii
devint mai échal Ae France , et prit le nom de maréchal d'Ancre.
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animaux, lorsque sa t>ean , qui les recouvre, a été dessé-
cliée.
La manière de vivre et la forme de chaque espèce de
poissons influent ordinairement sur la poskion des écailles.
Elles sont à découvert et retenues par de minces vaisseaux
chez les poissons qui nagent ordinairement dans de grands
fonds , et ne sont , par conséquent , exposés à aucun frois-
sement contre les rochers ou les plantes marines. Elles sont
adhérentes et recouvertes par la peau chez ceux qui vivent
près des rivages, et qui, ne s'éloignant que rarement des
bords , semblent faits pour vivre dans la vase où des chocs
norjibreux détacheraient ou déchireraient des écailles moins
solidement assurées.
C'est à leurs écailles que les poissons doivent l'éclat de
leur brillante peau ; ce sont ces lames qui sont enrichies des
couleurs métalliques les plus variées et qui , tantôt arrau -
gées symétriquement, tantôt disposées sans ordre, reflètent,
à la surface des eaux , toutes les nuances des pierres jné-
cieuses , toutes les ondulations étincelantes du soleil- Les
poissons ne conservent leur teinte que tant qu'ils sont dans
l'eau ; hors de ce fluide , leur vie s'affaiblit , la couleur de
leurs écailles se fane, s'altère, et souvent même disparait
entièrement. Vivans , les poissons changent quelquefois
subitement de couleur : ce phénomène parait appartenir
chez eux, comme chez les caméléons , aux transitions brus-
ques d'une température à une autre, ou à des mouvemens
particuliers de leur circulation sanguine.
On trouve encore des écailles à la surface du corps de la
plupart des reptiles j les dimensions , le nombre et les for-
mes de ces plaques cornées varient presque dans chaque
espèce, et ne fournissent que des caractères de distinction
fort incertaines; car, non seulement ces écailles ne sont pas
constantes dans tous les individus, mais elles dépendent
souvent de l'âge, d'une difformité ou d'une circonstance
locale.
Parmi les reptiles , ceux dont les écailles offrent le plus
d'intérêt , ce sont les tortues , dont la carapace est recou-
verte de grandes plaques cornées , plus ou moins épaisses ,
substance qu'on trouve dans le commerce sous le nom
d'écaUle, et qu'on emploie dans les arts à une foule d'usages.
Celle écaille est principalement recueillie dans les mers
d'Asie et d'Afrique : elle se présente sous trois couleurs
différentes, la blonde, la brune et la noirâtre; quelquefois
elle est jaspée , souvent elle est demi-transparente. L'écaillé
est fragile et fusible par l'action du feu; on a tiré parti de
cette dernière circonstance pour en souder plusieurs pièces
ensemble, pour la mouler, la redresser, etc.
La préparation de l'écaillé pouvant présentait un certain
intérêt à nos lecteurs , nous entrerons dans quelques détails
à ce sujet : —
Les feuilles a' écaille sont ordinairement bombées sur les
surfaces ; c'est pourquoi la première chose à faire , pour les
rendre propres ù être employées , est de les redresser; ce
qui se fait de la manière suivante :
Après avoir fait choix des feuilles qu'on veut redresser,
on fait chauffer del'eau dans un chaudron, ou dans tout autre
vase découvert et capable de contenir les feuilles d'écaillç
sans qu'elles touchent aux bords du vaisseau , de crainte
que la chaleur de ce dernier ne les brûle.
Quand l'eau est bouillante, on y trempe les feuilles d'é-
caille , et on les y laisse séjourner jusqu'à ce qu'elles soient
suflisamment amollies , ce qu'on connaît en retirant une
feuille avec des pinces ou même avec les doigts ; car l'é-
caille perd sa chaleur très promptement : si, elle ploie
facilement par son propre poids, c'est un signe cer-
tain qu'elle est amollie au degré nécessaire ; alors on a une
petite presse de la grandeur de la plus grande feuille d'é-
caille ; dans celte presse on met les feuilles ainsi amollies
en ayant soin , s'il yen a plusieurs , de mellre entre chacune
d'elles des plaques de fer ou de cuivre d'environ deux lignes
d'épaisseur, bien droites sur leurs surfaces, et qu'on a soin
de faire chauffer d'avance , afin de conserver plus long-
temps aux feuilles d'écaillé la ductilité qu'elles viennent
d'acquérir par l'action de l'eau bouillante.
Quand les feuilles d'écaillé sont par trop bombées , et
qu'on craittt qu'elles ne se prêtent pas assez à l'aclion de la
"^^
Écaille de sole.
presse , soit par rapport à leur bombage, soit parce qu'elles
refroidissent trop vile , il faut, lorsqu'on a mis deux ou (rois
fouilles dans la presse , serrer médiocrement cette dernière,
la plonger dans l'eau bouillante pour ramollir l'écaillé;
après quoi , on achève de serrer la presse , et on la relire
de l'eau pour laisser refroidir peu à peu, ce qui vaut mieux
que de la tremper dans de l'eau froide, qui saisit trop vile
l'écaillé, et la rend plus cassante et plus sujette à se déjeter.
V Quand l'écaillé est totalement refroidie , on la retire de
dessous la presse ; alors elle se trouve parfaitement droite,
et conserve toujours cette nouvelle forme, pourvu qu'on ne
la trempe plus dans l'eau bouillante , car elle deviendrait
courbe comme auparavant.
Il faut aussi faire attention que l'écaillé s'étend et se di-
late à l'eau chaude , mais «pi' elle se relire en se refroidissant ;
c'est pourquoi , quand on la contourne dans des moules , il
faut que ces derniers soient un peu plus grands que le mo-
dèle dont on veut reproduire la ligure, atin de laisser à l'é-
caillele temps de se dilater librement.
Les ébénistes , pour redresser l'écaillé , se contentent de
la mettre , au sortir de l'eau chaude , entre des planches
d'environ un pouce d'épaisseur, et de les serrer avec un ou
deux valets.
Mais cette méthode n'est pas bonne, parce que, pour
peu que l'écaillé ne soit i)as assez chaude , on s'expose à la
faire casser; ou, supposé qu'elie prêle à un médiocre degré
de chaleur , elle ne reste [)as droite quand on l'ôte de des-
sous les valets, ce qui oblige de recommencer l'opération.
C'est pourtiuoi il vaut mieux faire usage d'une presse et de
fers chauds, comme on l'a dit ci-dessus.
Quand on veut mouler ^e l'écaillé, on ne la met pas
toute droite dans le moule; mais, après l'avoir dressée et
mise d'épaisseur, on la trempe dans l'eau bouillante, et
quand elle est amollie, on commence par la ceintrer à la
main, à peu près selon la forme qu'elle doit avoir; ensuite
on la met dans le moule, et on place ce dernier dans la presse,
qu'on ne serre qu'autant qu'il est nécessaire pour empô-
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MAGASIN UNIVERSEL.
cher l'écailie de glisser ; cela fait , on trempe le tout dans
l'eau bouillante , et on serre la vis de la presse à mesure
qu'on s'aperçoit que i'écaille ne fait pas de résistance.
Quand le dessus du moule est descendu autant qu'il est
nécessaire , et que par conséquent l'écaillé a pris la forme
du moule, on relire la presse de l'eau , et on laisse refroi-
dir le tout ensemble.
Les moules dont on vient de parler sont ordinairement
faits de bois dur; ce qui est suffisant quand on n'a pas
beaucoup de pièces semblables à mouler.
Pour souder des plaques d'écaillé , ou taille en biseau les
deux morceaux que l'on veut réunir ; on met en contact
les deux sections inclinées, puis on les entoure d'une grande
quantité de papier, et on presse fortement celte ligne de
réunion avec une pince chaude. La chaleur met en fusion
la substance gélatineuse de chacun des bords accolés, et
leur adhérence est invariablement assurée.
PRUSSE.
Près du quart de la population de la Prusse est répartie
dans les villes , dont le nombre s'élève à mille vingt-et-une,
et parmi lesquelles vingt-six ont plus de dix mille habitans ;
le reste occupe deux cent quatre-vingt-douze bourgs et
trente-six mille sept cent quatre villages et hameaux.
La nation est divisée en cinq classes bien distinctes : les
nobles , les ecclésiastiques , les bourgeois , les militaires et
les paysans. Les nobles forment environ vingt mille famil-
les , les ecclésiastiques sont au nombre de près de cinquante
mille.
Les divers cultes jouissent en Prusse de la plus grande
liberté. Chaque citoyen est admissible à tous les emplois ,
quelle que soit d'ailleurs sa religion; mais celle de l'État
est le protestantisme , et l'on comprend sous ce nom la
confession d'Augsbourg et la communion réformée. Les
deux cultes y sont unis et presque confondus. Les habitans
qui les professent forment près des deux tiers de la popula-
tion, et le catholicisme est professé par plus d'un tiers de
ceile-ci. Les deux principaux cultes ont chacun leurs prélats
el leurs ministres. L'Église évangélique n'a que deux évo-
ques, l'un à Berlin et l'autre^à Kœnigsberg ; mais elle a ses
surintendans , ses archiprètres , ses inspecteurs, ses doyens,
ses prévôts et ses pasteurs. Chaque province et chaque cer-
cle a son synode ; il y a en outre un consistoire par pro-
vince , et Berlin est tous les cinq ans le siège d'un synode
général. L'Église catholique a deux archevêques , celui de
Cologne et cehii de Gnesen et Posen , et six évéchés , dont
les sièges sont, Breslau., Culm, Ermeland , Munster, Pa-
(lerl)orn et Trêves.
Le gouvernement prussien est une monarchie absolue ;
le pouvoir du souverain est à peine limité par les états pro-
vinciaux. Ces états , qui existent maintenant dans toute
La Prusse, n'ont presque aucune influence clans les af-
faires du gouvernement ; ils ne s'assemblent que pour ré-
gler ce (jui concerne la perception des contributions et les
caisses du crédit que possèdent plusieurs provinces. En gé-
néral, quoiqu'il n'y ait pas en Prusse de véritable liberté
poliliciue, on peut dire que la liberté civile y est tout aussi
respectée que dans les monarchies constitutionnelles.
Cet esprit de liberté, qui anime le public et qui se monfcre
dans tous les écrits, a commencé à dominer dans le code
prussien, publié en 4794, el qui régit encore le pays, à l'ex-
ception des provinces occidentales, dans lesquelles, à quel-
ques modifications près, on a conservé le code français. Le
code prussien consacre le système de la féodalité , qui règne
surtout dans les campagnes; mais il en interdit les abus, il
en allège le fardeau ; en un mot , il le régularise , ce qui était
beaucoup à l'époque où il fut promulgué , mais ce qui n'est
déjà plus en rapport avec les lumières qui se sont répandues
en Prusse. L'administration judiciaire se partage, en trois
degiés : le premier consiste en juridictions patrimoniales
pour les paysans, en justice urbaine et territoriale pour les
bourgeoii , et en quelques cours de baillages héréditaires
pour les nobles; le second degré comprend les cours supé-
rieures : il y en a une par régence ; le troisième degré ap-
partient à la cour suprême d'appel , qui siège à Berlin.
Le roi est assisté dans l'exercice du pouvoir législatif par
un conseil-d'élat composé de quinze membres. Le minis-
tère est divisé en neuf départeniens : 4 ° les affaires étran-
gères; 2° le trésor et le crédit national ; 3" la justice; 4° les
affaires ecclésiastiques , la médecine et l'instruction publi-
que ; 5» le commerce, l'industrie el l'agriculture; 6" l'inté-
rieur; 7" la police; 8" la guerre; 9° les finances. Chaque
province est administrée par un président supérieur , et
chaque cercle par un collège de régence et par des conseils
composés des employés supérieurs. Sur le pied de paix ,
l'armée est composée de cent vingl-deux nulle honmies ;
mais en temps de guerre, la Prusse peut mettre facilement
cinq cent mille hommes sous les armes. L'armée permanente
se compose de volontaires qui s'é(iuipeut et s'entrelieunent
à leurs frais pendant un an ; d'enrôlés volontaires soldés et
âgés de dix-sept à quarante ans ; d'une partie de la jeunesse
requise, de vingt à vingt-cinq ans; de vélcrans qui se
vouent au métier des armes au-delà du temps prescrit par
la loi; enfin des jeunes gens de famille qui sont nommés of-
ficiers après avoir subi des examens. La réserve comprend
les corps de la Landwehr, espèce de milice qui forme irente-
six régimens , et qui se divise en deux bans : tons les jeu-
nes gens qui n*ont pas servi pendant cinq années dans l'ar-
mée active font partie du premier ban juscju'à trente-deux
ans accomplis; le deuxième est formé d'honunes plus âgés.
En temps de paix, les deux bans restent dans leurs foyers,
où ils sont régulièrement instruits au métier des armes. En
cas de guerre , le premier ban est destiné à renforcer l'ar-
mée permanente , et le deuxième à former la garnis(»n des
places fortes , quelquefois même à compléter aussi les ca-
dres de l'armée. La landwehr se compose d'infanterie, de
cavalerie et d'artillerie. Dans les momens (ie danger inuni-
nent, le roi appelle à la défense du pays la levée en masse
des hommes de dix-sept à cinquante ans ; c'est ce que l'on
nomme la Landsturm. Tout citoyen prussien est astreint au
service militaire depuis vingt jusqu'à cinquante ans; mais il
n'est tenu à un service régulier que pendant les cinq pre-
mières années ; il ne passe même que trois ans sous les
drapeaux, après lesquels il est renvoyé, en temps (ie jiaix ,
dans ses foyers, d'où il ne sort que pour un service tem-
poraire, jusqu'à la cinquième année, après laquelle H est
inscrit sur les contrôles du second ban de la landwehr.
Les provinces sont divisées en huit circonscriptions terri-
toriales, qui fournissent chacune au recrutement d'tm corps
d'armée. Les remontes de la cavalerie ne coûtent rien à l'é-
tat : tout individu qui possède trois chevaux est tenu d'en
fournir un à l'escadron de son cercle ou canton. Si cette
réquisition ne suffit pas , les autorités locales obligent les
propriétaires fonciers de les fournir, ou se chargent elles-
mêmes de cette fourniture , qu'elles font payer ensuite aux
contribuables. Les seuls chevaux de cuirassiers sont ache-
tés à l'étranger, c'est-à-dire dans le Holstein el le Mecklen-
bourg. L'avancement dans l'armée n'a lieu ([ue par rang
d'ancienneté. Bien que la discipline avilissante instituée par
Frédéric-Guillaume ait été abolie en 4818, on infligeait
encore en 4832 la punition humiliante des laites; aujour-
d'hui celle-ci n'existe plus ; les autres sont la prison , k;s
arrêts et la corvée. Le contingent que la Prusse fournit à la
confédération germanique est de cent mille hommes.
Puissance entièrement militaire, la Prusse esl, après la
France, celle qui possède le plus grand nombre de places
de guerre. Les armes royales sont une aigle noire cou-
ronnée, portant le chiffre F. R. sur la poitrine. Le pavillon
prussien est noir et blanc, de manière que deux bandes noi-
res sont séparées par une îjande blanche. Le pavillon royal
esl blanc, avec l'aigle royale au milieu , et sur la parlie gau-
che du haut , est une croix de fer.
MAGASIN UNIVERSEL.
87
Le roi de Prusse n'a point de liste civile; l'état lui fait
une dotation. Ce souverain , le plus puissant de l'Allema-
gne après celui de l'Autriche, se plaît à éviter l'éclat qui
entoure la plupart des têtes couronnées. Cette simplicité n'a
point sa source dans une avare parcimonie, mais dans une
de long , et le papier en est aussi blanc et beaucoup plus
uni que le nôtre. Au lieu de colle, on y passe de l'alun , ce
qui, non-seulement l'empêche de boire, mais encore le renil
quelquefois si éclatant qu'il paraît argenté ou co\ivert de
vernis. Il est extrêmement doux sous la plume et plus
sage économie , et dans le caractère du prince , ennemi du encore sous le pinceau , qui demande un fond uni ; car, dès
faste et de la représentation. Le roi dîne à une heure, comme qu'il est raboteux , comme notre papier, les filets se sépa-
le simple citoyen , et tout excès co! 'vmni de sa table et de rent et les lettres ne sont jamais bien terminées. En général
la cour. Lorsqu'il sort , rien ne distingue sa voiture de celle le papier de Chine est de peu de durée ; il se coupe lacile-
d'un particulier; elle est attelée de deux chevaux seulement.
Lui-même est ordinairement habillé d'une simple redin-
gotte, sans aucune marque de sa haute dignité, et il tra-
verse le plus souvent les rues de Berlin sans se faire remar-
quer : son exemple est suivi par les princes de sa maison ,
(jui, en général, se distinguent très peu, quant à l'extérieur,
des riches particuliers. Tout le personnel attaché aux princes
du sang mariés se réduit à trois dames pour une princesse,
et à trois grands officiers pour un prince ; mais celte écono-
ment ; l'humidité et la poussière s'y attachent, et parce.qu'il
est d'écorce d'arbre, les vers s'y mettent infailliblemeni ,
si l'on n'a soin de battre souvent les livres et de les exposer
au soleil. Ainsi , on ne peut à la Chine conserver que
rarement de vieux manuscrits, et l'on renouvelle conti-
nuellement les bibliolhè(jues , qui ne sont anciennes que
parce que ce sont des copies fidèles des anciens originaux.
Cependant il existe en France beaucoup de manuscrits
orientaux écrits sur des feuilles de deux {)it'ds de long envi
mie dans les équipages, dans le service domestique, dans ; ron sur deux ou trois' pouces de large, qui ont très-bien
la table, n'exclut pas la bienfaisance : jamais l'infortune ne résisté aux injures du temps.
•s'adresse vainement à la munificence de la famille rovale ;
le roi l'exerce surtout pour l'embellissement ,de la capitale.
Les fêtes de la cour ne sont ni nombreuses ni brillantes ;
elles se bornent ordinairement à quelques bals donnés par
le roi et les princes ; mais dans les occasions extraordinai-
res , on a vu la cour de Prusse déployer une pompe vrai-
ment royale : telles furent les cérémonies qui eurent lieu
lors du mariage de la princesse Charlotte avec le grand-duc
Nicolas , aujourd'hui empereur de Rus.sie.
Dans des occasions solennelles , à l'arrivée de quelque
prince étranger, aux fêles publiques , il y a réunion géné-
rale à la cour. Ces cercles n'ont jamais lieu à la demeure
du roi , dite le palais , mais au château. Tous les employés
de l'administration el de l'armoe, depuis le simple réfé
Aujourd'hui les Persans fabriquent des papiers de diver-
ses couleurs , du blanc , du jaune , du rose ; ils en ont aussi
de doré et d'argenté. Quand on adresse une lettre très-res-
pectueuse à un haut personnage , par exemple à un monar-
que , on se sert de papier blanc orné de fleurs d'or. La
feuille est plus grande ou plus petite selon le rang des per-
sonnes auxquelles on écrit. Les lettres du shah de Perse
à Louis XIV avaient trois pieds de longueur. En Tuniiiie,
le papier est plus grand, et les écrits adressés par le sultan
ou le grand-visir au roi de France étaient ([uehiuefois de
sept pieds. La grandeur de la lettre , adressée à un prince
quelconque , diffère selon le besoin plus ou moins grand
qu'on a de lui. Les sultans lartares de la lace de Gcn-
giskhan, qui dans le xiir siècle possédaient la Perse et uju
lendair-e elle lientenant, peuvent s'y montrer sans être in- partie de l'Asie Mineure, écrivaient d'abord des lettres de
vités , el le roi aime à les y voir afiluer. Les dames.doivent deux pieJs aux souverains de l'Europe ; plus tard, l'amitié
être présentées , mais sans avoir besoin de faire preuve de ; des princes chrétien^ leur devenant plus nécessaire, les di-
noblesse. Il y a, en général, peu de cérémonie, et l'an- ; mensiùns de leurs lettres grandi; eut el allèrent jusqu'à neuf
cienne étiquette est eniièicuient toiubée en désuétude; elle ; pieds. Telles sont les deux letlies du sultan mongol do
ne s'est conservée dans toute sa rigueur que i)Our les ma- , Perse adressées à Piiilippe-le-Bel, qui sont conservées dans
riages des princes et princesses de la famille royale. j les archives du royaume, et que M. Abél Remusat a pu-
Si nous considérons (pie l'ensemble des provinces sou- ' bliéeset commentées. Tamerlau, voulant honorer le sultan
mises à cette puissance présente , de l'orient à l'occident , i d'Egypte d'une manière particulière , lui adressa une lettre
deiiuis les bords du Niémen jusqu'aux rives de la Sarre ,
tme étendue de près de trois cents lieues; que du midi au
nord, sa plus grande largeur est d'environ cent trente
lieues ; que, dans sa largeur moyenne , elle n'en a pas qua-
rante; que plusieurs princes étrangers po.ssèdenl des terri
de soixante-dix coudées de longueur,
Quand les Perses écrivent, ils coupent un coin du papier
de sorte que la feuille ne forme pas un carié régulier; c'est ,
disent-ils, pour indiquer que rien sous le soleil n'est
parfait, et que celle qualité ne se trouve que dans Dieu. Les
toires plus ou moins considérables enclavés dans ses Etats ; formules de politesse qu'ils emptoient dans leurs lettres sont
qu'elle-même a plusieurs possessions au milieu d'autres ter- u-ès nombreuses. Il faut principalement remarquer q:ie ie
nom du supérieur précède toujours celui de l'inférieur.
quelle-même a plusieurs possession
res étrangères , nous ne craindrons pas de dire un terri-
toire si démesurément alongé, si irrégulièrement découpé;
des terres éparses, si inégalement réparties relativement à
l'influence que , d'après la civilisation moderne , la métro
Cette coutume est très ancienne. La lettre que Mahomet
envoya au roi de Perse commençait par ces mots : Maho-
met, fils d'Abdallah, apôtre de Die.u.à Khosroës, roi de
pôle doit exercer au sein d'un empire; enfin une super- 1 Perse». Ce manqne de respect mit le roi dans une si forte
licie aussi considérable que la sienne , puisqu'elle s'élève à ' colère, qu'il déchira la lettre sans l'avoir lue. La même chose
treize mille neuf cent trente-six lieuis carrées , sont plutôt
des élémens de faiblesse que de puissance.
PAPIER DES ORIENTAUX.
Le papier de la Chine paraît si fin qu'on s'est imaginé
en France qu'il était de soie ou de coton ; mais cette opinion
est fausse. Tout le papier chinois se fait d'écorce de bam-
bou ; c'est une espèce d'arbre plus uni, plus gros, plus
droit et plus fort que le sureau. On rejette la première en-
veloppe, qui est trop épaisse el trop dure; celle de des.sous,
plus blanche et plus molle, broyée avec de l'eau claire,
sert de matière au papier, qu'on fabrique comme nous le fai-
sons avec des formes au.ssi longues el aussi larges qu'on \ l'or, et à l'autre la couleur bleue.
le désire. Il y a des feuilles de dix et de douze pieds '
eut lieu deux cents ans plus tard. Un empereur de Constan-
tinople écrivant à Mamoun, fils d'Haroun al Raschild, ayant
placé son propre nom le premier, le khalife en fut vivement
offensé.
Si l'on veut honorer quelqu'un d'une manière particu-
lière, on écrit son nom et ses titres en lettres d'or ou au
moins en couleur. Quelquefois on déplace les noms et on les
met sur la marge ou en tête de l'écrit, pour indiquer que
la lettre même n'est pas digne de les coiitenir. Si l'on veut
distinguer plusieurs noms ou litres, ondonne à chacun d'eux
une couleur particulière; quand on parle de dieu , d'im saint
ou d'un prince souverain, on écrit le nom de dieu en or,
celui du saint en bleu , et celui du prince en rouge. Ne
parle-t-on que d'un saint et d'uu roi , on donne au premier
88
MAGASIN UNIVERSEL.
LA VIA-MALA.
On appelle Via-iJala ou défilé des Boffles, un chemin,
situé en Suisse dans le canton des Grisons , et qui mène de
Tusis à la vallée de Schains. Celle gorge effrayante, qui
s'étend entre les monts Béverin et Miitlerliorn, surpasse
tout ce qu'on peut voir de plus extraordinaire dans cet ad-
mirable pays , tant par la coupe hardie des rochers et leur
élévation perpendiculaire , que par la manière bizarre dont
îls sont entassés. Une végétation sauvage ajoute encore à
l'effet de celle nature imposante. Des sapins , d'une taille
gigantesque , descendent le long des parois les moins rapi-
des des montagnes , couronnent tes sommités de la gorge ,
o;i croissent isolés au milieu d'énormes blocs de granit cou-
verts d'une mousse épaisse. On ne peut se défendre d'une
vive émotion en s'enfonçant parmi ces ruines croulantes
des Alpes , surtout quand on côtoyé les effrayans abîmes
qui bordent la route , et qui , en certains endroits , n'ont
pas moins de trois ou quatre cents pieds de profondeur;
n»ais la frayeur involontaire , (lu'on éprouve d'abord , ne
larde pas à faire place à l'admiration produite par ce site
pitlores(iue. D'ailleurs le danger est plus apparent que réel :
la route est assez bien entretenue , et l'Iiabileté des ingé-
nieurs l'a prémunie contre toute espèce d'accidens. Eu été
surtout, on n'a aucun péril à redouter, et ce n'est guère
qu'en hiver et au printemps, lorsqu'il y a beaucoup de
ne-ge , qu'on y est exposé aux avalanches.
Le Rhin , torrent déjà large et impétueux ^ occupe le
fond des précipices , forcé d'engouffrer ses eaux dans une
crevasse ou , pour parler plus exactement , dans une fissure,
qui divise ces prodigieux rochers. Le lit de ce fleuve y est
extrêmement resserré , et du haut du chemin , c'est à peine
si on le distingue à la blancheur de son écume, sans pou-
voir entendre le fracas de ses ondes. Des troncs d'arbres
brisés , des quartiers de rocs ont roulé dans cet étroit abîme,
et sont restés suspendus au-dessus des eaux. De nouveaux
débris , successivement accumulés , formeront à la longue
une voûte naturelle, sous laquelle le Rhin disparaîtra
tout-à-fait, et, l'on viendra un jour contempler en cet
endroit un phénomène bien plus remarquable que la perle
du Rhône.
On traverse le Rhin sur trois ponts. Pour les construire ,
il a fallu , du haut des parois du défilé, descendre avec des
cordes , des sapins hauts comme des mAts de vaisseau ,
dont on fixait l'un des bouts à une rive, avant d'établir
l'autre sur la rive opposée ; ces ouvrages sont d'une har-
diesse vraiment merveilleuse ; on les dirait posés là tout
exprès pour concourir à l'effet sublime du paysage. L'un
des ponts , formé d'une seule arche , a quarante pieds de
longueur, et s'élève de cent cinquante mètres au-dessus du
fleuve. A quelque distance de là , le Rhin forme une cluile,
où briile de mille couleurs un iris magnifique , lorsque le
soleil donne dans la gorge. Bientôt on arrive dans la riante
et gracieuse vallée de Schams , dont les sites enchanteurs
présentent le plus séduisant contraste avec les horreurs de
la Via-Mala,
VI)
MAGASIN UNIVERSEL.
ÏAITI.
( Cession du district de Matavai aux missionnaires anglais. )
§ I*'. — ÉTAT DES TAÏTIENS AVANT L'ARRIVÉE DES
MISSIONNAIRES.
Il est peu de lieux qui aient aiUaiit excité radmiralioii
des voyaijeurs que l'île de Taïti. La beauté de son aspect,
la richesse et la fertilité de son sol, qui ne demande pres-
que aucune eullure, la douceur de son climat, l'hospitalité
et les mœurs pacifiques de ses habitans, en ont fait un lieu
de délices pour les navigateurs qui ont relâché dans cette
île. Placée au milieu de la mer du Sud, loin de toutes les
grandes terres , elle est, grâce à l'Océan qni la baigne et
l'cilliédit, exempte des chaleurs extrêmes, auxquelles sa
position voisine de l'équateur semblerait devoir la sou-
mettre.
Il n'y a peut-être pas dans le monde entier de canton d'un
aspect [)lus riche que la partie sud-est de Taïti. Les collines
y sont élevées , d'une pente raide, et escarpées en bien des
endroits ; mais des arbres et des arbrisseaux les couvrent
tellement jusqu'au sommet, qu'en les voyant on a bien de
la peine à ne pas attribuer aux rochers le don de produire et
d'entretenir cette charmante verdtu'e.Les plaines qui bordent
les collines vers la mer, les vallées adjacentes, offrent une mul-
titude de productions d'une force extraordinaire; et à la vue
de ces richesses tlu sol , le spectateur est convaincu qu'il n'y
a pas sur le globe de terrain d'une végétation plus vigou-
reuse et plus belle. La nature y a répandu des eaux avec la
même profusion; on trouve des ruisseaux dans chaque vallée;
ces ruisseaux, à mesure qu'ils s'approchent de l'Océan, se
divisent souvent en deux ou trois branches.qui fertilisent les
plaines sur leur passage.
Visitée successivement par plusieurs navigateurs célè-
bres, Wallis, Bougainville , Cook , Vancouver, Taïti prit
une place importante dans les relations qu'ils publièrent de
leurs voyages , et attira enfin l'attention de la société des
missions anglaises , qui y envoya , en 4796 , trente de ses
membres , dont quelques-uns étaient accompagnés de leurs
femmes et de leurs enfans. L'expédition aborda, au mois de
piars 1797, dans la baie de Matavai, à Taïti, et après s'être
Tome II. — Décembre i834
concilié les esprits des habitans de celte île par des présens,
obtint du chef Poniane la cession du district de Mata rai.
Avant d'exposer à nos lecteurs les résultats obtenus pw les
missionnaires anglais, nous croyons devoir leur dire quelles
étaient auparavant les mœurs et les coutumes des Taïliens,
en citant ici quelques extraits des récitsdes navigateurs que
nous avons nommés plus haut. ^
Les Taïliens , estimant les avantages extérieurs , recou-
rent à plusieurs moyens pour les augmenter : ils sont accou-
tumés, surtout parmi les chefs d'un certain rang, qui restent
célibataires , à se soumettre à ime opération médicinale ,
afin de blanchir leur peau : pour cela ils passent un mois
ou deux sans sortir de leurs maisons ; durant cet intervalle
ils portent une quantité considérable d'étoffes, et ils ne man-
gent que du fruit à pain , auquel ils attribuent la propriété
de blanchir le corps. Ils semblent croire aussi que leur em-
bonpoint et la couleur de leur peau" dépendent d'ailleurs
des diverses nourritures qu'ils prennent habituellement; le
changement des saisons les oblige en effet à changer leur
régime selon les différentes époques de l'année.
Leur conduite, dans presque toutes les pccasions, annonce
de la franchise et un caractère généreux. Néanmoins les
Taïliens sont quelquefois cruels envers leurs ennemis; ils les
tourmentent de propos délibéré , ils leur enlèvent de petits
morceaux de chair en différentes parties du corps , ils leur
arrachent les yeux, ils leur coupent le nez, et enfin ils les
tuent et ils leur ouvrent le ventre : mais ces cruautés n'ont
lieu qu'en certaines circonstances. Si la gaieté est l'indice
d'une ame pure, on doit supposer que leur vie est rarement
souillée par des crimes ; « je crois, dit Cook, qu'il faut plutôt
attribuer cette disposition à la joie, à leurs sensations, qui
malgi é leur vivacité , ne paraissent jamais durables ; car
lors(iu'il leur survenait des malheurs, je ne les ai jamais
vus affectés d'une manière pénible après les premiers momens
de crise. Le chagrin ne sillonne point leur front ; l'appro-
che même de la mort ne semble pas altérer leur bonheur.
J'ai observé des malades près de rendre le dernier soupir ou
des guerriers qui se préparaient au combat , et je n'ai pa»
42
90
MAGASIN UNIVERSEL.
remarqué que la mélancolie ou des réflexions tristes répan-
«lissent des nuages sur leur physionomie.
« Les Taltiens sont loin d'être sévères dans leurs mœurs.
Ils ne s'occupent que des choses propres à leur donner
du plaisir et de la joie. Ils aiment passionnément à chanter,
et le plaisir est aussi l'objet de leurs chansons. Ils se plai-
sent à célébrer leurs triomphes à la guerre , leurs travaux
durant la paix, leurs voyages sur les terres voisines, et les
aventures dont ils ont été les témoins j les beautés de leur
Ile, et ses avantages sur les pays des environs, ou ceux de
quelques cantons de Taïli sur des districts moins favorisés.
La musique a pour eux beaucoup de charmes ; et quoiqu'ils
montrassent une sorte de dégoût pour nos compositions sa-
vantes , les sons mélodieux que produisait chacun de nos
instrumens en particulier, approchant davantage de la sim-
plicité des leurs , les ravissaient toujours de plaisir.
« Les cochons , les chiens et les rats étaient , dit-on , les
seuls quatirupèdes existans dans l'Ile avant l'arrivée des Eu-
ropéens. La chair de ces cochons n'a rien de celte saveur
fade qui fait qu'on s'en dégoûte si tôt en Europe, et rap-
pelle jusqu'à un certain point le goût de celle du veau. Ces
animaux appartiennent presque tous aux chefs, dont ils font
une des principales richesses.
« Quand la classe inférieure fait usage d'une nourriture
animale, ce ne sont jamais que des poissons ou d'autres
productions marines ; il est rare qu'elle mange du cochon ,
si même cela lui arrive quelquefois. Le roi seul est as-
sez riche pour avoir du porc tous les jours , et les chefs
subalternes ne peuvent guère en tuer qu'une fois par se-
maine , par quinzaine et par mois , selon leur fortune. Il y
a même des temps où ils sont obligés de se passer de celte
friandise ; car, lorsque la guerre ou d'autres causes ont ap-
pauvri l'île , le roi défend à ses sujets de tuer ces animaux ;
et on nous a dit qu'en certaines occasions la défense subsis-
tait plusieurs mois, et même une année ou deux. Les
porcs se mulliplient tellement durant cette prohibition qu'on
les a vus abandonner l'état de domesticité et devenir sau-
vages. Lorsqa'il paraît convenable de lever la défense , tous
les chefs se rendent auprès du roi, et chacun d'eux lui ap-
porte des cochons. Le roi ordonne d'en tuer quelques-uns
qu'on sert aux chefs , et ceux-ci s'en retournent avec la li-
berté d'en tuer désormais pour leur table.
« L'ava est surtout^n usage parmi les insulaires d'un rang
distingué; ils versent une très petite quantité d'eau sur la
racine; et quelquefois ils grillent les tiges ou les cuisent au
four et les broient sans les hacher. Ils emploient aussi
les feuilles broyées de la plante et y versent de l'eau
comme sur la racine. Elle ne tarde pas à enivrer, ou plutôt
à donner de la stupeur à toutes les facultés du corps et de
l'esprit : ceux d'entre nous qui avaient abordé autrefois sur
ces îles furent surpris de voir la maigreur affreuse d'un
grand nombre d'insulaires que nous avions laissés d'un em-
bonpoint et d'un grosseur remarquables; nous demandâmes
la cause de ce changement , et on nous répondit qu'il fallait
l'attribuer à l'ava ; la peau de ces ïaïliens était desséchée et
couverte d'écaillés ; on nous assura que ces écailles tombaient
de temps en temps et que la peau se renouvellait. Pour jus-
tifier l'usage d'une liqueur si pernicieuse, ils prétendent
qu'elle empêche de devenir trop gras ; mais il est évident
qu'elle les énerve, et il est très probable qu'elle abrège leurs
jours.
a Ils font beaucoup de repas dans un jour. Les femmes
éprouvent non seulement la mortilication de manger seules,
et dans une partie de la maison éloignée de celle où sont
les hommes , mais, ce qui est bien plus étrange encore ,
on ne leur donne aucune portion des mets délicats ; elles
n'osent goûter ni d'un poisson de l'espèce du thon, qui est
fort estimé , ni de quelques unes des meilleures bananes, et
on leur permet rarement le porc, même à celles des classes
supérieures. Les petites filles et les petits garçons prennent
aussi leurs repas séparément. En général , les fcnmies ap-
prêtent les choses dont elles se nourrissent; car les hommes
les laisseraient mourir de faim plutôt que de leur rendre ce
service.
« Le système religieux des Taïtiens ne ressemble à aucun
de ceux des autres peuples sauvages ; il y a peu d'indi-
vidus du bas peuple qui le connaissent parfaitement : cette
connaissance se trouve concentrée parmi les prêtres dont
la classe est très nombreuse. Ils croient qu'il y a plusieurs
dieux, dont chacun est très puissant ; mais ils ne paraissent
pas admettre une divinité supérieure aux autres. Si le dieu
qu'ils ont choisi ne satisfait pas leurs espérances , ils ne pen-
sent pas qu'il soit impie d'en changer. Pour eux, toute la
nature est animée. Les montagnes, les fleuves, sont peuplés
d'esprits auxquels ils attribuent une giande puissance. »
«Les habitans de celle île, dit Wallis, sont grands, bien
faits, agiles et d'une figure agréable : la taille des hommes est
en général de cinq pieds sept à dix pouces, et il y en a peu
qui soient plus petits ou d'une taille plus haute. Celle des
femmes est de cinq pieds six pouces ; le teint des honnnes
est basané , et ceux qui vont sur l'eau l'ont beaucoup plus
bronzé que ceux qui vivent toujours à (erre ; leurs cheveux
sont ordinairement noirs , mais quelquefois bruns, rouges
ou blancs, ce qui est digne de remarque, parce que les
cheveux de tous les naturels d'Asie , d'Afrique et d'Amé-
rique, sont noirs sans exception. Ils les nouent parfois en une
touffe sur le milieu de la tête, ou en deux touffes , une de
chaque côté ; la plupart pourtant les laissent flottans, ou les
bouclent avec beaucoup de grâce.
« C'est un usage universel parmi eux de s'oindre la tête
aTec de l'huile de coco, dans laquelle ils infusent la poudre
d'une racine qui a nne odeur approchant de celle de la
rose. Toutes les femmes sont jolies , et quelques-unes d'une
très grande beauté.
« L'habillement des hommes et des femmes est de bonne
grâce , et leur sied bien ; il est fait d'une espèce d'étoffe
blanche que leur fournit l'écorce d'un arbuste et qui res-
semble beaucoup au gros papier deJa Chine. Deux pièces
de cette étoffe forment leur vêlement : l'une qui a un trou
au milieu pour y passer la tête , pend depuis les épaules
jusqu'à mi-jambe devant et derrière; l'autre a quatre ou cinq
verges de longueur et à peu près une de largeur ; ils l'enve-
loppent autour de leur corp sans la serrer; celte étoffe n'est
point tissée ; elle est fabriquée comme le papier , avec les
fibres ligneuses d'une écorce intérieure qu'on a mises en ma-
cération et qu'on a ensuite étendues et battues les unes sur
les autres. Les plumes, les fleurs, les coquillages et les perles,
font partie de leurs ornemens et de leur parure ; ce sont les
femmes surtout qui portent les perles. »
PARIS. — L'HOTEL DE SAINT-PAUL
L'hôlel de Saint-Paul , dont il est si souvent parlé dans
notre histoire, occupait, avec ses jardins, tout le terrain
compris entre la rue Saint- Antoine et la Seine, depuis la
paroisse St.-Paul jusqu'aux fossés de l'Arsenal et de la Bas-
tille. Ce fut le dauphin Charles, régent de France , qui,
pendant la caplivilé du roi Jean en Angleterre, acheta
plusieurs hôtels, maisons et jardins, et en composa un
ensemble qui fut appelé Hôtel ch Saint-Paul, du nom de
l'église voisine. Le prix de ces diverses acquisitions fut
acquitté par les Parisiens , sur lesquels ce prince établit une
taille particulière. En i5(i4, Charles, devenu roi, déclara
cet hôtel réuni au domaine de la couronne , et le désigna ,
dans son édit, sous le titre d'hôtel solennel des grands
esbattemens. Bientôt après , il l'aggrandit des hôtels de
Sens, de Saint-Maur et du Puteymuce.
Le roi logeait dans la partie des bàlimens qui avait été
précédemment l'hôlel de l'archevêque de Sens : son appar-
tement était composé d'une ou deux chambres , d'une anti-
chambre, d'une garde-robe, d'une chambre de parade,
d'une autre chambre appelée la chambre où gît le roi, et
de la chambre des nappes. Il y avait aussi une chîipelle .
MaCtASîN universel.
î>l
haute et basse , nne ou deux galeries , la grand' chambre
du retrait, la cliambrede l'estude, la chambre (/es estuves,
et plusieurs pièces nommées chauffe-doux , à cause des
poêles, qui, pendant l'hiver, y entretenaient une douce
chaleur. Les dépendances se composaient d'un jardin , d'un
parc , d'une voUère , d'un colombier et d'une ménagerie où
étaient enfermés des sangliers et des lions.
L'ancien hôtel de Saint-Maur, qu'on appelait aussi hôtel
de la Conciergerie , était habité par le daupliin Charles et
par Louis , duc d'Orléans. Les apparlemens y étaient aussi
nombreux que dans l'hôtel de Sens , où logeait le roi. On y
remarquait une pièce nommée le retrait où dit ses heures
Monsieur Louis de France. La salle de Maithebrune s'appe-
lait ainsi parce qu'on y avait peint sur les murailles les
aventures de cette héroïne ; de même , les peintures de la
salle de Théséus représentaient les exploits du héros grec.
Deux chambres seules étaient lambrissées : l'une d'elles
était connue sous le nom de chambre verte.
Chaque hôtel avait sa chapelle. Charles V entendait la
messe de préférence dans celle de l'hôtel du Puteymuce, où
les cérémonies du culte étaient accompagnées par le son
des orgues.
L'hôtel de Saint-Paul , comme toutes les maisons royales
de ce temps-là , était défendu par de grosses tours : on
trouvait que ces tours donnaient aux bâtimens un air de
domination et de grandeur.
Quant aux jardins, ils n'étaient pas comme ceux de nos
jours, percés de belles allées, ni plantés d'arbres majes-
tueux : on y voyait des vignes , des pommiers , des poiriers
et autres arbres à fruits , au milieu desquels croissaient la
lavande , le romarin , les pois et les fèves.
Nous joindrons à cette description quelques détails sur
l'intérieur des appartemens : ils feront connaître à nos lec-
teurs les usages et l'état des arts et du luxe au xiV siècle.
Les poutres et les solives des principaux appartemens
étaient enrichies de fle(irs-de-lys d'étain doré. Il y avait des
barreaux defer à toutes les fenêtres avec un treillage de fil
d'archal , pour empêcher les pigeons de venir faire leurs
ordures dan s les chambres. Les vitres, peintes de différentes
couleurs et chargées d'armoiries, de devises, d'images de
saints , ressemblaient assez aux vitraux de nos anciennes
églises. Les sièges étaient des escabelles , des formes et des
bancs : le roi avait des chaises à bras , garnies de cuir rouge
avec des franges de soie. Quatre paires de chenets en fer
ouvré, fabriqués, en 1367, suivant la dernière mode, or-
naient des cheminées d'une grandeur vraiment extraordi-
naire : la paire la plus légère pesait quarante-deux livres ,
et la plus lourde cent quatre-vingt-dix-huit livres. Les lits
étaient nommés couches , quand ils avaient dix ou douze
pieds de long sur autant de large , et couchettes , quand ils
n'avaient que six pieds de long et six de large : du reste,
il était nécessaire que les lits fussent d'aussi grande dimen-
sion , car à cette époque il était d'usage en France de rete-
nir à coucher avec soi ceux qu'on affectionnait.
Le dîner avait lieu , sons Charles V, à onze heures , le
souper à se'pt, et toute la cour était ordinairement couchée
à neuf heures en hiver et à dix en été. La reine , durant
le repas , dit Christine de Pisan , par ancienne et raison-
nable coutume , ^iour obvier à vagues paroles et pensées ,
avait un prud'homme au botd de la table , qui sans cesse
disait gestes et mœxirs rf'ancttu bon trépassé.
L'usage ù' armorier les habits s'introduisit sous ce règne :
les femmes portaient sur leur robe , à droite l'éeu de leur
mari, et à gauche le leur : cette mode dura près de cent ans.
Charles V ne résidait pas seulement à l'hôtel de Saint-
Paul : il logeait alternativement dans plusieurs autres
palais , tels que le palais de la Cité , le Louvre , le château
de Vincennes , et le château de Beauté , où il mourut.
Lorsque l'empereur vint à Paris , en 1373 , Charles V le
reçut et le fêta au palais de la Cité , puis au Louvre : la reine
lai donna à dîner à l'hôtel Saint-Paul , et de là il se rendit
«u château de Yincennes, d'où il partit pour l'Allemagne.
Les successeurs de Charles V allèrent habiter l'hôtel des
Tournelles , et abandonnèrent celui de Saint-Paul , dont
une partie fut vendue par François P' à Jacques de Ge-
nouillac, dit Galliot, grand-maître de l'artillerie. Le reste
fut vendu , en 1531, à diffcrens particuliers , qui commen-
cèrent à bâtir et à percer les nies , que nous voyons aujour-
d'hui sur ce vaste emplacement. Quelques-unes de ces rues
ont pris les noms que portaient les anciens élablissemens de
cet hôtel royal. La rue BeautreilUs , celle de la Cerisaie y
occupaient la partie des jardins plantée de cerisiers et de
treilles ; la rue des Lions désigne l'ancienne ménagerie ;
enfin , à la place de l'hôtel du Puteymuce, se trouve la rue
que , par corruption , on a nommée rue du Petit-Musc.
(Dans un prochain numéro nous parlerons d'un éta-
blissement fort important et très-curieux (l'établissement
royal des eaux clarifiées) , qui occupe une partie de l'em-
placement de l'ancien hôtel de Saint-Paul. )
MARTIN LUTHER.
(Suite) (i).
Enfermé près d'un an dans ce donjon qui semble dominer
toute l'Allemagne , et qu'il appelait son Pathmos , le réfor-
mateur commença sa traduction de la bible en langue vul-
gaire, et inonda l'Europe de ses écrits. Ces pamphlets
théologiques, aussitôt imprimés que dictés, pénétraient dans
les provinces les plus reculées; on les lisait le soir dans les
familles , et le prédicateur invisible était entendu de tout
l'empire. Jamais écrivain n'avait si vivement sympathisé
avec le peuple. Ses violences , ses bouffonneries , ses apos-
trophes auxpuissans du monde qu'il traitait avec un magni-
fique mépris d'eux et de Satan , et à la cour de Rome , qu'il
appelait /a nouvelle Babylone, charmaient l'Allemagne , et
la partie burlesque de ces drames populaires n'en rendait
l'effetque plus sûr. Les princes applaudissaient à une réforme
faite à leur profit; d'ailleurs Luther, tout en soulevant les
passions , défendait l'emploi de toute autre arme que celle
de la parole : C'est la parole , disait-il , qui, pendant que je
dormais tranquillement et que je buvais mabièreavec mes
amis , a tellement ébranlé la papauté q%te jamais empereur
n'en a fait autant. C'est pendant son séjour à Wartbourg
qu'il eût avec le diable sa célèbre conférence nocturne, qui
se termina par l'abolition des messes privées des mohies
mendians. Dans sa retraite, il laissa croître sa barbe et en
sortit avec épée , cuirasse , bottes et éperons , sous le nom
du chevalier George. Il était temps : partout la confusion
était extrême. Sa seule présence suffit pour réprimer les
excès de son disciple Carlostadt , qui , à la tête du peuple
ameuté , parcourait les églises de la Basse-Saxe , brisant
les images et renversant les autels; mais les paysans, en
entendant les savans et les princes parler de liberté et d'af-
franchissement s'appliquèrent ce qu'on ne disait pas pour
eux. L'éternelle haine du pauvre contre le riche se ralluma,
aveugle et furieuse , et Luther vit avec une profonde dou-
leur que sa parole devenait impuissante pour prévenir les
crimes des nouveaiLX sectaires. Le mot de ralliement des
anabaptistes, qu'il appelait gens endiablés, perdiablés,
transdiablés , était la nécessité d'un second baptême , le
but, une guerre terrible contre toute espèce d'ordre et
contre la propriété. A Wiltemberg, les écoliers brûlèrent
leurs livres sous les yeux même de Luther. Les paysans de
Thuringe suivirent l'enthousiaste Muncer , bouleversèrent
Mulhausen, appelèrent à la révolte les ouvriers des mines
de Mansfeld , et massacrèrent tous les gentilshommes qu'ils
purent rencontrer. Dix ans plus tard (1333), dans les Pays-
Bas et la Westphalie, les désordres arrivèrent au comble.
Un tailleur, Jean de Leyde, à Munster, en prêchant l'égalité
se fit proclamer roij unissant la débauche à l'austérité,
(i) Voyez page 8i.
dâ
MAGASIN UNIVERSEL
et à la cruauté le fanatisme , il prit douze femmes , tran-
cha la tête à l'une d'elles qui méconnaissait son autorité
spirituelle, et dansa avec les onze autres autour de son cada-
vre; tous les princes s'armèrent contre ces forcenés et les
traitèrent comme des bêtes fauves; les uns périrent sur
l'échafaud , les autres furent tenaillés avec des instrumens
ardens,mais la plaie qu'ils avaient ouverte devait saigner
long-temps encore.
Luther tonna en vain contre les forfaits de ces fanatiques;
il avait quitté le froc en 1525 , pour prendre la robe de doc-
teur , et sa morale relâchée entraînait des conséquences
désastreuses qu'un désaveu ne suffisait plus pour arrêter.
Si les femmes sont opiniâtres, s'écriait-il un jour en chaire,
il est à propos que leurs maris leur disent : Si vous ne
voulez pas , une autre le voudra; sila maîtresse refuse de
venir , que la servante approche ; le landgrave de Hesse, du
vivant de sa première femme , en épousa une seconde et
fut approuvé par le réformateur ; lui-même épousa en 1525,
Catherine Boren, religieuse de famille noble, qui, à la lec-
ture de ses écrits , s'était échappée du couvent de Nimptsch
avec huit de ses sœurs. Il en eut six enfans , et le dernier
descendant de cette famille s'est éteint en 1759.
La réforme avait bientôt pris un caractère politique ; les
deux opinions avaient produit deux partis, la ligue catholique
de Ratisbonne (1524), et de Dessau (1526), la ligue des
novateurs de Torgau (1526). Luther se trouva le chef d'une
confédération qui disposait des forces d'une partie de
l'Allemagne. La diète de Spire , en 1526, établit la liberté
de conscience; celle de 1529 ayant voulu restreindre cette
liberté , il en résulta une protestation solennelle de la part
de tous ses partisans , d'où leur est venu le nom de protes-
tans , d'abord particulier aux Luthériens , puis rendu
commun aux autres sectes. L'année suivante Luther ne put
se trouver à la diète d'Augsbourg , parce qu'il était au ban
de l'empire en vertu du décret de Worms, mais, de Cobourg
où il s'était rendu , il en dirigeait toutes les opérations. Les
protestans y présentèrent leur fameuse confession de foi
qui en a pris le nom. L'empereur l'y fit proscrire par les
députés catholiques qui formaient la majc/rité. De là la ligue
de Smalkalde entre les princes luthériens. Luther, malgré
ses déclarations antérieures, toutes pacifiques, l'autorisa.
Il sonna le tocsin contre le pape, voulant qu'on lui enfon-
çât le poignard dans le sein, et qu'on traitxit tous ses
adhérens comme des brigands. Si j'étais maître de l'em-
pire, écrivait-il , je ferais un même paqxiet du pape et des
cardinaux , et je leur ferais prendre dans la mer de 7"os-
cane un hain qui les gtiér irait. Comme il n'était guère
plus traitable avec ceux qui ne partageaient pas aveuglément
ses idées , les anabaptistes l'appelaient nouveuu pape , nou-
vel antechrist; s'il y a deux jjajjes , ajoutaient-ils , c'est
Luther qui est le plus dur ; il n'tj a plus moyen de souffrir
ses emportemens. On répétait qu'il avait la colère d'un
Achille, et les mouvemens impétueux d'\m Hercule; je
ne saurais nier , avouait-il , que je ne sois plus violent
que je ne devrais l'élre; mais, puisqu'ils le savent, ils
n'auraient pas dû lâcher le chien.
Il fit rejeter à Smalkalde toutes les propositions modé-
rées , et détruisit tout espoir de rapprochement , en exi-
geant des conditions impossibles à remplir pour la tenue
d'un concile général; il n'eut que le temps de voir les pre-
mières séances du concile de Trente contre lequel il décla-
mait lorsque la mort mit fin à sa bruyante mission, le
18 février 1546, dans le lieu où il était né. Il fut enterré
avec pompe dans l'église du château de Wittemberg; sa
maladie fut courte ; il paraît que c'était une indigestion ou
une apoplexie ; mais il fallait bien trouver du merveilleux
dans la mort de cet homme extraordinaire ; ses ennemis
débitèrent qu'il s'était pendu , que le diable l'avait étranglé;
que son tombeau ayant été ouvert le lendemain de son
enterrement, on n'avait plus retrouvé son corps , et qu'il en
était sorti une odeur de soufre insupportable. Luther mou-
rut à propos pour échapper au douleureux spectacle de la
ruine momentanée de son parti , sous les efforts de Charles-
Quint. Il fut à la fois le premier auteur d'une révolution
politique et religieuse qui enleva aux lois de Rome la moi-
tié de l'Europe chrélienne , et qui en dernier résultat
amena l'indépendance des princes allemands à l'égard des
empereurs.
CHINE.
(Vue Je la Tour do porcelaine à Naukin.
MAGASIN UNIVERSEL.
95
Au milieu de la ville de Nankin s'élève une tour d'une
construction singulière que les voyageurs européens ont
toujours admirée. — Elle est recouverte de porcelaine ; sa
hauteur est de deux cents pieds environ , et elle est divisée
en neuf étages auxquels on parvient par un escalier compose
de cent qualie-vingl-quatre maiclies d'une granUe dimen-
sion. A chaque éiage est une galerie eniourée d'une colon-
nade et pro égée par un toit reievé à la manière des Chinois,
aux angles duquel sont suspendues des cloches de bronze
qui, lorsque le vent les agile, rendent des sons harmoni-
ques d'un effet surprenant.
La tour est peinte au dehors de couleurs brillantes qui
ajoutent au pittoresque de son aspect , et son sommet est
couronné par une flèche en bois que les Chinois disent être
recouverte d'une lame d'or lin. Du haut de cet édifice l'œil,.
embrasse non seulement l'immense étendue de Nankin,,
mais toute la coiiiree environnante. La vue de celte cité
magnifique et de ce paysage nche et varié qn' enveloppe le
fleuve dans ses immenses sinuosités , est un des plus ])ea4ix
spectacles qui puissent s'offrir aux voyageurs.
L'origine de celle lour est peu connue. — Les uns veu-
lent y voir un monument de pieté , les autres un monument
de la victoire remportée par les Chmois sur les Tarlares, il
y a sept cents ans. Ce qu'il y a de bien positif, c'est que ces-
derniers l'ont respectée lors de leur dernière irruption et
lie la dévastation de Nankin.
TOMBEAU DES FILS DE CHARLES \m DANS LA CATHEDRALE DE TOURS.
(Voyez page 65.)
Il existait autrefois dans l'église de Saint-Martin de Tours
un tombeau qui renfermait les cendres des deux enfans de
Charles VIII et d'Anne de Bretagne. Depuis la destruction
de l'église où il était placé , ce tombeau avait été successi-
vement déposé dans les divers établissemens publics de la
ville de Tours : ses débris gisaient en dernier lieu dans une
des salles de la préfecture. Enfin ils ont été réunis en 18^5 ,
et transférés dans l'église métropolitaine.
Ce monument , érigé en <506, est dû à la tendresse ma-
ternelle d'Anne de Bretagne qui en fit tous les frais : il rap-
pelle des souvenirs historiques, particuliers à la ville de
Tours , puisque c'est là que naquirent les deux princes. Il
honore aussi le talent des artistes , dont il fut l'ouvrage , et
auxquels cette ville se glorifie d'avoir donné le jour : ce sont
les frères Juste, habiles sculpteurs, qui fleurirent sous
François I'"'". Ce tombeau prouve le progrès des arts à cette
époque : la forme en est à la fois gracieuse et noble , et les
sculptures d'un travail délicat. Il est surmonté des figures
en marbre des jeunes princes , dont les corps y étaient
renfermés dans deux urnes , l'une de plomb , l'autre d'un
bois précieux , recouvertes d'un voile de soie. Sur la partie
inférieure sont deux génies soutenant l'écusson des armes
de France , semé de fleurs de lys. Des dauphins sont
sculptés aux angles du monument, qui semble reposer sur
eux : au-dessus, et tout à l'entour du tombeau , règne nne
frise d'une belle exécution , représentant divers sujets tirés
de la fable et de l'écriture sainte , tels que les travaux
d'Hercule, ceux de Samson, elc. Dans deux cartouches de
figure ronde sont inscrites les épilaphes suivanles :
Charles, hujlièmeroi, preux et excellent,
Eût d'Anne, rojne et duchesse en Bretagne,
Son premier fils nommé Charles OiIant,
Lequel régna sans murt qui rien n'épargne,
Trois ans, trois mois, dauphin du Viennois,
Comte d'Izoir et de Valentiuois.
Mais l'an cinq cent moins cinq il rendit l'âme,
A Amboise , le seizième du mois
De décembre , puis fut mis soubs la lame.
Par Atropos , qui les coeurs humains fent
D'un dard mortel de cruelle souffrance,
Cy-dessoubs gist Charles, second enfant
Du roi Charles et d'Anne, royne de France,.
Lequel vesquit dauphin du Viennois ,
Comte d'Izoir et de Valenlinois,
Vingt-cinq jours , puis les Tours au PlessiS'
En octobre mourut au deux du mois
Mil quatre cent avec nonante et six.
SYSTEME MILITAIRE BE LA FRANCE
SODS LE RÉGIME FÉODAL.
Aux diverses époques qu'embrasse la grande peribdt
de l'histoire de France , toutes les fois qu'il y avait danale
royaume des ennemis extérieurs à repousser, ou des rebelles
à soumettre , voici comment nos rois formaient et rassem-
blaient leurs armées. Ils ordonnaient à leurs vassaux de se
trouver dans un endroit fixé , avec leur contingent militaire
dont l'importance dépendait de la nature du fief et des
conditions originaires auxquelles ils étaient soumis. Les sei-
gneurs feudataires, de leur côté, faisaient publier dans
toute l'étendue de leur (erre , l'ordre que leurs hommes
eussent à se trouver en armes au lieu indiqué pour assister
à l'osl du roi , à raison de leurs arrière-fiefs , et ce à peine
d'amende et de confiscation.
La richesse du fief réglait non-seulement le nonibre
d'hommes exigé de chaque seigneur , mais encore le genre
94
MAGASIN UNIVERSEL.
de services , ou la nature des prestations , les différentes
pièces de i'armure des guerriers et la qualité des équi-
pages. Les hauts et puissans seigneurs, tels que les ducs
de- Bourgogne, de Bretagne, les comtes de Flandres, de
Blois , amenaient un très grand nombre de chevaliers ou
bannerets : chaque banneret commandait à vingt-cinq
hommes d'armes complètement équipés ; chaque homme
d'armes était accompagné de deux archers , et avait trois
chevaux , l'un pour lui , les deux autres pour son valet et
pour son page.
Celui qui avait dans son fief une terre et un château ,
devait le service à armes pleines , et ne pouvait se présen-
ter au rendez-vous qu'avec une cuirasse , un armet , des
gantelets , des brassards , des harnais de jambes , un casque
à visière, uneépée et une lance. Le feudataire ou arrière-
feudataire, qui ne possédait qu'un fief simple, n'était assu-
jetti qu'à porter l'écii et la lance.
Tel ou tel pays fournissait un corps de telle ou telle arme :
au sein de ces armées tumul tueuses et presque toujours indis-
ciplinées , on voyait s'entasser pêle-mêle les vougiis, ainsi
nommés parce qu'ils portaient à la main des vougesou
épieux ferrés ; les coutelliers qui s'armaient de glaives longs,
minces et tranchans : les archers revêtus de leur tricot
d'acier, leurs haches à la main, et leurs dagues au côté (1);
elles arbalétriers, qui ne pouvaient couvrir leur tête que d'un
casque sans visière , qui s'entouraient presque tout le corps
d'un lissu de mailles de fer, et seuls avaient le droit de lan-
cer la flèche au milieu des combats. C'étaient là les trois
principaux corps des armées françaises ; parmi les armes des
autres corps, on distinguait, outre la lance etl'épée, les
massues, les brandavères, les badelaires, les hallebardes,
les hanicroches , les fourches fières et les pieux ou pertui-
sanes. Chaque vassal devait à son seigneur un service gra-
tuit de trois mois dans l'intérieur du royaume et de qua-
rante jours au-delà des frontières; quand les nécessités de
la guerre dépassaient ses limites , les seigneurs devaient
entretenir leurs vassaux à leurs frais.
Les femmes qui possédaient des fiefs envoyaient des
hommes d'armes en leur nom ; les évêques , abbés , tous
les ecclésiastiques enfin , qui pour raison de leurs posses-
sions féodales, relevaient d'une puissance supérieure étaient
contraints de se rendre en personne à l'assemblée du ban; il
n'y avait ecclésiastique , dit Belleforêt, tant grand et saint
fût-il, qui ne vînt faire service à peine de voir son fief
saisi. Ils se trouvaient au rendez-vous général , revêtus de
leurs ornemens sacerdotaux, coiffés d'un casque, et ceints
d'une épée. Souvent ils bornaient leur service à célébrer les
saints mystères pour les troupes dont ils faisaient partie, et
à bénir les bannières, mais plus souvent encore ils servaient
rl'une manière active, se distinguaient dans la mêlée, et
sur la brèche, et nos prélats suivant l'expression de
^ïonstrelet, portaient un bassinet pour mître , uhc pièce
d'acier pour chasuble, et pour crusse tine hache d'armes.
Aux plus scrupuleux de ces prêtres guerriers on permettait
[le se servir de massues au lieu d'épées; on pensait alors
qu'assommer, ce n'étaitpoint verser le sang.
Les ecclésiastiques tenant fiefs qui, admonestés pour le
service du roi, négligeaient de se rendre à l'assemblée du
ban , étaient notés d'infamie et privés de leur temporel.
Dans les derniers temps du régime féodal , on revint à des
idées plus convenables sur les devoirs des prêtres , et on ne
les assujettit plus au service actif, mais ils furent astreints à
; e faire représenter et à fournir pour les besoins de l'armée
dfts chariots , des charrettes , des pièces d'équipage de toute
sorte.
A mesure que les sénéchaux ou officiers des grands
vassaux de la couronne arrivaient au lieu de l'ost, ils lais-
saient montre ou preuve de leurs contingens respectifs; les
contrôleurs commis à la vérification procédaient à celte
grande revue; cette cérémonie qu'on appelait montre avait
(i) Voyez page 75.
lieu dans un grand champ après qu'on avait dit la messe ,
sous un chêne. Chaque seigneur ou sénéchal répondait à
l'appel de son nom , et justifiait à son tour du nombre de
ses hommes et de la qualité de leurs armes. Les revues
faites , toutes ces troupes se mettaient confusément en mar-
che, et pendant la campagne, chaque soldat reconnaissait
sa compagnie , non-seulement à la barmière de son sei-
gneur , mais encore au cri particulier à la maison de ce
gentilhomme ; car le cri de guerre faisait partie de l'héri-
tage féodal comme le nom et les armoit ies paternelles.
LES HARENGS, — leur pêche.
(Suite.) (i)
Dès le coipmencement du xv« siècle, les Hollandais
employèrent à la pêche des harengs , de grands filets , et
des bâtimens considérables et allongés, auxquels ils donnent
le nom de buys; et depuis ce même siècle il y a eu des an-
nées où ils ont mis en mer trois mille vaisseaux et occupé
quatre cent cinquante mille hommes pour la pêche de ces
osseux.
Les filets dont ces mêmes Hollandais se servent pour
prendre les harengs , ont de mille à douze cents mètres de
longueur : ils sont composés de cinquante ou soixante nap-
pes , ou parties distinctes. On les fait avec une grosse soie
que l'on fait venir de Perse, et qui dure deux ou trois fois
plus que le chanvre. On les noircit à la fumée , pour que
leur couleur n'effraie pas les harengs. La partie supérieure
de ces instrumens est soutenue par des tonnes vides ou par
des morceaux de liége; et leur partie inférieure est main-
tenue , par des pierres ou par d'autres corps pesants , à la
profondeur convenable.
On jette ces filets dans les endroits où une grande abon-
dance de harengs est indiquée par la présence des oiseaux
d'eau, des squales, et des autres ennemis de ces poissons,
ainsi que par une quantité plus ou moins considérable de
substance huileuse ou visqueuse que l'on nomme graissin
dans plusieurs pays , qui s'étend sur la surftice de l'eau au-
dessus des grandes troupes de ces dupées, et que l'on re-
connaît facilement lorsque le temps est calme. Cette matière
graisseuse peut devenir, pendant une nuit sombre, mais
paisible, un signe évident de la proximité d'une co-
lonne de harengs, parce qu'étant phosphorique , elle parait
alors répandue sur la mer, comme une nappe un peu lumi-
neuse. Cette dernière indication est d'autant plus utile,
qu'on préfère l'obscurité pour la pêche des harengs. Ces
animaux, comme plusieurs autres poissons, se précipitent
vers les feux qu'on leur présente ; et on les attire dans les
filets en les trompant par le moyen des lumières que l'on
place de la manière la plus convenable dans différens en-
droits des vaisseaux , ou qu'on élève sur des rivages voisins.
Tant de soins n'ont pas été seulement l'effet de spécula-
tions particulières : depuis long-temps plusieurs gouverne-
mens, pénétrés de cette vérité importante, que l'on ne peut
pas avoir de marine sans matelots, ni de véritables matelols
sans de grandes pêches , et voyant d'un autre côté que de
toutes celles qui peuvent former des hommes de mer expé-
rimentés et enrichir le commerce d'un pays, aucune ne
peut être plus utile, ni peut-être même aussi avantageuse
à la défense de l'État et à la prospérité des habitans, que
la pêche du hareng, ont cherché à la favoriser de manière
à augmenter ses heureux résultats, non seulement pour le
présent , mais encore pour l'avenir. Des sociétés , dont tous
les efforts doivent se diriger vers ce but important, ont été
établies et protégées par le gouvernement, eu Suède, on
Danemarck , en Prusse. Le gouvernement hollandais sur-
tout n'a jamais cessé de prendre à cet égard les plus gran-
des précautions. Redoublant perpétuellement de soins pour
la conservation d'une branche aussi précieuse de l'industrie
publique et privée, il a multiplié depuis deux siècles, et
(i) Voyez page Sa.
MAGASIN UNIVERSEL.
95
varié suivant les circonstances, les actes de sa surveillance
attentive pour le maintien, a-t-il toujours dit , (ht, grand
commerce et de ïa principale mine d'or de sa patrie. Il a
donné, lorsqu'il l'a jugé nécessaire, un prix considérable
pour chacun des vaisseaux employés à la pêche des harengs.
Il a désiré que l'on ne cherchât à prendre ces poissons que
dans les saisons où leurs qualités les rendent , après leurs
différentes préparations, d'un goût plus agréable et d'une
conservation plus facile. Il a voulu principalement qu'on ne
miisît pas à l'abondance des récoltes à venir, en dérangeant
le frai des harengs , ou en retenant dans les fdets ceux de
ces poissons qui sont encore très jeunes. Eu conséquence, il
a ordonné que tout matelot et tout pêcheur seraient obli-
gés , avant de partir pour la grande pêche , de s'engager
par serment à ne pas tendre les filets avant le 2S de juin ni
après le premier janvier, et il a déterminé la grandeur des
mailles de ces instrumens.
Il a prescrit les précautions nécessaires pour que les ha-
rengs fussent encaqués le mieux possible. D'après ses or-
dres, on ne peut se servir pour cette opération que du sel
de la meilleure qualité. Les harengs pris dans le premier
mois qui s'écoule après le 24 juin, sont préparés avec du
, gros sel j ceux que l'on pêche entre le 24 juillet et le ^S sep-
î tembre , sont conservés avec du sel fin. Il n'est pas permis
I de mêler dans un même baril des harengs au gros sel et
|des harengs au sel fin. Les barils doivent être bien reni-
jplis. Le dernier fond de ces tonnes presse les harengs. Le
Inombre et les dimensions des cercles, des pièces, des fonds
*et des douves , sont réglés avec exactitude ; le bois avec le-
quel on fait ces douves et ces fonds, doit être très sain et
dépouillé de son aubier. On ne peut pas encaquer avec les
bons harengs ceux dont la chair est mollasse, le frai délayé,
ou la salaison mal faite ; des marques légales, placées sur
les caques , indiquent le temps où l'on a pris les harengs
que ces barils renferment, et assurent que l'on n'a négligé,
pour la préparation de ces poissons, aucun des soins con-
venables et déterminés.
On n'a pas obtenu moins de succès dans les tentatives
faites pour accoutumer les harengs à de nouvelles eaux,
que dans les procédés relatifs à leur préparation. On est
parvenu , en Suède , à les transporter, sans les faire périr,
dans les eaux auxquelles ils manquaient. Dans l'Amérique
septentrionale , on a fait éclore des œufs de ces animaux , à
l'embouchure d'un fleuve qui n'avait jamais été fréquenté
par ces poissons , et vers lequel les individus sortis de ces
œufs ont contracté l'habitude de revenir chaqiie année , en
entraînant vraisemblablement avec eux un grand nombre
d'autres individus de leur espèce.
EPHEMERIDES,
Le mois de décembre doit son nom à la place qu'il occupait dans
l'année primitive des Romains. Il devint le onzième sous Numa ,
et enfin le douzième, lors du changement opéré par les décemvirs.
!*'■ décembre 1640. — Le Portugal secoue le joug espagnol qu'il
subissait depuis soixante ans , et proclame roi le duc de Bragance.
(Nous donnerons dans une prochaine livraison un article spécial
sur ce grand fait politique qui a fourni la matière d'un drame dont
les représentations font aujourd'hui sensation.) — iSaS. Mort
d'Alexandre l*"", empereur de Russie.
a décembre 1804. — Napoléon Bonaparte, reconnu empereur
des Français par le Sénat, et fort de l'assentiment de 3,575,000
signataires, est sacré à Notre-Dame, à Paris, par le pape, et
prononce le serment suivant, prescrit par le sénatus-consulte or-
ganique du 16 mai. «Je jure de maintenir l'intégrité du territoire
de la république; de respecter et de faire respecter les lois du
concordat et la liberté des cultes ; de respecter et de faire respec-
ter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabi-
lité des ventes des biens nationaux; de ne lever aucun impôt, de
n'établir aucune taxe qu'en vertu d'ime loi; de maintenir l'institu-
tion de la Légion-d 'Honneur, de gouverner dans la seule vue de
l'intérêt, du bonheur et delà gloire du peuple français.» —Le même
Jour, à la même heure, Louis XVIII protestait dans son exil contre
l'usurpation du troue de ses pères. — i8o5. Un an après son sacre,
jour pour jour, Napoléon remporte l'importante bataille d'Auster-
litz sur les Autrichiens et les Russes réunis , et force ces deux
puissances à lui demander la paix.»
3 décembre i8ro. — Les Anglais s'emparent de l'Ile-de-Fran-
ce , restée depuis en leur possession sous le nom d'île Maurice.
i décembre 1789. — Mort de Claude Joseph Vernet, célèbre
peintre français , père de Carie Vernet et aïeul d'Horace Vernet ,
dignes héritiers de son nom.
4 décembre lôSa. — Mort du Cardinal de Richelieu (voyez
page 72). — 1808. Madrid se rend à l'armée française commandée
par l'Empereur.
-7 décembre 181 5, — Condamné à mort parla Chambre dei
Pairs, érigée en cour prévôtale, comme coupable de haute trahison
envers le gouvernement du roi , le maréchal Ney est fusillé
dans l'avenue qui joint le jardin du Luxembourg à l'Observatoire.
8 décembre i83o. — Mort de Benjamin Constant. — 1836.
Mort de JohnFlaxman, sculpteur anglais. (Voyez page a37, i"""
année du Magasin Universel.)
10 décembre 1720. — L'Écossais Lavv se soustrait par la fuite à
la haine du peuple dont ses opérations financières l'avaient peu de
temps avant rendu l'idole. Il pouvait prendre dans les coffres de
la Banque des sommes immenses et alla en exil , mourir pauvre et
oublié.
11 décembre 171 8. — Charles XII, roi de Suède, meurt frappé
d'une balle dans les tranchées qu'il venait d'ouvrir contre la for-
teresse de Frédéricshall en Norwége, après avoir épuisé son pays
et l'avoir fait déchoir du rang où l'avait placé Gustave-Adolphe.
TANCARVILLE ( Seine-Inférieure ).
Sur les rives de la Seine, non loin de son einbouchure ,
à environ une lieue de Quillebœuf et à deux lieues de Lille-
bonne (1), cette ville si fameuse par ses belles antiquités ro-
maines , s'élèvent , sur le sommet d'une haute falaise , les
ruines imposantes du château de Tancarville. Qu'elles sont
nobles et pittoresques ces murailles menaçantes , ces tours
démantelées, réfléchies dans les eaux de la Seine ! Mais com-
bien plus sublime, plus admirable encore, est le spectacle
qui se développe aux regards, lorsqu'on arrive par terre à
Tancarville ! Jamais paysage mieux composé n'est éclos
sous la main de l'artiste : à droite , ces vieux murs ruineux,
ces tourelles enlacées de lierre et de ronces , cette porte
avec sa herse rouillée ; à gauche , une végétation vigou-
reuse, des chênes séculaires, aux rameaux noueux et con-
tournés , et, entre ces premiers plans si fortement accen-
tués , une échappée à perle de vue , un horizon sans bornes,
la Seine large, rapide, presqu'une mer, sillonnée d'in-
nombrables barques de pêcheurs à la voile blanche , qui se
détache étincelante sur l'azur des eaux. Ce site a fourni ù
l'un de nos premiers paysagistes, M. Régnier, le sujet
d'un tableau charmant, que tout le monde a pu admirer au
Louvre, il y a quelques années, et qui, lithographie par
une main habile , est un des plus beaux ornemens du co-
lossal ouvrage de la France romantique.
Quand on pénètre dans l'intérieur des ruines, le spectacle
change; le cœur se serre en parcourant ces vastes salles dé-
sertes, jadis retentissantes de l'orgie des chevaliers, ces res-
tes d'ogives qui fment une chapelle , ces appartemens en
décombres où reposèrent les damoiselles et les guerriers.
Ce morne silence n'est troublé que par les cris rauques
du corbeau , la voix sinistre du hibou ou le sifflement de la
couleuvre.
C'est surtout au clair de lune que ces nobles ruines frap-
pent l'esprit d'une plus vive impression. Combien de fois ,
assis sur le tronçon d'une statue ou sur un fût de colon-
nettes accouplées, je me suis plû à reconstruire ce vieux
(i) Voyez page 20.
06
MAGASIN UNIVERSEL.
nianoir féodal au gré de mon imagination ! Dans cette vaste
conr, je voyais les piqueurs, les pages, les varlets, hâtant
les apprêts d'une chasse ; la noble dame , l'oiselet au poing,
«'élançant sur la haquenée, que retenait un chevalier. Sur
les murailles crénelées se promenait lentement l'archer ,
l'arlwlète sur l'épaule , l'œil et l'oreille au guet, alteniif au
moindre bruit , à la moindre apparition. Tout à coup, le
cor sonne : un duc , un roi vaincu et fugitif, demande hos-
pitalité et protection. Le pont-levis s'abaisse pour se relever
derrière lui, Bienlôt l'ennemi paraît : les hommes d'armes,
abrités derrière les créneaux , lancent une grêle de traits, ou
font pleuvoir l'huile bouillante par les larges mâchicoulis.
J'entends les gémissemens des mourans, les blasphèmes
des blessés. Puis, au moment où la victoire est le plus vive-
ment disputée , où les deux partis font des prodiges de va-
leur, la chanson aux finales traînantes d'un pêcheur nor-
mand , ou un de ces orages si fréquens sur les côtes de la
Manche , viennent me réveiller et nie ramener à la réalité.
Et c'est vraiment dommage ! car ici , la réalité est pauvre ,
et l'histoire ne nous apprend aucun fait important dont le
château de Tancarville ait été témoin.
Quelques étymologistes , il est vrai , trouvant dans Tan-
credi- Villa l'origine de Tancarville, veulent que ce lieu ait
appartenu à la famille du fameux Tancrède , qui , Sicilien
du côté de son père , était Normand du fait de sa mère
Emma , fille de Tancrède de Hauteville, et sœur du fameux
Robert Guiscar, duc de Calabre. Mais malheureusement,
les anciens historiens , et surtout Raoul de Caen , qui écri-
vit l'histoire de Tancrède, ne nous apprennent rien de po-
sitif à ce sujet.
Il n'en est pas de même des sires de Tancarville. Nous
savons que le roi Jean II érigea la seigneurie de Tancar-
ville en comté, le 4 février ^5S^ , en faveur du grand cham-
bellan, Jean II, vicomte de Melun, en récompense du cou-
rage qu'il avait déployé à la défense de Caen contre les
Anglais, qui le firent prisonnier.
Plus lard, ce même Tancarville, pris de nouveau avec le
roi à la bataille de Poitiers, en 13S6, resta en Angleterre
jusqu'en < 338 qu'il fut envoyé en France pour faire ratifier
par les Etats les conditions au prix desquelles le monarque
anglais consentait à rendre la liberté au roi captif.
Guillaume IV de Tancarville, son fils, joua un grand
rôle sous Charles VI , et dans presque tous les actes qui
nous sont restés du gouvernement de ce prince, le nom du
comte de Tancarville figure à la tête de ceux des membres
du grand conseil. Ce fut lui qui, en 1396, alla prendre pos-
session de l'état de Gènes, qui s'était donné au roi. Il fut
tué, en 14<5, à la bataille d'Azincourt, ne laissant qu'une
fille, nommée Marguerite , qui porta la vicomte de Melun
et le comté de Tancarville dans la maison de Harcourt, par
son mariage avec Jacques de Harcourt, dont elle eût une
fille, nommée Marie , qui épousa le célèbre Dunois.
Les sires de Tancarville étant sans cesse aux armées ou à
( Vue de Tancarville.)
la cour des rois, leur château ne joua jamais un rôle bien
important.
I^ chronique de Normandie ne le cite guère que pour
mentionner les longues querelles , les inimitiés particulières
des sires de Tancarville et des comtes de Harcourt , leurs
voisins; et, je vous le demande, comment trouver de la
poésie dans ces combats livrés pour la conquête d'un pâtu-
rage ou d'un moulin ?
Les Bureaux d'Abonnement et de Vente sont transférés rue de
Seine-Saint-Germain, 9.
(15
MAGASIN UiNIVERSÈL.
97
PERONNE. . LOUIS XI PRISONNIER DE CHARLES-LE-TEMERAIRE.
( Vue de la place de Péroune. )
La ville de Péronne , bâlie sur un monticule, et défendue
par des fortifications importantes , serait une des plus fortes
places de France , si elle n'était dominée par des hauteurs :
touiefois , malgré ce désavantage , elle a toujours su repoiiSr
ser victorieusement les attaques ennemies, et peut se glori-
fiera juste litre de n'avoir jamais été prise. Parmi les sièges
qu'elle eut à soutenir, on cite celui de 1S36 : elle avait
alors à lutter contre une armée nombreuse et aguerrie,
commandée par Henri de Nassau : mais elle se défendit
avec le plus héroïque courage , et força ce prince à lever le
siège , après avoir essuyé de terribles échecs.
La plupart des maisons de cette ville sont construites en
briques , de même que ses remparts , qui offrent de jolies
promenades , ombragées par de beaux arbres, et embellies
encore par le cours de la Somme. v,
Divisée en haute et basse ville , et précédée de deux
faubourgs, Péronne renferme quelques belles rues, une
place assez remarquable, et plusieurs églises curieuses. Sa
population s'élève à près de quatre mille habilans , dont le
principal commerce consiste dans la fabrication des tissus
de fil et de coton.
Péronne est la patrie du savant orientaliste Langlès.
Mais cette ville est surtout intéressante par ses souve-
nirs histoi^ques. Elle fut le théâtre d'iui des évène-
niens les plus importans qui aient marqué le règne de
Louis XI. Le lecteur sait les luttes continuelles que ce prince
entretint contre les seigneurs féodaux de son royaume
TO.MIî II. - - Décembre 1 8 3 4 .
et principalement contre le plus puissant et le plus redou
table d'entre eux, Charles-le-Téméraire , duc de Bourgo
gne. C'était surtout en divisant ses ennemis que le roi espé-
rait en triompher : cette tactique lui avait plusieurs fois
réussi. A force de tromperies et de ruses , il en était venu
au point de détacher du parti de Chai les, ses alliés même
les plus fidèles; aussi ne doutait-il pas que le moment ne
fût favorable pour traiter avantageusement avec le duc de
Bourgogne. Mais pendant qu'il entamait des négociations
avec lui, il entretenait toujours de secrètes intelligences
avec les Liégeois , qu'il excitait à la révolte pour augmenter
les embarras de Charles. •
Afin de mieux abuser le duc par une apparente bonne
foi , il lui fit proposer une entrevue à Péronne. Après quel-
ques hésitations , le duc de Bourgogne , qui occupait avec
son armée les environs de cette ville, consentit à cette
entrevue , et envoya au roi un sauf-conduit ainsi conçu :
« Monseigneur , très humblement à votre bonne grâce je
« me recommande , si votre plaisir est de venir en cette
« ville de Péronne pour nous entrevoir, je vous jure et
« vous promets par ma foi et sur mon honneur, que vous
« y pouvez venir , demeurer, séjourner , et vous en retoar-
« ner sûrement , à votre bon plaisir , toutes les fois qu'il
« vous plaira, franchement et quitteraent, sans qu'aucun
« empêchement soit donné à vous, ni à nul de vos gens,
a par moi ni par d'autres, pour quelque cas qui soit et qui
« puisse advenir. En témoignage de ce , j'ai écrit et signé
45.
98
MAGASIN UNIVERSEL.
« cette cédille de ma main , en la ville de Péronne , le
« huitième jour d'ociobre ,• l'an mil quatre cent soixante-
« huit.
« Votre très humble et très obéissant sujet ,_
« Charles. »
Le roi partit presque aussitôt en assez petit cortège ,
n'emmenant avec lui que le connétable, le cardinal Balue,
le duc de Bourbon , le sire de Beaujeu , l'archevêque de
Lyon , et l'évèque d'Avranches , son confesseur : sa garde
se composait seulement de quatre-vingts Ecossais et d'une
soixantaine de cavaliers , tant il voulait montrer au duc
une parfaite confianee. Les archers de Bourgogne , com-
mandés par Philippe de Crèvecœur , allèrent à sa rencon-
tre : le duc vint lui-même hors de la ville jusqu'à la petite
rivière de Doing. Le roi l'embrassa et lui fit accueil. Cha-
cun se réjouissait de les voir si bons amis. Ils entrèrent
ensemble dans Péronne , causant familièrement , et le roi
appuyant sa main, eu signe d'amitié , sur l'épaule du duc.
Louis XI prit son logement au château , avec une douzaine
de personnes , composant toute sa maison.
Dès le lendemain , les pourparlers commencèrent entre
les conseillers des deux princes, et en leur présence ; mais la
discussion d'intérêts opposés ne tarda pas à changer les bon-
nes dispositions qu'on avait manifestées d'abord de part et
d'autre. Les esprits commençaient à s'aigrir, lorsque arrivè-
rent des nouvelles de Liège, qui excitèrent un grand émoi.
Les Liégeois , disait-on, avaient repris les armes, et au nom-
bre de deux mille , étaient allés à Tongres, où s'étaient réfu-
giés leur évêque et le sire d'Himbercourt , qui une fois
déjà les avait fait rentrer dans le devoir. Les révoltés ,
après avoir surpris la ville , les avaient emmenés prison-
niers , et on ne doutait pas qu'ils ne les eussent ensuite mis
à mort.
On peut juger de la fureur du duc , qui devina à l'instant
quel pouvait être l'instigateur de ces désordres. « Il est donc
« vrai , s'écria-t-il , que le roi n'est venu ici que pour me
« tromper et m'empêcher de me tenir sur mes gardes !
-. « c'est lui qui, par ses émissaires, a excité ces mauvais et
« cruels gens de Liège ; mais , par Saint-Georges , ils en
« seront rudement punis , et il y aura sujet de s'en repen-
« tir. » Aussitôt il ordonna que les portes de la ville et du
château fussent fermées et gardées par ses archers. Pen-
dant ce temps , le roi , à qui l'on avait rapporté les nouvelles
de Liège et les paroles furieuses du duc , ne se voyait pas
sans crainte enfermé dans l'étroite enceinte du château,
tout auprès de cette grcsse tour , où jadis Herbert , comte
de Verniandois , avait tenu prisonnier et fait périr son roi ,
Charles-le-Simple ; un tel souvenir était effrayant dans une
circonstance si critique. Toutefois il ne se troubla point et
ne songea qu'aux moyens de se tirer d'un si mauvais pas,
employant .les promesses les plus brillantes , et répandant
l'or à pleines mains , pour gagner les serviteurs du duc.
Quand Charles fut un peu plus calme, il assembla
son conseil. On discuta avec chaleur: les ennemis du
roi, et particulièrement le maréchal de Bourgogne,
l'emportèrent d'abord : c'en était fait de la vie et de la
couronne de Louis XI; mais des conseillers plus sages firent
changer ces résolutions hostiles. D'ailleurs les nouvelles de
Liège étaient moins terribles que ne les avaient faites les
bruits populaires. L'évêtpie avait été conduit avec une sorte
d'égards dans son palais : le sire d'Himbercourt avait été
mis en liberté , et chargé par le peuple d'apaiser le duc de
Bourgogne : Jean de Wilde , que les révoltés avaient pris
pour chef, avait réussi à les modérer et à leur faire écouter
la raison.
On arrêta que des commissaires seraient nommés par le
roi et le duc pour conclure un traité entr'eux; mais il est
inutile de dire que les conditions devaient en être onéreuses
pour Louis XI. ïoqtes les difficultés qui les avaient si long-
temps divisés se trouvaient résolues en faveur de la Bour-
gogne : tout ce qui foisait l'espérance du roi était abandonné
en un jour. Vainement les commissaires de France présen-
taient quelques objections ; on leur répétait : « Il le faut ,
« monseigneur le veut. »
Quand le projet de traité fut fait , le duc alla trouver le
roi prisonnier. Il s'efforça de lui montrer une courtoisie
humble et respectueuse; mais sa voix, tremblante de
colère, ses gestes brusques et menaçans démentaient ses
paroles. « Mon frère , lui dit le roi un peu ému , ne suis-je
a donc pas en sûreté dans votre maison et votre pays? —
a Oui, monsieur, répondit le duc, et si sûr que, si je voyais
a un trait d'arbalète venir vers vous , je me mettrais de-
ce vaut pour vous garantir. Mais ne voulez-vous pas jurer le
<c traité tel qu'il a été écrit? — Oui, dit le roi, et je vous
« remercie de votre bon vouloir. — Et ne voulez- vous point
a venir avec moi à Liège pour m'aider à punir la trahison
« que m'ont faite ces Liégeois , à cause de vous et de votre
a voyage ici? •— Oui, Pâques-Dieu, et je suis fort émer-
« veillé de leur méchanceté ; mais commençons par jurer le
« traité; puis je partirai avec autant ou aussi peu de mes
« gens que vous le voudrez. »
Alors on tira des coffres du roi le bois de la vraie croix,
que l'on nommait la croix de Saint- Laud, Suivant ce qu'on
racontait , elle avait jadis appartenu à Charlemagne , et se
nommait alors la croix de victoire. Nulle relique n'était
autant adorée par le roi , et il croyait qu'on ne pouvait
manquer au serment juré sur ce bois vénérable sans mourir
dans l'année. Il n'y eut sorte de promesses et d'assurances
qu'il ne s'empressât de faire à son beau-frère de Bour-
gogne , qui fit aussi son serment.
Ainsi fut signé à Péronne ce fameux traité de 1468.
Cet épisode de notre histoire a fourni au célèbre Walter-
Scott le sujet de Quentin Durward, l'un de ses romans les
plus intéressans : il a aussi inspiré un auteur dramatique ,
qui a su le reproduire avec assez de bonheur sur notre
scène française.
LES INDES ORIENTALES.
§ I. — VOYAGES DE VICTOR JACQUEMONT.
Le 26 août 1828, la corvette de S. M., la Zélée, appa-
reilla de Brest , en destination pour le Bengale , ayant à
bord M. de Meslay , nommé gouverneur de Pondichéry , et
Victor Jacquemont , jeune naturaliste français , envoyé par
le gouvernement pour entreprendre un voyage scientifique
dans les Grandes-Indes.
Victor Jacquemont consacre à ses livres , à ses cahiers ,
tout le temps qu'il ne passe pas à philosopher sur le pont
avec M. de Meslay , le seul philosophe du bord après lui.
Jacquemont travaille, compulse, dessine, et écrit sans relâ-
che. Toutes ses lettres datées de la Zélée sont remplies d'ob-
servations positives , d'ingénieux récits , de réflexions neuves
et piquantes sur tous les pays où le bâtiment relâche,
Sainte-Croix de Ténériffe , le Brésil , le Cap , l'île Bourbon ;
Jacquemont visite ces contrées en courant, et il en parle
avec savoir et profondeur.
Nous arrivons dans l'Inde. La Zélée vient de mouiller
devant le fort William de Calcutta; c'est le 5 mai 1829,
huit mois après son départ de Brest. Victor Jacquemont ,
habillé de noir de la tête aux pieds , et dans la plus grande
tenue , saute sur le rivage , se jette dans un palanquin avec
un énorme paquet de lettres de recommandation. Et le voilà
parti pour la maison de M. Pearson , avocat-général , par
laquelle il commence le cercle de ses visites aux notables
Anglais de Calcutta.
Il nous faut connaître maintenant avec plus de détails ce
jeune Français ainsi jeté par un vaisseau du roi sur une terre
étrangère, à quelques mille lieues de son pays, seul, abso-
lument seul, avec tant de dangers, tant d'aventures, tant
de misères en perspective; il nous faut le connaître tel qu'il
est; car nous avons bien peur qu'avec son habit noir, ses
2000 écus de haute solde et son bagage épistolaire, il ne
soit médiocrement recommandé auprès des nobles repré-
MAGASIN UNIVERSEL.
90
sentans de la Royale Compagnie , s'il ne paie prodigieuse-
ment de sa personne, s'il n'a du cœur, de l'esprit, beau-
coup de bonne humeur, beaucoup de science, des qualités
solides, des mœurs élégantes, l'indépendance de l'àrae et
du caractère. Fort heureusement Victor Jacqueraont est
tout cela.
Victor Jacquemont était un de ces hommes nés avec le
siècle, qui n'avaient connu de l'empire que sa gloire mili-
taire, qui s'étaient associés avec quelque confiance a toutes
les espérances d'amélioration et de progrès , qu'avait géné-
ralement inspirées l'avènement du ministère Martignac.
Passionné pour l'étude, avide d'émotions scientifiques,
impatient de trouver une carrière à l'incroyable activité de
son esprit ; mais obscur , sans autres antécédens que quel-
ques essais de critique et des voyages de recherches géolo-
giques en France, en Suisse et en Amérique , où de cruels
chagrins l'avaient quelque temps exilé , sans autre fortune
qu'une instruction immense, Victor Jacquemont avait
accepté avec enthousiasme la mission que lui avait confiée
ce choix intelligent du Conservatoire d'Histoire naturelle;
et il avait compris que sa destinée , en le conduisant aux
ludes pour y faire collection de plantes , de couches coquil-
lières et d'animaux , le chargeait aussi de représenter la
France, et particulièrement cette génération si ardente, si
estimable dans sa vivacité même , à laquelle il appartenait.
Toute cette jeunesse vraiment studieuse , vraiment sérieuse,
qui se pressait autour de la chaire de Villemain, qui assié-
geait le laboratoire de Thénard et l'amphithéâtre de Guvier,
Victor Jacquemont fut pendant trois ans son véritable
représentant , son plénipotentiaire habile et fidèle aux
Grandes-Indes. Suivons le maintenant.
La première découverte que fit Victor Jacquement, après
avoir parcouru pendant quelques jours ces salons anglais si
riches, si brillans, de Calcutta , ce fut qu'avec sa lettre de
change de 6,000 fr. sur M.*** et C, il était effroyablement
pauvre. En effet, qu'allait-il faire aux Grandes-Indes?
Voyager. Or , à quel prix voyage-t-on dans les Indes ? Telle
fut la première question que notre jeune compatriote se
posa , et voici ce qu'il apprit.
Un capitaine d'infanterie anglaise , un simple capitaine
ne se mettait pas en route sans être accompagné de vingt-
cinq domestiques pour le moins, savoir ; un pour sa pipe, un
pour sa chaise percée , sept ou huit pour planter sa tente ,
trois ou quatre pour sa cuisine ; plus un relai continuel de
douze hommes pour porter le palanquin dans lequel le
héros s'étendait lorsqu'il était las d'aller à cheval. Un collec-
teur anglais en tournée, emmenait sa femme, son enfant. Il
avait un éléphant , huit charriots pour les bagages, deux
cabriolets , un char pour l'enfant , six chevaux de selle et
de voiture, et, pour le transporter d'un bungalow (auberge
officielle où il y a les quatre murs) à l'autre, 60 à 80 por-
teurs, indépendamment d'une soixantaine de domestiques de
sa maison. Ilfaisait trois toilettes par jour, déjeunait, liffinait,
dînait, et le soir prenait son thé comme à Calcutta, sans en
rien rabattre ; cristaux, porcelaiuesétaientdépaquetés, empa-
quetés du malin au soir; argenterie brillante , linge blanc,
tout le reste à proportion.
' Ce train de vie coûtait cher, et pourtant , un Anglais qui
se respectait ne pouvait voyager à moins de frais. Mais la
vieille dame (c'est la Compagnie anglaise, dans le langage
des Indiens) avait généreusement pourvu à ces dépenses.
Un capitaine anglais avait 30,000 fr. de traitement; le sur-
intendant du Jardin Botanique 80,000; uji collecteur
100,000, sans compter les profits ; le chief-jusiice 200,000;
l'avocat-général , le respectable M. Pearson , de 4 à 300,000;
le gouverneur de l'Inde avait glus d'un million. Lord Wil-
liam Bentink voyagaitavcc trois cents éléphans, treize cents
chameaux, huit cents chars à bœufs; et deux régimens,
l'un d'infanterie , l'autre de cavalerie , lui servaient d'es-
corte.
Victor Jacqueraont fut très émerveillé de tant de raagni- ,
ficence; puis il calcula ce qu'il lui en coûterait pour voya-'l
I ger comme le moins magnifique de ces seigneurs ; mais
s'apercevant que le plus modeste équipage dépasserait
encore ses moyens, il résolut de solliciter du gouvernement
français, le mieux justifié de tous les crédits supplémentai-
res , et d'attendre à Calcutta l'effet de celte demande , i\ue
devaient appuyer à Paris les plus honorables amitiés. Il
attendit long-temps !
FOURMILIER.
Ce nom a été donné à des animaux d'une organisation
très-singulière , qui se nourrissent principalement de four-
mis, et dont on a formé un genre particulier, dans le
groupe assez peu naturel qui constitue l'ordre des édenlés,
et qui différent beaucoup entr'eux. La privation de dents
fait leur caractère distinclif. La langue est le seul instru-
ment avec lequel ils saisissent leur proie : elle est longue ,
en forme tle ver, et couverte d'une matière glutineuse. Le
grand fourmilier a quelquefois huit ou neuf pieds de lon-
gueur, depuis le museau jusqu'à l'extrémité de la queue.
Il est couvert de poils courts et épineux; ses mouvemens
sont lents, mais il est bon nageur. >
Ces animaux sont tous d'Amérique; et, jusqu'à présent,
ils sont trop peu connus , pour que les naturalistes soient
d'accord sur le nombre d'espèces qu'on doit admettre;
ceux que l'on a eu occasion de bien observer et de bien
décrire, diffèrent assez entr'eux par leur organisation et
par leur genre de vie , pour qu'on soit autorisé à en former ■
deux groupes distincts ; en effet , les uns ont une queue
prenante, qu'ils emploient comme un cinquième organe da '
mouvement ; tandis que les autres , au contraire , ont une '
queue lâche , qui ne peut leur être d'aucune utilité pour se
mouvoir ; et ils diffèrent tous les uns des autres par le nom-
bre des doigts.
Quoi qu'il en soit, les fourmiliers sont des animaux dont
les formes sont épaisses, les allures très lentes et les facultés
de l'intelligence très bornées ; le plus grand et le plus re-
marquable des fourmiliers est le Camanors, dont la figure
accompagne cet article. C'est un animal grand comme un
fort chien , et dont la tête fait le quart de la longueur du
corps. Son museau est presque cylindrique, et sa bouche,
d'un coin à l'autre, n'a que quatorze lignes; ses narines ont
la figure d'un C; sa langue est douce, pointue, flexible,
plus large qu'épaisse, et l'animal peut la faire sortir de près
d'un çied et demi ; ses oreilles sont petites et arrondies , et
son œil est petit et sans cils aux paupières. Il a quatre doigts
aux pieds de devant ; l'interne est petit , et n'a qu'un ongle
assez faible ; mais les trois autres sont très forts et armés
d'ongles plus forts encore à proportion. Les doigts de der-
rière sont au nombre de cinq ; ce sont les trois du milieu qui
sont les plus grands. La queue est extraordinairement
épaisse à sa base, et aplatie sur les côtés; l'animal la porte
horizontalement.
La principale nourriture du fourmilier, comme nons
l'avons dit , sont les fourmis ; mais tous les insectes lui
conviennent; et l'on assure qu'on peut le nourrir, en escla-
vage, avec de la mie de pain, de petits morceaux de
viande ou de la farine délayée dans de l'eau , et que c'est
ainsi qu'on est parvenu à en amener en Europe.
Cet animal est toujours seul. Tous ses moyens de défense
paraissent être dans la force de ses ongles et dans les mus-
cles vigoureux de ses jambes de devant. Lorsqu'il est atta-
qué , il s'assied sur son train de derrière, et embrasse son
ennemi, qu'il serre jusqu'à ce que l'un ou l'autre péiisse.
Lorsqu'un homme le rencontre, il peut le chasser devant
lui comme une bêle de somme, sans que cet animal montre
de colère ; mais dès qu'on le presse , son humeur se mani-
feste par de violens mouvemens de la queue. Enfin , on peut
l'assommer à coups de bâton en toute sûreté , et sans qu'il
puisse , par aucun moyen , se soustraire à la mort.
Il paraît que la femelle ne fait habituellement qu'un seul
A m
MAGASIN UNIVERSEL.
petit , qui s'attache à sa mère , et se ïait ainsi porter partout
avec elle.
RUBENS.
Rubens naquit à Cologne, le 29 juin 4577, d'une famille
noble, originaire de Slyrie, qui \int s'établir à Anvers à l'é-
poque du couronnement de Charles-Quint. Jean Rubens ,
son père , exerça dans celte ville les premières magistra-
tures j mais les troubles , excités par les sectaires du xvi^
siècle, l'ayant dégoûté du séjour d'Anvers, il transporta
sa résidence à Cologne. La mère de Rubens eut sept en-
fans , dont Pierre-Paul fut le dernier. On le destina d'abord
à la robe, et il se faisait déjà remarquer par son intelli-
gence, lorsque son père mourut en 1587. Sa mère étant
alors retoiirnée habiter Anvers , il y continua ses études ,
et fit sa rhétorique d'une manière si distinguée , qu'il par-
lait et écrivait le latin aussi facilement que sa langue ma-
ternelle. Il fut alors placé, en qualité de page, chez la com-
tesse de Lalain , d'une des plus nobles familles de Flandre;
mais il ne se plut pas dans cette condition, et obtint de sa
mère, à force d'instances, la permission de s'adonner à la
peinture. Il fut admis dans l'école d'Adam Van-Ort, qu'il
quitta bientôt pour travailler sous Otlo Vœnius , peintre
fort estimé à cette époque. Après quatre années d'études,
il se montra supérieur à ses deux maîtres , et partit pour
l'Italie en 1600. Il se rendit d'abord à Venise pour y étu-
dier les chefs-d'œuvre du Titien , du Tintoret et de Paul
Véronèse. Le duc de Mantoue, informé de ses succès, l'at-
tira à sa cour, et lui.confia une mission auprès du roi d'Es-
pagne, Philippe III. Rubens s'en acquitta à l'entière salis-
faction des deux princes, et revint à Mantoue, d'où le duc
l'envoya à Rome pour y copier les plus beaux tableaux de
l'école romaine. De Rome il alla à Florence et y étudia les
grands ouvrages de la sculpture antique et ceux du célèbre
Michel-Ange; puis il se rendit à Bologne, pour y voir les
peintures des Carraches : après quoi il retourna à Venise ,
guidé par la prédilection qu'il avait pour les grands colo-
ristes de celte école. Après un assez long séjour dans cette
ville , il alla de nouveau à Rome et y fit , pour le pape et
les cardinaux , une foule de tableaux qu'il serait trop long
d'énumérer. Quoiqu'il fût en Italie depuis sept ans , il n'a-
vait vu ni Milan , ni Gènes. Il résolut de visiter ces deux
villes. A Milan, il dessina la fameuse Cène de Léonard de
Vinci ; et c'est d'après ce dessin, rapporté par lui en Flan-
dre, que Wildoock en exécuta la gravure au burin. Sa ré-
putation l'avait devancé à Gênes ; aussi y reçut-il l'accueil
le plus flatteur , ce qui l'engagea à y séjourner assez long-
temps. Parmi les tableaux qu'il fit pour cette ville, il en est
deux que les Génois regardent comme ses chefs-d'œuvre.
An milieu de ses travaux, il apprend lout-à-coup que sa
mère est dangereusement malade. Tout cède à cette consi-
dération : il prend la poste; mais en route il reçoit la nou-
velle qu'elle a cessé de vivre. Il se retire alors dans l'ab-
baye de Saint-Michel , auprès de Bruxelles , pour s'y livrer
sans distraction à sa douleur, occupé uniquement d'élever
im monument à sa mère. Lorsqu'il reparut à Anvers, cha-
cun s'empressa de le combler d'honneurs : loulefois il son-
geait à retourner en Ilalie, dont le climat convenait mieux
à ses goûts et à sa santé; mais l'archiduc Albert et son
épouse Isabelle ne voulurent pas laisser partir un artiste
qui faisait la gloire de son pays : ils l'appelèrent à la cour
de Bruxelles, lui donnèrent.une pension considérable et le
litre de chambellan. Rubens ne résista pas à tant de fa-
veurs; mais il obtinl la permission de résider à Anvers, où
il pouvait se livrer à ses travaux favoris, sans être distrait
par le tourbillon de la cour. Il acheta dans cette ville une
maison spacieuse , qu'il fit rebâtir à la romaine, et où il dé-
ploya la magnificence d'un prince : il orna d'une collection
de belles peintures et de précieux morceaux de sculpture
antii|ue , une rotonde qu'il avait fait élever exprès entre
cour et jardin, et qui était percée de grandes fenêtres cein-
Irées et surmontée d'un dôme. En 1610, il épousa Isabelle
Brant , nièce de la femme de son frère aîné , Philippe Ru-
bens, secrétaire de la ville d'Anvers. Le duc Albert voulut
tenir sur les fonts de baptême le premier enfant de Rubens,
et lui donna son nom.
Doué d'une prodigieuse facilité, ce grand peintre exé-
cuta, pendant son séjour à Anvers , une multitude innom-
brable de tableaux de tous genres , dont la plupart, après
avoir fait partie du musée du Louvre, ont été rendus aux
Pays-Bas en 1815. Parmi ces admirables peintures, nous
devons citer la fameuse Descente de croix.
Rubens était aussi habile architecte que grand peintre.
C'est lui qui présida à la construction de la superbe église
des jésuites à Anvers. Il en fit tous les plans , et pour ache-
ver d'embellir cet édifice, il y peignit trente-six plafonds,
qui ont été reproduits deux fois par la gravure sur ses des-
sins originaux. Malheureusement un incendie, causé par la
foudre, en 1718, dévora tout l'édifice, à l'exception du grand
chœur, de deux chapelles et du portail.
La réputation de Rubens, répandue dans toute l'Europe,
attira l'attention de Marie de Médicis, qui résolut de lui
confier l'embellissement de son palais du Luxembourg. En
1620, elle le fit inviter à se rendre à Paris. Il y fut reçu
avec distinction. Après avoir pris les ordres de la reine, il
retourna à Anvers pour y exécuter les tableaux qu'on lui
avait commandés , et ne revint à Paris que lorsqu'il les eut
terminés. Ce sont tous ces tableaux allégoriques qu'on ad-
mire dans les galeries du Louvre : il les fit en vingt mois.
Ici commence pour Rubens une nouvelle carrière , où il
se distingua par les brillantes qualités de son esprit. Marie
de Médicis, s'étant brouillée avec son fils, était venue cher-
cher un refuge à Bruxelles, et réclamer la médiation de
l'infante et archiduchesse Isabelle , et du roi d'Espagne.
L'archiduchesse, qui connaissait la capacité de Rubens , et
qui savait le cas particulier qu'en faisait la reine-mère , le
choisit pour conduire cette négociation. S'il ne réussit pas,
c'est qu'il rencontra des obstacles insurmontables ; et la
reine, quittant alors la Belgique, trouva un asile à Cologne,
où elle mourut de misère , en 1643 , dans la maison même
où Rubens était né.
Pendant son séjour à Paris , Rubens avait fait connais-
sance avec le duc de Buckingham, qui était venu chercher
la princesse Henriette de France , destinée à Charles I".
Ce seigneur lui témoigna le désir de voir cesser la mésin-
telligence qui régnait depuis long-temps entre les cours
d'Espagne et d'Angleterre. Rubens fit part de celte ouver-
ture à l'archiduchesse , et en reçut l'ordre d'entretenir un
commerce de lettres avec le duc, tandis qu' elle prendrait
de son côté les ordres de la cour d'Espagne. Ces diverses
négociations , qu'il menait de front avec ses travaux , lui
valurent les plus grandes marques d'estime.
MAGASIN UNIVERSEL.
«Oft
Ayant perdu sa femme, en 1626, il résolut de parcourir
la Hollande, pour faire diversion à sa douleur. Pendant
tout ce voyage , il ne traversait jamais une ville sans visiter
les artistes , laissant partout des preuves éclatantes de son
amour [lour les arts, de sa générosité et de son affection
pour ses rivaux. Il s'acquitta en même temps , avec zèle et
talent , d'une mission , dont l'avait chargé Isabelle auprès
des états-généraux de La Haye. A son retour, il avait repris
ses pinceaux, lorsque la politique vint encore l'arracher aux
arts. Il fut envoyé à Madrid pour suivre les négociations
qu'il avait déjà entamées avec le duc de Buckiugham. Le roi
d'Espagne s'entretint souvent avec lui en particulier, et con-
çut une opinion si avantageuse de ses rares talens, qu'il
n'hésita pas à lui faire délivrer les patentes de secrétaire du
conseil privé de l'archiduchesse. Pendant qu'il était en Es-
pagne, le roi de Portugal, désirant connaître un artiste
d'une.si grande renommée, lui fit dire de se trouver, sur la
frontière , à sa maison royale de Villa- Viciosa. Rubens se
rendit à cette invitation avec un grand nombre de seigneurs
espagnols, curieux de voir la cour portugaise. Mais le roi
de Portugal , craignant sans doute d'avoir à défrayer tant
de monde , envoya un de ses gentilshommes à Rubens pour
l'informer que sa majesté avait été forcée de retourner en
toute liâte à Lisbonne , et lui offrit , de sa part , une bourse-
de SO pisloles pour les dépenses de son voyage. Rubens dit
à l'envoyé : « Je vous prie , monsieur, de présenter me»
« très-humbles respects à S. M. ; je regrette de ne pouvoir
« prendre moi-même les ordres dont elle aurait voulu m'ho-
a norer. Quant au motif de mon voyage , je la prie d'être
« convaincu que je n'y ai pas été déterminé par l'appât d'un
a présent de 50 pistoles, puisque j'en avais apporté 1,000
a avec moi , pour ma dépense et celle de ces messieurs qui
« m'accompagnent, pendant notre séjour à Villa-Viciosa. »
Et il reprit la route de Madrid. Enfin , après un séjour de
dix-huit mois dans cette ville , le roi lui fit remettre ses
instructions et ses lettres de créance pour la cour de Lon-
dres, et lui fit présent d'une bague enrichie de superbes
diamans , et de six beaux chevaux andalous. En Angleterre y
il ne reçut pas un accueil moins flatteur. Par son adresse ,
il parvint à remplir de la manière la plus satisfaisante le but
LA MAISON DE RUBENS.
(Vue de la façade du jardiu de Rubens, dessinée par lui-même.)
de sa mission , et Charles I*'" fut si content de lui , qu'il le
créa chevalier en plein parlement , et ne le renvoya à Ma-
drid qu'après l'avoir comblé de présens.
De retour à Anvers , il épousa sa seconde femme , Hélène
Froment (iCSO) , et se délassa de ses travaux diplomatiques
en reprenant ses occupations accoutumées. Mais Isabelle
réclama encore ses services , et le députa de nouveau auprès
des états de Hollande , qui lui faisaient la guerre et dont lés
pi ogres commençaient à l'effrayer. Rubens , sous le prétexte
d'acheter des tableaux , se rendit à La Haye et eut quelques
conférences secrètes avec le prince Maurice de Nassau : .!!
conduisit si habilement celte affaire qu'il en assura la réus
site, et que les négociateurs, qui lui succédèrent, n'eurent
qu'à suivre la route tracée par ses premières démarches.
Quelques temps après, lorsque le prince Ferdinand fit
son entrée à Anvers, n'ayant pu se présenter à lui, à cause
d'un violent accès de goutte, il reçut la visite de ce prince
dans son atelier, qui déjà avait été honoré de la présence de
plusieurs souverains. C'est ainsi que chacun s'empressait de
rendre hommage à ses vertus et à ses talens.
Rubens mourut le 30 mai 1640, et fut inhumé dans
l'église St.-Jacques d'Anvers.
Ce grand artiste possédait toutes les qualités les plus pré-
cieuses. Son extérieur était agréable , ses manières distin-
guées, sa conversation brillante. Étranger à tout sentiment
d'envie , il faisait un noble usage de la grande fortune qu'il
avait acquise. Il est peu de peintres qui aient autant produit :
ses ouvrages, connus par la gravure, sont au nombre de près
de quinze cents. On l'a vu souvent faire plusieurs esquisses
du même sujet, et toutes différentes. Suivant l'impétuosité
de sa pensée et la reproduisant avec chaleur, il sacrifiait à la
magie de sa couleur, l'exactitude du trait, et son suprême
mérite consiste dans le grandiose de l'effet , dans l'enthou-
siasme et la variété de sa composition. Rubens eut un grand
nombre d'élèves, dont la plupart le secondèrent dans ses
travaux ; les plus célèbres sont Van Dyck , Diepenbeck ,
Wildens, Sneyders, Van Mol, Van Tulden, Jacques Jor-
darus , Erasme Quelliniis , Gérard Séghers , et David Te-
niers , dit U Vieux.
LE THIBET.
Le Thibef comprend toutes les contrées qui s'étendent
au nord de l'Hindoustan, à l'est de la grande Bukharie, au
sud de la petite Bukharie , à l'ouest de la Chine et au nord-
ouest de l'empire des Birmans , entre les 28 et 57 degrés de
latitude N. , et les T\ et 97 degrés de longitude E. Ce pays,
qui consiste principalement en un vaste plateau , vraisem-
blablement le plus élevé du globe, est borné et traversé
103
MAGASIN UNIVERSEL.
par des montagnes d'une hauteur prodigieuse, entr'autres
la chaîne de l'Hymalaya. La capitale Lassa est le siège du
gouvernement thibétain et des mandarins cliinois , qui en
ont la surveillance depuis que l'empereur du céleste efhinre
a re«du le Thibet tribulatre (^24).
La religion des habitans est le lamamisme, qui a beau-
coup de rapport avec celle des Hindous; ils adorent une
idole appelée Mahamonni (le Bouddha du Bengale) ; mais
ils ont la plus grande vénération pour leur grand Lama ,
qu'ils regardent comme l'agent de Dieu sur la (erre ; il est
investi des soins de l'administration, et sa juridicUon,
comme souverain pontife , s'étend aux Kalmoucks et aux
Mongols, Son palais , situé sur la Montagne sainte , à sept
milles de Lassa , est couronné d'un dôme doré à soixante-
deuxbrasses de haut; l'extérieur est décoré d'innombrables
pyramides d'or et d'argent ; les dix mille chambres intérieu-
res contiennent un nombre immense d'idoles de même
matière. Le monastère Teshou-Lombou , qui sert de rési-
dence au second Lama , contient trois à quatre cents appar-
temens habités par des moines. Les bâtimens sont princi-
palement construits en pierres brutes et ont plusieurs étages.
Dans les grandes maisons , l'intérieur est orné de sculptu-
res. Le bas peuple et les habitans des campagnes bâtissent
ordinairement leurs cabanes sur le penchant des montagnes,
afin d'être plus près du bois et de l'eau. Les tribus nomades
habitent en grande partie dans des tentes de feutre noir.
Les gens du peuple portent un liabit à grand collet , et un
chapeau en laine fine ou en camelot ; ils tiennent un cha-
pelet à la main et se ceignent avec une courroie ou un
mouchoir en colon , auxquel ils attachent un coutelas, une
j)etite tasse, un briquet, etc. Les femmes et les filles ont
les cheveux partagés depuis le sommet de la tête et ti'essés
comme des cordes en deux queues nattées; plus il y a d'art
dans les coiffures , plus on les trouve belles. Les filles qui ne
sont pas encore mariées ajoutent par derrière une troisième
queue. Toutes les femmes ont un petit bonnet de velours
rouge ou vert et pointu par le haut ; elles portent des botti-
nes , des jupes d'étamine noire ou rouge, un tablier d'étoffe
de soie de diverses couleurs et garni d'une bordure de
fleurs brodées. Elles parent leurs doigts d'anneaux de co-
rail , montés en argent. Dès leur naissance , elles ont au
poignet gauche nn bracelet d'argent , et au droit un autre
en coquillages, qu'elles n'ôlent que lorsqu'ils s'usent d'eux-
mêmes ou se brisent. Les femmes de toutes conditions por-
tent un ou deux chapelets en corail ou en ambre jaune;
elles suspendent à leur cou une pietite boîte d'argent conte-
nant leur dieu protecteur; elles portent sur la poitrine un
anneau en argent , au bout duquel il y a de petites chaînes
avec lesquelles elles attachent leur schall par devant. Les
chapeaux des femmes riches sont couverts de perles ; ils
sont faits de bois, verni et enduit d'une couche de vermillon.
Toute femme ou fille (lui doit se présenter devant un Lama
se barbouille la figure avec du sucre rouge ou avec les
feuilles de thé qui restent dans la théière. Si elle ne le fait
pas , on dit que par sa beauté elle veut séduire un prêtre ,
et c'est une chose qu'on ne lui pardonne jamais.
Les mœurs tliibétaines offrent une foule de singularités;
le journal asiatique a plusieurs fois donné des détails curieux
sur ce pays encore aujourd'hui presqu'inconnu. Lorsqu'un
maître de maison donne un festin , il s'assied à la place la
plus distinguée; il ne va pas à la rencontre du convive et
ne le reconduit pas ; si le convié est d'un plus haut rang que
l'autre , on lui offre le vin avant les autres , et pour comble
d'honneur, on lui présente du beurre- Les riches donnent
des repas deux ou trois fois , et les pauvres au moins une
fois par mois. Les tables sont garnie^ de jujube , d'abricots,
de bœuf et de mouton.
Les trois grandes époques de la vie , la naissance , le
mariage et la mort , sont accompagnées de pratiques et de
cérémonies singulières. Lorsqu'un enfant vient de naître on
ne le lave point, et trois jours après on lui frotte le corps
avec du beurre et on l'expose au soleil. Sa mère ne le nour-
rit que quelques jours , et lui donne à boire une espèce de
bouillie faite de farine grillée. Quand l'enfant est devenu
grand , on lui apprend à écrire , à compter, ou à exercer
un métier (luelconque, si c'est un garçon; et si c'est une
fille , on lui enseigne à connaître les poids , à faire le cora- ;
merce , à filer, mais non pas à coudre. On regarde la nais- '
sauce d'une fille comme un grand bonheur; comme les
prêtres sont très respectés, la plus grande partie des jeunes
gens se consacrent à l'état monastique, et c'est la principale
cause de la faible population du Thibet.
Les mariages se font en considérant l'importance de la
maison à laquelle on s'allie. Dans un homme , on estime ses
connaissances littéraires, et dans une fille son aptitude
pour le commerce et la connaissance qu'elle a du ménage.
Entre les familles nobles et riches , les mariages s'arrangent
par l'entremise d'une amie; dans les autres, après qite le
jeune homme et la jeune fille sont d'accord, le premier,
pour en venir aux fiançailles, fait inviter une ou deux
parentes ou amies , auxquelles sa famille donne des mou-
choirs ; ensuite ses parens leur disent : « Dans notre famille
se trouve un beau et brave jeune homme qui désire s'allier
par mariage avec la fille de telle autre famille. » Les entre-
metteuses prennent les mouchoirs , se rendent à la maison
de la jeune fille et la demandent en mariage ; si la famille
y consent, elle fixe le jour des fiançailles , qui ont lieu dans
la maison des parens de la femme et auxquelles on invite
tous les parens et les amis des deux familles. Alors les entre-
metteuses apportent , de la part du prétendu , du vin et des
mouchoirs, et déclarent l'âge du jeune homme. Si les
parens de la fille sont d'accord sur ce mariage , on boit le
vin et on se partage les mouchoirs , et l'entremetteuse atta-
che l'ornement en turquoise , appelé sedziCi, sur la tête de
la jeune fille , à laquelle on fait des présens de thé , d'habils,
d'or, d'argent, de bétail et de moutons. Quand le temps
d'aller chercher la fiancée est arrivé , les deux familles font
leurs invitations, les conviés arrivent avec des présens, et
les parens de la fiancée lui donnent pour dot des terres et
du bétail. Le jour des noces , on dresse devant la maison de
celle-ci une tente , au milieu de laquelle on étale trois ou
quatre matelas carrés , puis on prend un plat de blé dont
on répand les grains par terre. La fiancée s'assied à la place
la plus élevée, le père et la mère se mettent près d'elle;
les autres parens des deux côtés d'après leur rang. On pose
devant eux de petites tables couvertes de fruits. Le repas
fini , on conduit la fiancée à pied à la maison du futur; on
la place près de lui et on leur présente à tous deux du vin
et du thé.
Un quart-d'heure après , les nouveaux époux s'asseyent
à part , et tous les parens leurs donnent des mouchoirs ,
qu'ils disposent devant eux; les gens les plus distingués les
leur passent autour du cou. Le lendemain la famille des
mariés , revêtue de ses plus beaux habits , parcourt la ville
ou fait des visites aux plus proches parens , qui viennent à
leur rencontre à la porte de la maison et leur offrent do thé
et du vin. Après avoir bu , on s'assied en cercle , les jambes'
croisées, et on chante. On passe ainsi trois jours, et le'
mariage est consommé.
Dans le Thibet , les femmes sont plus robustes que les
hommes ; ceux-ci sont toujours d'une constitution délicate.
Les femmes sont chargées de travailler à la terre , les villa-
geoises font tous les travaux qui chez nous sont le partage
des hommes. La polygamie est permise , mais en sens in-
verse des autres contrées de l'Orient; ici ce sont les femmes
qui peuvent avoir plusieurs maris, et souvent tro's ou
quatre frères de la même famille prennent la même femme.
Seulement l'aîné a le privilège du choix. Ils se partagent
entr'eux, à leur gré, les garçons et les filles qtii naissent
de cette union , et lorsqu'une femme vit en bonne intelli-
gence avec tous ses maris , elle reçoit l'épithète û'acconi'
plie , parce qu'elle gouverne bien la maison.
Ce sont en général les femmes «pii font le conmierce ;
celle qui ne sait ni labourer, ni semer, ui filer, ni lisser
MAGASIN UNIVERSEL.
A^
des camelots, ni faire d'autres travaux domestiques , devient
un objet de dérision pour tout le monde. Les mariages sont
indissolubles , mais l'adultère n'est point considéré comme
honteux. Si une femme mariée se lie avec un étranger, elle
dit sans cérémonie à son mari, qu'un tel est son amant
(yngdou). Le mari n'en est aucunement affecté, et si les
deux époux sont d'ailleurs contens l'un de l'autre, ils con-
tinuent de vivre en bonne harmonie.
Quand un homme meurt, on rapproche sa tôte des
genoux , on lui place les mains entre les jambes et on le
maintient ainsi avec des cordes ; puis on le revêt de ses
habits ordinaires , et on le met dans un sac de cuir ou dans
un panier, qu'on suspend à une poutre. On le pleure , on
invite des lamas à dire des prières; on porte aux temples du
beurre qu'on fait brûler devant les images divines ; tous les
effets du défunt sont donnés aux lamas ; quelques jours après
la mort , on porte le corps sur les épaules à la place des
découpeurs, qui , l'ayant attaché à une colonne en pierre ,
le coupent en petits morceaux qu'ils donnent à manger aux
chiens , ce qui s'appelle enterrement terrestre. Quant aux
os , on les pile dans un mortier , on les mêle avec de la
farine grillée , et on fait des boulettes qu'on donne encore
aux chiens ou aux vautours: c'est alors Yenterrement
céleste. On regarde ces deux manières d'être enterré comme
très-heureuses.
Les découpeurs de morts ont pour chef un dheha ; les
frais se montent à quelques dizaines de pièces d'argent
monnayé. Les cadavres de ceux qui n'ont pas d'argent sont
jetés à l'eau ; c'est ce qu'on appelle la sépu Iture aquatique;
on la regarde comme un malheur. Quand un lama meurt ,
on brûle son corps et on lui élève un obélisque. Quand un
pauvre meurt , ses parens et ses amis se cotisent pour venir
au secours de sa famille. Alamort d'un riche, on apporte
des mouchoirs et on console ses parens et les gens de la
maison ; de plus , on leur envoie du thé et du vin.
Le deuil consiste en ce que l'on ne se montre pas en
habits parés pendant cent jours. On ne se peigne pas les
cheveux , on ne se lave pas , et de plus , les femmes ne
portent pas de boucles d'oreilles , ni de chapelets au cou.
Les riches font venir quelquefois des lamas pour réciter des
prières; mais tout cela se termine au bout d'un an. En
général , on respecte , dans le Thibet , les jeunes gens , et
l'on ne fait aucun cas des vieillards. On évite les malades ,
et mourir à la guerre est un sujet de gloire pour toute la
famille.
SINGULARITES HISTORIQUES.
MŒURS ET USAGES AU MOYEN-AGE.
De toutes les parties de notre histoire , il n'en est pas de
plus intéressante que celle qui nous retrace les mœurs et les
usages de nos pères ; la bizarrerie du costume , l'étrangeté
de l'habillement , le maintien raide et empesé, nous parais-
sent chose plaisante , et nous ne pouvons manquer de sou-
rire du mauvais goût de nos ancêtres. On lit dans divers
auteurs contemporains de ces siècles encore si peu connus , .
quelques faits assez piquans que nous nous contenterons de
rapporter avec cette naïveté de langage qui a pour nous tant
d'attraits.
Ainsi messire Juvénaldes Ursins, le grave historien du
règne de Charles VI , passe en revue , dans un des chapitres
rie son ouvrage , la manière dont les dames se coiffaient
alors : «Icelles dames et damoiselles faisaient de grands
excès en parures , et portaient des cornes hautes et larges ,
ayant de chaque côté deux grandes oreilles si larges que
quand elles voulaient passer par un huis (porte), il leur était
impossible de le faire. » Ces coiffures bizarres étaient nées
en Flandre comme nous l'apprend Thomas Couai e , moine
célèbre du xv" siècle ; dans de longues et fulminantes pré-
dications , il s'éleva contre ces cornes : « Ce sont choses
paillardes , indécentes et damnables s'écriait-il avec force
devant les assemblées nombreuses de dames et damoisel>
les. » Toutefois ses sermons ne produisirent aucun effet, les
anciennes tapisseries de Flandre nous ont conservé ces
coiffures gigantesques qui allaient jusqu'à trois et quatre
pieds de hauteur.
C'est surtout sous le règne de Louis XI que l'on vit les;
coiffures des nobles dames , prendre un essor prodigieux i
«Les femmes, dit Monstrelet, mirent sur leur tête des
bourrelets à manière de bonnets ronds qui s'amenuisaient
par dessus de la hauteur d'une demi-aune; » et Erasme dans
son dialogue intitulé : Senatulus, vient encore confirmer ce
témoignage : « Il s'élevait autrefois , écrit le savant docteur,,
des cornes sur le haut.de la tête des femmes, auxquelles
elles attachaient des espèces de voiles (linteamina); ces coif-
fures distinguaient les femmes de premier rang. » Sous^
Louis XII, les petites maîtresses apportèrent quelques mo-
difications à ce singulier accoutrement : « Les dames, dit
un chroniqueur , abaissèrent un peu les coiffes dont elles:
se paraient, et se contentèrent de longs voiles noirs ornés;
de franges rouge ou pour|)re. » C'était la coiffure d'Anne
de Bretagne depuis la mort de Charles VIII; on la voili
ainsi représentée sur quelques gravures du temps.
Si nous examinons maintenant certains usages en vigueur
chez nos pères, nous rencontrons une foule de détails d'une
assez piquante curiosité. La manière déporter la barbe,,
par exemple, peut être l'objet de toute une histoire qui
n'est pas sans quelque intérêt.
Il est de principe certain que tout Français était soldat ;
s'il embrassait tout autre état, il cessait d'être Français; pour
marquer qu'il n'était plus de la nation on l'obligeait à se
couper la barbe et les cheveux, signe qui servait à distin-
guer le Français d'avec le peuple subjugué. Alaric , roi des-
Visigoths, craignant d'être attaqué par Clovis et cherchant
à l'amuser par de belles espérances, lui fit demander une
entrevue pour lui toucher la barbe , c'est-à-dire pour l'a-
dopter, car on prenait par la barbe celui qu'on voulait pla-
cer sous sa protection. Eginard, secrétaire de Charlemagne,
en parlant des derniers rois de la première race , dit : « Ils
venaient aux assemblées du Champ de Mars , dans un cha-
riot tiré par des bœufs ; puis ils s'asseyaient sur le trône
avec de longs cheveux épars et une barbe qui leur pendait
jusques à la poitrine. »
Robert, grand-père de Hugues Capet, que Charles-le-
Simple à qui il voulait enlever la couronne , tua de sa pro-
pre main , avait passé , au commencement de la bataille ,,
écrit Mézerai , sa grande barbe blanche par dessous la vi-
sière de son casque , pbur se faire reconnaître des siens.
Ainsi sous la seconde race on portait une longue barbe, et
cet usage continua sous les premiers rois de la troisième.
Hugues, comte de Châlons, ayant été vaincu par Richard,
duc de Normandie, alla se jeter à ses pieds, avec une selle de
cheval sur le dos, pour marquer qu'il se soumettait entière-
ment à lui : « dans cet accoutrement et avec sa longue barbe,
rapporte la chronique, il avait plutôt l'air d'une chèvre que
d'un cheval. »
Vers la fin du xi'' siècle, Guillaume, archevêque de
Rouen , déclara la guerre aux longues chevelures; plusieurs
gens du clergé se joignirent à lui, et dans un concile tenu
l'an 4096 , ils statuèrent « que ceux qui porteraient de longs
cheveux seraient exclus de l'église pendant leur vie, et
qu'on ne prierait point pour eux après leur mort. »
ÉPHÉMÉRIDES.
12 décembre 1 572. — Henri III, effrayé de la puissance de U
Li"-ite catholique, s'en déclare le chef aux états de Blois. — 18 16.
Le roi des Deux-Siciles , Ferdinand IV , reconnaît la constitution
donnée provisoirement en 1012 à la Sicile parles Anglais.
i^ décembre i Sis. — Ouverturedu concile deTretne. Ce concile
fut le plus long et le plus paisible de tous; on y réd igea des canons pour
fixer d'une manière invariable le dogme catholique. L'une des princi-
104
MAGASIN UNIVERSEL.
nales missions de ce concile , la réunion des prolestans et des ca-
Iholiques, ne put être remplie. — i553. Naissance de Henri IV,
roi de France. On sait que son grand-père, Henri d'Albret , prince
de Béam, frotta les petites lèvres de l'enfant avec une gousse d'ail
«t lui Ct sucer une goutte de vin rieux, pour lui donner un tempé-
rament mâle et vigoureux. — 1799- Adoption de la constitution
consulaire en l'an vin de la république française. — Dans chaque
icommune, les Français majeurs, de vingt-un ans, choisissaient
parmi eux des électeurs du deuxième degré ; les élus de toutes
les communes d'un même département , élisaient entre eux
les électeurs du troisième degré j enfin ce»: électeurs de tous
ces départemens formaient une liste nationale dans laquelle le
Sénat conservateur devait choisir les tro's consuls , les membres du
Tribunatet ceux du Corp s- Législatif. Le Sénat, composé dequatre-
"vingts membres inamovibles et à vie , incapables de toute autre
ifonction publique, prononçait sur les actes que le Tribunat ou les
Consuls lui déféraient comme inconstitutionnels. — Le Corps-Lé-
gislatif, composé de trois cenls membres rééligibles par cinquième
et après un an, faisait les lois au scrutin secret et sans discussion,
après avoir entendu en pui)lic les orateurs du gouvernement et
ceux du Tribunat. Le Tribunat, composé de cent membres, réé-
ligibles par cinquième, chaque année, discutait en public les projets
de loi présentés par le gouvernement, et faisait soutenir sa décision
devant le Corps-Législatif. Il dénonçait les actes inconstitutiounels
au Sénat conservateur. Les Consuls étaient nommés pour dix ans,
et indéfiniment rééligibles. Le premier d'entre eux exerçait le pou-
voir. Les deux collègues de Bonaparte, Sieyes et DucoSi, cédèrent
bientôt la place à Cambacérès et à Lebrun , agens dociles du géné-
ral. Quatre ans plus tard cette constitution éphémère fit place à
l'organisation impériale.
it^ décembre 1799. — Mort de Washington (George), le prin-
cipal fondateur des républiques américaines.
16 décembre 1794. — Carrier, le bourreau de Nantes, l'inven-
teur des noyades collectives , au moyen de bateaux à soupape où
il entassait des masses de suspects , est envoyé à l'échafaud
par le tribunal révolutionnaire , après la chute de Robespierre.
La férocité de ce proconsul avait révolté la Convention elle-même.
17 décembre 548. — Prise de Rome par Totila, chef des Os-
trogoths.— i83o. Mort de Simon Bolivar, général, puis dictateur
et président à vie de la république de Colombie , formée par ses
soins le 17 décembre i8ig. Il s'était démis de ses fonctions quel
ques mois avant sa mort , pour répondre disait-il , à ceux qui le
soupçonnaient d'aspirer au pouvoir absolu.
LQ décembre 1789. — Création des assignats en France. —
1793. Toulon, livré aux Anglais le 29 août, est repris par les
Français commandés par Dugonimier.
2 5 déccmbra (an de Rome 749). — Naissance de Jésus-Christ.
— 49<>. Baptême de Clovis. — 1440. Exécution du maréchal de
Retz. Un grand nombre de jeunes victimes avaient trouvé la mort
dans ses châteaux , à la suite des affreux désordres auxquels il se
livrait depuis un grand nombre d'années.
• 3o décembre 1790. — L'Assemblée constituante rend un décret
qui as,sure à tout Français la propriété de ses découvertes et in-
ventions nouvelles.
LE NOUVEAU POAT DE LONDRES.
MiiirrjcK':cw
( Vue du nouveau Pont de Londres. )
Nous avons donné, dans le n° 54 de noire première an-
née, une vue du magnifique pont de Londres, commencé
en 4824, et qui porte le nom de cette cité. Dans cette gra-
vure, le pont él;iil représenté pendant sa construction !^ et,
âgauclie, on apercevait ce vieux ponlde Londres si incom-
mode, si faligné par le temps, qu'il devait remplacer. Au-
jourd'hui, nous mettons sous les yeux de nos lecteurs le
dessin de celte œuvre monumentale entièrement achevée.
Le vieux pont de Londres a disparu , et depuis long*
temps déjà, la nouvelle voie est livrée à cette foule de
Piétons et de voilures qui la traverse incessamment
(l
MAGASIN U.NIVERSEL.
405
INDE.
Division des indiens en castes. — Professions industrielles.
(Bijoutier ambulant.)
Nous désignons en Europe par la dénomination de castes,
mot emprunté du portugais, les différentes tribus qui com-
posent les peuples de l'Inde.
Tome II. —Janvier i835.
La division la plus ordinaire, et en même temps la plus
ancienne, est celle qui les classe en quatre tiibus principa-
les. La première et la plus disliuguce de toutes est celle des
44.
406
MAGASIN UNIVERSEL.
Brahmes : viennent ensuite celle des Rajahs , celle des
Veissiahs ou directeurs de l'agriculture et do commerce, et
celle des Sudras ou laboureurs et esclaves.
Les aitribiilions propres à chacune de ces quatre tribus
sont , pour les Brahmes , le sacerdoce et ses diverses fonc-
tions ; pour les Rajahs , la profession militaire dans toutes
ses branches ; pour les Veissiahs , l'agriculture , le com-
merce et le soin d'élever les troupeaux ; le partage des Su-
dras est une sorte de servitude.
Chacune de ces quatre castes principales se subdivise en
beaucoup d'autres ; mais la tribu où les catégories sont le
plus multipliées et le plus nombreuses de toutes, est celle
des Sudras; elle forme en quelque sorte la masse de la po-
pulation, et, jointe à la caste despariahs, elle équivaut aux
neuf dixièmes des habilans.
Comme c'est aux Sudras que sont dévolus la plupart des
prof( ssions mécaniqcies et presque tous les travaux manuels,
et que , d'après les préjuges du pays , aucun Indien ne peut
exercer deux professions à la fois , il ne paraîtra pas surpre-
nant que les nombreux individus qui composent cette tribu
soient répartis en tant de branches distinctes.
On voit en outre , dans quehjues districts , des castes
qu'on ne retrouve nidle part, et qui se font dislinguer par
des pratiques singulières qui leur sont tout à fait propres;
ainsi à l'est du Meissour, il existe une tribu désignée sous le
nom de Monsa-Hokeula-Makulou , dans laquelle, lorsqu'une
mère de famille marie sa fille aînée , elle est obligée de su-
bir l'amputation de deux phalanges au doigt du milieu et à
l'aimulaire tle la main droite. Si la mère de la fille est
morte, celle du marié, ou à son défaut une des plus pro-
ches parentes, doit se soumettre à ceae cruelle mutilation.
Il existe encore dans les divers pays un grand nombre
d'autres castes qui se distinguent par des pratiques non moins
insensées que celle qu'on vient de faire connaître.
On a avancé que c'est à celte ilivisiou des castes que les arts
sont retlevables de s'être conservés dans l'Inde , et que par
cette même raison, ils prendraient le même essor qu'en Eu-
rope sans les entraves appo. tées à leur exercice.
Celte perfection dans les arts aurait été atteinte par un
peuple aussi industrieux que les Indiens , dit le savant mis-
sionnaire Dubois, si la cupidité de ceux qui les gouvernent
ne s'y opposait pas. En effet, dès qu'on sait qu'il existe quel-
que part un ouvrier qui excelle dans sa profession , il est
aussitôt enlevé par ordre du prince, transporté dans son pa-
lais, où il est enfermé quelquefois pour le reste de ses jours,
forcé de travailler sans relâche et très mal payé. Une telle
conduite adoptée dans toutes les parties de l'Inde soumise
à des princes indigènes, ne peut qu'éteindre toute industrie
et amortir toute émulation. C'est au^i la principale et peul-
êire la seule cause qui ait ralenti les progrès des arts chez
les Intlieus, bien en arrière , à cet égard , des peuples qu'ils
ont précédés de tant de siècles dans la civUisation. Ce n'est
ni l'industrie ni l'adresse qui manquent à leurs travailleurs.
Dans les établisseuiens européens , où ils sont payés selon
leur mérite, on en voit beaucoup dont les ouvrages feraient
honneur aux meilleurs ouvriers de l'Europe, sans qu'il soit
nécessaire pour eux d'avoir recours à ce grand nombre
d'outils dont la nomenclature seule exige une étude parti-
culière. Ui>e ou deux haches, autant de scies et de rabots,
le tout d'une espèce si grossière qu'un Européen n'en sau-
rait tirer aucun parti, sont presque les seuls instrumens
qu'on voie » ntre les mains des menuisiers de l'Inde. La
boutique amlHilante d'un orfèvre est ordhiairement com-
posée d'une petite enclume , d'un creuset, de deux ou trois
petits marteaux, et d'autant de limes; avec d'aussi simples
ustensiles, la patience des Indiens , jointe à leur industrie,
sait produire des ouvrages que souvent on ne distinguerait
pas de ceux qu'on apporte à grands frais des pays les plus
éloignes. A quel degré de perfection ne seraient pas par-
venus ces hommes si , au lieu d'être pour ainsi dire les
élèves de la simple nature, ils avaient été dès leur enfance
sous la conduite de maîtres habiles !
Pour nous former une idée de ce que pourraient les In-
diens dans les arts et les manufactures, si leur industrie
naturelle était convenablement encouragée, H ne faut que
nous transporter à l'atelier d'un de leurs tisserands ou de
leurs peintres sur toile, et considérer avec attention le
genre d'instrumens avec lesquels ils produisent cesschalls,
ces superbes mousselines , ces toiles superlines , ces belles
étoffes peintes qu'on admire partout et qui en Europe oc-
cupent le premier rang parmi les principaux articles de la
parure. En faisant ces magnifiques ouvrages, l'ariisan se
sert de ses pieds presque autant que de ses mains ; en outre,
le métier de ti«iage , et tout l'appareil nécessaire pour our-
dir et travailler son fil avant de le tendre sur le métier,
ainsi que les autres ustensiles dont il se sert en travaillant ,
sont si simples et en si petit nombre , que le tout réuni for-
merait à peine la charge d'un homme. Il n'est pas rare de
voir un de ces ouvriers , changeant de domicile , porter
sur son dos tout ce qui lui est nécessaire pour commencer
à se mettre à l'ouvrage , au moment où il arrivera au lieu
de son nouveau séjour.
Les peintures sur toile , qui ne sont pas moins admirées,
s'exécutent par des moyens tout au.ssi simples. Trois ou
quatre bâtons de bambou pour tendre la toile , autant de
pinceaux pour appliquer les couleurs , quehpies morceaux
de pot lie terre cassé pour les contenir, une pierre creuse
pour les broyer ; tel est à peu près tout ce qui constitue
l'atelier de cette classe d'artistes.
« J'ai entendu (dit le missionnaire Dubois) des gens très
sensés d'ailleurs, mais encore imbus de tous les préjuges
qu'ils avaient apportés d'Europe , prononcer, selon moi ,
un jugement erroné au sujet de la divisiim multipliée des
castes parmi les Indiens. Cette division leur paraissait, non-
seulement inutile au bien commun , mais encore ridicule,
et uniqueiuent faite pour gêner les peuples et les désunir.
Quant à moi, qui ai vécu tant d'années au milieu des Indiens
comme un ami, et me suis trouvé par là à portée d'obser-
ver de près le génie et le caractère de ces peuples , j'ai porté
sur le sujet dont il est ici question, un jugement tout op-
posé. Je considère la division des castes comme le chef-
d'œuvre de la législation indienne sous plusieurs rapports ,
et je suis persuadé que si les peuples de l'Inde ne sont jamais
tombés dans un état de barbarie, si, dans le temps que la
plupart des autres nations qui peuplent la terre y étaient
plongées , l'Inde conserva et perfectionna les arts , les scien-
ces et la civilisation , c'est uniquement à la distribution de
ses habitans en castes, qu'elle est redevable de ces précieux
avantages.
« Je ne suis pas moins convaincu que , si les Indiens n'é-
taient pas contenus dans les bornes du devoir et de la subor-
dination par le système de la division des castes et par les
réglemens de police propres ù chaque tribu , ces peuples
deviendraient dans peu de temps ce que sont les pariahs, et
peut-être pire encore ; toute la nation tomberait nécessai-
rement dans la plus déplorable anarchie , et avant l'extinc-
tion de la génération actuelle , ce peuple si policé serait
compté au nombre des plus barbares qui existent sur la
terre. »
AFFRANCHISSEMENT DU PORTUGAL EN 1640.
nlBEIRO PINTO.
Depuis soixante ans , le Portugal subissait le jong espa-
gnol. Pour rendre la vie au Portugal, il fallait une révolu-
tion : de longues souffrances , de longues humiliations la
préparèrent; l'année 4640 la vit éclater.
Lorsqu'en 1627, quelques nobles Portugais, voulant met-
tre la main à l'œuvre du salut national, allèrent trouver le
duc de Bragance à Villa-Viciosa, et lui proposèrent d'être
leur chef, le duc leur répondit qu'il n'était pas né pour de
si grandes entreprises. En retardant l'explosion du complot,
il en assura le succès : grâce aux hésitations du duc , la ré-
volution se trouva coïncider avec le soulèvement de la Ca-
MAGASIN UNIVERSEL.
m
talogne el les disposilions hostiles de la France contre l'Es-
pagne ; plus tôt , elle eût été prématurée.
Une femme et un homme paitagent la gloire d'avoir tra-
vaillé de concert à l'affranchissement de ce royaume; celte
femme, c'est Louise de Gusman, duchesse de Bragance,
qui d'Espagnole s'était fiiite Portugaise par amour et par in-
térêt pour son époux ; cet homme, c'est Ribeiro Pmto, in-
tendant de la maison du duc, doué d'ambition , d'activiié ,
de génie, l'une de ces causes secondes dont, en politique, les
causes premières ne peuvent se passer. Leurs conseils, leurs
exhoriations, agirent enfin sur les résolutions du duc. La
duchesse de Mantoue , vice-reine du Portugal , s'aperçut
qu'il se traniait quelque chose , et fit passer des avis au mi-
nistre de Philippe IV, à Olivarès ; ce dernier saisit tous les
prétextes d'attirer le duc de Bragance hors du Portugal , le
duc usa de tous les subterfuges pour ne pas le quitter : dé-
sormais il avait juré de n'en plus sortir qu'avec la couronne
ou dans le cercueil.
Pendant dix mois , le complot marcha dans l'ombre avec
autant de bonheur que d'adresse ; aucun des conjurés ne
faillit à ses sermens ni à la prudence : les principaux étaient
l'archevêque de Lisbonne, Rodrigue d'Acunha, Pierre de
Mendoza et Hurtada de 3Iendoza, ses parens; Antoine et
Michel d'Alméida, Francisco de Mello et son frère; don
Rodrigue de Saa, grand -chambellan, et plusieurs autres
seigneurs titulaires de charges aujourd'hui détruites. Le
samedi \" décembre 4640, fut le jour choisi pour l'exécu-
tion. Peu de sang devait être versé ; la seule victime qu'on
résolut d'avance d'immoler, ce fut le secrétaire du conseil,
le véritable arbitre de l'auiorité confiée à la vice-reine, Por-
tugais de naissance, abhorré du peuple, Michel de Vascon-
cellos. Trois jours avant celui fixé , le 27 novembre , les
conjurés ayant tenu une assemblée nocturne, l'un d'eux,
Jean d'Acosla, fra|)pé des difficultés de l'entreprise, pro-
nonça un discours dans lequel il proposait d'attendre en-
core : « Nos maux sont gi ands sans doute , disait-il ; la ty-
« rannie castillane est exécrable; les droits du duc de Bra-
« gance sont incontestables; les vœux de la nation sont à
« lui; il mérite la couronne; vous jiouvez la lui mettre au-
ct jourd'hui sur la tête, mais comment la garantirez-vous
« demain? Sans argent, sans armes et sans soldats, com-
« ment défend rez-vous ce misérable peuple des dernières
« fureurs d'une tyraraiie à qui vous aurez donné de si justes
« motifs de colère? » Ce discours, qui contenait assez de
raisons solides pour ébranler plusieurs conjurés, fut inter-
rompu par des murmures et des cris de fureur. « Sei-
« gneurs, dit d'Acosla d'une voix forte , pour le succès, il
« faudrait compter sur des miracles ; mais n'y comptons
« pas, car, au fond , nous n'en méritons guère. » Le résul-
tat de celte délibération orageuse fut qu'on aviserait le duc
de Bragance d'un nouveau retard jugé nécessaire.
Leduc reçut à la fois un courrier de Pinto, qui se trou-
vait à l'assemblée, et un autre de Madrid , portant injonc-
tion formelle de partir sur-le-champ. Chancelant , efirayé ,
le duc consulta sa courageuse épouse ; « Poursuivez et hà-
« tez vos coups , lui dit celle-ci , il n'est plus temps de re-
« culer; à Madrid, vous êtes un traître, à Lisbonne, vous
« serez un roi. Ecrivez à vos amis qu'en différant d'un seul
« jour, ils vous perdent, et eux et vous. » Le duc se rendit
à ce conseil, et en instruisit les conjurés, que déjà Pinto,
par ses efforts, avait ramenés à des dispositions plus fermes.
Le jour venu, tous les conjurés, au nombre de quarante,
dont l'histoire conserve religieusement les noms, se confes-
sèrent et communièrent , puis se pourvurent d'armes :
quelques bourgeois, chargés de soulever le peuple , avaient
pour mission de le tenir en haleine ; mais le peuple même
ne se doutait encore de rien. Tous se rendirent au palais ,
la plupart en litière, pour cacher leurs armes ; de là, cha-
cun alla prendre le poste qui lui était assigné : des mères ,
des épouses , initiées au complot , ne montrèrent point les
terreurs ordinaires aux femmes; la magnanime comtesse
d'Atongia, aidant ses deux fils à s'armer, don Jérôme d'A-
tayde et François Coutinha leur dit : « Allez , mes fils, et
délivrez votre pays; si l'âge et le sexe me le permettaient,
j'irais partager vos efforts et voire gloire. » Marianne de
Lancastre adressa les mêmes exhortations à ses deux fils.
Tout étant prêt, un coup de pistolet, tiré par Pinto d'une
des fenêtres du palais, donna le signal : don Michel d'Al-
méida tomba brusquement sur la garde allemande, en
criant : « Liberté ! liberté ! Vive le roi don Juan IV ! » Cette
garde, surprise, résista peu : d'Alméida pénétra dans le
palais. Alors, se montrant à une fenêtre qui donnait sur la
filace : (c Aux armes ! s'écria-t-il , braves Portugais; le duc
de Bragance est votre légitime roi ; joignez vos armes aux
nôtres; rendons -lui la couronne, et reprenez vos li-
bertés. » Un immense cri de liberté s'éleva de la foule; en
un instant , plus de dix mille hommes eurent pris les ar-
mes, prêts à massacrer tout ce qu'ils renconlreruient d'Es-
|)agnols en humeur de résister. George et Antoine de Mello,
Etienne d'Acunha, s'étaient jetés sur la garde castillane j
un prêtre marchait à leur tête , tenant un crucifix d'une
main et de l'autre une épée,doni il portait de grands
coups. Dans le palais se consommait la tragédie ' Vascou-
cellos, dont une vieille esclave, menacée de mort, avait
Irahi l'asile, tombait percé de coups, et son corps était jeté
au peuple. La vice-reine, prenant d'abord la révolution
pour une émeute populaire, voulut essayer de la calmer;
elle, qui ne devait la vie , ainsi (jue l'archevêque de Brague,
qu'au respect de quelques conjurés, les engageait fièrement
à rentrer dans le devoir, disant que c'était assez d'avoir
tué Vasconcellos. « Madame , lui répondit don Juan de Mé-
« nézes , Vasconcellos ne méi ilait de périr que par la main
« du bourreau, et ce n'est pas pour frapper une aussi vile vic-
« time que tant de gens de cœur ont pris les armes ; c'est
« pour rétablir le duc de Bragance dans ses droits. » Celte
explication n'ayant pas satisfait la vice-reine, qui continuait
à endoctriner le peuple, don Carlos de Nozonha, moins
poh que Ménézez, lui dit : « Rentrez, Madame, et n'irri-
« tez pas le peuple contre vous. — Contre moi ! reprit-
« elle avec fierté ; et que peut-il me faire , à moi ? — Ma-
« dame, si vous ne passez par celle porte, ajouta Nozonha,
« il peut vous obliger à passer par cette fenêtre. »
Bientôt la vice-reine fut foicée designer des ordres en-
joignant au gouverneur du château el aux commanda ns des
diverses citadelles de livrer leurs postes, ce à quoi tous se
soumirent.
La révolution se fit à Lisbonne avec tant de promptitude
et d'unanimité, qu'au Palais-de-Justice les magistraii;, qui
venaient de prononcer un arrêt au nom du roi Piiili|>pe ï V,
sans lever la séance , jugèrent une autre cause au nom du
roi Jean IV. De son côté , ce prince s'était fait proclamer à
Evora : dès qu'il eut appris le succès obtenu à Lisbonne,
il partit, et vint débarquer en présence de tout le peuple,
ivre de joie, qui, depuis deux jours, l'attendait sur le port.
Le reste du royaume imita rapidement la capitale , et les
châteaux-forls se rendirent sans que nul commandant osât
seulement se défendre. « Celle révolution, a dit un judi-
a cieux écrivain, fut légitime dans son firincipe, rapide dans
« sa marche , peu sanglante dans ses développemens , déci-
« sive et durable dans ses effets. Le Portugal recouvra son
« indépendance, et a su la conserver; mais il ne recouvra
« pas ses forces , qui avaient été attaquées et énervées dans
« son principe : soixante ans de servitude et de fers avaient
a laissé des traces profondes, que le temps n'a pu entière-
« ment effacer. »
Tous les souverains de l'Europe accueillirent les ambassa-
deurs de Jean IV, et reconnurent ce prince; un seul se
montra récalcitrant; ce fut Urbain VIII, qui, malgré toutes
les négociations et tous les mémoires présentés en faveur
du nouveau roi, refusa l'investiture. Les Indes et l'Amé-
rique s'affranchirent avec empressement de la domination
castillane. De tous les pays qui avaient suivi la destinée da
Portugal , l'Espagne ne conserva que la ville de Ceuta en
1 Afrique.
408
MAGASIN UNIVERSEL.
L'YACK OU BOEUF A QUEUE DE CHEVAL.
' Nous avons fait connaître à nos lecteurs (i) une espèce
parliciilière de bœufs, devenue aujourd'hui fort rare, aussi
remarquable par sa longue crinière qui descend quelquefois
jusqu'à mi-jambe, que par sa force extraordinaire et ses
dimensions gigantesques. Il est encore dans la même famille
d'autres espèces qui s'éloignent assez des bœufs communs
de l'Europe, par leur aspect singulier et par leurs mœurs ,
pour que leur histoire doive trouver place dans notre
Magasin. De ce nombre est le Yack, auquel on a aussi
donné le nom de hœufà queue de cheval, de bœuf du Thi-
het , de vache grognante ou de Tartarie.
Les Yacks se rencontrent, surtout dans la chaîne qui
sépare le Thibet du Boutan. Les Tartares nomades se
nourrissent de leur lait , dont ils font aussi un excellent
beurre qui s'envoie , dans des sacs de peau , par toute la
Tartarie. On emploie l'Yack , suivant les lieux , à porter
des fardeaux et à tirer, ou les charriots , ou la charrue.
La queue de ces animaux est dans tout l'Orient un objet de
luxe et de parure. Les Chinois, avec ses crins teints en rouge,
font les houppes de leurs bonnets d'été, et elle est employée
comme signe de dignité militaire chez les Turcs. Le natu-
raliste Pennant en a vu une de six pieds de long au musée
britannique.
L'Yack habite l'Asie centrale; il vit encore à l'état
sauvage dans les chaînes du Thibet , dont il recherche les
sommités à cause de leur froide température. Réduit à l'état
domestique , il rend aux habitans de l'Asie des services non
moins grands que le bœuf commun aux Européens.
L'Yack se distingue de tous les autres bœufs par sa queue
dont les crins réunissent souvent la longueur et l'élasticité
de ceux du cheval , à la finesse et au lustre de la soie.
L'Yack a sur les épaules une proéminence recouverte d'une
touffe de poils beaucoup plus longs et plus épais que ceux
de l'épine; cette touffe s'allonge sur le cou en forme de
crinière, et s'étend jusqu'à la nuque ; les épaules, les reins
et la croupe sont couverts d'une sorte de laine épaisse et
douce; des flancs, du dessous du corps et du gros des
membres pendent jusqu'à mi-jambe , et quelquefois jusqu'à
terre , des poils très-droits et touffus , qui font paraître les
jambes de l'animal très-courtes , et lui donnent un aspect
tout particulier. Sur le bas des jambes , le poil est lisse et
roide ; les sabots , surtout ceux de devant , sont très-gi ands
et semblables à ceux du buffle. La forme des cornes et des
oreilles varie suivant les races d'Yacks; celle du Thibet a
des cornes longues, minces, rondes et pointues, peu
arquées en dedans et repliées un peu en arrière; elles ne
présentent ni arêtes, ni aplatissement; celle variété a aussi
les oreilles petites. En Daourie, au contraire, les Yacks
mâles portent de très-grandes cornes, aplaties et courbées
en demi-cercle. Les individus vus et décrits par le fameux
naturaliste Pallas , étaient sans cornes , de la taille d'une
petite vache , le front très-bombé et couronné d'un épi de
poils rayonnans. Ils étaient bossus au garrot comme ceux
de Thibet. Ils venaient de la Mongolie. Les oreilles étaient
(L'Yack.)
gi'andes , larges , hérissées de poils , dirigées en bas sans
être pendantes. A trois mois, dit Pallas, le vean a le poil
crépu , noir et rude comme un chien barbet , et les longs
crins commencent à poiisser partout sous le corps , depuis
]a queue jusqu'au menton : tout le corps est noir. L'été de
la Sil)érie est encore trop chaud pour eux ; dans le milieu
du jour, ils cherchent l'ombre ou se plongent dans l'eau.
Les Chinois, qui en ont introduit chez eux , les appellent
"(i) Toy. page 368. x^* Année. (Aurocli.)
Si nijou (vache qui se lave) , à canse de leur tendance à,
se plonger dans l'eau dont la fraîcheur leur plaît. '
Les deux sexes ont un grognement grave et monotone
comme celui du cochon. Les mâles le répètent moins sou-
vent que les vaches, et les veaux encore plus rarement, On
dit qu'ils ne grognent ainsi que quand ils sont inquiétés ou
en colère. Les Thibétains ont pour le Yack un respect reli-.'
gieux (1).
(i) Parmi les auteurs anciens , ^lien seul a parlé du Yack; il
MAGASIN UNIVERSEL.
m
J. D'ALEMBERT.
Le 46 novembre 474T, les vagissemens d'un enfant ex-
posé sur les marches de Saint-Jean-le-Rond , église située
près de Notre-Dame et maintenant détruite , attirèrent , au
point du jour, quelques habitans de la Cité ; il était d'une
constitution si déli-
cate que le commis-
saire de police qu'on
avait appelé pour con-
stater la naissance du
malheureux orphe-
lin, crut devoir lui
faire donner des soins
particuliers, au lieu
de l'envoyer aux En-
fans-Trouvés , et le
confia à la femme
d'un pauvre vitrier.
Cet enfant délaissé
par sa famille, de-
vait être un jour l'un
des hommes les plus
marquans de son siè-
cle ; c'était D'Alem-
bert. — Ses parens
ne poussèrent ce[ien-
dant pas l'inhuma-
nité au point de l'abandonner entièrement à la charité pu-
blique; son père lui assura douze cents livres de rente, re-
venu plus que suffisant alors pour le mettre au-dessus du
besoin; mais en lui donnant des moyens d'existence ils re-
fusèrent de le reconnaître , et ce ne fut que long-temps
après sa naissance qu'on apprit que d'Alembert était fils de
madame de Tencin, femme célèbre par son esprit et sa
beauté , et de Deslouches , commissaire provincial d'artil-
lerie.
D'Alembert annonça de bonne heure de grandes disposi-
tions et beaucoup d'application. Il n'avait encore que dix
ans , que son maître de pension , homme de mérite , décla-
rait n'avoir plus rien à lui apprendre. A douze ans d'Alem-
bert passa au collège Mazarin où il entra en seconde ; ses
maîtres crurent pouvoir en faire un autre Pascal pour le
soutien de la cause du jansénisme à laquelle ils étaient for-
tement attachés; mais lorsque le jeune écolier eut été ini-
tié aux mathématiques, il se sentit pour cette éiude une
vocation décidée et renonça pour elle à toutes les discussions
Ihéologiques.
En sortant du collège, D'Alembert étudia le droit et se
fit recevoir avocat ; mais les mathématiques absorbèrent
presque tous ses instans. Ce fut en vain qu'il essaya plus
tard de se livrer exclusivement à l'étude de la médecine,
sur les instances de ses amis qui l'engageaient à adopter
un état qui pût le mener à quelque aisance; et cependant
la profession de médecin était une de celles qui était le plus
-en rapport avec le goût de D'Alembert pour les sciences abs-
traites.
Poursuivi par ses idées, D'Alembert reprit ses livres de
mathématiques qu'il s'était résigné à éloigner de lui pen-
dant quelque temps, et en 1759 il remit à l'académie des
Sciences un mémoire fort remarquable sur une question de
mécanique. A celte première publication en succéda une
autre l'année suivante et l'académie s'empressa de le rece-
voir dans son sein. La nature de notre recueil ne nous permet
pas de dérouler ici la longue liste des travaux que D'Alem-
bert a publiés sur les maihémaiiques pures et sur leur ap-
plication à la mécanique, à la physique et à l'astronomie.
Le talent de leur auteur fut apprécié à l'étranger comme
dit que les Iiidiens ont deux espèces de bœufs ; l'une rapide à la
course , noire , et dont la queue blanche sert à faire des chasse-
mjuches.
( Médaille de D'Alembert. )
en France. En 1746, l'académie de Berlin lui décerna un
prix, l'adopta par acclamation, au nombre de ses membres
et plus lard lui offrit le fauteuil de président. Vainement
le roi de Prusse laissa-t-il pendant long-temps vacante cette
place honorable , DA'lembert préféra le séjour de la France
aux honneurs que voulait lui rendre l'étranger. L'impéra-
trice de Russie, Ca-
therine II, ne fut pas
plus heureuse auprès
de lui , lorsqu'elle le
sollicita de se charger
de l'éducation de son
fils. Le roi de Prusse
voulut du moins faire
quelque chose pour
le bien-être de D'A-
lembert, et lui en-
voya pension, alors
que, par des motifs
que nous explique-
rons, D'Alembertfut
privé de celle qu'il
devait toucher en
France , comme aca-
démicien. Une cor-
respondance fort sui-
vie s'établit entre le
monarque et le géo-
mètre, et après la paix de 1765, ce dernier fit le voyage
de Prusse pour aller remercier le prince.
Les travaux scientifiques de D'Alembert ne lui avaient
pas valu seuls la grande réputation dont il jouissait , et les
égards que lui monfiaient toutes les notabililés du monde
savant et du monde politique. Esprit fait pour tout embras-
ser, les lettres comme les mathématiques, l'histoire et la
philosophie comme la religion et les arts, D'Alembert, après
avoir satisfait par tant de découvertes scientifiques la pas-
sion dominante de son esprit , avait senti le besoin de se li-
vrer à des travaux d'une nature moins abstraite , et il s'é-
tait associé aux auteurs de ce grand Dictionnaire des arts,
' (les sciences et des lettres qui a aussi reçu le nom d'Ency-
clopédie. Atteint par la procription qui enveloppa les ency-
clopédistes, D'Alembert ne put toucher son traitement d'aca-
I démicien. Celte œuvre gigantesque dont il n'a été donné
qu'à noire siècle de voir publier la fin , était une sorte de
manifesledans leqne les philosophesdecelteépoque, fixaient
le degré auquel étaient parvenues les connaissances humai -
I nés, et, pour parler le langage du temps, proclamaient
l'affranchissement de l'esprit humain long-temps com-
primé par les superstitions pelitiqiies et religieuses. D'A-
lembert fit lie discours préliminaire de cette grande pu-
blication, discours qui est à lui seul un ouvrage , el auquel
on ne saurait refuser le double mérite de résumer les con-
naissances mathématiques et l'esprit de son siècle, et d'être
écrit avec autant de clarté que de précision. Il rédigea aussi
les articles mathématiques de ce dictionnaire.
j II ne saurait entrer dans notre plan de discuter ici les
opinions philosophiques de D'Alembert et de ses collabora-
' teurs de l'Encyclopédie. Les croyances religieuses dont ils
avaient prédit l'affaiblissement progressif, ont repris , dans
notre pays, un nouvel empire, à la suite des sanglans excès
de la révolution de 95; et des hommes dont tout le monde
aujourd'hui reconnaît le génie et la haute influence, Cha-
teaubriand , Lamartine , Lamennais et d'autres encore, ont
fait entendre de nouveau les hymnes de la foi, en leur prê-
tant tout le prestige de la poésie el de l'éloquence les plus
nobles. Ce retour aux idées religieuses a eu sur la littéra-
ture , et même sur la scène et sur les arts, une influence
■ marquée, et cette lutte de la foi contre la philosophie se
continue de nos jours encore, dans les journaux toiit
comme dans le sein des familles et dans le monde politique.
I Tout ce que nous avons a^ouIu voir dans D'Alembert, c'est
410
MAGASIN UNIVERSEL.
le savant et récrivain, et, nous dirons aussi, l'homme lion-
nête ei ami de ses semblables. Son esprit vif et son carac-
tère indépendant se traduisaient dans les relations privées
par une conversation vive et enjouée, caustique parfois,
et dans ses écrits par une grande vérité d'expression et par
ces traits piquans dont sont remplies même les productions
de sa vieillesse. Il eut beaucoup d'ennemis , fut en butte à
de nombreuses et violentes attaques , et crut ne devoir ja-
mais répondre. Il se défiait de son extrême vivacité qui dé-
générait quelquefois en emportemens qu'il chetchait aussi-
tôt à réparer. Ces mouveraens étaient souvent amenés par
les souffrances cruelles que lui causait la maladie de la
pierre. Malgré le faible état de sa santé, il demeura pendant
plus de trente années chez la pauvre femme du vitrier qui
l'avait élevé dans sa première enfance , vivant de la vie la
plus modeste, ennemi du faste et des exigences du monde.
II fallut que les médecins lui ordonnassent de quitter cette
demeure insalubre pour qu'il pût se résigner à s'en éloi-
gner. D'Alembert succomba à son mal, sans s'être fait opé-
rer, le 29 octobre 4785 , âgé de soixante-six ans. Parmi ses
amis, il faut citer mademoiselle de l'Espinasse à laquelle il
témoigna constamment une affection aussi délicate que so-
lide, et Voltaire pour qui il professa toujours la même
sympathie.
D'Alembert , dit M. Lacroix dans la Biographie univer-
selle, doit être mis au premier rang parmi les géomètres,
et au second parmi les littérateurs.
SINGULARITES HISTORIQUES.
MŒURS ET USAGES AU MOYEN - AGE,
Nous avons rappelé dans notre premier article (i) l'in-
jonction faite aux hommes d'église, par le concile de 4096,
de ne plus porter de longs cheveux à l'avenir.
Ce mandement produisit son effet ; en 4 4 46 Louis VII, sur
les représentations de P. Lombart, le célèbre évêque de Pa-
ris, jugea que sa conscience était intéressée à donner à ses
sujets à lonijues chevelures l'exemple de la soumission aux
ordres des évêques; non seulement il raccourcit ses cheveux,
mais encore il se fit couper la barbe. Eléonore d'Aquitaine
qu'il avait épousée , princesse vive, légère, le railla sur ses
cheveux courts et son menton rasé : « Ne plaisantons en
rien sur pareille matière , répondit dévotement le monar-
que. » On sait que cette princesse proposa le divorce à son
mari , lui disant avec hauteur, écrit Mézerai , « qu'elle avait
cru se marier à un prince , et qu'elle voyait bien n'avoir
épousé qu'un moineton. » Eléonore s'unit à Henri, duc de
Normandie, lequel dans la suite devint roi d'Angleterre ,
et à qui elle porta en dot le Poitou et la Guyenne. Et ici il
y aurait une remarque curieuse à faire; car de ce mariage
naquirent ces guerres interminables qui ont désolé la France
pendant plus de trois siècles; elles eurent lieu parce qu'un
archevêque avait pris colère contre les longues chevelures ,
et qu'un roi pieux avait raccourci la sienne et s'était fait ra-
ser en signe de soumission et d'obéissance. Cette manière
d'expliquer les causes des grandes guerres de la monar-
chie, en s'appuyant sur des faits historiques , a au moins le
mérite de la nouveauté.
Nous emprunterons au sire de Joinville ce qu'il raconte
d'une particularité distinctive des chevaliers, lesquels avaient
l'habitude de se raser le devant de la tête , soit crainte d'être
saisis par les cheveux s'ils perdaient leur casque dans le
combat, soit qu'ils les trouvassent incommodes sous la coiffe
de fer et sous le heaume dont ils étaient continuellement
armés : « Quand nous fûmes à Poitiers, écrit l'historien du
règne de Saint -Louis, je vis un chevalier qui avait nom
messire Gioffroi de Rançon, qui pour un grand outrage
que le comte de la Marche lui avait fait, avait juré ses
(i) Voyez page xo3.
saints qu'il ne serait jamais rogné à guise de chevalerie y
mais porterait queue comme les femmes les portaient, jus-
qu'à tant qu'il se verrait vengé du comte de la Marche;
quelque temps après ledit comte , lui , sa femme et ses en-
fans vinrent s'agenouiller à ses pieds et lui crier : merci !
aussitôt , messire Geoffroy fît apporter un tréteau et se fit
ôter sa queue et rogner tout-à-coup. »
En 4524 , François I" ayant été blessé à la tète , fut obligé
de faire couper ses cheveux; redoutant sur toute chose d'a-
voir l'air moinet on avec le chaperon de ce temps-là, il ima-
gina de porter un chapeau et de laisser croître sa barbe. La
longue barbe redevint donc à la mode et continua jusqu'à
Henri IV. François Olivier qui fut depuis chancelier , ne
put être reçu au parlement maître des requêtes , qu'après
s'être fait bien et dûment raser; et en 4556, Pierre Lescot
ayant été pourvu d'un canonicat à Notre-Dame , le chapitre
insista long -temps contre sa longue barbe, il consentit
pourtant à ce qu'il fût reçu avec icelle « dérogeant en ce
aux statuts de notre mère sainte Eglise. »
Ces exemples prouvent qu'excepté les ecclésiastiques et
les magistrats , tout le monde en France portait à cette
époque une longue barbe ; sous Henri IV on en diminua
de beaucoup la longueur , et le maréchal de Bassompierre
sortant de prison où il était enfermé depuis douze ans , di-
sait naïvement à qui voulait l'entendre : « Tout le change-
ment que j'ai trouvé dans le monde, c'est que les hommes
n'ont plus de barbe et les chevaux plus de queue. »
ÉPHÉMÉRIDES.
i^'' janvier i3o8. — Les Suisses s'emparent des cliâl eaux-fort»
occupés par les seigneurs partisans de l'Auti iche , et proclament
l'indépendance de leur pays. — i554. Gharles-Quint est forcé de
lever le siège de Metz , après avoir perdu près de vingt mille hom-
mes devant cette place. Metz n'était au pouvoir des Français que
depuis deux ans. — i8oo. Mort de Daubenton, Tun de nus pre-
miers naturalistes ; il fut long temps le collaborateur de Buft'un, au-
quel l'exactilude et la patience de cet observateur furent biea
précieuses. — i8oi. tiazzi , célèbre astronome sicilien , découvre
une nouvelle planète, à laquelle il donne le nom de C'érès. — x8o4.
Saint-Domingue, après la capitulation du général français Ro-
chambeau, reprend son ancien nom à' Haïti (terre monlagneuse).
2 janvier 1492. — Prise de Grenade par les Espagnols; fin de
la domination des Maures. — i536. Supplice de Jean de Leyde ,
chef des Anabaptistes ou Rebaptiseurs. Celle secte , formée peu de
temps après la révolte religieuse de Luther, proclamait la nécessité
d'un second baptême, rejetait l'Ancien Testament, n'admettait que
l'Évangile, et établissait une liberté politique indéfinie. On compte
maintenant près de 180 subdivisions d'anabaptistes. Bonaparte les
avait exemptés de la conscription. (Voyez l'Histoire de Luther,
pages 81 et 91). — 1579. Institution de l'ordre du Saint-Esprit,
par Henri III. — iSaS. L'Angleterre reconnaît les républiques
de l'Amérique espagnole.
3 janvier lygS. — Catherine, impératrice de Russie, annonce
à l'Europe le partage total de la Pologne entre l'Autriche, la Rus-
sie et la Prusse.
li janvier 1378. — Charles IV, empereur d'Allemagne accom-
plit le pèlerinage qu'il avait promis de faire à Saiut-Maur-des-
Fossès pour se guérir de la goutte. — 1788. Le Parlement de
Paris se prononce contre les lettres de cachet. — 1 798. Le Direc-
toire fait saisir sur tous les points de la France à la fois les mar-
chandises anglaises désormais prohibées.
5 janvier 1720. — Law est nommé contrôleur des finances
(Voyez page 100). — i8or. Cent trente-trois suspects, républi-
cains pour la plupart , sont transportés à la Guyane, après l'at-
tentat du 3 nivôse contre les jours de Bonaparte, premier consul.
6 janvier 1649. — Efirayée par la fermentation des esprits, la
reine Anne, remplissant les fonctions de régente, pendant la mi-
norité de Louis XIV, se relire à Saint-Germain avec son fils et
le cardinal Mazarin; le peuple prend les armes et s'empare des
portes de Pari» , que la cour voulait réduire par les armes ou par
MAGASIN UNIVERSEL.
4U
la famine. — 1740. Déjà réduit à la honteuse condition de fou de
la cour par l'impcralrice de Russie, pour avoir quitté la religion
grecque et embrassé le catholicisme, le prince Calitxin est con-
traint, par cette princesse, à épouser une lavaudière, après la mort
de sa première femme. L'impératrice voulut que la première nuit
des noces fût passée dans un palais de glace, sur un lit de la même
matière. L'hiver était des plus rigoureux ; les deux époux furent
promenés par la ville dans une cage portée par un éléphant; des
députations de toutes les parties de la Russie et des peuples con-
quis, marchaient à leur suite, revêtues de leurs costumes natio-
naux, et portées par des chameaux ou traînées par des bœufs,
des chiens, des boucs et même par des cochons. Sous le même
règne un autre seigneur fut brûlé vif avec un juif qui l'avait con-
verti à sa religion. — 1786. Mort de Poivre, missionnaire français,
intendant de l'île Bourbon , auquel nos colonies doivent la culture
des épiceries. — 18 14. Abaniluniiant la cause de Napoléon,
auquel il devait la couronne de Naples, Murât signe un traité
d'alliance avec l'Angleterre.
VARIETES.
DE l'origine des ÉTRENNES.
La coutume de donner des étrennes est fort ancienne ; on
a prétendu qu'elle remontait au temps des premiers rois de
Rome : on lit dans quelques auteurs que Taiiiis ayant reçu,
]e ^^^ janvier, comme un bon augure, quelques branches
de palmier coupées dans un bois consacré à la déesse
Sirenua, cetie coutume fut dès lors autorisée, et porta le
nom de strenœ (étrennes), à cause de la divinité qui présida
depuis à ces sortes de cérémonies.
Les Romains firent de ce jour-là un jour de fête, qu'ils
dédièrent au dieu Janus, représenté avec deux visages, l'un
devant , l'autre derrière ; symbole du passé et de l'avenir,
et qui semble regarder en même temps une année qui finit
et l'autre qui commence. Le mois de Janvier était dédié à
Janus ; ce fut Numa Pompilius, deuxième roi de Rome, qui
l'ajouta au calendrier. Le premier jour de janvier, on re-
vêtait ses habits les plus beaux , on se souhaitait une heu-
reuse année les uns aux autres, et il n'était pas permis de
prononcer aucune parole de celles qu'on croyait être de
mauvais augure. Les présens ordinaires étaient des figues ,
des dattes de palmier et du miel , et chacun envoyait ces
douceurs à ses amis, pour témoigner qu'on leur souhaitait
une vie douce et agréable. Les clieiis offraient en outre à
leurs patrons une pièce de monnaie. Avec le temps, l'or finit
par remplacer la modeste pièce d'airain. Sous le règne
d'Auguste, le peuple, les chevaliers et les sénateurs, ve-
naient offrir des étrennes à l'empereur.
Tibère avait désapprouvé cette coutume, et de son auto-
rité despotique , il avait défendu , sous des peines sévères ,
l'usage de faire des présens ; cette défense ne subsista pas
long-temps; car, sous Caligula, unédit spécial fit savoir au
peuple et aux chevaliers que l'Empereur recevrait à l'ave-
nir tous les cadeaux qu'on voudrait bien lui faire , suivant
les usages anciens.
Dans les premiers siècles de l'Eglise, on continua à offrir
des présens non-seulement à l'empereur, mais aux magis-
trats ; les pères et les conciles s'élevèrent contre cet
abus, qui a fini par disparaître. Mais du moment où les
étrennes n'ont plus été que des témoignages réciproques de
bienveillance et d'amitié, et qu'elles ont été purgées de
toutes les cérémonies païennes, l'Eglise a révoqué sa sen-
tence de proscription.
Tous les anciens historiens de la monarchie de France ,
Grégoire de Tours , le moine de Saint - Denis , Monstrelet ,
Froissart, Alain Chartier, Juvénal des Ursins, détaillent
avec un soin particulier les divers présens que faisait le sei-
gneiu' au roi , les somptueuses étoffes qu'il envoyait à ses al-
liés et confédérés : « Le roi Charles sixième surtout ne man-
qua jamais l'observance d'icelle cérémonie, et, suivant l'an-
cienne coutume de donner une marque de son affection ,
mandait une fois chacun an de riches étrennes, soit joyaux
et pierreries, soit certaines pièces de velours cramoisi, au
roi et à la reine d'Angleterre. »
Et (juels beaux présens ne faisait pas la reine Margue-
rite, sœur de François I"! Au commencement de chaque
année , eût-elle jamais manqué d'envoyer pour étrennes à
son frère une épîire gentiment tournée en vers gracieux et
élégans? Rien n'égala sa générosité à l'égard des seigneurs
de la cour : Brantôme, avec son style louangeur pour tous
les personnages dont il nous a décrit la vie , raconte que
«Madame Marguerite était tou le bonne, toute splendideel
libérale,, n'ayant rien à soi, donnant à tout le monde j tant
charitable, tant auraônière à l'endroit des pauvres! Aux
plus grands, elle faisait honte en libéralités, comme je l'ai
vue, au jour des étrennes, faire de si riches présens à toute
la cour, que le roi , son frère, s'en étonnait et n'en faisait
jamais de pareils. »
Peu de personnes ignorent que, sous le règne de
Henri IV, le ministre Sully ne manquait jamais, à chaque
renouvellement d'année, d'apporter au roi pour ses étren-
nes deux bonnes bourses de jetons d'or « et le félicitait et
complimentait gracieusement sur l'année qui allait se com-
mencer. »
Cet usage des cours se reproduisait dans les villes : le
<" janvier, les bons bourgeois enchaperonnés se rendaient
des visites en grande cérémonie ; chacun portait son petit
cadeau , lequel consistait souvent en dragées et confitures
sèches ; ils se faisaient muluellement de belles harangues ,
se souhaitant bonheur et prospérité. De nos jours, l'époque
des étrennes est, en quelque sorte , un moment de ci ise so-
ciale; toutes les populations s'agiient; le monde est en
mouvement; et ce qui est encore un plaisir pour quelques-uns,
est devenu pour le plus grand nombre un rigoureux devoir.
Voltaire se fit une réputation précoce par une pièce de
vers qu'il composa pour un invalide du régiment Dauphin.
Ce vieux soldat avait servi sous le fils de Louis XIV, le père
de l'élève de Féné.'on , et les récita à ce prince à l'époque du
jour de l'an. « Celte bagatelle d'un jeune écolier, dit Vol-
taire, dans son Commentaire historique, fit quelque bruit
à Versailles et ù Paris. » Ninon voulut le voir et lui fit peu
de temps après un legs de deux mille livres.
Parmi les traits plaisans auxquels le jourde l'an a donné
naissance , on a souvent cité celui-ci : le cardinal Dubois
avait un intendant dont les friponneries lui étaient connues.
Au jour de l'an , cet intendant venait rendre ses devoirs à
son maître : au lieu de lui donner ses étrennes, comme aux
autres personnes attachées à son service, le cardinal se
contentait de lui dire : « Monsieur je vous donne ce que
vous m'aves volé. » Et l'intendant se retirait après avoir
salué bien respectueusement son maître , comme un péni-
tent que la parole du prêtre a lavé de ses péchés.
En Angleterre les étrennes se donnent au 25 décembre,
jour commémoratif de la naissance de Jésus-Christ, et
époque à laquelle plusieurs peuples de l'Europe commen-
çaient l'année , dans le moyen-âge. En Russie les cadeaux
se font plus particulièrement à Pâques.
L'INSTITUT. — LE PONT DES ARTS.
Le palais de l'Institut de France était autrefois le col-
lège des Quatre-Nations. Le cardinal Mazarin avait ordonné
par son testament ( 6 mars ^66l ), qu'il serait fondé un col-
lège , sous le titre de Mazarini, destiné à soixante gentils-
hommes ou principaux bourgeois de Pignerol et de son ler-
ritoire , d'Alsace , de Flandre et de Roussillon , pays alors
nouvellement conquis ou réunis à la couronne. Comme il
fallait être originaire de l'une de ces quatre contrées pour
être admis dans cet établissement, on le nomma Collège
des Quatre-Nations.
Ces soixante jeunes gens devaient y être gratuitement
lo^és , nourris , instruits dans la religion et les belles-lettres ;
on devait leur apprendre en outre res(rime, l'équitationet
la danse. Pour subvenir à cette éducation , Mazarin laissa
412
MAGASIN UNIVERSEL
une somme de deux millions et sa riche bibliothèque. Par
lettres-patentes du mois de juin 1665 , Louis XIV ordonna
l'exécution de ce testament , et voulut que ce collège fût
réputé de fondation royale.
Les exécuteurs testamentaires , ayant acheté une partie
)
des bàlimens de Vhôtel et séjour de Nesle , ainsi que plu-
sieurs maisons voisines, firent jeter les fondations de l'édi-
fice , destiné à ce collège , qui fut élevé sur les dessins de
Leveau.
La façade est située sur le Quai Conti , et forme une por-
( L'Institut. — Le Pont des Aris. )
tion de cercle , terminée à l'une et à l'autre extrémité par
un pavillon. Au centre est le portail de l'église , faisant
avant-corps , composé d'une ordonnance corinthienne et
couronné d'un fronton. Au-dessus s'élève un dôme , dont
une lanterne forme l'amortissement. Dans l'intérieur du
dôme sont pratiqués des escaliers à vis , conduisant à des
tribunes. Cette église était décorée avec soin de statues et
de tableaux remarquables, A droite du sanctuaire était placé
le tombeau du cardinal fondateur. Sur un sarcophage de
marl)re noir, orné de supports de bronze doré, on voyait
la figure de Mazarin en marbre blanc : il était représenté
les mains jointes et dans l'attitude d'un homme en prière.
Le monument s'élevait sur deux marches , aussi de marbre
blanc : trois figures allégoriques en bronze , la Prudence ,
l'Abondance et la Fidélité , reposaient sur ces marches. Ce
tombeau , l'un des beaux ouvrages de Coizevox , fut trans-
féré, lors de la suppression de l'église, au Musée des
Monumens français , rue des Petits-Augustins.
La bibliothèque du Colléae des Quatre-^'ations avait été
composée par le savant Gabriel Naudé. Située d'abord au
palais Mazarin , où est actuellement la bibliothèque du roi ,
elle fut dispersée , pillée ou vendue pendant la Fronde. On
la recomposa dans ce collège. On y compte cent quatre-
vingt-quinze mille volumes , dont trois mille quatre cent
trente-sept manuscrits , disposés dans les trois étages de ses
galeries. Dès l'an 1688, elle fut ouverte au public.
I Outre cette bibliothèque , il en existe une autre dans le
. même édifice ; c'est celle de l'Institut , placée au dessous
du local de la première. Quoique moins nombreuse , elle
est précieuse, surtout à cause des ouvrages modernes
qu'elle renferme.
En 1806, les bâtimens du collège furent destinés aux
séances de l'Institut , et reçurent le titre de Palais des
Beaux-Arts. On transforma à cette époque l'église en une
salle , propre aux séances publiques. Plusieurs autres parties
de l'édifice durent recevoir des changemcns , qu'il serait
inutile de détailler ici.
Deux fontaines furent établies aux deux côtés de l'avant-
corps placé au centre de la façade : chacune est composée
de deux lions en fer fondu et de grandeur colossale , qui
jettent de l'eau dans un même bassin.
Il est à remarquer que le plan du Louvre est en harmo-
nie parfaite avec l'Institut , et que l'axe de l'ancienne église
des Quatre-Nations est le même que celui qui traverse les
portes latérales du Louvre. Cette correspondance n'est
point l'effet du hasard : elle a été combinée. Ou a voulu
donner à ces deux édifices, séparés par le cours de la Seine,
une perspective agréable, et en effet ils se prêtent un mu-
tuel secours. Du reste , cette correspondance a été d'autant
plus facile à établir, que les deux monumens ont été com-
mencés en même temps et sur les dessins du même archi-
tecte (Leveau). On a complété celte harmonie en établissant
le pont des Arts , qui met les deux façades en communica-
tion. Ce pont , qui ne sert qu'aux piétons , fut commencé
en 1802 et terminé en 1804. Il a été construit aux frais
d'une compagnie, à laquelle le gouvernement a donné le
droit d'y percevoir un péage. Ses culées et ses piles sont
fondées sur pilotis. Il a neuf arches en fer fondu , suppor-
tant le plancher, (jui sert de route et qui est horde par une
balustrade également en fer. Le coup-d'œil dont on jouit
sur ce point , est vraiment magnifiijue : la vue embrasse
d'un côté la pointe de l'île de la Cité, le môle du Pont-Neuf,
et les deux bras de la Seine (1) : de l'autre rôté, elle s'étend
le long des quais, embellis de somptueux édifices, jusqu'aux
hauteurs verdoyantes de Chaillot. Il est difficile de troiivc
un plus ])eau pr.norama.
(i) Voyez la figure qui représente celte vue, page i6r, pre-
mière pnnée.
15)
MAGASIN UNIVERSEL.
145
MORT DE FREDERIC DE MERODE. — SA STATUE PAR CLEEFS D'ANVERS.
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Quelque désireux que nous soyons de nous tenir éloignés
de l'arène où s'agitent les partis politiques et d'écarter
jusqu'au soupçon d'une tendance à la propagande , nous
ne saurions éviter tout contact avec les sujets même les
plus délicats et les plus irrilans de l'hisloire contempo-
raine. Tantôt le noble caractère d'un des principaux per-
TOMEII. — Janvier .ia3<
sonnages de la scène politique , les grands services qu'il
aura rendus à la société, lui assigneront une place dans
ce recueil où ne sauraient trop souvent revenir les leçons
de vertu et de dévouement à l'humanité; tantôt l'apparition
de quelque chef-d'œuvre de sculpture ou de peiuture con-
sacré à perpétuer le souvenir d'im 'io:;:meoud'un évène-
. - 13
•H
MAGASIN UNIVERSEL.
ment , amèneront avec la description de cette création des
arts un rapide narré du fait qui lui aura donné lieu.
Le sujet que nous allons aborder doit à ce double titre
prendre rang dans nos colonnes. La gravure placée en tête
de ce numéro représente un des plus beaux morceaux qui
soient sortis des mains de Geefs d'Anvers, sculpteur dont
le nom est bien haut placé déjà par les vrais connaisseurs;
ce personnage revêtu de la blouse des volontaires Belges,
qui git sur le champ de batajile atteint d'une blessure à la
jambe droite , c'est le comte Frédéric de Mérode qu'un
religieux amour de son pays a jeté au milieu des balles
eimemies, lui jeune encore et qui pouvait, loin des hasards
de la guerre , vivre de cette vie si douce et si pleine que lui
avaient faite la fortune et la haute position de sa famille.
Louis-Frédéric, comte de Mérode , descendant d'une des
plus illustres maisons de la Belgique, naquit à Bruxelles le
9 juin 4792. L'alliance qu'il contracta, en 48H, avec une
famille marquante du département d'Eure-et-Loire , celle
du comte Ducluzel, dont il épousa la fille unique, le fixa
dans cette partie de la France. Quand Bonaparte revint de
l'ile d'Elbe, Frédéric de Mérode ne vit dans son retour
qu'une restauration du despotisme militaire , et il s'engagea
comme volontaire dans les grenadiers à cheval de la maison
du roi, que commandait Louis de La Roche-Jacquelin ;
mais, contre son espérance , la campagne se réduisit à es-
corter les princes jusqu'à Béthune, et le corps auquel il
s'était joint fut abandonné à lui-même et obligé de se dis-
soudre.
La révolution de 4830 trouva Frédéric de Mérode exer-
çant les modestes fonctions de maire de sa commune avec
tout le zèle que peut inspirer un véritable amour du bien.
Il comprenait l'importance de cette magistrature munici-
pale pour l'amélioration de l'état moral et physique du
peuple, et pour le développement des ressources du pays.
Il devançait de ses vœux le moment où, délivrée des que-
relles dfc partis, la France pourrait appliquer à l'étaulisse-
ment de ses routes, au développement de son industrie
agricole, source de bonheur pour le plus grand nombre,
celte activité et cette intelligence qu'elle a si long -temps
gaspillées dans des luttes intestines et dans des guerres rui-
neuses.
La patrie ad©ptive do comte de Mérode ne hù avait pas
fait oublier son pays natal : il souffrait de le voir soumis aux
■princes d'Orange, et se plaignait, avec les mécontens de la
Belgique, de cette tendance du roi Guillaume à humi-
lier la religion catholique , à proscrire l'usage de la langue
française , et à annihiler les droits politiques des Belges.
'Aussi, quand éclata le mouvement de Bruxelles, il ne se
borna pas à le saluer de ses applaudissemens, et il partit
aussitôt pour son pays natal; et, rencontrant en route
les volontaires belges venus de Paris , il les encouragea en
leur remettant de ses propres fonds 3,000 fr. pour acheter
des armes et subvenir aux frais de leur voyage. Arrivé à
Bruxelles , il prit de suite la blouse et le fusil de chasse, et
se mit comme simple volontaire dans les rangs du corps de
chasseurs formé par le marquis de Chasteler, et fit avec
eux plusieurs sorties pour inquiéter l'ennemi retiré à Vil-
vorde.
Le gouvernement provisoire le nomma membre d'une
commission chargée de l'organisation de l'armée ; mais son
impatiente ardeur ne lui permettait pas de s'occuper des
détails que comportait une organisation aussi longue et
aussi difficile r il voulut marcher contre l'ennemi, et, ayant
appris que les habitans de la Campine, pays situé sur les
derrières de l'armée hollandaise, ne demandaient que des
armes pour* faire cause commune avec les vainqueurs des
quatre journées, il proposa au gouvernement provisoire de
diriger un corps de volontaires sur Turnhout , viile de la
Campine , de couper la retraite à l'ennemi, et de s'emparer
du matériel et des chevaux qui se trouvaient dans cette ville.
Le plan de Frédéric de Mérode fut approuvé par le gou-
Tcrnement provisoire, et on dopii^ j['gr^e au commissaire
chargé du déparlement de la guerre de fournir des armes
pour l'exécution de ce projet; mais ces armes, long-temps
attendues, ne furent pas livrées.
Fatigué de ces délais , Frédéric de Mérode partit avec
Jenneval , volontaire au corps des chasseurs de Chasteler ,
et auteur de la fameuse chanson patriotique la Braban-
çonne, pour rejoindre le corps franc commandé par M. JNiel-
lon, aujourd'hui général de brigade. Cet officier demandait
du renfort, afin de tenter un coup de main sur Lierre, pe-
tite vîUe de la Campine , occupé par un corps hollandais.
Niellon avait avec lui huit cents volontaires mal armés, mal
équipés, et quatre petites pièces d'artillerie, mais pas un
cavalier, tandis qu'à trois lieues de Lierre , vers Malines,
se trouvait le gros de l'armée hollandaise, d'environ dix
mille hommes et que du côté d'Anvers étaient campés
six mille hommes, dont la garnison de Lierre formait l'avant-
garde.
Le commandant Niellon plaça les deux arrivans en tête
de sa colonne. A une demi-lieue de la ville, les tirailleurs
rencontrèrent les avant-postes ennemis, qui se replièrent
aussitôt. Quelques volontaires, dirigés par Frédéric de Mé-
rode, poursuivirent les fuyards et arrivèrent à la porte de
la ville. Frédéric n'était accompagné que d'une dixaiiie de
braves; ils étaient à trente pas de l'ennemi, et séparés seule-
ment par la rivière la Nèihe, qui, en cet endroit, sert de
fossé à la ville. Les Hollandais, surpris d'une telle hardiesse,
n'osèrent tirer un seul coup de fusil. Des négociations fu-
rent entamées sur-le-champ. Un quart-d'heure après, les
troupes hollandaises évacuaient la ville. Les volontaires bel-
ges, ayant à leur tête le comte Frédéric et Jenneval , y
tirent leur entrée triomphante aux acclamations de tous les
habitans.
Le lendemain la ville attaquée sur trois points différens
par l'ennemi, au nombre de huit mille hommes, fut vigou-
reusement défendue par les volontaires aidés de la bour-
geoisie de Lierre. Frédéric de Mérode se battait à la porte
d'Anvers; suivi d'une trentaine de ses compagnons, il
franchit les barricades pour se rapprocher de l'ennemi, et
cette poignée de braves avait déjà (ait reculer deux batail-
lons hollandais jusqu'à une lieue de la ville, lorsqu'un
morceau de mitraille tua Jenneval à côté de Frédéric. Les
tirailleurs rentrèrent en ville , emportant ce malheureux
jeune homme dont la perle fut vivement ressentie par
Mérode , qui en avait fait son frère d'armes.
Pendant plusieurs jours , l'ennemi essaya de nouvelles
attaques et fut toujours repoussé avec vigueur. Le 49 octo-
bre , Frédéric de Mérode se mit à la tête de plusieurs pay-
sans de la Campine , qui étaient venus le rejoindre , et re-
poussa l'ennemi du village de Lisp, où il s'était fortifié. II
escalada le premier les barricades, en criant à sa petite
troupe : En avant, mes amis, les braves ne meurent pas ! »
L'armée ennemie ayant commencé la retraite sur Anvers,
on résolut de marcher sur les Hollandais. l>es avis étaient
survenus de l'arrivée du général Mellinet par la route de
Bruxelles à Anvers. Le commandant Niellon devait opérer
sa jonction avec lui à la réunion des deux routes et tenter
de s'emparer d'Anvers par surprise.
Frédéric de Mérode parut dès-lors avoir une sorte de
pressentiment du malheur qui devait lui arriver , car l'un
de ses camarades lui exposant toute la difficulté de l'entre-
prise qu'ils allaient tenter : «Si je suis blessé , lui dit-il , je
crois que je le serai grièvement. » Les deux corps de volon-
taires effectuèrent leur jonction et marchèrent au pas de
course jusqu'au village de Berchem. L'action s'engagea de-
vant ce village entre les Hollandais et les Belges. Le comte
Frédéric se battit toute la journée à l'avant-garde, et vit
tomber à ses côtés un grand nombre de ses compagnons. Il
était à trente pas de l'ennemi lorsqu'il reçut au haut de la
cuisse droite une balle qui lui cassa le fémur. Il tombe et
néanmoins conserve encore la force de tirer deux coups de
fnsil ; puis voyant les Hollandais s'avancer sur lui , il s'arme
d'un pistolef fit ç'amrêtp à vendre chèrement sa vi«, lors-
MAGASIN UNIVERSEL.
U5
que les volontaires accourent et , grâce à des prodiges de
valeur , repoussent les Hollandais pendant que quatre de ses
compagnons le transportent à une petite maison de campa-
gne près du champ de bataille. On voulut conduire Mé-
rode à Lierre ou à Malines, mais il s'y opposa avec fermeté
en disant : «Ce déplacement va décourager nos volontaires;
je resterai , dussé-je tomber entre les mains des Hollan-
dais. »
Le lendemain l'amputation de la cuisse fut résolue. Fré-
déric (pli avait supporté les douleurs de sa blessure avec un
courage admirable , ne proféra pas la moindre plainte pen-
dant celte cruelle opération. Le même soir, 25 octobre , il
fut transporté à Malines , conservant pendant toute la route
son fusil à ses côtés. Il vécut quelques jours encore et
rendit le dernier soupir après une longue agonie , le 4 no-
vembre suivant. Pendant tout le lenips que ses restes
furent déposés dans la maison mortuaire , ce fut une lon-
gue et triste piocession de tous les habitans de Malines et
de phisieurs lieues à la ronde qui venaient prier auprès de
ce corfis inanimé dont la belle figure semblait exprimer
encore les nobles sentimens qui l'avaient animée eu face de
l'ennemi.
EMBAUMEMENT ET CONSERVATION DES CORPS.
Le contact de l'air , l'humidité et un degré moyen de
tempéraluie sont les conditions sous l'influence desquelles
se développe avec le plus de facilité la fermentation des
matières animales. Ainsi , dans les ré;jions glacées qui avoi-
sinent le pôle nord , on a vu des cadavres se conserver
intacts sous la neige , pendant un temps illimité ; des corps
parfaitement desséchés ont été trouvés , au contraire, enfouis
dans les sables brûlans de l'Afrique et de l'Asie j dans nos
climats tempérés enfin, où les circonstances sont pourtant
bien moins favorables , le contact ou le voisinage de cer-
taines matières absorbantes, l'absence presque complète
de l'air, ou quelques autres causes pariicuUères, donnent
quelquefois naissance à de véritables momies naturelles ou
en favorisent la formation.
L'art de conserver les corps organisés , et notanmient les
matières animales , bien plus facilement altérables que les
végétaux , consiste donc en grande partie à empêcher le
concours des trois circonstances dont nous avons parlé.
— Momies égyptiennes. Les Egyptiens sont les premiers
chez qui l'art des eaibaumemens , aujourd'hui tout-à-fait
inconnu dans les lieux même où il a pris naissance , ait été
cultivé avec succès; il paraît avoir été généralement prati-
qué parmi eux. Leurs momies et celles des Guanches,
peuple d'origine égyptienne, selon quelques historiens, sont
presque les seules qui aient traversé , et en quelque sorte
l)ravé impunément une longue série de siècles. Il ne nous
reste plus rien , en effet, de celles des Ethiopiens , des Scy-
thes, des premiers Juifs, des Grecs, des Romains, etc.,
quoique ces peuples aient tous pratiqué , au moins dans
quelques circonstances, l'art difficile des , embaumemens.
La haute antiquité de cette pratique en Egypte est prou-
vée par le texte même de nos livres sacrés. On lit effecti-
vement dans le chapitre P"^ de la Genèse le passage suivant,
cité par Daubenton dans son Mémoire sur les momies :
« Joseph voyant son père expiré il commanda aux mé-
decins qu'il avait à son service d'embaumer le corps de
son père , ei ils exécutèrent l'ordre qui leur avait été donné,
ce qui dura quarante jours , parce que c'était la coutume
d'employer ce temps pour embaumer les corps morts. »
Avant l'expédition française, on n'avait pas en Europe
«ne juste idée de l'embaumement des Egyptiens, et surtout
du degré de perfection auquel avaiiélé portée cette pratique.
M. Jomard , dans sa description des hypogées de la Thé-
baïde, de ces villes des morts si extraordinaires à nos yeux,
et qui rivalisent d'étendue et de luxe avec les cités dont elles
n'étaient pourtant que les chnelières , entre dans beaucoup I
de dtiiails sur rananjjeinent induslrieiu des bandelettes ,
dont chaque partie du corps de ces momies est entourée, iktT
les masques qui recouvrent leur visage, sur les signes tracés
sur les toiles , les peintures qui ornent les enveloppes, sur
les sarcophages , sur l'art avec lequel sont dorés les ongles
et quelquefois le corps tout entier, eic; mais ces détails,
quoique remplis d'intérêt, seraient ici déplacés. Ce qu'il
importe d'observer, c'est qu'il est rare de trouver aujour-
d'hui des momies dans leur état d'intégrité; la plupart ont
été dépouillées ou mutiléts par les Arabes, et au lieu de
reposer dans les caveaux ou dans les niches qui leur avaient
été préparées, elles gisent éparses sur le sol ou amoncelées
par centaines dans les galeries des catacombes , dont elles
obstruent les passages.
Les Egyptiens ont pratiqué plusieurs sortes d'embaume-
mens; delà, sans doute les nombreuses variétés que pré-
sente aujourd'hui l'état des momies.
On s'accorde à penser que, pour les personnes riches, ils
employaient la myrrhe, l'aloès, la canelle, le cassia lignea, et
pour les pauvres, le cedria, le bitume de Judée et lenairum;
ce que prouve l'examen des diverses momies. Avant de pro-
céder à l'embaumement , les Egyptiens opéraient constam-
ment l'extraction des intestins , soit en incisant les parois
de l'abdomen, soit en hijeciant dans le bas- ventre une li-
queur corrosive. La déchirure des parois du nez , et la frac-
ture de l'os etmoïde qu'on observe chez la plupart de ces
momies attestent aussi que les Egyptiens retiraient ordi-
nairement le cerveau par cette voie , tandis que l'état d'in-
tégrité de ces mêmes parties , chez plusieurs autres , paraît
démontrer que l'extraction de cet organe n'était pas consi-
dérée comme indispensable. '
C'est surtout à conserver intacts les traits du visage que
ce peuple semble s'être particulièrement attaché. Effective-
ment, tandis que le reste du corps des momies, réduit à
un état presque squélettique , ne doit qu'aux nombreuses
bandelettes dont il est arlistement entouré , la conservation
apparente de son volume et de ses formes , le visage pré-
sente encore une conformation presque naturelle et. des
traits reconnaissables.
Observons, au reste, que, pour la préparation des momies
comme pour leur conservation ultérieure , les Égyptiens
ont été favorisés par le climat et par la température élevée
et uniforme (22 à 23") qui règne dans l'intérieur des
chambres sépulcrales , inaccessibles d'ailleurs à l'humidité.
Ce qui le prouve , c'est que plusieurs espèces de momies ,
qui se conservent fort bien dans les catacombes , s'allèrent
dès qu'elles sont exposées à l'air humide ou transportées
dans d'autres contrées : c'est ce qui arrive dans njs musées
à la plupart des momies qu'on y renferme comme objet
d'étude ou de curiosité.
— Momies des îles Fortunées on Xaxos. Les Guanches
sont , avec les Egyptiens , les seuls f>euples chez lesquels la
pratique des embaumemens , regardée sans doute connne
un devoir religieux , paraisse avoir été généralen>ent adop-
tée; ces anciens habitans des lies Fortunées, aujourd'hui
les Canaries , après avoir long-temps résisté aux Européens,
furent presque tous détruits en i49G. On assure qu'on ne
saurait trouver maintenant à Ténériffe d'autres Guanches
que leurs momies (1).
De nombreuses et assez vastes catacombes existent aux
Canaries ; mais elles sont loin d'èlre toutes connues , parce
que l'accès en est difficile. Aussi en découvre-t-on chaque
jour de nouvelles. Il y en a (îUisieurs à Ténériffe : la plus
célèbre est celle de Baranco de Ilerque, qui , lorsqu'elle fut
ouverte, renfermait plus de mille cadavres. C'est d'elle que
sont venues les deux uîomies que M. de Chastenel-Pnységur
envoya, en 1776 , au Jardin des Plantes, et qu'on y voit
encore dans le cabinet d'analomie comparée. Les momies
des rois et des grands étaient , dit-on , renfermées dans un
cercueil d'unseul morceau creusé dansle tronc d'une sabhie. '
(i) Yoyez l'article sur les lies Canaiies dans l'un des numéros
\ suivani«
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MAGASIN UNIVERSEL.
Celles des particuliers sont placées dans les catacombes sur
des espèces de tréteaux en bois parfaitement conservés ;
elles ne sont enveloppées que dans des peaux de chèvre j
cousues ensemble ; le poil de ces peaux est tantôt en dedans ,
tantôt en dehors , parfois même elles en sont complètement
dépourvues. Cinq ou six momies sont ordinairement atta-
chées ensemble , la première se trouvant cousue , par la
peau qui lui enveloppe les pieds , aux peaux qui entourent
la tête de la seconde , et ainsi de suite jusqu'à la dernière.
Dépouillées de leurs enveloppes, ces momies sont sèches,
légères , d'une couleur tannée et d'une odeur aromatique
agréable. Plusieurs sont parfaitement conservées: les ongles
manquent souvent; les traits du visage sont distincts,
quoique retirés j le ventre est affaissé , et présente quelque-
fois, mais non pas d'une manière constante, des traces
d'une incision vers le flanc; exposées à l'air, elles tombent
peu à peu en poussière ; détruites alors par l'action de divers
insectes, elles sont piquées en plusieurs endroits et souvent
pleines de larves et de chrysalides desséchées , qui ont vécu
après l'embaumenient , mais qui n'ont pu altérer ces mo-
mies, avec lesquelles elles se sont assez bien conservées; il
est impossible de déterminer au juste leur âge : ce qui est
constant , c'est qu'il y a plus de deux mille ans que les
Guanches embaumaient , et que leurs momies les plus ré-
centes n'ont pas moins de trois à quatre cents ans , puisque
la destruction de ce peuple remonte à l'année i49G.
On ne possèJe que des données incertaines sur la manière
dont les Guanches procédaient à l'embaumement des cada-
vres. Toutefois, il paraît qu'après avoir vidé le bas-ventre
en incisant ses parois , ou en faisant par l'anus des injections
corrosives , et avoir rempli les diverses cavités de poudres
aromatiques , on pratiquait sur tout le corps des onctions
avec une espèce de pommade composée ; après quoi on le
desséchait en l'exposant au soleil ou en le plaçant dans une
étuve. Le quinzième jour, on le cousait dans les peaux de
chèvre que le Guanche avait préparées de son vivant; on le
ceignait avec des courroies , retenues avec des nœuds cou-
lans, et on le transportait enfin dans les catacombes.
(La suite à un prochain numéro.)
ARABIE PETREE.
Voyage de m. Léon Delaborde.
(Costume arabe d'après Decamps.)
Le pays le plus célèbre de l'antiquité , celui dont l'hîstoire
remonte à l'origine même du monde , était il y a peu d'an-
nées encore à peu près inconnu ; desmonumens gigantesques
et d'une rare perfection gisaient cachés au milieu de rochers
énormes , qui ont fait donner à la partie septentrionale de
l'Arabie le nom de Pétrée. Des traditions vagues avaient
seulement appris que là existait une ville qui surpassait en
étendue et en magnificence la reine des déserts , la fameuse
Palmyre; mais les ignorans habitans des environs, sous
l'influence d'absurdes préjuges, en défendaient l'approche,
et semblaient sur cette terre biblique avoir hérité de la
défiance de leurs pères , en disant aux voyageurs comme
autrefois Edom à Israël : Tu ne passeras pas !
Cette contrée est pourtant encore l'une des plus intéres-
sâmes du monde, car c'est là que les anciennes coutumes
de l'Orient se sont conservées pures et immuables. Toujours
des tribus errantes, soumises à quelques chefs de famille ;
toujours les campemens auprès des sources, les pierres
consacrées sur les hauts lieux, les guerres et les vengeances
héréditaires entre les peuplades , la vie pauvre et inquiète
du désert, le brigandage , l'hospitalité!
Le voyageur qui accomplit un vœu est plus respecté qu'un
autre, et la meilleure recommandation est le titre de pèle-
rin. Voilà une partie du monde qu'il sera difficile, même à
notre civilisation puissante , de reconstruire et de renou-
veler ; car sous des influences non moins efficaces sans doute,
devant les aigles de Rome , et malgré l'ébranlement des
croisades , elle est resiée la même.
M. Léon Delaborde vient joindre aujourd'hui de pré-
cieuses notions à celles qu'on avait syr ces contrées; il en a
exploré un point presque oublié depuis dix-sept siècles.
Après avoir traversé l'Asie-Mineure , franchi le mont Tau-
rus, visité la Syrie, Alep , le Liban , Damas, Palmyre , ce
jeune voyageur entreprit de pénétrer jusqu'à l'antique ville
de Pétra. Pendant une année de séjour au Caire , il travailla
â se perfectionner dans la langue arabe , et à tout disposer
pour l'exécution de ce hardi projet; et en 1828, à la tète
d'une caravane nombreuse , il s'aventura dans les déserts
sablonneux de l'est de l'Egypte.
Tout dans ces lieux , dit M. Delaborde, dans le récit qu'il
a publié de son voyage , rappelle les temps de Moïse , et les
mœurs pastorales de la Bible. Au fond de la vallée étroite
et pittoresque , d'où l'on commence à apercevoir la cime
neigeuse du mont Sinaï, on arrive à une pierre isolée de
sept pieds de hauteur. Aussitôt les Arabes descendent si-
lencieusement de leurs cliameaux, s'approchent de la pierre
sacrée , passent la main sur ce roc usé par le frottement, et
la reportent à leur visage, en criant : El fatha ! (invoca-
tion ordinaire dans les dangers des pèlerinages). Les voya-
geurs font comme leurs guides, et ils crient fort sérieu-
sement: El fatha! — Moïse, disent les Arabes, s'est
reposé sur cette pierre.
Non loin de là , un autre rocher sert de limite entre les
Arabes du nord et les Bédouins de la presqu'île de Sinaï.
On y voit amassée une quantité prodigieuse de petites pierres
que chacun y jette en passant : usage religieux qui a formé
une grande partie de ces tumulus épars dans l'ancien
monde. Ils sont plus nombreux sur les routes suivies par les
pèlerins , comme ici sur celle de la Mecque. C'est encore
un souvenir biblique , mais un souvenir superstitieux. Les
Mahométans prétendent qu'Abraham, conduisant Isaac ,
son fils , au lieu du sacrifice , jeta ainsi des pierres à Satan,
qui voulait le détourner d'obéir aux ordres du ciel.
Au sommet du mont Har, le plus haut rocher de la con-
trée , s'élève un amas de décombres autour de quelques
restes d'une chambre sépulcrale : c'est le tombeau du pro-
phète Aaron.
Mais la partie la plus attachante de la narration de
M. Delaborde , est celle où il nous donne la description de
Pétra : il a , comme disaient les Arabes , rapporté Pétra
dans ses cartons.
Renfermée dans tm labyrinthe de montagnes escarpées ,
cette capitale des Arabes nabalhéens, ville riche et floris-
sante , que se disputèrent les conquérans , nous apparaît
enfin, ou du moins ce qui reste de ses ruines. Elle avait
transformé en séitulcres presque tous les rochers du voisi-
nage ; mais une de ses merveilles , c'est un tombeau ma-
MAGASIN UNIVERSEL.
iir
gnifique , sculpté tout entier, avec ses hantes co-
lonnes corinthiennes, dans le roc de la montagne,
et appelé aujourd'hui le Khnsné ou Trésor de
Pharaon : un bloc énorme et compact de grès ,
légèrement teint d'oxide de fer, a été creusé,
taillé, façonné en statues, en piédestaux, en fûts,
en chapiteaux , en chambres funéraires ; et le
même bloc , environné de toutes parts de rochers
grossiers et sauvages , qui contrastent avec cette
régularité savante, se termine par un fronton
surmonté de l'urne sépulcrale, qui s'élève à cent
vingt pieds du sol.
Une autre tombe monolithe , qui se fait re-
marquer par l'énormité de ses dimensions, est
taillée en relief an sommet d'un rocher; on y
arrive par un escalier de plus de quinze cents
pieds. M. Delaborde y est monté, et ce monu-
ment gigantesque fait parti de ses dessins. Non
loin de là, un arc detriomphe réunit deux parois
immenses de rochers.
Voilà donc, dr.ns ces montagnes lointaines et
sauvages, une ville longtemps ignorée, avec
ses temples, ses théâtres, ses aqueducs, ses forts,
ses arcs de triomphe, ses tombeaux ! Les tem-
ples, les théâtres sont déserts; les ruines des
aqueducs , des forts , ne servent plus à rien ;
l'arc de triomphe ne nous transmet pas même
le souvenir d'un conquérant; les tombeaux seuls
sont utiles encore : ils servent quelquefois d'éta-
bles aux troupeaux.
Une inscription latine , la seule qu'on trouve
à Pétra, donne le nom de 0. Prœtextus (ou
peut-être Prœtextatus) Florentinus, gouverneur
de cette province de l'Arabie, et semble appar-
tenir au temps d'Adrien ou d'Antonin-le-Pieux.
Le voyage de M. Delaborde n'a pas eu seulement pour
but la contemplation des monumens ; ce voyageur a rap-
porté des notes fort utiles sur les plantes et les animaux de
l'Arabie, et une grande carte, résumé complet des connais-
sances géographiques sur ce point du monde. La publication
de son grand ouvrage(4), qu'enrichissaient des dessins exacts,
est sans contredit un grand service rendu à la science; mais
il est un autre service non moins important auquel les
voyageurs ne songent pas toujours assez. M. Delaborde en
se dévouant pour cette longue expédition aux plus nobles
sacrifices , et en se conduisant en homme de courage et
d'honneur avec les Torath et les Alaouins , qui furent ses
guides, en a fait autant d'amis pour les Européens. C'est
ainsi qu'il faut songer à ceux qui vie;idront après soi, et
leur préparer un bon accueil , une route sûre et facile. Le
récit qu'il fait du départ de son escorte , après tant de fati-
gues et de périls partagés , est empreint d'une candeur naïve,
qui ne permet de soupçonner ni exagération , ni combinai-
son théâtrale : « Il fallut me séparer de ces braves gens qui,
pendant tout mon long voyage , avaient eu pour moi une
attention si constante , des soins si assidus; Hussein surtout
semblait s'être attaché à moi ; il pleurait en me quittant: il
me faisait promettre de revenir plus tard manger de ses
dattes et boire de son lait sous sa tente; il me disait que
Dieu est grand, que peut-être un jour je serais malheureux ,
proscrit de mon pays , et qu'alors je devrais me souvenir
d'Hussein; qu'il aurait toujours pour moi , sa tente pour me
reposer , ses chevreaux pour me nourrir et ses dromadaires
pour aller visiter les vieilles pierres. »
Nous n'avons fait qu'esquisser rapidement dans cet ar-
ticle, l'importante expédition de M. L. Delaborde. La nar-
ration qu'il en a publiée est assez riche en faits curieux et
instructifs pour que nous devions en présenter plus tard
quelques extraits à nos lecteurs.
(i) Un grand in-folio ayant pour titre, Voyage de l'Àralie
Pétrée, publié par L. Delaborde. Chez Giard, éditeur, à Paris.
(Costume des liabitans d'Alep.)
Nous avons joint à celte notice le dessin du costume des
liabitans d'Alep en Syrie, costume que M. Delaborde, at-
tentif à s'identifier autant qu'il était en lui, avec les popu-
lations qu'il observait , a revêtu dans son voyage.
LES PERLES. — origine et piïche des perles
NATURELLES. — FABRICATION DES PERLES FAUSSES.
Tout le monde connaît ces corps calcaires et nacrés dont
la valeur varie selon leur éclat , leur régularité , et souvent
même la bizarrerie de leur forme , et qui ont reçu le nom
de perles. Ils se forment non seulement dans les coquilles
d'un mollusque marin, appelé par Bruguière avicule per-
Hère , et par le savant Laniack, pintadvie marrjariiifére ,
mais encore dans celle de l'huître commune , dans celle du
jamboneau , connu par son tissus soyeux, et même dans
certaines coquilles à une seule valve , appelées patelles et
haliotides, enfin, 'dans plusieurs moules d'eau douce.
On ne connaît pas encore bien la cause qui produit les
perles ; mais plusieurs faits s'accordent pour prouver que
leur formation est tout à fait accidentelle, bien qu'elle
puisse être le produit d'une maladie de l'animal ou de la
coquille. Depuis Linné , qui en fit l'essai sur les mulettes
des rivières de la Suède , on sait que l'on excite ces mollus- '
ques à produire des perles en perçant leur coquille; J'ani- '
mal sentant le besoin de réparer le dommage fait à sa de-
meure , accumule , à l'endroit où elle est percée , la matière
calcaire que secrète son manteau. L'abondance de cette
matière produit alors une callosité qui devient une véritable
perle, lorsqu'elle prend la forme d'un corps arrondi qui ne
tient à la coquille que par un pédicule. Il paraîtrait même
que les Indiens connaissent ce moyen factice de produire
des perles , puisque l'on voit dans quelques collections des
pintadines margaritifères traversées par un fil de cuivre.
Quelques naturalistes ont remarqué un petit grain de sable
au centre des perles; l'Introduction d'un corps de cette na- ^
UB
MAGASIN UNIVERSEL.
lure expliquerait leur mode de formation. En effet, l'irrita-
tion qu'il produit sur le manteau du mollusque, doit porter
celui-ci à sécréter en abondance la matière calcaire , qui se
dépose alors par couches sur ce petit grain de sable; comme
il n'y a pas de pédicule à cette espèce de perle , on conçoit
qu'elle doive être plus régulière et plus ronde que les
autres. Au surplus, les Indiens sont fort adroits à rendre
une perle régulière, quelle que soit la grosseur de son pédi-
cule, en l'arrondissant et en la polissant à l'aide d'une
poudre qu'ils obtiennent des perles pulvérisées.
Les perles sont susceptibles de s'altérer avec le temps, et
quelquefois même par les émanations qui s'exhalent du
corps de certaines personnes , elles se ternissent , perdent
leur blancheur , et l'on dit alors qu'elles meurent. Cepen-
dant on en trouve qui sont naturellement jaunâtres ou ver-
dàtres, et même de noirâtres, s'il faut en croire quelques
voyageurs. Malgré la facilité qu'elles ont à s'altérer, il faut
encore un acide assez fort pour les décomposer ; aussi doit-
on regarder , comme un conte l'anecdoie de Cléopâtre, qui
fît dissoudre une perle dans un verre de vinaigre , qu'elle
but ensuite pour prouver à Antoine qu'elle le surpassait en
proiligalité. Les perles rondes et les perles en poires sont
les plus estimées ; quehjues unes atteignent une grosseur
remarquable. En 1370, on en recueillit une dans les pêche-
ries de Panama , qui était de la grosseur d'un œuf de pigeon,
et qui avait la forme d'une poire ; elle fut offerte à Philippe II.
Les pêcheries de l'Amérique sont beaucoup moins renom-
mées que celles de l'Inde ; c'est sur les côies de l'ile de
Ceylan que l'art de pêcher les perles est connu depuis la
plus haute antiquité. Cette occupation commence en février
et finit en avril ; chaque pêcheur , muni d'un filet en forme
de sac , d'une corde à laquelle est attachée une pierre , et
d'une autre corde dont une extrémité reste entre les mains
d'un des rameurs; s'élance de la barque qui porte ordinai-
rement dix rameurs et dix plongeurs ; il reste sous l'eau
pendant deux à quatre minutes , et quelcjuefois même plus
long temps, remplit de coquilles sa gibecière , agile la corde
qui le tient , au moyen de laquelle on l'aide à remonter, et
reparait à la lumière , mais quelquef )is en rendant le sang
par le nez et les oreilles. Chaque plongeur peut répéter cette
opération jusqu'à cinquante fois dans un jonr. Les coquilles
que l'on a pêchées sont rassemblées dans des fosses ou sur
des nattes entourées de palissades, et lorsque les animaux
sont morts, quelquefois même en putréfaction, on se met à
la recherche des perles.
Le prix excessif des perles régulières a fait naître l'art de
les imiter : cet art a été porté fort loin dans quelques pays
de l'Europe , et a tiré parti de l'écaillé d'un poisson d'eau
douce dont la chair est peu estimée : c'est celle de Table.
Lorsqu'on a enlevé les écailles de ce petit cyprin , qu'on les
a lavées à grande eau dans un tamis clair, à travers lequel
passe la substance qui leur donne leur brillant nacré ; lors-
qu'on a frotté deux ou trois fois les écailles , pour en reliier
toute cette substance , la première opération est terminée ,
il ne s'agit plus que de suspendre la matière nacrée dans
une dissolution clarifiée de colle de poisson , et d'en mettre
une goutte dans la bulle de verre qui doit lui servir de
moule ; on la fait ensuite sécher rapidement au-dessus d'un
poêle ; puis on remplit la bulle avec de la cire fondue , qui
fixe la matière nacrée contre la paroi intérieiu-e de la perle,
et qui lui donne de la solidité. Le verre de ces bulles est
tellement mince que, lorsque les perles fausses sont faites
avec soin , elles acquièrent le brillant des véritables perles ,
et produisent une illusion complète.
CHRONIQUE DE LA CORSE.
LE BARON DE NEUHOF.
A l'époque où les Corses luttaient pour leur indépendance
contre les Génois , il se présenta un homme qui se fil fort
d'intéresser les puissances de l'Europe à leur cause, de leur
fournir tous les moyens d'affranchissement, de sûreté, de
prospérité. Pour cela il ne demandait que le trône , et il
l'obtint.
Né à Metz vers 4690, fils d'un noble Westphalien qui s'é-
tait brouillé avec toute sa famille, il vint en France récla-
mer la protection de la duchesse d'Oiléans. Elevé par les
soins de cette princesse , Théodore de Neuhof fit partie de
ses pages, et entra an service de France, qu'il quitta pour
celui de Suède. Plus intrigant que soldat, il reçut du baron
de Gœrlz une mission secrète pour Albéroni, et la remplit
à la satisfaction des deux ministres. Mais la mort de l'un , la
disgrâce de l'autre , ayant trompé son espoir , ne sachant
comment fuir les créanciers que lui avaient fait ses spécu-
lations malheureuses sur le système de Law , il se rendit à
Florence, avec le caractère de résident pour l'empereur
Charles VI. C'est alors que la royauté lui apparut comme
dernière ressource; il séduisit, éblouit les Corses, qui, en
retour de ses promesses magnifiques, lui promirent tout ce
qu'il voulût. Rebuté par les cours d'Europe, dont il sollicita
l'appui ; mieux accueilli en Turquie , il réussit bien mieux
encore à Tunis , dont la régence lui accorda un vaisseau ,
des armes, des munitions et de l'argent.
Les Corses venaient de placer leur île sous l'égide de la
Sainte-Vierge , lorsque Théodore Neuhof débarqua au port
d'Aléria (15 mars 1736), vêtu à la turque et coiffé d'un tur-
ban , s'iniilulant grand d'Espagne , pair de France, baron
d'Angleterre , chevalier de l'ordre teulonique et prince de
l'état de l'église. « Il débuta, dit Voltaire, par déclarer qu'il
« arrivait avec des trésors immenses , et , pour preuve , il
« répandit parmi le peuple une cinquantaine de séquins en
« moimaie de billon. Les fusils, la poudre qu'il distribua ,
<t furent les preuves de sa puissance. Il doima des souliers
« de bon cuir, magnificence ignorée en Corse ; Il aposta des
« courriers qui venaient de Livourne sur des barques , et
« qui lui apportaient de prétendus paquets des puissances
« d'Europe et d'Afrique. » Peu de jours après (13 avril 1756)
il fut proclamé roi dans une assemblée générale tenue à
Alezani. Une armée nombreuse se leva, et Théodore rem-
porta d'abord (pieUpies avantages : mais bientôt les Génois
le repoussèrent au-delà des monts , et il s'établit à Sarlène ,
où le baron de Drosth , son parent , le rejoignit avec de
l'argent et des munitions. Huit mois ne s'étaient pas écou-
lés que des murmures se faisaient entendre , que l'autorité
du nouveau roi était méconnue et sa vie menacée. Théo-
dore convoqua les députés de toules les pièces (paroisses),
et leur déclara (ju'il allait se séparer d'eux pour hâter les
secours fastueusement annoncés; il désigna vingt-huit ci-
toyens pour former un conseil de régence , et partit pour
Livourne, cherchant partout des dupes; il en trouva quel-
ques unes à Rome, à Turin; à Paris la police voulut le jeter
au For-l'Evêque ; à Amsterdam, un de ses créanciers le fit
mettre en prison, et plusieurs autres l'y écroiièrent; mais
un juif paya ses dettes, et lui avança cinq millions pour
équiper trois vaisseaux marchands et une frégate. Ce juif
convoitait le monopole du commerce avec l'Ile de Corse;
on soupçonna d'ailleurs les états généraux d'être de moitié
dans le marché-
Théodore reparut en vue de son royaume ; mais contenus
par la présence des troupes françaises, ses sujets restèrent
dans l'inaction ; un coup de vent poussa le baron-roi dans
le port de Naples ; on l'arrêta , et la forteresse de Gaëte lui
servit de palais. Mis en Uberté , il recommença sa vie er-
rante : son parti n'existait plus qu'à peine; en 1742, il re-
vint encore, amené par un vaisseau anglais; aucune piéve
ne répondit à son appel : néanmoins les Génois mirent sa
tête à prix. «Un dernier revers, dit un biographe, atten-
dait à Londres ce jouet de la fortune. Lorsqu'il se flattait
de provoquer encore un armement en sa faveur, ses créan-
ciers lui firent subir le même sort qu'en Hollande. Il sortit
enfin de prison, où il avait langui pendant sept ans dans la
misère et le mépris, et déclara pi éalablement qu'il aban-
donnait son royaume pour hypothèque à ses créanciers.
Horace VValpole ouvrit en sa faveur une souscription qui
MAGASIN UNIVEBSEL.
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ïui assura les moyens de subsister jusqu'à sa mort. Théodore
fut enterré sans distinction dans le cimetière commun de
Sainte-Anne de Westminster, et Walpole chargea sa toml)e
d'une épitaphe qui finissait par ces mots : la fortune lui
donna un royaume , et lui refusa du pain. »
LES PONTONS DE CADIX ET DE PORTSMOUTII.
On connaît sous le nom de pontons des bateaux très-
solidement construits et de f »rmes différentes, suivant les
usages auxquels ils sont destinés, mais qui sont ordinaiie-
mejità fond plat. On les emploie à toutes It s opérations qui
exige: it une grande force mécanique dont le point d'appui
soit sur la mer : ils portent les canons et les boulets, et le lest
en fer des vaisseaux en armement -ou en désarmement , et
servent au carénage et à l'amarrage de ces mêmes vaisseaux.
Dans quelques ports, en France et à l'étranger, la machine
à muter les vaisseaux est établie sur un ponton. Les pon-
tons, ne devant servir que dans les ports et rades, ne sont
point disposés pour aller à la voile ; cependant ils ne sont
pas tous dépourvus de mâture , comme on pourrait le croit e
d'iiprès l'expression, rasé ou ras comme im ponton , appli-
quée à un vaisseau qui a perdu tous ses mâts dans un com-
bat ou une tempête. La plupart des pontons n'ont qu'un
seul mât court et fort pour gréer leurs apparaux , consis-
tant en cordages et en poulies ; ceux destines spécialement
au carénage ont deux mâts, qu'on appelle mâts de redresse.
Tous ont des cabestans, machines indispensables pour les
manœuvres de force ; ce sont ordinairement des forçais qui
travaillent sur les pontons.
Il est d'autres pontons qui ont acquis une malheureuse
célébrité; ce sont ceux sur lesquels les Anglais entassaient
et accablaient de traitemens inhinnains nos infortunés ma-
rins et les militaires français prisonniers de guerre.
G est avec raison qu'un Anglais, célèbre par sa philan-
tr)pie, a dit : « Les pontons devraient être le chàiiment
« réservé aux plus atroces de tous les crimes. » Qu'on se fi-
g(n-e, en effet, le supplice de huit à neuf cents prisonniers
confinés, nuit et jour, pendant des années entières , dans
une partie des entre-fonds d'un vaisseau , où chacun n'a
pour se mouvoir et se coucher (|u'un espace de cinq ou six
pieds de long sur deux de large ; où il ne peut respirer
qu'une petite quantité d'un air infecté non-seulement par
|les émanations de tant d'hommes réunis, mais encore par
les exhalaisons méphitiques des latrines j où il n'a pour se
substanter qu'une nourriture grossière, peu abondante et
presque toujours de mauvaise qualité. Qu'on ajoute à tout
cela les souffrances morales de la captivité elle-même et de
la privation de toute espèce de relations avec l'extérieur, et
enfin toutes les vexations de détail que les agens subalter-
nes sont toujours si ingénieux à inventer pour ajouter aux
rigueurs ordonnées par leurs maîtres, et on aura une fai-
ble idée de ce que les Français eurent à souffrir dans ces
prisons infectes. Non contens d'employer les pontons eux-
mêmes, les Anglais en avaient suggéré l'usage aux Espa-
gnols dans la guerre de 4808 à 4814 ; et, il faut le dire, in-
dépendamment du caractère national , qui conserve toujours
chez les classes inférieures de ce pays une teinte de férocité,
la disposiiion où se trouvait alors le peuple en Espagne était
éminemment propre à lui faire adopter ces infernales pri-
sons ; et dès que les armées espagnoles nous eurent fait une
certaine quantité de prisonniers, la rade de Cadix eut ses
pontons, comme celles de Porlsmoulh et de Plymouth.
Cette imitation d'un des actes les plus odieux de la poliii-
que anglaise donna lieu à un trait d'intrépidité bien digne
du caractère français , et que nous croyons devoir rappeler
succinctement.
Six cents prisonniers français, parmi lesquels se trou-
vaient cinq cents officiers, ayant en grande partie appartenu
au corps du général Dupont , dont la capitulation avait été
si indignement violée, étaient détenus sur le ponton la
CasttUe. Ce vieux vaîssean se troirvait mouillé à environ un
quart de lieue des murs de Cadix, et à une lieue de la côte
occupée par les Français qui assiégeaient la place. Les pri-
sonniers, à qui une captivité de près de deux ans était de-
venue insupportable , avaient maintes fois formé le projet
d'enlever le ponton , et de profiler d'une occasion où lèvent
et la marée seraient favorables pour gagner la rive oîi
étaient campés leurs compatriotes. Quelques caractères ti-
mides avaient blâmé ce projet, et en avaient, à diverses re-
prises, empêché l'exécution. Cependant les plus audacieux,
et c'était la très grande majorité, l'emportèrent : l'occasion
tant désirée se présenta de nouveau ; une tempête d'équi-
noxe, qui avait déjà fait périr plusieurs liâliuiens anglais
et espagnols , devait pousser promptement les pontons vers
la côte française. En un instant , les prisonniers se soulè-
vent, désarment leurs gardes; les câbles sont coupés, et le
ponlon dérive avec rapidité. La nuit étant lrès-soud)re, ce
mouvement échappa aux ennemis, et le trajet se fit sans
autre obstacle que quelques coups de canon tirés par la
chaloupe qui avait été placée en vedettp auprès de la Cas-
tille.
Vers le milieu de la nuit, le ponton échoua à environ
quatre cents toises du fort de Malagorda, occupé par les
Français; mais comme la Casiille lirait quinze pieds d'eau,
elle éehoua à une grande diï.tance du rivage, et il fut im-
possible aux Français de gagner la côte, d'aulant plus que
la violence des flt)ts rendait très dangereux le trajet à la
nage. Un d'entre eux cependant se dévoua pour le salut de
tous; il parvint jusqu'à lerre, en passant au travers des
chaloupes ennemies, alla demander du secours à l'expédi-
tion française, et regagna le ponlon. Dès que le joiir parut,
la Castille fut aperçue par les Espagnols, et une grêle de
boulets partis de leurs forts et de leurs bàtimens coumença
au même instant à tomber sur le ponlon, où ils tuèrent un
grand nombre de Français, et qu'ils mirent en feu. Les
prisonniers réussirent chaipie fois à éteindre l'inceuMie.
Cette position terrible se prolongea jusqu'à près de onze
heures du matin; alors des embarcations françaises arrivè-
rent, et débarquèrent tous les prisonniers, à la réserve
d'ime vingtaine qui avaient été tués ou (|ui s'étaient noyés.
Comme le débarquement une fois commencé , on ne s'était
plus occupé d'éteindre le feu , la Castille devint bientôt la
proie des flammes , et ne tarda pas à être consumée.
CROMWELL
CHASSANT LES MEMBRES DU PARLEMENT.
La dissolution violenle du parlement par Cromwell, après
la bataille de Worcester, est sans contredit l'un des acles
les plus importaus de la vie de cet homme extraordinaire,
puisqu'elle servit de prélude à la tyrannie, qu'il exerça en-
suite sur l'Angleterre sous le nom de lord Protecteur. Ce
grand acte d'usurpation, cette violation brutale de la re-
présentation nationale, est décrite dans les mémoires de
Ludiow d'une manière si animée et si intéressante, que nous
avons cru devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs celte
scène dramatique.
Le parlement, voyant chaque Jour augmenter l'orgueil
et les prétentions ambitieuses de Cromwell, qui avait réussi
à s'assurer le dévouement de l'armée, songeait à créer une
république gouvernée par les vrais représentans du peuple.
Cromwell , en ayant eu avis , se rendit promptement à la
Chambre, où il prit séance, et écouta pendant quelque
temps la discussion; puis il prit à part le major-général
Harrison, et lui dit « qu'il croyait que le parlement était
mûr pour la dissolution, et qu'il était temps de l'accom-
plir. » Le major-général répondit : a C'est un grand et dan-
gereux ouvrage. Monsieur; il faut y songer sérieusement
avant de vous y engager. » — « Vous avez raison, » reprit
Cromwell, et il garda le silence pendant quelques minutes ;
bientôt il s'écria de nouveau : « C'est le moment, agis-»
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MAGASIN UNIVERSEL.
sons ! » Alors il se lève, et prononce un discours véhément,
où il accable le parlement des plus odieux reproches , l'ac-
cusant de compromettre le salut public , et d'avoir épousé
les sales intérêts des presbytériens et des jurisconsultes, et
( Cromwel chassant les membres du Farlemeal. )
disant que le Seigneur en avait fini avec eux , et qu'il avait
choisi d'autres inslriimens plus dignes de son œuvre.
Tout cela fut débité avec la passion et le trouble d'un
homme en délire.
Sir Peler Wentworlh se leva pour y répondre, et dit que
c'était la première fois qu'il entendait parler à la chambre
d'une manière si inconvenante, et que ce qu'il y avait de
plus horrible, c'était qu'un lel discours sortit de la bouche
d'un serviteur du parlement, et d'un serviteur auquel on
avait marqué tant de faveur et de confiance. Il allait conti-
nuer, lorsque le général s'avança au milieu de la chambre ,
en s'écriant : « Je saurai faire finir tout ce bavardage ; »
et, après s'être promené à grands pas, il frappa du pied avec
colère, et dit : « Vous n'êtes plus un parlement ; je vous dis
qu'il n'y a plus de parlement; je mettrai fin à vos séances :
qu'on les fasse entrer. » A ces mots , le sergent du parle-
ment ouvrit les portes , et le lieutenant-colonel Worsley, à
la tête de deux files de mousquetaires , entra dans la cham-
bre. Sir Henri Vane ne put s'empêcher de dire alors :
« Ceci est infâme; c'est contre toute morale et toute
loyauté. » Mais Cromwel l'apostropha, en lui disant : « Sir
Henri Vane , que le Seigneur me délivre de vous ! » Puis
il se mit à injurier tous les membres, en leur prodiguant les
épiihètes les plus ignobles : ensuite il saisit violemment la
masse d'armes déposée sur le bureau lorsque le pailement
est en séance : « Qu'avons-nous à faire de cette babiole?
dit-il; qu'on l^emporte. » Tout était dans la plus grande
confusion. Harrison s'approcha de l'orateur, et lui déclara
qu'au point où en étaient les choses , il fallait qu'il quittât
son fauteuil. Celui-ci répondit qu'il n'en descendrait que par
la force : « Eh bien ! je vous donnerai la main , dit Harri-
son, et il l'arracha de sa place. Pciidant ce temps-là ,
Oromwell disait à plusieurs membres qu'il connaissait pour
ses ennemis : « C'est vous qui m'avez forcé à en agir ainsi ,
car j'avais prié le Seigneur nuit et jour de m'ôter la vie
plutôt que de m' employer à cette œuvre. » L'alderman Al-
len voulut lui faire entendre que les choses pouvaient en-
core s'arranger; que s'il ordonnait à ses soldats de se reti-
rer, et qu'il fit rapporter la masse, la discussion des affaires
publiques pouvait reprendre son cours. Cromwell rejeta cet
avis ; il n'avait pas été si loin pour revenir sur ses pas.
Comme l'alderman avait été long-temps trésorier de J'ar-
raée, il l'accusa d'avoir détourné plusieurs centaines de
mille livres sterling, et, dans les transports de sa rage, il
le fit appréhender sur-le-champ par un de ses mousquetai-
res. Après quoi, il ordonna à ses gardes de déblayer la
chambre , s'empara de tous les documens et de tous les pa-
piers qu'il trouva sous sa main, fit fermer les portes, en
prit les clefs, et se relira ensuite à White-Hall.
VOYAGE SUR UN GLAÇON.
Un Cosaque de la mer Noire , nommé Jean Potapenko,
du village de Grivennhoe , se trouvait dans un établisse-
ment de pêcheurs situé près d' Archouwie. Le 23 décembre,
la glace, à la suite de grandes gelées , paraissant très-ferme,
il alla examiner ses filets tendus dans des crevasses à un
quart de lieue de distance de la côte. En s'occupant de son
travail , il s'aperçut que le glaçon sur lequel il se trouvait
s'était détaché , et voguait avec rapidité sur la surface de
la mer. Ne voyant aucun moyen de salut, il se résigna ù
son sort ; il passa six jours dans la cruelle attente de la
mort, et, quoiqu'il eût avec lui un petit morceau de pain,
sentant une répugnance invincible à prendre de la nourri-
ture, il n'en mangea point, et ne fit qu'étancher la soif
qui le dévorait, en buvant de l'eau de pluie , qui remplis-
sait les crevasses du glaçon qui l'entraînait. Il était chaude-
ment habillé, dans un temps de dégel, et ne souffrit pres-
que pas du froid. Il dormit peu , et cela, assis sur la glace.
Le septième jour, il aperçut une côte escaipée et s'en ap-
procha ; mais , à chaque pas , la fatigue et l'épuisement Je
faisaient tomber en défaillance, et ce ne fut que le neuvième
jour qu'il pût descendre sur le rivage. Il se trouvait près du
cap de Casan-dif, entre Kertch et Arabat. On le conduisit
à Théodosie, où il se remit facilement, et ensuite à Kertch.
Il avait traversé en huit jours trente-neuf lieues de France.
NORMANDIE. — COUTUMES RELIGIEUSES.
Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs un dessin
dont le sujet est emprunté aux mœurs de la Haute-Nor-
mandie. Un ancien usage religieux , fréquemment observé
de nos jours encore dans plus d'une paroisse de cette con-
trée , veut que les enfans malades soient conduits à l'église
et présentés au prêtre , qui , étendant son élole au-dessus
d'eux , invoque en leur faveur la miséricorde du ciel. Cette
lecture des saints Evangiles sur la tête de son faible enfant,
ranime le courage de la pauvie mère, qui, de retour dans
sa modeste demeure , redouble ses soins et ses sacrifices
pour obtenir une guérison dont elle attend avec confiance
l'époque prochaine.
Les croyances religieuses , la vie politique , les progrès
des arts industriels , fournissent au voyageur qui observe
attentivement celte riche province , plus d'un sujet d'éludé,
instruclif et curieux tout à la fois.
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AUTRICHE. — VIENNE.
Vienne (men) , capitale de la monarchie autrichienne , •
est située sur la rive droite du Danube et sur une petite
rivière du même nom , qui la traverse et se jette dans ce
fleuve. Des fortifications régulières séparent la ville des
faubourgs, au nombre de trente quatre; quelques uns sont
arrosés par les petites rivières de Wien et d'Alserbach ;
deux autres sont traversés par un bras du Danube , sur
lequel on a construit trois ponts. Sa circonférence est à peu
Tome II. —Janvier i835.
près celle de Paris ; mais sa population et l'étendue de ses
constructions sont de beaucoup moins importantes. Elle
compte , en effet , moins de 300,000 habitans , en compre- 1
nant dans cette évaluation la population de ses faubourgs. ?
La situation de Vienne est délicieuse ; placée au milieu
d'une plaine que varient des collines pittoresques , et près
d'un des grands fleuves de l'Europe , entourée de prome-
nades charmantes et déterres fertiles, elle offrirait un sé-
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MAGASIN UNIVERSEL
jour enchanté, si un climat variable et un ciel souvent
brumeux ne donnaient à ses monumens comme à ses cam-
pagnes im aspect monotone : l'avantage d'étie baignée par
la Danube est racheté par quelques inconvéniens ; la fonie
des neiges grossissant les petites rivières que reçoit ce fleuve,
le fait déborder de telle sorte qu'une partie des faubourgs
est souvent inondée à une grande hauteur.
Tout est entassé , dans la ville ; les rues , qui se croisent
irrégulièrement , ne sont ni alignées ni bien nivelées ;
quoique pavées et bordées de trottoirs en granit, elles ne
sont ni propres ni commodes , les trottoirs étant de niveau
avec la chaussée. Une rue passe , en forme de pont , au-
dessus d'une autre, par suite de l'inégalité du terrain. La
seule belle rue est le Herrenstrasse. Les places publiques ,
étroites et irrégulières , sont encombrées de monumens
généralement de mauvais goût. La statue équestre en
bronze de dimension colossale de Joseph II , placée sur la
Place Joseph , fait au contraire honneur au talent de Sau-
ner, qui l'a exécutée.
La population qui habite la cité semble y être à l'étroit
dans ses habitations hautes et resserrées. Il n'y a dans son
enceinte d'autre promenade que le Graben (voyez la gra-
vure jointe à cet article) , où se trouvent les principaux
magasins de modes et de nouveautés, et ou se rassemblent
tous les soirs les désœuvrés et les étrangers.
Dès que la saison le permet, les Viennois quittent la
cité ; les habitans aisés se retirent en été dans les faubourgs
qui sont éloignés de 600 toises. L'esplanade intermédiaire
est bordée de beaux hôtels et de couvens transformés en
casernes ; des allées d'arbres la coupent en diverses direc-
tions; mais n'étant pomt pavées, elles sont comme les rues
des faubourgs, très incommodes en été à cause de la pous-
sière, en hiver à cause de la boue. Du reste, les faubourgs,
beaucoup mieux percés que la ville, ont plusieurs rues
larges et régulières. On y remarque quelques palais d'été ,
appartenant à de grandes familles , et beaucoup de maisons
qui , sans être d'une architecture riche , ne sont pas dépour-
vues d'une certaine élégance , et sont entourées de nom-
breux et vastes jardins. Ce serait un séjour des plus agréa-
bles si les rues étaient pavées. Dans le faubourg appelé
Landstrasse, est situé le Belvéder, bàli par le prince Eugène ,
et appartenant aujourd'hui à l'empereur : c'est le plus
beau bâtiment de la capitale j il renferme la galerie impé-
riale des tableaux.
On a remarqué que la consommation des denrées est, à
proportion , plus considérable à Vienne que dans les autres
grandes villes , à cause du penchant décidé de ses habitans
pour la bonne chère. Il est peu de pays où l'on mange
autant. L'aisance générale donne aux Viennois la facilité
de satisfaire leur passion gastronomique; un autre goût
non moins vif chez eux, est celui de la danse et de la
promenade. Ils vont se livrer à ces plaisirs dans les jardins
de VAugarten et au Prater, vaste prairie couverte d'un
bois de chênes et de hêtres , que partage une belle allée
d'une heue de long. Pendant qu'on s'abandonne à la joie;
sous l'ombrage des arbres, qui sont entremêlés de mai-
sons , de cafés et de guinguettes , des milliers de voitures
de toute espèce et de chevaux parcourent en tout sens
la grande allée qui aboutit à un pavillon qui est le but
des courses; on trouve là le Danube, et sur ses bords un
cours planté d'arbres. C'est dans cette promenade que
l'on voit le carrosse de l'empereur d'Autriche suivre
modestement les antres voitures à la file , sans que le prince
se permette jamais de les faire arrêter pour s'ouvrir un
libre passage. Dans la plupart des capitales de l'Europe ,
les simples laquais du souverain , comme ceux qui les ap-
prochent, ont un air d'importance aussi gauche que ridi-
cule; à Vienne ils sont simples et modestes ; et, chose bien
plus rare dans des gens qui approchent les grands, ils sont
honnêtes.
Un médecin anglais, Adam Néale. disaitdans la relation
de son Voyage en Allemagne : Depuis 4768, la population
de Vienne a éprouvé une augmen